CA PARIS (8e ch. sect. B), 29 mai 1997
CERCLAB - DOCUMENT N° 1320
CA PARIS (8e ch. sect. B), 29 mai 1997 : RG n° 95/00628
Publication : Juris-Data n° 023474
Extrait : « Considérant que la loi du 23 juin 1989 a réglementé le courtage matrimonial, contrat de consommation, afin d'éviter tout abus de puissance économique du professionnel qu'ainsi l'article 6-1 in fine prévoit : « ces contrats sont établis pour une durée déterminée qui ne peut être supérieure à un an ; ils ne peuvent être renouvelés par tacite reconduction ils prévoient une faculté de résiliation pour motif légitime au profit des deux parties » ; que cette disposition a justement été prévue pour empêcher les clauses par lesquelles l'agence se réserve le droit de mettre fin au contrat de façon discrétionnaire ; que l'article 12 du contrat du 20 octobre 1993 qui offre la possibilité à l'Agence d'annuler le contrat souscrit, sans motivation et sans indemnité pour le contractant, constitue d'une part une clause potestative et d'autre part une clause abusive au sens de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 dont le premier juge a par suite à bon droit écarté l'application ».
COUR D’APPEL DE PARIS
HUITIÈME CHAMBRE SECTION B
ARRÊT DU 29 MAI 1997
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Numéro d'inscription au répertoire général : 95/00628. Pas de jonction. Décision dont appel : JUGEMENT rendu le 21/10/1994 par le TRIBUNAL D'INSTANCE de SAINT-OUEN RG n° : 94/00659 (Président : Bernard Marie BOYER).
Date ordonnance de clôture : 27 février 1997. Nature de la décision : contradictoire. Décision CONFIRMATION PARTIELLE.
APPELANTE :
SARL RÉCIPROQUE
ayant son siège [adresse], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, représentée par la SCP BARRIER-MONIN, avoué, assistée de Maître CROSSON DU CORMIER, avocat, E 755,
INTIMÉE :
Mademoiselle X.
demeurant [adresse], représentée par la SCP GAULTIER-KISTNER-GAUTHIER, avoué, assistée de Maître VAISSE, avocat, R 038.
[minute page 2]
COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats : A l'audience publique du 5 mars 1997, Madame Nicole ANTOINE, Magistrat chargé du rapport a entendu les avocats en leur plaidoirie, ceux-ci ne s'y étant pas opposés. Il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.
GREFFIER : Madame ARNABOLDI.
Lors du délibéré : Président : Madame Nicole ANTOINE. Conseillers : Monsieur PIQUARD et Madame PREVOST.
ARRÊT : contradictoire, Prononcé publiquement par Madame ANTOINE, Président, qui a signé la minute avec Madame ARNABOLDI, Greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Melle X. dit HENRIOT, candidate au mariage, est devenue le 20 octobre 1993 adhérente de la société RÉCIPROQUE, Agence Matrimoniale à [ville] moyennant versement de 8.000 Francs d'honoraires, objet d'un prêt préalablement contracté auprès de sa banque.
Melle X. a alors adressé des photos à l'agence et accepté d'être filmée puisque le choix des adhérents devait s'effectuer entre autres façons par visionnage de cassettes vidéo.
De novembre à décembre 1993, il a été présenté à Melle X. quatre prétendants qui ne lui ont pas convenu.
A l'issue de quoi, Melle X. a demandé à RECIPROQUE qu'une nouvelle sélection fût opérée.
Melle Y., employée de RECIPROQUE, a reçu Melle X. le 10 janvier 1994 et lui a parlé de 2 nouvelles personnes.
[minute page 3] Le 14 janvier 1994, ne voyant rien venir (habituellement l'appel téléphonique du candidat intervient le jour même de la présentation par l'agence), Melle X. aurait interrogé celle-ci pour en connaître les raisons et se serait vue alors reprocher, en termes vifs, son impatience.
Au cours de cet entretien, Melle X. aurait, été menacée de recevoir une lettre d'avertissement et de voir son contrat rompu.
Le 25 janvier 1994, Melle X. a recontacté l'agence pour dire qu'elle avait finalement rencontré l'une des deux personnes dernièrement sélectionnées laquelle ne lui convenait pas et que la deuxième ne s'était toujours pas manifestée.
Cette fois, l'agence RECIPROQUE lui aurait reproché, outre de l'impatience, une attitude désagréable avec les personnes qu'elle avait rencontrées et lui a annoncé une lettre de renvoi.
De fait, par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 janvier 1994, RECIPROQUE lui écrivit en ces termes :
« Mademoiselle,
« Nous sommes au regret de vous annoncer que malheureusement nous ne pouvons plus vous garder parmi nos adhérentes ; en effet dans votre dossier rempli par vos soins, vous aviez annoncé que vous étiez impulsive et impatiente. Nos adhérents comme nous-mêmes venons de vivre la douloureuse expérience confirmant ces défauts.
« Depuis que nous avons ouvert RECIPROQUE, vous êtes la première adhérente que nous renvoyons mais malheureusement votre harcèlement téléphonique, vos récriminations constantes, vos appels de détresse en vociférant je craque, je n'en peux plus... ont dépassé largement les bonnes règles du savoir-vivre.
« En vertu de l'article 12, nous annulons votre contrat signé en nos bureaux à la date du 20 octobre 1993.
« Vous trouverez ci-joint les trois photos que vous aviez bien voulu nous confier ».
« Croyez, chère Madame, que nous en sommes désolés et nous vous prions de recevoir nos sincères salutations ».
[minute page 4] Par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 janvier 1994, Melle X. a alors manifesté sa stupéfaction et contesté les motifs invoqués par RECIPROQUE pour justifier l'annulation de son contrat ; par ailleurs, elle a réclamé sur le fondement de la faute de l'Agence ayant rompu unilatéralement et abusivement le contrat le remboursement de la somme versée pour l'année (8.000 Francs) et la restitution de la cassette vidéo la concernant.
N'ayant obtenu aucune réponse à sa lettre, Melle X. a, par exploit du 21 juin 1994, fait citer la SARL RÉCIPROQUE devant le Tribunal d'Instance de SAINT-OUEN aux fins de la voir :
- condamner à lui restituer la somme de 8.000 Francs augmentée des intérêts légaux à compter du 28 janvier 1994 et à lui verser 10.000 Francs à titre de dommages-intérêts en réparation des différents préjudices subis,
- ordonner à la société RECIPROQUE de lui restituer la vidéo la concernant,
- condamner ladite société à lui payer 2.500 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par jugement du 21 octobre 1994, le tribunal faisant droit intégralement au principal de la demande et partiellement aux demandes accessoires a :
- condamné l'agence RECIPROQUE à rembourser à Melle X. 8.000 Francs avec intérêts légaux à compter de l'assignation et 5.000 Francs à titre de dommages-intérêts,
- ordonné la restitution de la cassette vidéo,
- condamné l'Agence RECIPROQUE aux dépens ainsi qu'au paiement à Melle X. de 1.500 Francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société RECIPROQUE a relevé appel de cette décision et conclut par son infirmation à voir :
- débouter Melle X. de toutes ses prétentions
- et recevant l'agence en sa demande reconventionnelle, condamner Melle X. à lui payer 15.000 Francs en réparation du préjudice matériel et moral qui lui est causé par ses agissements, ladite somme comprenant celle de 8.000 Francs versée lors de la souscription du contrat,
- [minute page 5] condamner en outre la même à lui régler 10.000 Francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Melle X. prie la Cour de :
- écarter des débats les attestations de Melle Y., de M. Z. et de M. W.,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* jugé abusive la résiliation du contrat opérée le 24 janvier 1994,
* condamné l'agence à lui rembourser 8.000 Francs avec intérêts légaux à compter du 20 juin 1994, date de l'assignation,
* ordonné la restitution à elle-même de la cassette vidéo la concernant,
- réformer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau de :
* élever à 20.000 Francs le montant des dommages-intérêts à elle accordés,
* condamner l'agence RECIPROQUE à lui payer 15.000 Francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE, LA COUR,
qui se réfère expressément pour la relation des faits au jugement attaqué, pour l'énoncé des moyens et prétentions des parties aux écritures d'appel de celles-ci,
Considérant que pour entrer en voie de condamnation contre la société RECIPROQUE le tribunal a retenu que :
- d'une part, les attestations fournies par l'Agence émanant de personnes attachées à ses services étaient sujettes à caution et n'apportaient aucun élément objectif sur un comportement fautif de Melle X. à l'égard de l'Agence susceptible de motiver la lettre de résiliation du 24 janvier 1994,
- d'autre part, l'article 12 du contrat qui prévoit l'annulation du contrat sans indemnité aurait un caractère potestatif en ce qu'il dresse une liste de comportements-types exigés des adhérents dont l'évaluation est laissée à la seule appréciation de l'Agence de la seule volonté de laquelle dépend donc la poursuite ou non des clauses contractuelles ;
[minute page 6] Considérant qu'au soutien de son appel la société RECIPROQUE fait valoir :
que les attestations (Z. et Y.) renforcées par les nouveaux éléments qu'elle produit en cause d'appel (témoignage W. et seconde attestation Y.) démontrent le comportement éminemment fautif de Melle X. ayant proféré à l'adresse du personnel de l'agence et devant des tiers des injures et propos orduriers tels que « je n'en peux plus de vos gueules de cons, vous êtes tous des enculés » ou encore « espèce de pédé », « vous entendrez parler de moi ; je ne suis pas n'importe qui, bandes de nazis »,
qu'un tel comportement dans les relations de courtoisie qui sont de l'essence même du contrat d'agence matrimoniale constitue une faute lourde justifiant la résiliation sans que puisse être relevé un caractère potestatif à l'article 12 qui se réfère à « la morale usuelle, au savoir-vivre et à la discrétion »,
qu'en tout état de cause les contrats doivent être exécutés de bonne foi, ce qui n'a pas été le cas par Melle X. ;
Mais considérant, sur les attestations produites par l'agence que force est de constater qu'à l'exception du « témoignage » W. elles émanent toutes de membres du personnel de celle-ci, que leur contenu ajoute considérablement à la motivation de la lettre de rupture du 24 janvier 1994 où il était uniquement question de harcèlement téléphonique, de récrimination et d'appels de détresse et en aucun cas de menaces et injures proférées dans les termes vulgaires ci-dessus rapportés ; que le comportement et les dérapages de langage qui sont ainsi prêtés a posteriori à Melle X. apparaissent suspects au regard des attestations contraires qu'elles versent pour sa part aux débats où elle est dépeinte par des personnes dignes de foi comme une jeune femme de bonne éducation, posée et sensible ;
Considérant qu'est en définitive produit par l'agence le « témoignage » d'un seul tiers, M. W. et non de tiers au pluriel comme elle le mentionnait dans ses conclusions ;
Or considérant que Melle X. établit par la note technique du 7 avril 1995 de Mme U., expert de la liste nationale, dont elle a sollicité l'avis un défaut flagrant de concordance graphique entre le contenu de l'attestation manuscrite de M. W. et la signature de celle-ci qui elle-même apparaît diverger du spécimen apposé sur le passeport de l'intéressée ; qu'il convient donc d'écarter des débats cette [minute page 7] attestation dont la fiabilité laisse à désirer et ce d'autant qu'elle n'est pas même datée et que la mention de l'année de naissance de son auteur ne paraît par ailleurs pas correspondre à celle figurant sur la pièce d'identité ; qu'il ne reste dès lors que les attestations de M. Z. et de Melle Y., préposés de la société, à propos desquelles le tribunal à juste titre a relevé qu'elles ne constituaient nullement un élément de preuve pouvant servir à la motivation de la lettre de résiliation du 24 janvier 1994 ;
Considérant que l'Agence RECIPROQUE, pour évincer Melle X. a invoqué l'article 12 du contrat du 20 octobre 1993 qui stipule :
« L'adhérent s'engage à observer tant vis à vis de RECIPROQUE que de toute personne avec laquelle il aura été mis en relation par son intermédiaire les règles de la morale usuelle, du savoir-vivre, de la discrétion qui s'imposent et s'abstiendra de tout harcèlement abusif. L'adhérent s'engage à ne pas révéler les noms des personnes avec lesquelles il aura été mis en contact par l'intermédiaire de RECIPROQUE. Toute dérogation à ces règles entraînerait l'annulation de droit du présent contrat sans indemnité » ;
Considérant que la loi du 23 juin 1989 a réglementé le courtage matrimonial, contrat de consommation, afin d'éviter tout abus de puissance économique du professionnel qu'ainsi l'article 6-1 in fine prévoit : « ces contrats sont établis pour une durée déterminée qui ne peut être supérieure à un an ; ils ne peuvent être renouvelés par tacite reconduction ils prévoient une faculté de résiliation pour motif légitime au profit des deux parties » ; que cette disposition a justement été prévue pour empêcher les clauses par lesquelles l'agence se réserve le droit de mettre fin au contrat de façon discrétionnaire ; que l'article 12 du contrat du 20 octobre 1993 qui offre la possibilité à l'Agence d'annuler le contrat souscrit, sans motivation et sans indemnité pour le contractant, constitue d'une part une clause potestative [N.B. minute originale : « protestative »] et d'autre part une clause abusive au sens de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 dont le premier juge a par suite à bon droit écarté l'application ;
Considérant que l'agence RECIPROQUE qui dans son courrier du 24 janvier 1994 se bornait à invoquer l'impulsivité et l'impatience de Melle X. n'a ce faisant justifié d'aucune faute objective pouvant constituer un motif légitime de résiliation au sens de l'article 15 du contrat qui n'est d'ailleurs pas même cité ;
[minute page 8] Considérant qu'en dénonçant ainsi unilatéralement le contrat sans raison valable la société RECIPROQUE a commis une faute lourde qui justifie la résiliation judiciaire de celui-ci au profit de l'adhérente impliquant remboursement du prix initialement convenu sans qu'il y ait lieu toutefois eu égard à la gravité de la faute à application d'une quelconque réduction au prorata temporis sur celui-ci ;
qu'il y a lieu dans ces conditions de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a tenu pour abusive la dénonciation du contrat opéré par la lettre recommandée du 24 janvier 1994, condamné l'agence RECIPROQUE à restituer à Melle X. la somme de 8.000 Francs et ordonné par ailleurs la restitution à celle-ci de la cassette vidéo ;
Considérant que cette restitution n'étant qu'un effet obligé de la résiliation judiciaire du contrat, les intérêts sur la somme précitée doivent après réformation du jugement sur ce point particulier courir du prononcé de celui-ci et non de l'assignation ;
Considérant, sur la demande en dommages-intérêts, que la société RECIPROQUE profitant de l'avantage psychologique qu'elle tenait du contrat de par certaines confidences que l'adhérente en réponse au questionnaire initialement souscrit avait pu faire sur certains aspects de sa personnalité n'a pas hésité, pour les besoins de la cause, par une caricature de ceux-ci et en versant par ailleurs aux débats une pièce douteuse qui a dû être écartée, à discréditer sans fondement Melle X. dans des conditions blessantes pour elle et à l'origine d'un préjudice moral certain dont le premier juge a fait exacte appréciation en en fixant le montant à la somme de 5.000 Francs qu'il y a lieu de confirmer ;
Considérant qu'il sera équitablement alloué à Melle X. 6.000 Francs pour frais irrépétibles d'appel ;
Considérant que la société RECIPROQUE qui succombe verra rejeter ses demandes à dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et supportera les dépens ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 9] PAR CES MOTIFS :
Écarte des débats l'attestation non datée établie au nom de W. ;
CONFIRME le jugement sauf en ce qui concerne le point de départ des intérêts légaux sur la somme de 8.000 Francs ;
LE RÉFORMANT de ce chef et statuant à nouveau,
Dit que les intérêts sur la somme précitée courent du 23 septembre 1994 ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la société RECIPROQUE à payer à Melle X. 6.000 Francs pour frais irrépétibles d'appel ;
DÉBOUTE la société RECIPROQUE de ses demandes en dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
LE CONDAMNE aux dépens d'appel ;
Admet la SCP GAULTIER KISTNER, avoué, au bénéfice au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
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- 5802 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (2) - Cass. civ. 1re, 14 mai 1991 - Application directe de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 : principe
- 6334 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Agence matrimoniale