CA VERSAILLES (1re ch. A), 29 janvier 1998
CERCLAB - DOCUMENT N° 1747
CA VERSAILLES (1re ch. A), 29 janvier 1998 : RG n° 1995/4775
Publication : Legifrance ; Lamyline
Extrait « Qu'il en résulte clairement que la garantie due en cas de vol est suspendue au-delà de quarante cinq jours d'inhabitation, quels que soient les objets concernés (c'est-à-dire les objets de valeur ou autres), par dérogation aux conditions générales […] ; Que Monsieur et Madame X. ne peuvent au surplus se prévaloir de l'inobservation prétendue des prescriptions des articles L. 113-1 et L. 112-4 du code des assurances, lesquelles ne sont pas applicables aux clauses qui édictent, non pas une exclusion de la garantie, mais une condition de la garantie (en l'occurrence, une inhabitation n'excédant pas une certaine durée), et ne peuvent davantage invoquer utilement la décision précitée de la commission des clauses abusives, s'agissant d'une norme dépourvue de caractère obligatoire ; Qu'il convient dans ces conditions de débouter les consorts X. de leur demande d'annulation de la clause litigieuse et de dire, en revenant à cet égard sur l'interprétation du tribunal, que la garantie vol n'était suspendue qu'à partir du quarante cinquième jours d'inhabitation, quels que soient les objets dérobés, de valeur ou non »
COUR D’APPEL DE VERSAILLES
PREMIÈRE CHAMBRE SECTION A
ARRET DU 29 JANVIER 1998
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Arrêt RG n° 1995-4775
Présidence : Mme M-F. MAZARS
APPELANT :
Monsieur X.
INTIMÉE :
Compagnie PRESERVATRICE FONCIERE ASSURANCE (Compagnie PFA)
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Monsieur X. a souscrit auprès de la Compagnie PFA une police d'assurance multirisques habitation à effet du 30 juin 1986, portant sur une maison située à […], et garantissant notamment le vol.
A la suite d'un cambriolage perpétré dans la nuit du 18 au 19 avril 1989, ayant donné lieu au dépôt d'une plainte en date du 21 avril 1989, le cabinet A., expert de l'assuré, a évalué le montant du sinistre à la somme de 186.016 francs, selon un « état préparatoire au règlement » transmis à l'assureur le 16 janvier 1990.
L'expert mandaté par la Compagnie PFA, Monsieur B., a évalué le montant du même sinistre à la somme de 89.635 francs, selon rapport d'expertise du 19 décembre 1990.
La Compagnie PFA se bornera en tout cas à adresser à Monsieur X., le 3 mai 1991, un règlement de 31.000 francs, à la suite d'une mise en demeure du 8 mars 1991, et refusera de régler le solde, en faisant valoir notamment que la maison était inhabitée au moment du vol et en se prévalant en conséquence de la clause prévue aux conditions particulières, prévoyant que pendant les périodes d'inhabitation, les objets précieux, titres et valeurs, espèces monnayées seront formellement exclus de la garantie « vol ».
Par acte d'huissier du 13 octobre 1993, Monsieur et Madame X. ont fait assigner la Compagnie PFA devant le tribunal de grande instance de NANTERRE, sollicitant en principal la condamnation de l'assureur au paiement de la somme de 155.016 francs, à titre de solde des indemnités dues.
Par jugement du 10 avril 1995, le Tribunal a :
- condamné la Compagnie PFA à payer à Monsieur et Madame X., en complément d'indemnisation du cambriolage dont ils ont été victimes entre le 18 et 19 avril 1989, la somme de 44.185 francs, après déduction de la provision de 31.000 francs,
- dit que ladite somme portera intérêts au taux légal à compter du jugement,
- alloué aux demandeurs une somme de 3.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- rejeté toutes autres demandes,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la Compagnie PFA aux dépens.
Monsieur et Madame X. ont interjeté appel de cette décision et demandent à la Cour :
- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu la suspension de la garantie vol pour les objets de valeur et limité le montant de l'indemnité due à la somme de 44.185 francs, après déduction de la provision de 31.000 francs,
en statuant à nouveau,
- constater que la Compagnie PFA ne produit pas le contrat d'assurance original, et notamment les conditions particulières qui contiendraient les clauses d'exonération ou de suspension de la garantie vol dont elle se prévaut,
- dire que cette clause est nulle, en vertu des articles L. 113-1 et L. 112-4 du code des assurances, et qu'en toute hypothèse, ladite clause d'inhabitation ne saurait s'appliquer en l'espèce,
- en conséquence, condamner la Compagnie PFA à leur verser la somme de 110.831 francs, correspondant au montant réel du sinistre, déduction faite de la provision de 75.185 francs versée, majorée des intérêts au taux légal à compter du 8 Mars 1991, date de la mise en demeure, outre la somme de 9.943,42 francs correspondant aux honoraires du cabinet A. et celle de 20.000 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,
subsidiairement,
- constater que l'expert de la Compagnie PFA a lui-même évalué le montant des dommages à la somme de 89.635 francs,
- condamner la Compagnie PFA à leur payer à titre provisionnel la somme de 14.450 francs, déduction faite de la provision de 75.185 francs déjà versée,
- pour le surplus, désigner tel expert judiciaire avec mission de procéder à l'évaluation des dommages,
- condamner en toute hypothèse la Compagnie PFA au paiement d'une somme de 20.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La Compagnie PFA, intimée et appelante incidemment, demande à la Cour de :
- constater l'application de la clause d'inhabitabilité, telle que définie à l'article 1-65 du contrat d'assurance,
- en conséquence, lui donner acte de ce que le montant de l'indemnisation n'excédera pas 31.000 francs, somme déjà versée à titre de provision.
Subsidiairement,
- constater l'application de la clause d'inhabitation aux objets précieux,
- confirmer la décision entreprise pour le surplus, et lui allouer une somme de 20.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE,
Considérant que les consorts X. reprochent à la Compagnie PFA de ne pas produire l'original conforme de la police d'assurance et des conditions particulières, en observant notamment que la copie desdites conditions, adressée par la Compagnie d'assurance à leur avocat le 3 mai 1991, n'est pas identique à celle qui a été produite devant le tribunal (la double page 5 comprise dans l'expédition initiale ayant disparu) ;
Que surtout, ils font valoir que les dispositions des divers documents versés aux débats portant sur les conditions d'occupation des locaux sont ambiguës et contradictoires ; qu'ainsi, les conditions générales (article 1-65) prévoient que la garantie vol est suspendue à partir du quinzième jour d'habitation pour les autres objets, alors que selon les conditions particulières du 15 septembre 1986, la suspension de la garantie vol court à compter du trente et unième jour d'inhabitation pour les objets de valeur et du trois cent soixante cinquième jour d'inhabitation pour les autres objets assurés, et que suivant le troisième document invoqué par l'assureur, la garantie vol est suspendue à partir du quarante cinquième jour d'inhabitation, sans distinction quant à la valeur ou à la nature des biens dérobés ;
Qu'ils énoncent que la clause d'inhabitation litigieuse ne satisfait donc pas aux exigences de l'article L. 113-1 du code des assurances, disposant que l'assureur doit sa garantie « sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police », et qu'en outre elle contrevient aux dispositions tant de l'article L. 112-4 du code des assurances (énonçant que les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents), que de la décision n° 85-04 adoptée le 20 septembre 1985 par la commission des clauses abusives, qui préconise la disparition des clauses d'inhabitation similaires ;
Qu'ils concluent en conséquence et en définitive à la nullité de la clause d'inhabitation litigieuse ;
Considérant toutefois que les conditions particulières dont s'est prévalue la Compagnie d'assurance dans le cadre des débats de première instance, et qui sont produites devant la Cour, énoncent que la garantie vol est suspendue pendant la durée de l'inhabitation, et au plus tard, jusqu'à expiration de l'année d'assurance en cours, à partir du quarante cinquième jour d'inhabitation ;
Qu'il en résulte clairement que la garantie due en cas de vol est suspendue au-delà de quarante cinq jours d'inhabitation, quels que soient les objets concernés (c'est-à-dire les objets de valeur ou autres), par dérogation aux conditions générales (article 1-65) qui établit une distinction entre les objets de valeur et les autres objets, la suspension de la garantie survenant à partir du quinzième jour d'habitation en ce qui concerne les premiers, et à partir du quarante cinquième jour d'inhabitation en ce qui concerne les autres ;
Que Monsieur et Madame X. ne peuvent au surplus se prévaloir de l'inobservation prétendue des prescriptions des articles L. 113-1 et L. 112-4 du code des assurances, lesquelles ne sont pas applicables aux clauses qui édictent, non pas une exclusion de la garantie, mais une condition de la garantie (en l'occurrence, une inhabitation n'excédant pas une certaine durée), et ne peuvent davantage invoquer utilement la décision précitée de la commission des clauses abusives, s'agissant d'une norme dépourvue de caractère obligatoire ;
Qu'il convient dans ces conditions de débouter les consorts X. de leur demande d'annulation de la clause litigieuse et de dire, en revenant à cet égard sur l'interprétation du tribunal, que la garantie vol n'était suspendue qu'à partir du quarante cinquième jours d'inhabitation, quels que soient les objets dérobés, de valeur ou non ;
Considérant que se fondant essentiellement sur la déclaration de Marc X., fils du demandeur, qui, lors du dépôt de la plainte pour vol, a indiqué : « j'ai été prévenu que le pavillon de ma grand-mère actuellement absente depuis trois mois des lieux que j'ai moi-même occupé depuis deux mois avait été cambriolé », la Compagnie PFA tient pour acquis le fait que les lieux, au moment du vol, étaient inhabités depuis plus de quarante cinq jours, avec toutes conséquences de droit ;
Mais considérant qu'il est établi par des attestations dont rien ne permet de suspecter la sincérité que Monsieur X. était présent, à MONTLUCON pendant les journées du mercredi 1er au samedi 4 mars 1989, et que son fils Marc se trouvait lui-même dans cette ville les 3 et 4 mars, bien qu'il fût en stage à BORDEAUX en mars et avril 1989 ; qu'en outre, les factures de téléphone versées aux débats confirment l'existence de consommations pendant les périodes du 15 décembre au 15 février et du 15 février au 14 avril ;
Que dès lors, ainsi, qu'en a justement décidé le tribunal par des motifs que la Cour adopte expressément, la durée d'inhabitation, telle que calculée selon les normes prévues au contrat, n'atteignait pas quarante cinq jours lors de la survenance du vol ;
Qu'il s'ensuit que la garantie vol n'était pas suspendue, et que Monsieur et Madame X. sont fondés à solliciter l'indemnisation de leur entier dommage, y compris celle des objets de valeur et contrairement à la décision des premiers juges ;
Considérant que l'article 4-21 des conditions générales prévoit qu'en cas de désaccord entre l'expert choisi par l'assuré et l'expert de l'assureur, lesdits experts font appel à un troisième expert ;
Que cette disposition n'ayant pas été mise en oeuvre par le Cabinet A. (expert de l'assuré) et Monsieur B. (expert de la Compagnie), et rien ne permettant à la Cour de trancher en faveur de l'une ou l'autre des estimations du dommage auxquelles ont abouti chacun desdits experts, il convient de désigner un expert judiciaire, avant plus amplement dire droit sur l'indemnité due par l'assureur, étant observé que les consorts X. n'ont jamais accepté l'évaluation faite par Monsieur B. ;
Qu'il convient d'allouer aux consorts X. une provision de 85.000 francs à valoir sur le montant de leur indemnisation, sauf à déduire les sommes qui leur ont déjà été réglées par l'assureur, tant amiablement qu'au titre de l'exécution provisoire dont était assorti le jugement déféré ;
Considérant que pour s'opposer aux prétentions des consorts X. qui demandent à la Cour de condamner la Compagnie PFA au paiement d'une somme de 9.943,42 francs au titre des honoraires d'expertise facturés par le Cabinet A., la Compagnie PFA se borne à exciper de l'absence de justificatif du paiement de cette somme, alors pourtant que selon l'article 4-21 des conditions générales, chacun paie les frais et honoraires de son expert ;
Qu'il appartiendra dès lors aux parties de s'expliquer sur le principe même de la prise en charge desdits honoraires, dans les écritures qu'elles viendront à prendre postérieurement à l'expertise ordonnée par le présent arrêt ;
Considérant qu'il convient de surseoir à statuer sur le surplus des demandes jusqu'au dépôt du rapport d'expertise à intervenir ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
STATUANT publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;
RECOIT les consorts X. en leur appel principal et la Compagnie PRESERVATRICE FONCIERE ASSURANCE "PFA" en son appel incident ;
DEBOUTE les consorts X. de leur demande tendant à voir prononcer la nullité de la clause d'inhabitation prévue à la police d'assurance ;
DIT que la garantie vol n'a pas été suspendue, et que les consorts X. sont fondés à solliciter de l'assureur, l'indemnisation de leur entier dommage, y compris celle des objets de valeur et contrairement aux énonciations des premiers juges ;
AVANT PLUS AMPLEMENT DIRE DROIT, commet en qualité d'expert :
Monsieur C. Commissaire-priseur […] et lui donne mission de :
- prendre connaissance du dossier,
- entendre les parties et se faire remettre tous documents utiles, et notamment les rapports d'expertise du Cabinet A. et de Monsieur B.,
- évaluer le dommage subi par les consorts X. à la suite du cambriolage perpétré dans la nuit du 18 au 19 avril 1989,
- faire toutes constatations utiles et répondre aux dires éventuels des parties ;
DIT que l'expert pourra se faire assister par un sapiteur de son choix, dans une spécialité ne relevant pas de la sienne ;
DIT que l'expert établira un rapport écrit qu'il devra adresser au greffe de la Cour dans les quatre mois de la réception de l'avis de consignation de la provision prévue ci-après ;
FIXE à la somme de SIX MILLE FRANCS (6.000 francs) le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert que les consorts X. devront consigner au greffe de la Cour dans les deux mois du présent arrêt ;
DIT qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert désigné, il sera procédé à son remplacement par ordonnance du Conseiller de la Mise en Etat ;
CONDAMNE la Compagnie PRESERVATRICE FONCIERE ASSURANCE "PFA" à payer aux consorts X. une provision de QUATRE VINGT CINQ MILLE FRANCS (85.000 francs) à valoir sur le montant de leur indemnisation, sauf à déduire les sommes qui leur ont déjà été versées par l'assureur ;
SURSEOIT à statuer sur le surplus des demandes jusqu'au dépôt du rapport d'expertise à intervenir ;
DIT que les parties devront s'expliquer, dans leurs conclusions après expertise, sur le principe même de la prise en charge par l'assureur des honoraires du Cabinet A. ;
RESERVE les dépens.
ARRET REDIGE PAR : Monsieur MARTIN, Conseiller
ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :
Madame MAZARS, Président
Madame CONNAN, Greffier.
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