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TI RENNES, 27 juin 2000

Nature : Décision
Titre : TI RENNES, 27 juin 2000
Pays : France
Juridiction : Rennes (TI)
Demande : 99/001247
Date : 27/06/2000
Nature de la décision : Admission
Date de la demande : 27/09/1999
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 CERCLAB - DOCUMENT N° 1768

TI RENNES, 27 juin 2000 : RG n° 99/001247

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

TRIBUNAL D’INSTANCE DE RENNES

JUGEMENT DU 27 JUIN 2000

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

A l'audience publique du Tribunal d'Instance tenue le 27 Juin 2000 ;

Sous la Présidence de ISABELLE TARDY-JOUBERT, Vice-Président du Tribunal de Grande Instance chargé du Tribunal d'Instance, assisté de MARIE THERESE DESBOIS, faisant fonction de Greffier ;

Après débats à l'audience du 30 mai 2000, le jugement suivant a été rendu ;

 

ENTRE :

DEMANDEUR(S) :

Monsieur X.,

représenté(e) par Maître DESAUNAY, avocat du barreau de RENNES

Madame X. née Y.,

représenté(e) par Me DESAUNAY, avocat du barreau de RENNES

 

ET :

 

DEFENDEUR(S) :

SOCIETE GENERALE 29, Bld Haussman, 75009 PARIS,

représenté(e) par SCP GOSSELIN, avocat du barreau de RENNES

 

JUGEMENT

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                          (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Suivant offre préalable acceptée en date du 9 février 1999, la SOCIETE GENERALE a consenti aux époux X. un prêt personnel d'un montant de 100 000,00 Francs remboursable en 84 mensualités de 1 539,27 Francs chacune au taux effectif global de 7,823 % l'an.

Invoquant des irrégularités de l'offre au regard des dispositions du Code de la Consommation, les époux X., par acte d'huissier en date du 27 septembre 1999, ont assigné devant ce Tribunal la SA SOCIETE GENERALE aux fins d'obtenir :

- la déchéance du prêteur du droit aux intérêts de l'emprunt contracté,

- la restitution des sommes perçues au titre des intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jour de leur versement,

- que soient jugées abusives et non écrites certaines clauses relatives aux conditions de résiliation du contrat,

- le versement d'une indemnité de 5.000,00 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les époux X. relèvent un certain nombre d'irrégularités ou de clauses illicites justifiant, selon eux, la déchéance du droit aux intérêts prévue à l'article L 311-33 du Code de la Consommation.

Ils font valoir qu'ils n'ont reçu chacun qu'un exemplaire de l'offre, alors que l'article L 311-8 impose une remise en double exemplaire à l'emprunteur ; que faute d'être chacun en possession d'un double exemplaire du contrat, ils s'exposent l'un et l'autre au risque de pression de leur conjoint ; qu'en outre, la remise d'un double exemplaire permet à chacun des époux, tenu solidairement avec l'autre en vertu de l'article 220 du Code Civil, de pouvoir exercer individuellement la faculté de rétractation.

Les époux X. ajoutent que le bordereau de rétractation de l'offre ne comporte pas à son verso le nom et l'adresse de l'organisme de crédit, et ce, en violation de l'article 2 du décret du 24 mars 1978.

Les époux X. observent aussi que l'offre aggrave les conséquences de la résiliation anticipée du contrat puisque, selon une clause illicite et abusive, il peut être exigé en plus des sommes légalement prévues, les primes et surprimes d'assurance échues mais non payées, et ce, en violation de l'article L 311-32 du Code de la Consommation.

Ils remarquent en outre que des causes de résiliation du contrat ont été rajoutées à celles prévues par les textes, tel étant le cas du décès de l'emprunteur, du co-emprunteur, de la caution ou de l'assuré ou de l'existence d'une procédure collective, causes de résiliations dénoncées dans une recommandation n° 86-01 du 11 mars 1986 de la Commission des Clauses Abusives.

Les époux X. indiquent subsidiairement que ces clauses illicites créent un déséquilibre significatif entre les obligations et droits des parties et qu'elles devront être jugées abusives.

 

La S.A. SOCIETE GENERALE conclut au débouté et demande reconventionnellement paiement des sommes suivantes :

- la somme de 16.662,26 Francs avec intérêts au taux contractuel qui seront capitalisés conformément à l'article 1 154 du Code Civil,

- la somme de 10.000,00 Francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée.

La SOCIETE GENERALE sollicite également le prononcé de l'exécution provisoire exclusivement sur sa demande reconventionnelle et le versement d'une indemnité de 5.000,00 Francs en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La SOCIETE GENERALE soulève la nullité de l'assignation du 27 septembre 1999 en application du décret du 28 décembre 1998, faute pour les époux X. d'avoir précisé le fondement juridique de leur demande relative aux clauses abusives.

La S.A. SOCIETE GENERALE fait valoir au fond :

- que chacun des époux X. a reconnu en signant l'offre l'avoir reçue en double exemplaire ; qu'il n'y a pas risque de pression entre les époux X. qui agissent conjointement sous la même constitution,

- que même si le nom et l'adresse du prêteur ne figurent pas au verso du bordereau de rétractation, ils sont mentionnés en tête de l'offre préalable ; qu'ainsi, les époux X. ne pouvaient ignorer auprès de quels organisme et agence ils ont contracté et à qui ils pouvaient, le cas échéant, adresser leur bordereau de rétractation,

- qu'en tout état de cause, ce défaut du nom et de l'adresse du prêteur n'est pas sanctionné par la déchéance du droit aux intérêts, dès lors que l'article L 311-33 du Code de la Consommation ne vise pas l'article 2 du décret du 24 mars 1978 qui, au demeurant, n'impose pas expressément la présence de ces deux mentions au verso du bordereau de rétractation.

Sur l'aggravation de conséquences financières de la résiliation anticipée et sur le rajout de nouvelles causes de résiliation, la SOCIETE GENERALE soutient que des clauses supplémentaires à celles prévues par les textes peuvent être insérées dans le contrat si elles ne constituent pas un abus de droit et n'ont pas pour effet de contourner la législation protectrice du consommateur.

La SOCIETE GENERALE affirme que les clauses visées ne sont pas illicites ni abusives, dès lors qu'elles n'aggravent pas la situation de l'emprunteur ; qu'en toute hypothèse, l'article L 311-33 ne sanctionne pas les clauses abusives au sens du Code de la Consommation.

En revanche, la SOCIETE GENERALE explique que les époux X. ont cessé de régler toutes leurs échéances au titre du prêt et qu'ils restent devoir un solde de 16.662,26 Francs.

Par ailleurs, la SOCIETE GENERALE estime que les époux X. n'ont été animés que par le désir de se soustraire à 1eurs engagements et que leur action doit être sanctionnée comme étant abusive.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DECISION :

- Sur la validité de l'assignation

L'assignation du 27 septembre 1999, en ce qu'elle demande que soient jugées abusives et non écrites les clauses permettant à la SOCIETE GENERALE de résilier le contrat dans certains cas, est juridiquement fondée sur une recommandation n° 86-01 de la Commission des Clauses Abusives parue au BOCC du 11 mars 1986.

Cette assignation est donc valable au regard du décret du 28 décembre 1998 modifiant l'article 56 du Nouveau Code de Procédure Civile en y ajoutant l'exigence à peine de nullité que l'assignation contienne un exposé des moyens en droit.

 

- Sur la demande principale

L'article L 311 -33 du Code de la Consommation dispose que le prêteur qui accorde un crédit sans saisir l'emprunteur d’une offre préalable satisfaisant aux conditions fixées par les articles L 311-8 à L 31 1-13 est déchu du droit aux intérêts et l'emprunteur n'est tenu qu'au seul remboursement du capital suivant l'échéancier prévu ; que les sommes perçues au titre des intérêts qui sont productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de leur versement, seront restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû.

Or, l'article L 311-13 du Code de la Consommation fait obligation au prêteur d'établir l'offre préalable selon l'un des modèles types fixés par le Comité de réglementation bancaire après consultation du Conseil National de la Consommation.

En l'espèce, l'offre en date du 9 février 1999 devait être conforme au modèle type n° 3 en vigueur.

S'agissant des clauses relatives à l'exécution du contrat, le modèle type n° 3 renvoie sur ce point au modèle type n ° 1 qui dispose :

- "en cas de défaillance de votre part dans les remboursements, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû majoré des intérêts échus mais non payés".

S'il n'est pas exclu d'ajouter d'autres clauses aux mentions imposées par le modèle type, les éléments rapportés en sus ne doivent pas conduire à une aggravation du modèle type mettant à la charge de l'emprunteur des obligations supplémentaires.

Il est indiqué au paragraphe C de l'article 5 des conditions générales de l'offre préalable que la Banque pourra prononcer la résiliation anticipée du contrat et exiger le remboursement immédiat du capital restant dû (majoré des intérêts échus mais non payés) dans les cas suivants :

- décès de (...) l'un des co-emprunteurs,

- d'une manière générale, inobservation de l'une des conditions du contrat.

L'offre préalable aggrave ainsi la situation de l'emprunteur qui peut se voir exiger un remboursement anticipé pour des causes non prévues au modèle type et de façon injustifiée. En particulier, en prévoyant la résiliation pour inobservation de l'une des conditions du contrat, le prêteur a rajouté aux conditions de résiliation chacune des clauses du contrat même celles qui ne peuvent être qualifiées d'essentielles, aggravant encore plus la position du souscripteur du prêt.

Ces seuls éléments suffisent à permettre de relever que l'offre du 9 février 1999 ne satisfait pas aux dispositions de l’article L 311-13 et la déchéance du droit aux intérêts de la Société Générale doit être prononcée sur le fondement de l'article L 311-33.

 

- Sur le caractère abusif de certaines clauses de résiliation

Les époux X. demandent que soient jugées abusive et non écrites les clauses prévoyant au paragraphe C de l'article 5 des conditions générales de l'offre la résiliation anticipée du contrat dans l’un des cas suivants :

- décès de l'emprunteur, de l'un des co-emprunteurs ou de la caution,

- décès de l'assuré, à hauteur du montant total du prêt,

- liquidation judiciaire, déconfiture, cessation d'exploitation ou cession de l'entreprise dans le cadre d'une procédure collective l'emprunteur ou du co-emprunteur.

La clause relative à la résiliation anticipée en cas de décès de l'emprunteur n'est pas abusive dès lors qu'il sera toujours loisible héritiers de refuser la succession échue avec un passif excédant l'actif successoral et d'échapper ainsi aux conséquences de la résiliation anticipée.

Est par contre abusive la clause relative à la résiliation anticipée en cas de décès de l'un des co-emprunteurs ou de la caution en ce sens qu'elle prive, sans justification, l'emprunteur survivant du bénéfice de la continuation des relations contractuelles, le soumettant au risque de voir imposer le remboursement anticipé de toutes les sommes dues au prêteur sans qu'il y ait eu défaillance de sa part.

Est également abusive la clause relative à la résiliation anticipée en cas de procédure collective de l'emprunteur ou du co-emprunteur, dans la mesure où une telle clause crée une discrimination entre les consommateurs selon leur activité professionnelle et expose les consommateurs appartenant à certaines professions à se voir exiger le remboursement anticipé du prêt alors qu'ils ne sont pas nécessairement insolvables ni défaillants dans l'exécution du contrat de prêt.

Enfin, n'est pas abusive la clause relative à la résiliation anticipée en cas de décès de l'assuré puisqu'elle est destinée à la mise en jeu de la garantie de l'assureur couvrant le remboursement du prêt qui implique nécessairement l'exigibilité immédiate des sommes dues au prêteur.

 

- Sur la demande reconventionnelle

La SOCIETE GENERALE explique que la somme de 16.662,26 Francs dont elle demande paiement correspond au solde des échéances non réglées au titre du contrat de prêt.

Faute pour la SOCIETE GENERALE de fournir de plus amples explications et de produire un décompte précis de sa créance, il s'impose de considérer, à l'examen des éléments de la cause, que la demande concerne en fait le solde débiteur du compte de dépôt ouvert dans ses livres par Monsieur X. , sous le n° […] et celui du compte détenu par Madame X. sous le n° […]. Monsieur X. devra verser à la SOCIETE GENERALE la somme de 13.353,52 Francs correspondant au solde débiteur de son compte de dépôt à vue diminué des agios, frais et commissions figurant sur les relevés et qui ne sont justifiés ni dans leur principe ni dans leur montant par une stipulation écrite.

Cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 30 décembre 1999 valant clôture du compte.

Madame X. devra, quant à elle, verser au titre du solde débiteur de son compte la somme de 2.444,17 Francs avec intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 1999, date de la mise en demeure portant clôture de son compte.

Les intérêts sur ces deux sommes seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du Nouveau Code de Procédure Civile.

En revanche, le caractère abusif et injustifié de la demande des époux X. n'est pas démontré et il ne sera pas alloué de dommages et intérêts sur ce fondement à la SOCIETE GENERALE.

Aucune circonstance particulière ne justifie le prononcé de l'exécution provisoire sollicitée.

L'équité commande de laisser à chacune des parties les frais non répétibles exposés par elle pour les besoins de l'instance et il ne sera donc pas fait application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de l'une ou de l'autre.

Le succès de chacune des parties dans leurs prétentions respectives conduit à faire masse des dépens qui seront partagés par moitié entre elles.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

PRONONCE la déchéance de la SA SOCIETE GENERALE du droit aux intérêts de l'emprunt contracté par les époux X. le 9 février 1999,

DIT que les époux X. ne seront tenus qu'au seul remboursement du capital suivant l'échéancier prévu et que les sommes perçues au titre des intérêts, qui seront productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de leur versement, seront restituées par la S.A. SOCIETE GENERALE,

DECLARE abusives et non écrites les clauses du contrat de prêt en date du 9 février 1999 permettant à la S.A. SOCIETE GENERALE de résilier le contrat dans les cas suivants :

- décès de l'un des co-emprunteurs ou de la caution,

- liquidation judiciaire, déconfiture, cessation d'exploitation ou cession de l'entreprise dans le cadre d'une procédure collective, de l'emprunteur ou du co-emprunteur,

CONDAMNE Monsieur X. à payer à la S.A. SOCIETE GENERALE la somme de TREIZE MILLE TROIS CENT CINQUANTE TROIS FRANCS, CINQUANTE DEUX CENTIMES 13 353.52 Francs) avec intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 1999,

CONDAMNE Madame X. à payer à la S.A. SOCIETE GENERALE la somme de DEUX MILLE QUATRE CENT QUARANTE QUATRE FRANCS, DIX-SEPT CENTIMES (2 444,17 Francs) avec intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 1999,

DIT que les intérêts seront capitalisés comme il est dit à l'article 1154 du Code Civil,

REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire,

FAIT MASSE des dépens qui seront partagés par moitié entre les parties.

AINSI JUGE ET PRONONCE EN AUDIENCE PUBLIQUE, LE VINGT-SEPT JUIN DEUX MILLE, ET NOUS AVONS SIGNE AVEC LE GREFFIER.