T. COM. EPINAL, 20 septembre 1994
CERCLAB - DOCUMENT N° 204
T. COM. EPINAL, 20 septembre 1994 : RG n° 92/428
(sur appel CA Nancy (2e ch.), 12 septembre 1996 : RG n° 2981/94 ; arrêt n° 1853/96)
Extrait : « Attendu que la clause exonératoire de responsabilité figure sur la facture d'ART GRAPHIQUE de 1988, Attendu que la SA MICHENON n'a pas pu ignorer lors de sa commande de 89 l'existence de cette clause, puisqu'elle figurait déjà sur les documents contractuels antérieurs à 1989, Attendu cependant que s'il est d'usage constant entre professionnels de pouvoir valablement limiter sa responsabilité, la clause figurant au paragraphe Assurances des conditions générales ne peut aboutir à exonérer ART GRAPHIQUE de toutes obligations liées à la détention ou à la restitution des films, Attendu que cette clause permet à ART GRAPHIQUE de s'exonérer de ses responsabilités pour tout dommage survenant aux films pouvant faire l'objet d'une assurance, Attendu qu'ART GRAPHIQUE ne démontre pas que la non restitution des films est du à un événement extérieur à ses propres actes, Attendu qu'une lecture différente de la clause aboutirait à ce que ART GRAPHIQUE puisse s'exonérer de ses propres turpitudes ».
TRIBUNAL DE COMMERCE D’ÉPINAL
JUGEMENT DU 20 SEPTEMBRE 1994
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R. G. n° 92/428.
DEMANDEUR :
SA MICHENON
dont le siège est [adresse], Demandeur comparant par : Maître HAEMMERLE/ KOPF/BEGEL, avocat au barreau ÉPINAL
DÉFENDEUR :
ART GRAPHIQUE IMPRIMERIE
dont le siège est [adresse], Défendeur comparant par : Maître FOLMER, avocat au barreau NANCY
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré : Monsieur SPONY, faisant fonctions de Président, Messieurs DUVOID, PARVE, Juges, assistés de Maître BERGER, Greffier.
Lors du prononcé : Monsieur CHRIST, faisant fonctions de Président, Messieurs DUVOID et LALLEMAND, Juges, assistés de Maître BERGER, Greffier.
DÉBATS : Audience publique du 22 février 1994
JUGEMENT : Décision contradictoire en premier ressort, délibérée par les Juges cités ci-dessus.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] Attendu que par exploit introductif d'instance du Ministère de Maître A./B., huissier de justice à [ville], en date du 09 janvier 92, le demandeur a fait assigner par devant notre Tribunal le défendeur aux fins de :
- recevoir la société MICHENON en sa demande, la dire bien fondée et y faisant droit,
- dire et juger que la société ART GRAPHIQUE a commis une faute en ne restituant pas à la société MICHENON les films qui lui avaient été confiés en prévision de l'édition de son catalogue,
- condamner la société ART GRAPHIQUE à verser au titre du préjudice subi une indemnité globale de 187.132.86 Francs,
- y ajouter 5.000 Francs de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée et 3.500 Francs sur le fondement de l'article 700 du NCPC,
- condamner la société requise aux entiers dépens de l'instance.
Attendu que par jugement du 13 avril 92, le Tribunal de Commerce de NANCY s'est déclaré incompétent,
Attendu que par même jugement, il a renvoyé les parties devant le Tribunal de Commerce d'Épinal,
Attendu que l'affaire est venue à l'audience du 22 février 94,
Attendu qu'après avoir entendu les parties dans leurs arguments et conclusions, le Président a déclaré que les débats étaient clos, le jugement étant mis en délibéré au 14 juin 94 puis pour les besoins de la cause renvoyé au 20 septembre 94,
Attendu que le jugement est rendu ce jour 20 septembre 94,
LES FAITS :
La SA MICHENON fait imprimer chaque année un catalogue de vente par correspondance,
elle confie ses films de ses différentes éditions à la société ART GRAPHIQUE (rachetée par la société IMPRIMERIE GUYOT) qui, après impression doit les transmettre à la société FOTOSTIL chargée de la mise en page et de la photogravure,
en décembre 89, lors de la préparation de l'édition 1990, FOTOSTIL prévient la SA MICHENON que la société ART GRAPHIQUE n'a pas restitué les films de l’édition 1990 et ce comme les autres années,
la société ART GRAPHIQUE répond que les films ont été rendus avant septembre 1989 soit à la société MICHENON, soit à la société FOTOSTIL,
[minute page 3] la SA MICHENON dit avoir été dans l'obligation de refaire son catalogue dont la sortie a été retardée à fin avril au lieu de février, ce qui lui a causé un préjudice important,
dans son assignation, le demandeur expose que la faute du défendeur du fait de la non restitution des films lui a causé un préjudice de :
- 34.998,86 Francs au titre du prix des films,
- 152.134,00 Francs au titre du manque à gagner,
ce dernier chiffre ressort du taux de la marge moyenne appliquée au chiffre d'affaire perdu en raison de la sortie tardive du catalogue,
La SA MICHENON demande au Tribunal de dire :
- que la société ART GRAPHIQUE a commis une faute en ne restituant pas les films,
- de condamner le défendeur à payer une indemnité globale de 187.132,86 Francs ainsi que 5.000 Francs de dommages et intérêts pour résistance abusive et 3.500 Francs au titre de l'article 700 du NCPC,
le 19 juin 92, Maître FOLMER pour la SA ART GRAPHIQUE expose que par retour de courrier, la défenderesse contestait être en possession des films suite à demande de la SA MICHENON du 07 décembre 89,
ART GRAPHIQUE affirmait avoir restitué ces films et dit que la SA MICHENON savait que l'incendie subi par la défenderesse interdisait à celle-ci de vérifier si elle possédait encore les films,
ART GRAPHIQUE estime également que la SA MICHENON par lettre de la DAS du 16 avril 91 reconnaît que depuis le 01 juin 89 la SA ART GRAPHIQUE n'était plus en possession des films puisqu'elle indique que Monsieur C., employé de ART GRAPHIQUE depuis le 01 juin 89 n'a jamais vu les films et que c'est reconnaître qu'à cette date la défenderesse n'avait plus les films,
ART GRAPHIQUE expose également que rien ne permet d'établir que les films étaient rendus chaque année sauf en 1989,
d'autre part, la défenderesse fait remarquer que MICHENON SA ne produit aucun document prouvant la réalité d'un retard de parution du catalogue 1990 et que si elle avait été de bonne foi elle aurait demandé à ART GRAPHIQUE de refaire les films,
ART GRAPHIQUE expose que :
- elle n'a eu outre aucune obligation contractuelle de restituer les films, qu'elle bénéficie d'une clause exonératoire de responsabilité parfaitement connue du demandeur,
- la non restitution éventuelle proviendrait de l'incendie, cas de force majeure excluant toute responsabilité de la défenderesse,
- [minute page 4] la SA MICHENON a eu une évaluation de préjudice variable et qu'elle ne justifie nullement de l'origine de la diminution des ventes ni du retard de parution de son catalogue,
ART GRAPHIQUE estime que la procédure diligentée par la requérante est abusive et demande au Tribunal de débouter la SA MICHENON,
et de la condamner à 20.000 Francs au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et à 5.000 Francs au titre de l'article 700 du NCPC, la condamner aux entiers dépens,
Par conclusions du 22 décembre 93, la SA MICHENON expose :
- que la SA MICHENON prouve avoir remis les films au défendeur,
- que la SA ART GRAPHIQUE dit avoir remis les films puis se dit dans l'incapacité de vérifier si elle était encore ou non en possession des films,
- que par courrier du 12 décembre 89 ART GRAPHIQUE reconnaît avoir été en possession des films mais ne sait pas ce qu'ils sont devenus tout en se prévalant d'une attestation d'un de ses salariés pour dire que les films avaient été rendus,
- qu'il appartient à ART GRAPHIQUE d'apporter la preuve de la restitution,
- que l'attestation de Monsieur C. est une attestation de complaisance car relatant avec certitude l'absence des films dans le stock plus d'un an avant son attestation,
la SA MICHENON expose également :
- que par courrier du 12 décembre 89, ART GRAPHIQUE mentionnait FOTOSTIL comme dépositaire possible des films alors que la demanderesse ne mentionnait aucunement FOTOSTIL comme possible dépositaire,
- qu'ART GRAPHIQUE n'a proposé à aucun moment de refaire les films mais a préféré se dégager de toute responsabilité,
- qu'en outre, Monsieur D., ancien PDG de GUYOT atteste que les films du catalogue MICHENON 89 étaient dans les laboratoires au moment de l'incendie de septembre 1989,
la demanderesse estime qu'il ressort que la preuve est faite que la défenderesse n'a pas restitué les films,
sur l'OBLIGATION CONTRACTUELLE de restitution, la SA MICHENON expose qu'ART GRAPHIQUE ne peut la nier, s'y étant soumise pendant les 10 ans de relations commerciales,
que suivant article 1135 du Code Civil, cette obligation était sous-jacente au travail d'impression et constituait un usage professionnel,
[minute page 5] que la SA MICHENON était et restait propriétaire des films,
sur la CLAUSE EXONÉRATOIRE de responsabilité, la SA MICHENON estime qu'elle a un caractère abusif et rompt l'équilibre du contrat,
qu'en outre, figurant au dos d'une facture, elle ne présente pas la force contractuelle d'une même clause figurant sur le contrat de travail d'impression,
sur la FORCE MAJEURE, la SA MICHENON estime que ce n'est pas le cas de l'incendie du 16 septembre 89 car aurait du prendre toutes les précautions et mesures pour assurer la protection de matériels particulièrement inflammables,
sur le PRÉJUDICE, la SA MICHENON indique que le retard de parution est incontestable et que l'expert comptable a certifié la perte de chiffre d'affaire,
par conclusions en réplique pour la société ART GRAPHIQUE, son conseil répond :
- sur la restitution des films :
qu'il n'a jamais été nié que la défenderesse avait reçu les films,
que le débat ne porte pas sur la mise initiale des films mais sur leur restitution,
que par courrier du 12 décembre 89, la société ART GRAPHIQUE a indiqué que les films avaient été restitués,
que si l'attestation de Monsieur C. était une attestation de complaisance, il appartient à la demanderesse de porter plainte pour fausse attestation,
que la mauvaise foi de la SA MICHENON est démontrée du fait qu'elle a immédiatement exigé une indemnisation alors que sa réaction normale aurait du être de mettre en demeure la défenderesse de refaire la totalité des films,
que lors de l'incendie de septembre 1989, Monsieur D. ne travaillait plus dans la société mais que la responsabilité incombait à Monsieur C.,
- sur la clause exonératoire de responsabilité :
que cette clause fait partie des usages de la profession et figure dans le document officiel de la Chambre syndicale des Maîtres imprimeurs,
- sur le préjudice :
que la demanderesse n'apporte la preuve ni du retard de parution du catalogue, ni que la chute du chiffre d'affaire serait du à l'éventuel retard dans l'édition du catalogue,
[minute page 6] la défenderesse demande en conséquence le bénéfice de ses précédentes conclusions,
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE LE TRIBUNAL :
Attendu qu'il est incontestable que les films du catalogue 1989 étaient en possession de la défenderesse,
Attendu que les témoignages de Messieurs D. et C. sont en contradiction,
que ce dernier affirme que lors d'un inventaire avant l'incendie, les films n'étaient plus en stock,
mais attendu que malgré son affirmation, il est possible que les films aient pu lui échapper et qu'en outre le fait qu'ils n'étaient pas dans l'inventaire n'implique pas qu'ils avaient été rendus à MICHENON,
Attendu que le témoignage de Monsieur D. atteste simplement que les films étaient habituellement gardés jusque fin novembre,
qu'il ne dit pas les avoir vu dans les locaux,
qu'en conséquence, ce témoignage ne prouve pas que les films étaient dans les stocks de la société ART GRAPHIQUE au moment ou après le sinistre incendie de septembre 1989,
Attendu qu'en ce qui concerne sa réclamation, la SA MICHENON écrit avoir réclamé une première fois en septembre mais attendu qu'elle ne produit aucune pièce probante en ce sens et que au contraire, le témoignage de Monsieur D. précise la date de restitution des films habituellement en novembre, la date du 07 décembre est la seule date non contestable de demande de restitution des films,
Attendu que la société ART GRAPHIQUE a répondu sous très bref délai,
mais attendu qu'elle affirme les avoir remis sans apporter aucune preuve formelle, s'il est certain qu'elle les a eu en sa possession il n'existe aucun élément probant en faveur de leur restitution,
en conséquence, les films doivent être considérés comme n'ayant pas été restitués,
- sur la demande d'indemnisation :
Attendu que la SA MICHENON peut comme propriétaire d'un bien demander soit la restitution du bien soit la valeur équivalente, le choix fait par MICHENON de réclamer la valeur des films ne prouve en rien la mauvaise foi éventuelle du demandeur,
- sur la réclamation du préjudice :
[minute page 7] Attendu qu'il n'est pas contestable que la SA MICHENON a fait faire son catalogue 90 ailleurs que par ART GRAPHIQUE,
Attendu qu'il n'est pas prouvé que le retard invoqué provienne de la non restitution des films par ART GRAPHIQUE,
Attendu que le retard lui-même n'est pas démontré,
Attendu d'autre part que la SA MICHENON écrit dans sa lettre du 07 décembre avoir déjà réclamé en septembre la restitution,
Attendu que la SA MICHENON ne pouvait ignorer l'incendie du 16 septembre,
Attendu que malgré cela elle a attendu plus de 2 mois avant de réclamer ses films alors que le risque de leur incendie avait de forte probabilité de s'être réalisé,
Attendu que la demanderesse a manqué de diligence pour se préoccuper activement du remplacement ou de la récupération de ses films, elle a contribué à ses propres dommages immatériels,
Attendu que la SA MICHENON démontre une baisse de chiffre d'affaire en avril-mai 1990,
mais attendu qu'elle ne démontre pas qu'elle est la conséquence exclusive ou même partielle d'un envoi retardé des catalogues,
Attendu qu'il appartient au lésé de démontrer le dommage, la cause du dommage et le lien de causalité,
Attendu qu'en l'espèce, le dommage n'est pas démontré,
qu'il n'est pas démontré de lien de causalité entre le dommage exposé et le retard des catalogues,
Attendu que le seul dommage certain correspond au coût de réfection des films, seul ce préjudice peut être examiné,
- sur les responsabilités :
Attendu que la clause exonératoire de responsabilité figure sur la facture d'ART GRAPHIQUE de 1988,
Attendu que la SA MICHENON n'a pas pu ignorer lors de sa commande de 89 l'existence de cette clause, puisqu'elle figurait déjà sur les documents contractuels antérieurs à 1989,
Attendu cependant que s'il est d'usage constant entre professionnels de pouvoir valablement limiter sa responsabilité, la clause figurant au paragraphe Assurances des conditions générales ne peut aboutir à exonérer ART GRAPHIQUE de toutes obligations liées à la détention ou à la restitution des films,
[minute page 8] Attendu que cette clause permet à ART GRAPHIQUE de s'exonérer de ses responsabilités pour tout dommage survenant aux films pouvant faire l'objet d'une assurance,
Attendu qu'ART GRAPHIQUE ne démontre pas que la non restitution des films est du à un événement extérieur à ses propres actes,
Attendu qu'une lecture différente de la clause aboutirait à ce que ART GRAPHIQUE puisse s'exonérer de ses propres turpitudes,
Attendu qu'ART GRAPHIQUE ne démontre pas que la non restitution des films est du à un événement extérieur à ses propres actes,
Attendu qu'une lecture différente de la clause aboutirait à ce que ART GRAPHIQUE puisse s'exonérer de ses propres turpitudes, [N.B. répétition des deux alinéas conforme à la minute]
Attendu qu'ART GRAPHIQUE ne démontre pas être extérieur à la non restitution des films,
Attendu que la non restitution des films est démontrée,
Attendu que la cause de non restitution n'est pas connue et qu'en conséquence, il ne peut être invoqué une éventuelle force majeure due à un incendie dont il n'est pas démontré qu'il soit à l'origine de la disparition des films,
Attendu que la société ART GRAPHIQUE a commis une faute en ne restituant pas les films,
Attendu cependant que le défendeur n'a pas fait de résistance abusive à la réclamation d'indemnité globale du demandeur,
Attendu que la demande au titre de l'article 700 justifiée sera réduite à 1.200 Francs,
Attendu que la partie qui succombe doit payer les dépens,
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant par jugement contradictoire et en premier ressort,
- condamne ART GRAPHIQUE à payer à la société MICHENON la somme de 34.998,86 Francs au titre du prix des films,
- condamne la société ART GRAPHIQUE à payer à la SA MICHENON la somme de 1.200 Francs au titre de l'article 700 du NCPC,
- la condamne aux dépens de l'instance, liquidés pour frais de greffe à la somme de 403,00 TTC
La présente minute est signée par Mr DUVOID, Juge du délibéré.