CA PAU (2e ch. sect. 1), 30 juin 2008
CERCLAB - DOCUMENT N° 2298
CA PAU (2e ch. sect. 1), 30 juin 2008 : RG n° 07/01093 ; arrêt n° 3343/08
Extrait : « A titre principal, les parties s'opposent sur la question du rapport direct ou non direct, au sens des dispositions précitées, de la convention litigieuse avec l'activité de la société ESPACE BIGOURDAN ; Il est constant que l'objet de la convention litigieuse est défini en une prestation consistant dans « la réalisation d'un dossier de valorisation technique et de son CD correspondant, constitués par l'examen et l'étude des caractéristiques de l'entreprise, dans le but d'en déterminer une valeur estimative » ; Cette convention a été signée le même jour que le mandat de vente donné à une société C.I.E de vendre les parts sociales de M. X. au prix de 488.000 euros, régularisé par l'intermédiaire du même consultant ;
A l'évidence, la convention litigieuse qui a pour objet de déterminer la « valeur estimative » de l'entreprise de construction de maisons individuelles, exercée dans le cadre d'une société contrôlée par le gérant démarché désireux de céder ses parts sociales à un repreneur, est totalement étrangère aux besoins de son exploitation commerciale, et les circonstances mêmes de sa conclusion, la rattachent directement au projet de cession poursuivi par M. X., même si, juridiquement, les deux conventions sont indépendantes ;
Dans ses écritures, la société GANNETIER, réfutant l'assimilation de sa prestation à une simple expertise comptable, entend établir un lien avec les besoins de l'activité commerciale en présentant sa prestation comme une « appréciation des éléments dynamiques et techniques dans le cadre d'un audit, dont l'objectif est tant l'estimation que la valorisation et l'optimisation des ressources matérielles et humaines de l'entreprise (évaluation des méthodes de travail, des process, de la qualité du dynamisme et des performances du service commercial, de la rentabilité d'une chaîne de production, etc.) », pour conclure qu'un tel « audit n'est pas utilisé par les chefs d'entreprise que dans le cadre d'une cession mais comme un pré requis dans le cadre de procédures qualité de type ISO » ;
Force est de constater qu'il existe une distorsion flagrante entre les termes d'une telle mission et ceux exprimés dans la convention litigieuse conclue en vue de « déterminer la valeur estimative » d'une entreprise, à l'occasion d'un projet de cession de cette entreprise ;
Ces éléments confirment, en réalité, la confusion entretenue sur l'objet même de la prestation convenue et révèlent qu'au moment de la signature de la convention litigieuse, M. X. était placé dans la position d'un consommateur profane, ne disposant d'aucune compétence particulière pour mesurer la portée exacte de son engagement ;
Il suit de ce qui précède que la convention litigieuse, qui n'est pas en relation directe avec l'activité professionnelle de la société ESPACE BIGOURDAN, échappe aux exceptions visées à l'article L. 121-22 du Code de la consommation ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PAU
DEUXIÈME CHAMBRE SECTION 1
ARRÊT DU 30 JUIN 2008
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
RG n° 07/01093. Arrêt n° 3343/08.
Nature affaire : Demande en paiement du prix, ou des honoraires formée contre le client et/ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix, ou des honoraires.
ARRÊT : Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 30 juin 2008, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
DÉBATS : Audience publique tenue le 6 mai 2008, devant :Monsieur BERTRAND, Président, Madame TRIBOT LASPIERE, Conseiller, Monsieur DARRACQ, Vice-Président placé, chargé du rapport, désigné par ordonnance du 21 décembre 2007,
assistés de Madame SAYOUS, Greffier, présent à l'appel des causes.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
[minute Jurica page 2]
APPELANTE :
SARL GANNETIER
[adresse], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, représentée par la SCP J.Y. RODON, avoués à la Cour, assistée de Maître TURELLA BAYOL, avocat au barreau de MONTAUBAN.
INTIMÉE :
SARL ESPACE BIGOURDAN
[adresse], agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, représentée par la SCP DE GINESTET/DUALE/LIGNEY, avoués à la Cour, assistée de Maître BURTIN PASCAL, avocat au barreau de TARBES.
Sur appel de la décision en date du 26 FÉVRIER 2007 rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE TARBES.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Informé par une lettre circulaire émanant de la société TRANSFIRM de possibilités de médiation auprès de repreneurs d'entreprises, M. X., gérant de la société ESPACE BIGOURDAN (SARL) a fait part de son projet de cession et a reçu, le 12 janvier 2005, sur son lieu de travail, la visite de M. Y., se présentant comme consultant de la société GANNETIER.
Sur place, M. X. a signé un mandat de vente sans exclusivité au profit d'une société CABINET D'INTERMEDIATION D'ENTREPRISES (CIE) portant sur la cession de ses parts sociales au prix de 488.000 euros.
Parallèlement, M. X., a signé, ès qualités de gérant, une convention chargeant la société GANNETIER de procéder à la « réalisation d'un dossier de valorisation technique et de son CD correspondant, constitués par l'examen et l'étude des caractéristiques de l'entreprise, dans le but d'en déterminer une valeur estimative » moyennant un prix de 8.970 euros TTC, un acompte de 5.220 euros étant versé à la signature par la société ESPACE BIGOUDAN.
[minute Jurica page 3] Par lettre recommandée avec avis de réception du 15 janvier 2005, la société ESPACE BIGOURDAN a notifié à la société GANNETIER sa décision de se rétracter de son engagement, en se prévalant des articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation, et a exigé la restitution de l'acompte.
Considérant que la convention signée entrait pas dans le champ des exceptions prévues par le Code de la consommation, la société GANNETIER, par exploit du 13 décembre 2005, a fait assigner la société ESPACE BIGOURDAN en paiement du solde.
Par jugement en date du 26 février 2007, auquel il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample des faits, de la procédure suivie en première instance, comme des moyens et prétentions initiaux des parties, le tribunal de commerce de Tarbes a débouté la société GANNETIER de ses demandes et l'a condamnée reconventionnellement à payer une indemnité de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile et aux dépens.
La société GANNETIER a relevé appel de ce jugement, par déclaration reçue au greffe de la Cour le 26 mars 2007, dans des conditions de forme et de délais qui ne sont pas contestées et à l'égard desquelles les seuls éléments portés à la connaissance de la Cour ne font pas ressortir qu'elles seraient contraires à l'ordre public.
Par conclusions déposées le 25 juillet 2007, la société GANNETIER a demandé à la Cour de :
- réformer le jugement entrepris,
- dire et juger que ne s'appliquent pas au cas d'espèce les dispositions de la loi du 22 décembre 1972 relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage à domicile transposée dans le Code de la consommation aux articles L. 121-21 et suivants,
- entendre juger parfaite dès l'échange des consentements la convention la liant au cabinet GANNETIER,
- condamner la société ESPACE BIGOURDAN au paiement d'une somme de 3.750 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure,
- condamner la société ESPACE BIGOURDAN au paiement de la somme de 937,50 euros à titre d'indemnité contractuelle,
- condamner la société ESPACE BIGOURDAN au paiement d'une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile et les dépens.
La société GANNETIER expose que :
- le contrat litigieux est en rapport direct avec l'activité professionnelle de la société ESPACE BIGOURDAN, le gérant ayant souscrit celui-ci pour les besoins de cette activité ; le contrat dispose dès lors d'un objet et d'une cause en rapport direct avec l'activité professionnelle de l'entreprise,
- si les dispositions de la loi du 22 décembre 1972 visent à assurer une protection accrue des acheteurs « non professionnels » ou « consommateurs » qui peuvent depuis peu être des personnes morales, elles ne sauraient en revanche permettre de se soustraire unilatéralement et a posteriori à des obligations parfaites de nature professionnelle dont le rapport direct avec l'activité n'est pas contestable,
- [minute Jurica page 4] les contrats conclus entre professionnels ne sont soumis à aucun formalisme et l'objet de la convention est parfaitement défini,
- M. X. ne saurait arguer d'une méconnaissance totale et de l'état d'ignorance dans lequel se serait trouvé un consommateur au moment de la souscription du contrat qui s'avère n'être pour lui, et au regard de ses attributions, qu'un acte « usuel »,
- l'objet de la convention est très différent de l'expertise comptable dont se prévaut M. X.
Par conclusions déposées le 11 décembre 2007, la société ESPACE BIGOURDAN a demandé à la Cour de :
- débouter la société GANNETIER de ses demandes,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- condamner la société GANNETIER à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile et les dépens.
La société ESPACE BIGOURDAN fait valoir que :
- la convention signée n'a aucun rapport avec son objet social consistant dans la construction de maisons individuelles, ni avec son activité commerciale,
- la prestation convenue ayant pour but de cesser son activité puisqu'il s'agissait d'évaluer l'entreprise pour pouvoir procéder à sa cession, les dispositions du Code de la consommation s'appliquent pleinement,
- surabondamment, la convention accumule les violations des règles d'ordre public édictées par le Code de la consommation et en particulier par les articles L. 121-23, L. 121-25 et L. 121-26, de sorte que la convention est nulle,
- en outre la convention est nulle pour défaut d'objet et de cause, en application des articles 1108, 1126 et 1131 du Code civil d'une part en ce qu'elle ne définit aucune prestation de service claire et précise, et d'autre part en ce que l'estimation d'entreprise avait déjà été établie avant même la signature de la convention,
- enfin, la convention est atteinte de nullité pour erreur sur la substance en ce que M. X. cherchait à vendre son entreprise pour des motifs de santé alors que la société GANNETIER lui a fait souscrire une obligation coûteuse relative à une estimation d'entreprise qu'en réalité il possédait déjà avec l'étude d'évaluation établie le 8 novembre 2004 par son expert-comptable ; par conséquent il a été victime d'une erreur sur la substance de la prestation promise,
- la convention ayant été dénoncée, aucune prestation ne sera jamais réalisée par la société GANNETIER, en sorte que cette dernière se saurait prétendre à une rémunération. L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 5 février 2008.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L'article L. 121-21 du Code de la consommation dispose qu'est soumis aux dispositions de la présente section quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage, au domicile d'une [minute Jurica page 5] personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail, même à sa demande, afin de lui proposer l'achat, la vente, la location, la location-vente ou la location avec option d'achat de biens ou la fourniture de services ;
Selon l'article L. 121-22 suivant, sont exclus de la réglementation protectrice relative au démarchage les ventes, locations ou locations-ventes de biens ou les prestations de services lorsqu'elles ont un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d'une exploitation agricole, industrielle, commerciale ou artisanale ou de toute autre profession ;
A titre principal, les parties s'opposent sur la question du rapport direct ou non direct, au sens des dispositions précitées, de la convention litigieuse avec l'activité de la société ESPACE BIGOURDAN ;
Il est constant que l'objet de la convention litigieuse est défini en une prestation consistant dans « la réalisation d'un dossier de valorisation technique et de son CD correspondant, constitués par l'examen et l'étude des caractéristiques de l'entreprise, dans le but d'en déterminer une valeur estimative » ;
Cette convention a été signée le même jour que le mandat de vente donné à une société C.I.E de vendre les parts sociales de M. X. au prix de 488.000 euros, régularisé par l'intermédiaire du même consultant ;
A l'évidence, la convention litigieuse qui a pour objet de déterminer la « valeur estimative » de l'entreprise de construction de maisons individuelles, exercée dans le cadre d'une société contrôlée par le gérant démarché désireux de céder ses parts sociales à un repreneur, est totalement étrangère aux besoins de son exploitation commerciale, et les circonstances mêmes de sa conclusion, la rattachent directement au projet de cession poursuivi par M. X., même si, juridiquement, les deux conventions sont indépendantes ;
Dans ses écritures, la société GANNETIER, réfutant l'assimilation de sa prestation à une simple expertise comptable, entend établir un lien avec les besoins de l'activité commerciale en présentant sa prestation comme une « appréciation des éléments dynamiques et techniques dans le cadre d'un audit, dont l'objectif est tant l'estimation que la valorisation et l'optimisation des ressources matérielles et humaines de l'entreprise (évaluation des méthodes de travail, des process, de la qualité du dynamisme et des performances du service commercial, de la rentabilité d'une chaîne de production, etc.) », pour conclure qu'un tel « audit n'est pas utilisé par les chefs d'entreprise que dans le cadre d'une cession mais comme un pré requis dans le cadre de procédures qualité de type ISO » ;
Force est de constater qu'il existe une distorsion flagrante entre les termes d'une telle mission et ceux exprimés dans la convention litigieuse conclue en vue de « déterminer la valeur estimative » d'une entreprise, à l'occasion d'un projet de cession de cette entreprise ;
Ces éléments confirment, en réalité, la confusion entretenue sur l'objet même de la prestation convenue et révèlent qu'au moment de la signature de la convention litigieuse, M. X. était placé dans la position d'un consommateur profane, ne disposant d'aucune compétence particulière pour mesurer la portée exacte de son engagement ;
Il suit de ce qui précède que la convention litigieuse, qui n'est pas en relation directe avec l'activité professionnelle de la société ESPACE BIGOURDAN, échappe aux exceptions visées à l'article L. 121-22 du Code de la consommation ;
[minute Jurica page 6] Par conséquent, le contractant était fondé à exercer son droit de rétractation ;
Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions, y compris sur les frais irrépétibles, et la société GANNETIER sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à la société ESPACE BIGOURDAN une indemnité complémentaire de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société GANNETIER aux dépens d'appel et à payer à la société ESPACE BIGOURDAN une indemnité complémentaire de 1.000 euros (MILLE EUROS) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
AUTORISE la SCP RODON, avoués, à procéder au recouvrement direct des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Signé par Monsieur Philippe BERTRAND, Président, et par Madame Catherine SAYOUS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
- 5885 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Critères - Clauses abusives - Critères combinés : rapport direct et compétence
- 5957 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus à l’occasion de la cessation de l’activité