TJ DRAGUIGNAN (1re ch.), 12 juin 2024
CERCLAB - DOCUMENT N° 23112
TJ DRAGUIGNAN (1re ch.), 12 juin 2024 : RG n° 21/03967 ; jugt n° 2024/315
Publication : Judilibre
Extrait : « Chacun des baux conclus par la SAS ODALYS RESIDENCES et les demandeurs comporte un article 6 intitulé « Condition particulière », ainsi rédigé : « De convention expresse entre les parties, le loyer sera suspendu en cas de force majeure interrompant l’activité économique du lieu de situation des biens loués (tels que tremblement de terre, pollution de toute nature, catastrophe naturelle, entrave administrative ou autre au libre accès aux lieux loués ou à la circulation des personnes ou des biens… ) ou d’évènement amenant un dysfonctionnement dans l’activité du preneur notamment une quelconque modification dans la destination ou l’accès des parties communes ou encore leur mauvais entretien ou fonctionnement, étant entendu que cette disposition ne saurait s’appliquer dans l’éventualité où le preneur aurait le contrôle de l’entretien ou du fonctionnement desdites parties communes. »
Il est constant que dans le cadre des baux et de la résidence concernés, les parties privatives communes ont été données à bail à la SAS ODALYS RESIDENCES, qui a par conséquent « le contrôle de l’entretien et du fonctionnement desdites parties communes ». Il importe dès lors de savoir si cette exclusion prévue à la fin de l’article 6 s’applique à l’intégralité de l’article ou seulement à sa partie relative à la modification dans la destination, l’accès ou le mauvais entretien ou fonctionnement des parties communes. Or, à l’évidence, la dernière partie de la phrase ne saurait concerner toutes les hypothèses de suspension du loyer énoncées par l’article 6, mais seulement celle relative au « mauvais entretien ou fonctionnement » des parties communes, toute autre interprétation vidant totalement de sens cette clause et conduisant nécessairement à ce qu’il ne soit jamais applicable. La commune intention des parties, que le tribunal doit rechercher pour interpréter cet article, est de permettre au preneur de voir le loyer suspendu lorsque l’exploitation normale des lieux loués est empêché par une cause dont il n’est pas responsable. Dès lors, l’exception tenant à ce que l’événement amenant un dysfonctionnement de l’activité du preneur résulte du mauvais entretien ou du mauvais fonctionnement des parties communes lorsque le preneur a le contrôle de ceux-ci ne concerne pas les hypothèses d’entrave administrative au libre accès des lieux loués ou à la circulation des personnes sans rapport avec l’entretien ou le fonctionnement des parties communes, ni celle dans laquelle l’événement amenant le dysfonctionnement dans l’activité du preneur n’a pas de rapport avec l’entretien ou le fonctionnement des parties communes.
L’épidémie de Covid 19 et les mesures réglementaires qui en ont découlé, et notamment l’interdiction d’effectuer des déplacements hors de son domicile, édictée par le décret du 23 mars 2020, caractérise une « entrave administrative ou autre au libre accès aux lieux loués ou à la circulation des personnes ». Au demeurant, il s’agit d’« événements » ayant amené un « dysfonctionnement dans l’activité du preneur ». Ainsi, l’interdiction d’accueil du public dans les résidences de tourisme et l’interdiction de déplacement des personnes sur le territoire national sont des événements qui ont perturbé le fonctionnement de l’activité de la SAS ODALYS RESIDENCES consistant à exploiter une résidence de tourisme. Il en résulte que les conditions de l’article 6 des baux commerciaux liant les parties sont remplies.
Il y a lieu à ce stade de préciser qu’il n’est nullement fait état de force majeure, comme le soutiennent subsidiairement les demandeurs.
Il convient à présent de déterminer ce que signifie le terme de « suspension », les parties s’opposant sur le sens à donner à ce terme. Dans la mesure où il est indiqué que « le loyer sera suspendu », et non que « l’exigibilité du loyer sera suspendu », et qu’il n’est pas précisé qu’à l’expiration de la période de suspension le loyer redeviendrait exigible, ni selon quelles modalités les échéances « suspendues » devraient être réglées, il en résulte que le loyer n’est pas dû lorsque les conditions visées à l’article 6 sont remplies. L’intention des parties, au demeurant, ne pouvait être de voir simplement l’exigibilité du loyer reportée alors que le preneur n’était pas en mesure d’exploiter pour des motifs lui étant étrangers.
S’agissant de la demande des bailleurs tendant à voir réputé non écrit l’article 6 des baux, il importe de relever, avec la SAS ODALYS RESIDENCES, qu’elle ne peut être accueillie sur le fondement des articles 1110 et 1171 du code civil dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016, l’ensemble des contrats ayant été conclus avant leur entrée en vigueur.
Sur le fondement de l’article L. 132-1 du code de la consommation, les demandeurs ne justifient pas que la clause litigieuse ait pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, le loyer n’étant suspendu qu’en de très rares hypothèses dans lesquelles le preneur est dans l’impossibilité d’exploiter pour une circonstance ne lui étant pas imputable.
Les demandeurs seront par conséquent déboutés de leur demande tendant à voir l’article 6 réputé non écrit, et plus généralement de leur demande en paiement des loyers, l’article 6 des baux s’appliquant en l’espèce. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE DRAGUIGNAN
PREMIÈRE CHAMBRE
ARRÊT DU 12 JUIN 2024
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/03967. Jugement n° 2024/315. N° Portalis DB3D-W-B7F-JEFZ.
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
PRÉSIDENT : Madame Virginie GARCIA, Vice-Présidente, statuant à juge unique
GREFFIER : Madame Nasima BOUKROUH
DÉBATS : A l’audience publique du 8 février 2024
A l’issue des débats, les parties ont été avisées que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe le 11 avril 2024 prorogé au 12 juin 2024
JUGEMENT : Rendu après débats publics par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES :
DEMANDEURS :
SARL AEROSOL III
[Adresse 3], [Localité 26]
Monsieur E. O.
et
Madame U. O.
demeurant ensemble [Adresse 24], [Localité 27]
SAS DOPASCH
[Adresse 2], [Localité 32]
EURL EURONET SERVICES
[Adresse 4], [Localité 35]
SARL KADO
[Adresse 11], [Localité 19]
Madame A. X.
[Adresse 44], [Localité 25]
Madame R. MR. H.
[Adresse 16], [Localité 7]
SARL PALAM
[Adresse 5], [Localité 22]
Monsieur IK. BV. W.
et
Madame V. W. épouse S.
demeurant ensemble [Adresse 28], [Localité 37]
Monsieur ZZ. B.
[Adresse 34], [Localité 38]
SARL BRUMER
[Adresse 18], [Localité 15]
SARL GIPAME
[Adresse 8], [Localité 29]
SARL LE COLIBRI LMP
[Adresse 23], [Localité 42]
Madame J. P.
[Adresse 21], [Localité 39]
SARL HEMA IMMOBILIER
[Adresse 9], [Localité 1]
Monsieur Z. P.
[Adresse 17], [Localité 33]
Monsieur C. K.
et
Madame M. T. épouse K.
demeurant ensemble [Adresse 13], [Localité 41]
Monsieur Y. F.
et
Madame N. I. épouse F.
demeurant ensemble [Adresse 10], [Localité 30]
Monsieur L. G.
et
Madame D. G.
demeurant ensemble [Adresse 12], [Localité 20]
EURL CHRISTIAN INVESTISSEMENTS
[Adresse 14], [Localité 36]
représentés par Maître Grégory KERKERIAN de la SELARL SELARL GREGORY KERKERIAN ET ASSOCIE, avocats au barreau de DRAGUIGNAN, avocats postulant, Maître Bertrand DE CAMPREDON, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
D’UNE PART ;
DÉFENDERESSE :
SAS ODALYS RESIDENCES
[Adresse 31], [Localité 6], représentée par Maître Jean-Luc FORNO, de la SCP LOUSTAUNAU FORNO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, avocat plaidant et assistée par Maître Jean-Luc SEYNAEVE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
D’AUTRE PART ;
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
En vertu d'actes sous seing privé distincts, la SARL AEROSOL III, Monsieur ZZ. B., Monsieur et Madame C. et M. K., Monsieur et Madame Y. et N. F., Monsieur et Madame L. et D. G., l’EURL CHRISTIAN INVESTISSEMENTS, Monsieur et Madame E. et U. O., la SAS DOPASCH, l’EURL EURONET SERVICES, la SARL KADO, Madame A. X., Madame R. MR. H., la SARL PALAM, Monsieur et Madame IK, BV et V. W., la SARL BRUMER, la SARL GIPAME, la SARL LE COLIBRI LMP, Madame J. P., la SARL HEMA IMMOBILIER et Monsieur Z. P. ont donné à bail commercial à la société ODALYS RESIDENCES des lots leur appartenant respectivement dans l’immeuble en copropriété à usage de résidence de tourisme dénommée [43] située [Adresse 45] à [Localité 40], à usage de résidence de tourisme devant faire l’objet d’une exploitation de nature para-hôtelière, moyennant un loyer payable trimestriellement à terme échu, les 31 mars, 30 juin, 30 septembre et 31 décembre de chaque année.
Par acte d’huissier de justice du 11 juin 2021, les bailleurs ont assigné la société ODALYS RESIDENCES devant le tribunal judiciaire de DRAGUIGNAN aux fins de se voir déclarer recevables et bien fondés en leurs demandes et la voir condamner à leur payer à chacun une somme au titre de loyers impayés, à leur communiquer dans un délai de huit jours suivant le jugement à intervenir et sous astreinte les comptes d’exploitation de 2015 à 2020 de la résidence objet des rapports locatifs les liant à elle, à leur payer à chacun la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive outre celle de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens.
La SAS ODALYS RESIDENCES n'a pas réglé les loyers dus au titre des premier et deuxième trimestre 2020.
[*]
Dans leurs conclusions du 13 septembre 2023, ils demandent au tribunal de :
Vu les articles 1104, 1162 et 1708 et suivants et 1728 du Code civil,
Vu les articles L 145-1 et suivants du Code de commerce,
Vu articles 9, 514, 696 et 700 du Code de procédure civile,
Vu l’ensemble des pièces versées au débat, notamment les baux commerciaux,
-REJETER la demande d’irrecevabilité formée par la société ODALYS RESIDENCES,
En conséquence :
- DÉCLARER la SARL AEROSOL III, Monsieur ZZ. B., Monsieur et Madame C. et M. K., Monsieur et Madame Y. et N. F., Monsieur et Madame L. et D. G., l’EURL CHRISTIAN INVESTISSEMENTS, Monsieur et Madame E. et U. O., la SAS DOPASCH, l’EURL EURONET SERVICES, la SARL KADO, Madame A. X., Madame R. MR. H., la SARL PALAM, Monsieur et Madame IK, BV et V. W., la SARL BRUMER, la SARL GIPAME, la SARL LE COLIBRI LMP, Madame J. P., la SARL HEMA IMMOBILIER, Monsieur Z. P., recevables et bien fondés en leurs demandes, fins et prétentions,
Y faisant droit,
- RÉPUTER NON ÉCRITE LA CLAUSE correspondant à l’article 6 des baux commerciaux,
- CONDAMNER la Société ODALYS RESIDENCES à payer à chacun des demandeurs les sommes suivantes au titre des loyers impayés, à parfaire :
* 9 392,54 € à Monsieur ZZ. B.
* 8 883,10 € à Monsieur et Madame C. et M. K.
* 2 165,65 € à Monsieur Y. et N. F.
* 9 130,74 € à la SARL BRUMER
* 9 025,37 € à Monsieur et Madame L. et D. G.
* 7 181,02 € à l’EURL CHRISTIAN INVESTISSEMENTS
* 2 159,50 € à Monsieur et Madame E. et U. O.
* 13 748,24 € à la SAS DOPASCH
* 11 203,19 € à la SARL EURONET SERVICES
* 4 550,09 € à la SARL LE COLIBRI
* 4 770,70 € à la SARL KADO
* 2 184,82 € à Madame A. X.
* 9 331,76 € à la SARL AEROSOL III
* 2 166,77 € à Madame R. MR. H.
* 4 745,47 € à la PALAM
* 2 174,80 € à Monsieur et Madame IK, BV et V. W.
* 6 465,09 € à SARL GIPAME
* 2 053,76 € à SARL HEMA IMMOBILIER
* 6 749,19 € à Madame J. P.
* 4 738,92 € à Monsieur Z. P.
- CONDAMNER la Société ODALYS RESIDENCES à communiquer aux demandeurs dans un délai de 8 jours suivant le jugement à intervenir :
* Les comptes d’exploitation de la résidence objet des rapports locatifs dont il est question (de 2016 à 2021 compris)
* Les bilans de la résidence, précisant les taux de remplissage obtenus, les évènements significatifs des 5 dernières années (de 2016 à 2021 compris) ainsi que le montant et l'évolution des principaux postes de dépenses et de recettes de la résidence.
Ceci sous astreinte de 1.000 € TTC par document et par jour de retard, étant précisé que les trois obligations de communication devront être satisfaites pour que l’astreinte prenne fin.
- DÉBOUTER la Société ODALYS RESIDENCES de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- CONDAMNER la Société ODALYS RESIDENCES à payer, à chacun des demandeurs, une somme qui ne saurait être inférieure à 3.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice financier et moral subis par les copropriétaires et pour résistance abusive sur le fondement des dispositions des articles 1240 et suivants du Code civil,
- CONDAMNER la Société ODALYS RESIDENCES au paiement de la somme de 5.000,00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- CONDAMNER la Société ODALYS RESIDENCES à supporter les entiers dépens.
[*]
En réplique, dans ses conclusions du 3 novembre 2023, la SAS ODALYS RESIDENCES demande au tribunal de :
- DECLARER M. et Mme F., M. et Mme O., Mme X., Mme H., M. et Mme W. et la SARL HEMA IMMOBILIER irrecevables en leurs demandes pécuniaires, faute d’une tentative préalable de conciliation menée par un conciliateur de justice, de médiation ou de procédure participative,
- JUGER qu’en application de l’article 6 « Condition particulière » des baux, la société ODALYS RESIDENCES est bien fondée à ne pas payer aux demandeurs les loyers non payés qu’ils allèguent,
- JUGER que les demandeurs sont mal fondés en leur demande tendant à voir réputer non écrite la clause correspondant à l’article « Condition particulière » des baux,
- JUGER que la société ODALYS RESIDENCES a communiqué aux demandeurs les documents prévus par l’article L. 321-2 du code du tourisme et n’est pas tenue de leur en délivrer d’autres,
- JUGER que la société ODALYS RESIDENCES n’a commis aucune faute, résistance abusive ou abus de droit de nature à justifier sa condamnation à payer aux demandeurs des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice financier ou d’un préjudice moral,
- DEBOUTER les demandeurs de l’ensemble de leurs prétentions,
- CONDAMNER la SARL AEROSOL III, Monsieur ZZ. B., Monsieur C. K. et Madame M. K. née T., Monsieur Y. F. et Madame N. F. née I., Monsieur L. G. et Madame D. G., l’EURL CHRISTIAN INVESTISSEMENTS, Monsieur E. O. et Madame U. O., la SAS DOPASCH, l’EURL EURONET SERVICES, la SARL KADO, Madame A. X., Madame R. MR. H., la SARL PALAM, Monsieur IK BV W. et Madame V. W. née S., la SARL BRUMER, la SARL GIPAME, la SARL LE COLIBRI LMP, Madame J. P., la SARL HEMA IMMOBILIER et Monsieur Z. P. aux dépens de l’instance, qui seront recouvrés directement par Me Rébecca SOUSSAN, et à payer à la société ODALYS RESIDENCES la somme de 7.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
[*]
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétention, il est renvoyé à l’assignation valant conclusions visée ci-dessus conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 28 novembre 2023.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Sur la recevabilité :
La SAS ODALYS RESIDENCES conteste la recevabilité des demandes de Monsieur et Madame F., Monsieur et Madame O., Madame X., Madame H., Monsieur et Madame W. et la SARL HEMA IMMOBILIER au visa de l'article 750-1 alinéa 1er du code de procédure civile, au motif que, dans le cadre de l'assignation délivrée le 11 juin 2021, aucune de leurs demandes pécuniaires n'excède la somme de 5.000 euros alors qu'elles n'ont pas été précédées d'une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative.
Elle souligne que leurs prétentions ne sont pas fondées sur les mêmes faits et ne sont pas connexes, chacun des demandeurs agissant en vertu d'un bail distinct et poursuivant, dans son seul intérêt, la condamnation de la SAS ODALYS RESIDENCES à lui payer des sommes d'argent au titre de loyers et de dommages et intérêts.
Elle ajoute que le fait qu'ils aient artificiellement augmenté le montant de leurs demandes dans le cadre de leurs conclusions postérieures est sans effet sur l'irrecevabilité, l'article 750-1 du code de procédure civile évoquant que c'est la « demande en justice », donc l'acte introductif, qui doit être précédé d'une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative.
Elle affirme encore que les correspondances qu'elle a échangées avec l'avocat des demandeurs ne peuvent pas être considérées comme une tentative de conciliation, médiation ou procédure participative, et qu'aucune circonstance n'a rendu impossible une telle tentative.
Les demandeurs font valoir que dans un arrêt du 22 septembre 2022, le Conseil d'Etat a annulé l'intégralité des dispositions de l'article 750-1 du code de procédure civile, de sorte que la demande d'irrecevabilité formée sur cet article doit être rejetée.
Ils soutiennent encore, sur le fondement de l'article 35 du code de procédure civile et dans la mesure où l'appréciation de la situation se fait au jour où le juge statue, que tous les demandeurs sollicitent le paiement de leurs loyers impayés ainsi que des dommages et intérêts pour compenser le préjudice subi, demandes qui excèdent toutes la somme de 5.000 euros.
Ils invoquent également un motif légitime au sens du texte, la SAS ODALYS RESIDENCES s'étant opposée à toute négociation.
Or, il est exact que par décision n° 436939, 437002 du 22 septembre 2022, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, a annulé l’article 750-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue de l’article 4 du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile.
Dès lors, la SAS ODALYS RESIDENCES ne peut invoquer l'irrecevabilité des demandes sur le fondement de ce texte, sa demande à ce titre sera rejetée et l'ensemble des demandes des demandeurs sera déclaré recevable.
Sur la demande en paiement des loyers :
Les demandeurs exposent que, en vertu des articles 1103, 1104, 1709 et 1728 alinéa 2, la locataire est tenue du paiement des loyers, obligation principale du preneur, ce qu'elle s'est abstenue de faire.
Ils contestent la lecture de l'article 6 des baux effectuée par la SAS ODALYS RESIDENCES, affirmant que cette disposition n'est pas susceptible de justifier le non-paiement des loyers. Ils soutiennent que les parties communes ont été données à bail à la locataire, et qu'elle en a dès lors « le contrôle de l'entretien ou du fonctionnement », de sorte que la cause d'exclusion prévue par l'article 6 est vérifiée. Elle rappelle que la clause est rédigée en une seule phrase et ne comprend qu'une seule virgule, démontrant la volonté manifeste de découper la clause en deux parties, l'une où il est évoqué les différentes possibilités où la clause pourrait avoir vocation à s'appliquer, l'autre où il est évoqué le cas où la clause n'aurait pas vocation à s'appliquer.
Ils affirment que les baux en question sont des contrats d'adhésion qui, sur le fondement de l'article 1162 ancien du code civil, doivent s'interpréter en leur faveur.
Ils font valoir que la défenderesse ne peut se prévaloir d'une « suspension » des loyers dès lors qu'elle a le contrôle de l'entretien et du fonctionnement des parties communes.
Ils prétendent que la « suspension » ne peut s'interpréter en une libération des loyers dus.
Ils soulignent que les articles 6 entraînent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et doivent être réputés non écrits.
Ils ajoutent que la rédaction des articles 6 des baux ne permet pas de considérer la Covid 19 comme un cas de force majeure.
La SAS ODALYS RESIDENCES fait valoir que les conditions de l'article 6 des baux sont remplies, les deux séries d’hypothèses alternatives prévues étant remplies dans le cas de l’épidémie de Covid 19 et des mesures réglementaires d’interdiction qui en ont découlé, s’agissant d’événements ayant amené un dysfonctionnement dans l’activité du preneur.
Elle affirme que l’activité 6 prévoit un effet libératoire, et non un simple report d’exigibilité du loyer.
Elle soutient encore que les articles 1110 et 1171 invoqués par les demandeurs pour voir réputer non écrite la clause de l’article 6 ne sont pas applicables aux baux conclus avant la réforme du droit des obligations et leur entrée en vigueur. Elle prétend que l’article 6 respecte les exigences du code de la consommation.
Chacun des baux conclus par la SAS ODALYS RESIDENCES et les demandeurs comporte un article 6 intitulé « Condition particulière », ainsi rédigé :
« De convention expresse entre les parties, le loyer sera suspendu en cas de force majeure interrompant l’activité économique du lieu de situation des biens loués (tels que tremblement de terre, pollution de toute nature, catastrophe naturelle, entrave administrative ou autre au libre accès aux lieux loués ou à la circulation des personnes ou des biens… ) ou d’évènement amenant un dysfonctionnement dans l’activité du preneur notamment une quelconque modification dans la destination ou l’accès des parties communes ou encore leur mauvais entretien ou fonctionnement, étant entendu que cette disposition ne saurait s’appliquer dans l’éventualité où le preneur aurait le contrôle de l’entretien ou du fonctionnement desdites parties communes. »
Il est constant que dans le cadre des baux et de la résidence concernés, les parties privatives communes ont été données à bail à la SAS ODALYS RESIDENCES, qui a par conséquent « le contrôle de l’entretien et du fonctionnement desdites parties communes ». Il importe dès lors de savoir si cette exclusion prévue à la fin de l’article 6 s’applique à l’intégralité de l’article ou seulement à sa partie relative à la modification dans la destination, l’accès ou le mauvais entretien ou fonctionnement des parties communes.
Or, à l’évidence, la dernière partie de la phrase ne saurait concerner toutes les hypothèses de suspension du loyer énoncées par l’article 6, mais seulement celle relative au « mauvais entretien ou fonctionnement » des parties communes, toute autre interprétation vidant totalement de sens cette clause et conduisant nécessairement à ce qu’il ne soit jamais applicable. La commune intention des parties, que le tribunal doit rechercher pour interpréter cet article, est de permettre au preneur de voir le loyer suspendu lorsque l’exploitation normale des lieux loués est empêché par une cause dont il n’est pas responsable.
Dès lors, l’exception tenant à ce que l’événement amenant un dysfonctionnement de l’activité du preneur résulte du mauvais entretien ou du mauvais fonctionnement des parties communes lorsque le preneur a le contrôle de ceux-ci ne concerne pas les hypothèses d’entrave administrative au libre accès des lieux loués ou à la circulation des personnes sans rapport avec l’entretien ou le fonctionnement des parties communes, ni celle dans laquelle l’événement amenant le dysfonctionnement dans l’activité du preneur n’a pas de rapport avec l’entretien ou le fonctionnement des parties communes.
L’épidémie de Covid 19 et les mesures réglementaires qui en ont découlé, et notamment l’interdiction d’effectuer des déplacements hors de son domicile, édictée par le décret du 23 mars 2020, caractérise une « entrave administrative ou autre au libre accès aux lieux loués ou à la circulation des personnes ».
Au demeurant, il s’agit d’« événements » ayant amené un « dysfonctionnement dans l’activité du preneur ». Ainsi, l’interdiction d’accueil du public dans les résidences de tourisme et l’interdiction de déplacement des personnes sur le territoire national sont des événements qui ont perturbé le fonctionnement de l’activité de la SAS ODALYS RESIDENCES consistant à exploiter une résidence de tourisme.
Il en résulte que les conditions de l’article 6 des baux commerciaux liant les parties sont remplies.
Il y a lieu à ce stade de préciser qu’il n’est nullement fait état de force majeure, comme le soutiennent subsidiairement les demandeurs.
Il convient à présent de déterminer ce que signifie le terme de « suspension », les parties s’opposant sur le sens à donner à ce terme.
Dans la mesure où il est indiqué que « le loyer sera suspendu », et non que « l’exigibilité du loyer sera suspendu », et qu’il n’est pas précisé qu’à l’expiration de la période de suspension le loyer redeviendrait exigible, ni selon quelles modalités les échéances « suspendues » devraient être réglées, il en résulte que le loyer n’est pas dû lorsque les conditions visées à l’article 6 sont remplies.
L’intention des parties, au demeurant, ne pouvait être de voir simplement l’exigibilité du loyer reportée alors que le preneur n’était pas en mesure d’exploiter pour des motifs lui étant étrangers.
S’agissant de la demande des bailleurs tendant à voir réputé non écrit l’article 6 des baux, il importe de relever, avec la SAS ODALYS RESIDENCES, qu’elle ne peut être accueillie sur le fondement des articles 1110 et 1171 du code civil dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016, l’ensemble des contrats ayant été conclus avant leur entrée en vigueur.
Sur le fondement de l’article L. 132-1 du code de la consommation, les demandeurs ne justifient pas que la clause litigieuse ait pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, le loyer n’étant suspendu qu’en de très rares hypothèses dans lesquelles le preneur est dans l’impossibilité d’exploiter pour une circonstance ne lui étant pas imputable.
Les demandeurs seront par conséquent déboutés de leur demande tendant à voir l’article 6 réputé non écrit, et plus généralement de leur demande en paiement des loyers, l’article 6 des baux s’appliquant en l’espèce.
Sur la demande de communication de pièces :
Selon l’article L. 321-2 du code du tourisme, « L'exploitant d'une résidence de tourisme classée doit tenir des comptes d'exploitation distincts pour chaque résidence. Il est tenu de les communiquer aux propriétaires qui en font la demande.
Une fois par an, il est tenu de communiquer à l'ensemble des propriétaires un bilan de l'année écoulée, précisant les taux de remplissage obtenus, les évènements significatifs de l'année ainsi que le montant et l'évolution des principaux postes de dépenses et de recettes de la résidence ».
Les documents produits par la SAS ODALYS RESIDENCES dans le cadre de la présente instance sont suffisants pour permettre de respecter les dispositions de cet article, et les bailleurs seront déboutés de leur demande de communication de pièces.
Sur les demandes de dommages et intérêts :
Les demandeurs échouant en leurs prétentions ne sauraient obtenir des dommages et intérêts pour résistance abusive non caractérisée, ni préjudice moral ou financier et seront déboutés de leur demande à ce titre.
Sur les mesures de fin de jugement :
Les demandeurs qui succombent seront condamnés aux dépens avec distraction au profit de Maître Jean-luc FORNO, ainsi qu’à payer à la SAS ODALYS RESIDENCES la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe,
DEBOUTE la SAS ODALYS RESIDENCES de sa demande d’irrecevabilité et DECLARE la SARL AEROSOL III, Monsieur ZZ. B., Monsieur et Madame C. et M. K., Monsieur et Madame Y. et N. F., Monsieur et Madame L. et D. G., l’EURL CHRISTIAN INVESTISSEMENTS, Monsieur et Madame E. et U. O., la SAS DOPASCH, l’EURL EURONET SERVICES, la SARL KADO, Madame A. X., Madame R. MR. H., la SARL PALAM, Monsieur et Madame IK, BV et V. W., la SARL BRUMER, la SARL GIPAME, la SARL LE COLIBRI LMP, Madame J. P., la SARL HEMA IMMOBILIER et Monsieur Z. P. recevables en leurs demandes.
DEBOUTE la SARL AEROSOL III, Monsieur ZZ. B., Monsieur et Madame C. et M. K., Monsieur et Madame Y. et N. F., Monsieur et Madame L. et D. G., l’EURL CHRISTIAN INVESTISSEMENTS, Monsieur et Madame E. et U. O., la SAS DOPASCH, l’EURL EURONET SERVICES, la SARL KADO, Madame A. X., Madame R. MR. H., la SARL PALAM, Monsieur et Madame IK, BV et V. W., la SARL BRUMER, la SARL GIPAME, la SARL LE COLIBRI LMP, Madame J. P., la SARL HEMA IMMOBILIER et Monsieur Z. P. de leurs demandes tendant à voir réputer non écrite la clause correspondant à l’article 6 des baux commerciaux, en paiement des loyers, de communication de pièces et de dommages et intérêts.
CONDAMNE la SARL AEROSOL III, Monsieur ZZ. B., Monsieur et Madame C. et M. K., Monsieur et Madame Y. et N. F., Monsieur et Madame L. et D. G., l’EURL CHRISTIAN INVESTISSEMENTS, Monsieur et Madame E. et U. O., la SAS DOPASCH, l’EURL EURONET SERVICES, la SARL KADO, Madame A. X., Madame R. MR. H., la SARL PALAM, Monsieur et Madame IK, BV et V. W., la SARL BRUMER, la SARL GIPAME, la SARL LE COLIBRI LMP, Madame J. P., la SARL HEMA IMMOBILIER et Monsieur Z. P. à payer à la SAS ODALYS RESIDENCES la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la SARL AEROSOL III, Monsieur ZZ. B., Monsieur et Madame C. et M. K., Monsieur et Madame Y. et N. F., Monsieur et Madame L. et D. G., l’EURL CHRISTIAN INVESTISSEMENTS, Monsieur et Madame E. et U. O., la SAS DOPASCH, l’EURL EURONET SERVICES, la SARL KADO, Madame A. X., Madame R. MR. H., la SARL PALAM, Monsieur et Madame IK, BV et V. W., la SARL BRUMER, la SARL GIPAME, la SARL LE COLIBRI LMP, Madame J. P., la SARL HEMA IMMOBILIER et Monsieur Z. P. aux dépens, et AUTORISE Maître Jean-luc FORNO à recouvrer ceux dont elle a fait avance sans en avoir reçu provision.
La greffière La juge