CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 24 avril 2024
- T. com. Paris (3e ch.), 9 juin 2022 : RG n° 2020053060 ; Dnd
CERCLAB - DOCUMENT N° 23151
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 24 avril 2024 : RG n° 22/13162
Publication : Judilibre
Extrait : « L'article 1110 du Code civil précise que : « Le contrat d'adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties ». L'article 1171 du Code civil, relatif aux contrats d'adhésion, précise que : « Dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal, ni sur l'adéquation du prix à la prestation ».
L'article L. 420-2 alinea 2 du code de commerce précise que : « (…) est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprise de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une cliente ou un fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, ventes liées, en pratique discriminatoires visées aux articles L. 442-1 à L. 442-3 ou en accords de gamme ». L'abus de dépendance économique suppose au vu de l'article L 420-2 alinéa 2 ci-dessus, la réunion de trois conditions cumulatives : l'existence d'une situation de dépendance économique d'une entreprise à l'égard d'une autre, une exploitation abusive de cette situation et une affectation, réelle ou potentielle du fonctionnement ou de la structure de la concurrence. En l'absence de l'une de ces trois conditions, l'abus de dépendance économique allégué n'est pas établi. L'état de dépendance économique se définit comme l'impossibilité, juridique mais aussi matérielle, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise. (Cass. com., 12 février 2013, pourvoi n°12-13.603 ; voir également Cass. com., 3 mars 2004, pourvoi n°02-14529). Il doit être recherché si l'entreprise dispose de la possibilité de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables. (Cass. com. 23 octobre 2007 pourvoi n°06-14.981). Si l'existence d'un état de dépendance économique s'apprécie en tenant compte de la notoriété de la marque du fournisseur, il convient également de tenir compte de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents. (Cass. com., 12 octobre 1993 pourvois n°91-16988 et 91-17090), mais aussi de l'importance du distributeur dans la commercialisation du produit concerné et de l'existence et de la diversité éventuelle de solutions alternatives pour le fournisseur (Cass. com., 10 décembre 1996, pourvoi n° 94-16.192).
En l'espèce, d'une part, Capri Cars dont l'activité est ancienne et variée à [Localité 5] comme en Europe, (pièce Comuto 25-26) ne justifie d'aucune impossibilité de solution alternative équivalente ni d'aucun élément comptable relatif à sa part du marché pertinent ni à la part de Comuto dans son chiffre d'affaires. Les éléments versés aux débats ne permettent donc pas d'étayer l'existence d'une situation de dépendance économique de Capri Cars à l'égard de Comuto, au sens de l'article L. 420-2, alinea 2, du code de commerce.
D'autre part, Capri Cars ne démontre pas non plus concrètement l'absence, en raison d'un rapport de force déséquilibré, de toute possibilité de négociation du contrat ou du projet d'avenant. En effet, les éléments qui suivent attestent d'échanges entre les parties sur ce projet d'avenant souhaité par Comuto pour permettre conjointement aux parties de faire face à une demande incertaine pour la période postérieure à la crise sanitaire, ainsi qu'elle le présente à Capri Cars dans deux courriels du 23 juin 2020 (pièces Comuto 7-9) :
- non seulement, comme le relève le premier juge, un courriel de Capri Cars à Comuto du 11 juin 2018. En effet, Capri Cars y discute l'une après l'autre les diverses dispositions et reconnaît expressément : « Articles 3.3., 3.4., 3.5. [plan de transport] : comme nous le précisions, ces articles construisent l'équilibre du contrat, et constituent des garanties essentielles et fondamentales, obtenues lors (sic) dans le cadre de la négociation du contrat nous unissant ». (pièce Comuto 18), - mais également la prise en compte par Comuto le 14 mai 2020 des préoccupations formulées le 29 avril 2020 par Capri Cars relatives à son niveau de charges à cause des contrats de leasing des bus, Comuto acceptant l'ajout au plan de transport d'un aller-retour quotiden [Localité 5]/[Localité 6] 4 jours par semaines (pièces Comuto 11-12), - et encore, l'abandon par Comuto, du mécanisme envisagé de renégociation pour imprévision et son offre de participation financière au financement des contrats de leasing en fonction des kilomètres roulés (pièces Comuto 15-18), - enfin, un courriel de Capri Cars à Comuto du 23 juin 2020 qui énonce expressément : « Comme nous vous l'avons précisé au cours de nos négociations, nous estimons que le contrat qui nous liait était équilibré, et partageait les responsabilité de chacun et les charges durant la période difficile que nous vivons ». (pièce Comuto 19).
Il résulte de tout ce qui précède que Capri Cars échoue à démontrer que le contrat litigieux constitue un contrat d'adhésion, ce qui rend inopérante l'allégation du déséquilibre significatif résultant prétendument des clauses de ce contrat. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 24 AVRIL 2024
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 22/13162. N° Portalis 35L7-V-B7G-CGFGJ. Décision déférée à la Cour : Jugement du 9 juin 2022 - Tribunal de Commerce de Paris, 3ème chambre - RG n° 2020053060.
APPELANTE :
SCOP SARL LES VOYAGES STAR ET CAPRI CARS
société de droit étranger, agissant poursuites et diligences de ses représentant légaux, domiciliés en cette qualité audit siège, immatriculée au registre du commerce en Belgique sous le numéro XXX, [Adresse 4], [Localité 1] – Belgique, représentée par Maître Camille Pignet de l'AARPI AORIS AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : D1910, assistée de Maître Anne Ansay, substituant Maître Dominique Grisay, avocats au barreau de Bruxelles (Belgique)
INTIMÉE :
SAS COMUTO PRO
prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège, immatriculée au RCS de Paris sous le numéro XXX, [Adresse 3], [Localité 2] France, représentée et assistée de Maître Olivier Laude de l'AARPI Laude Esquier & Associés, avocat au barreau de Paris, toque : R 144
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile B85D525D8D5030285E5B8CDF386E109B 71192CCF7D68F6ECF7E8E35EE0AB5BBF, l'affaire a été débattue le 21 février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie Depelley présidente de la 5.4, conseillère, Madame Marie-Laure Dallery, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4, Madame Sophie Depelley, conseillère, Madame Marie-Laure Dallery, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.
Greffier, lors des débats : Monsieur Maxime Martinez, en présence de Madame Chanelle Joassaint et Madame Manon Castets, greffières en formation
ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile F23D2CC483AC17020CAB97538F82B395. - signé par Madame Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4 et par Monsieur Maxime Martinez, greffier, auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
La société de droit belge les Voyages Star et Capri Cars (Capri Cars) est un transporteur qui fournit un service de transports scolaires à [Localité 5] et des navettes vers des gares et aéroports.
La société de droit français Comuto Pro (Comuto) commercialise des services de transports interurbains par autocars dont elle sous-traite l'exécution à des transporteurs. Elle exploite la marque Blablabus.
Le 9 août 2019, elles ont conclu un contrat d'une durée de 3 ans, portant sur une prestation de transport de voyageurs par autocars sur plusieurs lignes reliant la France à la Belgique, pour une prise d'effet au 7 octobre 2019. Le contrat prévoit le versement, par Comuto à Capri Cars, d'une avance sur recettes appelée « RMG » (revenu minimum garanti) faisant l'objet d'ajustements progressifs au cours du contrat selon le chiffre d'affaires effectif réalisé par Comuto dans la gestion de la billetterie.
Comuto a suspendu le contrat en application de la clause de force majeure du contrat les 17 et 18 mars 2020, la circulation des autocars ayant été interdite par les gouvernements français et belge, au titre de mesures de confinement liée à la pandémie de Covid 19.
A la suite de la levée de ces mesures de confinement, le 23 avril 2020, Comuto a notifié à Capri Cars un projet d'avenant au contrat, cette notification ouvrant, conformément au contrat, une période de négociation de 2 mois.
Le 24 juin 2020, suite à l'échec de ces négociations, Comuto a notifié à Capri Cars la résiliation du contrat avec un préavis de trois mois, en vertu de l'article 5.2.2 du contrat.
Capri Cars l'a alors assignée en indemnisation devant le tribunal de commerce de Paris, par acte du 25 novembre 2020, dénonçant un contrat d'adhésion aux clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties à son détriment, subsidiairement une rupture fautive du contrat, comme fondée sur une clause de résiliation unilatérale léonine donc nulle et plus subsidiairement une rupture brutale de leur relation commerciale établie, à défaut de préavis suffisant.
Par jugement du 9 juin 2022, le tribunal de commerce de Paris :
- Se dit compétent et applique la loi française ;
- Dit que le contrat du 3 aout 2019 n'est pas un contrat d'adhésion ;
- Dit que la résiliation du contrat en date du 24 juin 2020 par la SAS Comuto Pro n'est pas fautive ;
- Déboute la SCOP à responsabilité limitée Les Voyage Star et Capri Cars ' Société de droit Belge de sa demande en paiement de la somme de 222.405 EUR correspondant à trois mois de Revenu Moyen Garanti (RMG) à titre de dommages et intérêts pour la période de suspension du contrat due à la pandémie ;
- Déboute la SCOP à responsabilité limitée Les Voyage Star et Capri Cars - Société de droit Belge - de sa demande en paiement de la somme de 327.312,61 EUR correspondant aux échéances de contrat de leasing, des salaires et des frais généraux ;
- Condamne la SAS Comuto Pro à payer à la SCOP à responsabilité limitée Les Voyage Star et Capri Cars - Société de droit Belge, la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts suite à la rupture du Contrat de partenariat ;
- Déboute la SCOP à responsabilité limitée Les Voyage Star et Capri Cars - Société de droit Belge de sa demande subsidiaire de nomination d'un expert judiciaire ;
- Déboute la SAS Comuto Pro de sa demande reconventionnelle à hauteur de 27.195 EUR au titre de la régularisation du RMG ;
- Condamne la SAS Comuto Pro à payer à la SCOP à responsabilité limitée Les Voyage Star et Capri Cars ' Société de droit Belge à la somme de 10.000 EUR au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejette les demandes des parties autres, plus amples ou contraires ;
- Condamne la SAS Comuto Pro aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 EUR dont 12,20 EUR de TVA ;
- Rappelle que l'exécution provisoire est de droit.
[*]
Capri Cars a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 11 juillet 2022 et par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 10 novembre 2023, elle demande à la Cour de :
Vu l'assignation en date du 25 novembre 2020,
Vu le jugement rendu le 9 juin 2021,
Vu la déclaration d'appel en date du 11 juillet 2022
Vu les dispositions légales et notamment,
Vu l'article 1218 du Code civil,
Vu l'article 1212 du Code civil,
Vu l'article L.442-1 du Code de commerce,
Vu l'article 1171 du Code civil,
Vu l'article 1304-2 du Code civil,
Vu l'article 1147 du Code civil belge,
- Déclarer la Société Capri Cars recevable et bien fondée en son appel ;
Réformer le Jugement dont appel, en ce qui concerne les 1ème et 2e chefs (sic) du jugement critiqués,
Ce faisant,
II (sic) - Pour la rupture fautive de la relation contractuelle
A titre principal,
- Juger que le contrat de partenariat est un contrat d'adhésion, et qu'il a créé un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, au détriment de Capri Cars, lui occasionnant un préjudice, et dès lors, Condamner la société Comuto Pro à payer à la société Capri Cars la somme 2.149.195 € au titre du préjudice subi ;
A titre subsidiaire,
- Juger que la rupture de la convention conclue entre les parties par la société Comuto Pro est fautive, et dès lors ;
Réformer le Jugement dont appel, en ce qui concerne les 3ème et 4eme chefs (sic) du jugement critiqués,
I.(sic) - Pour la période de suspension du contrat due à la pandémie
A titre principal,
- Condamner la société Comuto Pro à payer à la société Capri Car, soit l'équivalent de trois mois de Revenu Moyen Garanti (RMG), étant la somme de 222.405 €, soit le montant des frais que cette dernière a exposé pour maintenir l'outil ;
A titre subsidiaire,
- Condamner la société Comuto Pro à payer à Capri Cars, la somme de 327.312,61 EUR, au titre des frais que cette société a effectivement exposés pour maintenir les outils et le personnel nécessaires à l'exécution du contrat conclu avec Comuto Pro, pendant la période de suspension du contrat,
Réformer le Jugement dont appel, en ce qui concerne les 5e chef (sic) du jugement critiqué,
- Juger que la clause limitant la responsabilité de Comuto Pro à la somme de 50.000,00 EUR est nulle,
Ce faisant,
- Condamner la société Comuto Pro à verser à Capri Cars une indemnité couvrant la période du contrat à durée déterminée signé entre parties restant à exécuter, soit la somme de 2.149.195 €
- Ou à tout le moins condamner la société Comuto Pro à verser à Capri Cars la somme de 667.215 € correspondant à neuf mois du Revenu Minimum Garanti (RMG), et ce, au titre de l'engagement de sa responsabilité contractuelle pour rupture fautive du contrat de partenariat ;
- Et à tout le moins condamner la société Comuto Pro à verser à Capri Cars la somme de 444.810 €, correspondant à six mois du Revenu Minimum Garanti (RMG), tel que prévu à l'article 14.4 du contrat de partenariat.
Réformer le Jugement dont appel, en ce qui concerne les 6ème et 7ème chefs (sic) du jugement attaqué
Ce faisant,
III.- Alternativement, pour la rupture brutale des relations commerciales
Si la Cour considère qu'aucune faute contractuelle n'a été commise :
- Juger que la rupture brutale de la convention par la société Comuto Pro a occasionné un dommage à la société Capri Cars dont il convient d'ordonner réparation ;
- Condamner Comuto Pro à payer une indemnité équivalente à un préavis de 9 mois, à savoir une somme de 667.215 € calculée sur base du RMG contractuel ;
- A défaut pour le Tribunal d'accepter le mode de calcul repris ci-dessus ;
- Désigner tel expert qu'il lui plaira avec la mission d'évaluer l'entièreté du préjudice subi par la société Capri Cars sur base des critères habituels ;
- Condamner la société Comuto Pro aux dépens, en ce compris l'indemnité prévue à l'article 700 du Code de procédure civile, estimés à 20.000 €.
[*]
Comuto, par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 12 janvier 2024, demande à la Cour de :
Vu l'article L. 442-1 du Code de commerce et l'article 1304-2 du Code civil,
A titre principal,
- Confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle,
- Débouter Capri Cars ses demandes,
En tout état de cause,
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a, par application de l'article 11 du contrat du 9 août 2019, limité le montant de l'indemnisation allouée à Capri Cars au titre du préavis à 50.000 euros,
A titre incident,
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle,
- Et statuant à nouveau de ce chef,
Condamner Capri Cars à lui verser la somme de 27.195 euros HT,
En tout état de cause,
- Condamner Capri Cars à lui verser la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner la société Capri Cars à supporter les dépens.
[*]
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 janvier 2024.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIVATION :
En vertu de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
1 - Sur le contrat d'adhésion et le déséquilibre significatif qui résulte de ses clauses :
Moyens des parties
Capri Cars soutient, au visa des articles L. 420-2 al 2 du code de commerce, 1110 et 1171 du code civil, que :
- le contrat de partenariat signé par les parties le 9 août 2019, à effet du 7 octobre suivant et l'avenant proposé le 23 avril 2020 à l'issue de la période de suspension, sont des contrats d'adhésion initialement rédigés par Comuto sans qu'aucune négociation de leurs clauses annexes à l'objet du contrat, telles l'article 11 du contrat (charges des risques et limitation de responsabilité) ou le point 2 de son annexe 4 (4 véhicules floqués affectés, après accord de Comuto au seul transport de ce dernier) n'ait été réellement possible, ce qu'accentue son état de dépendance économique à l'égard de Comuto qui n'est pas un nouvel entrant sur le marché pertinent puisqu'elle opère dans le cadre du groupe connu sous le nom de « Blablacar » et qu'elle venait de racheter la marque OUIBUS,
- les articles suivants du contrat créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties à son détriment en ce qu'elle supporte seule et sans contrepartie les risques du contrat qu'elle peut rompre « en toute simplicité » :
* 5.2.1, 5.2.2 a), relatives aux itinéraires, aux horaires et aux caractéristiques d'une ligne,
* 5.2.2 relative à la résiliation du contrat en cas d'échec de la négociation de ses modifications,
* 5.3.1 et 5.3.3 et point 2 annexe 4 du contrat, relatifs aux véhicules
* et 5.4.1 relative au personnel de conduite
- et qu'elle subit en conséquence un préjudice économique de 2.149.195 euros correspondant à 29 mois, restant à courir au jour de la résiliation, de revenu minimum garanti (RMG) pour les 4 lignes de bus objet du contrat.
Comuto conteste toute dépendance économique de Capri Cars et tout contrat d'adhésion. Elle soutient que les clauses du contrat comme du projet d'avenant litigieux, librement négociés n'aboutissent à aucun déséquilibre significatif des droits et obligations des parties au détriment de Capri Cars au vu de son économie d'ensemble, globalement profitable à Capri Cars.
Réponse de la Cour
L'article 1110 du Code civil précise que :
« Le contrat d'adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties ».
L'article 1171 du Code civil, relatif aux contrats d'adhésion, précise que :
« Dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal, ni sur l'adéquation du prix à la prestation ».
L'article L. 420-2 alinea 2 du code de commerce précise que :
« (…) est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprise de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une cliente ou un fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, ventes liées, en pratique discriminatoires visées aux articles L. 442-1 à L. 442-3 ou en accords de gamme ».
L'abus de dépendance économique suppose au vu de l'article L 420-2 alinéa 2 ci-dessus, la réunion de trois conditions cumulatives : l'existence d'une situation de dépendance économique d'une entreprise à l'égard d'une autre, une exploitation abusive de cette situation et une affectation, réelle ou potentielle du fonctionnement ou de la structure de la concurrence. En l'absence de l'une de ces trois conditions, l'abus de dépendance économique allégué n'est pas établi.
L'état de dépendance économique se définit comme l'impossibilité, juridique mais aussi matérielle, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise. (Cass. com., 12 février 2013, pourvoi n°12-13.603 ; voir également Cass. com., 3 mars 2004, pourvoi n°02-14529). Il doit être recherché si l'entreprise dispose de la possibilité de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables. (Cass. com. 23 octobre 2007 pourvoi n°06-14.981).
Si l'existence d'un état de dépendance économique s'apprécie en tenant compte de la notoriété de la marque du fournisseur, il convient également de tenir compte de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents. (Cass. com., 12 octobre 1993 pourvois n°91-16988 et 91-17090), mais aussi de l'importance du distributeur dans la commercialisation du produit concerné et de l'existence et de la diversité éventuelle de solutions alternatives pour le fournisseur (Cass. com., 10 décembre 1996, pourvoi n° 94-16.192).
En l'espèce, d'une part, Capri Cars dont l'activité est ancienne et variée à [Localité 5] comme en Europe, (pièce Comuto 25-26) ne justifie d'aucune impossibilité de solution alternative équivalente ni d'aucun élément comptable relatif à sa part du marché pertinent ni à la part de Comuto dans son chiffre d'affaires.
Les éléments versés aux débats ne permettent donc pas d'étayer l'existence d'une situation de dépendance économique de Capri Cars à l'égard de Comuto, au sens de l'article L. 420-2, alinea 2, du code de commerce.
D'autre part, Capri Cars ne démontre pas non plus concrètement l'absence, en raison d'un rapport de force déséquilibré, de toute possibilité de négociation du contrat ou du projet d'avenant.
En effet, les éléments qui suivent attestent d'échanges entre les parties sur ce projet d'avenant souhaité par Comuto pour permettre conjointement aux parties de faire face à une demande incertaine pour la période postérieure à la crise sanitaire, ainsi qu'elle le présente à Capri Cars dans deux courriels du 23 juin 2020 (pièces Comuto 7-9) :
- non seulement, comme le relève le premier juge, un courriel de Capri Cars à Comuto du 11 juin 2018. En effet, Capri Cars y discute l'une après l'autre les diverses dispositions et reconnaît expressément :
« Articles 3.3., 3.4., 3.5. [plan de transport] : comme nous le précisions, ces articles construisent l'équilibre du contrat, et constituent des garanties essentielles et fondamentales, obtenues lors (sic) dans le cadre de la négociation du contrat nous unissant ». (pièce Comuto 18),
- mais également la prise en compte par Comuto le 14 mai 2020 des préoccupations formulées le 29 avril 2020 par Capri Cars relatives à son niveau de charges à cause des contrats de leasing des bus, Comuto acceptant l'ajout au plan de transport d'un aller-retour quotiden [Localité 5]/[Localité 6] 4 jours par semaines (pièces Comuto 11-12),
- et encore, l'abandon par Comuto, du mécanisme envisagé de renégociation pour imprévision et son offre de participation financière au financement des contrats de leasing en fonction des kilomètres roulés (pièces Comuto 15-18),
- enfin, un courriel de Capri Cars à Comuto du 23 juin 2020 qui énonce expressément :
« Comme nous vous l'avons précisé au cours de nos négociations, nous estimons que le contrat qui nous liait était équilibré, et partageait les responsabilité de chacun et les charges durant la période difficile que nous vivons ». (pièce Comuto 19).
Il résulte de tout ce qui précède que Capri Cars échoue à démontrer que le contrat litigieux constitue un contrat d'adhésion, ce qui rend inopérante l'allégation du déséquilibre significatif résultant prétendument des clauses de ce contrat.
2 - Subsidiairement, sur la rupture fautive du contrat :
Moyens des parties
Capri Cars soutient que la suspension du contrat qui ne résulte pas d'un accord des parties et n'est pas due à la force majeure au vu du texte de l'article 15 du contrat qui exclut les virus prévisibles est fautive et qu'en tout état de cause, la force majeure ne s'applique pas à une obligation de payer.
Elle soutient en outre d'une part que la clause de l'article 5.2.2 du contrat qui fonde la résiliation litigieuse est "potestative" et d'autre part, qu'elle a été mise en œuvre à mauvais escient, vu les modifications objet du projet d'avenant en cause, étrangères au plan de transport, ce dont elle déduit que cette résiliation est fautive.
Elle invoque en conséquence un préjudice au titre de la période de suspension du contrat, pendant laquelle elle prétend avoir dû maintenir, sans paiement du RMG contractuel, le matériel et le personnel nécessaire en prévision de sa reprise à une date incertaine et un préjudice au titre de la rupture du contrat, faute de tout paiement du RMG, préjudice qu'elle évalue à 29 mois de ce RMG, subsidiairement à 9 mois de ce RMG en référence aux usages qu'elle cite et subsidiairement encore à 6 mois de ce RMG en vertu du contrat.
Comuto soutient que la suspension du contrat est due à la force majeure résultant de la pandémie de Covid 19, que la mise en œuvre de la résiliation du contrat après l'échec des négociations relatives au projet d'avenant est conforme aux clauses du contrat qu'elle cite et qu'en tout état de cause, le préjudice allégué, calculé à tort sur le chiffre d'affaires, n'est pas justifié en son principe même pour la période de suspension du contrat et en son montant pour le surplus.
Réponse de la cour
2.1 - Sur la suspension du contrat pour cause de force majeure résultant des mesures gouvernementales aboutissant à l'arrêt des transports par autocars du fait de la Covid 19 :
L'article 15 du contrat prévoit : « En cas de survenance d'un évènement de force majeure c'est-à-dire lorsqu'un évènement échappant au contrôle d'une Partie, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du Contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par l'une Partie (sic), cette Partie pourra suspendre l'exécution de ses obligations sous réserve d'en avoir informé sans délai l'autre Partie dès la survenance de l'évènement en lui indiquant la durée prévisible des effets de l'évènement et d'avoir mis en 'uvre toutes les mesures raisonnablement possible permettant de faire cesser l'évènement ou au moins limiter les effets de cet évènement. Les obligations corrélatives de l'autre Partie seront également suspendues.
Ne sont pas des éléments constitutifs de force majeure, les grèves et les évènements naturels (tels que tremblement de terre, coupure, d'électricité, virus, inondation annoncée par les pouvoirs publics en avance) qui seraient prévisibles. »
« Dans l'hypothèse où les effets de l'évènement se prolongeraient pour une durée supérieure à quinze (15) jours ouvrables ou dans l'hypothèse où les effets de l'évènement et leur durée compromettraient de façon irrémédiable la poursuite de l'exécution du Contrat, l'autre Partie pourra, de plein droit et sans formalité judiciaire, sur simple notification, en respectant un préavis de dix (10) jours ouvrables, procéder à la résiliation du présent Contrat. »
Capri Cars soutient vainement que cette disposition relative à la force majeure exclut les virus prévisibles tel que la Covid 19.
En effet, les mesures de confinement prises les 16 et 18 mars 2020 par les gouvernements français et belges suite au nouveau virus de la Covid 19, officiellement annoncé par L'OMS le 9 janvier 2020, qui ont eu pour effet d'empêcher l'exécution du contrat par les parties (pièce Comuto 23) satisfont les critères de la force majeure que sont l'imprévisibilité, l'irrésistibilité et l'extériorité de l'évènement, appréciés à la date de conclusions du contrat le 9 août 2019.
D'ailleurs Capri Cars, qui fait elle-même état de l'arrêt forcé de ses lignes en Europe (sa pièce 5), l'a reconnu, soulignant expressément que « le contrat a été suspendu de (sic)commun accord » et « que ce sont les diverses mesures prises par les gouvernements belge et français qui nous ont obligés à suspendre l'exécution du contrat », ce que l'expression de sa préoccupation quant au paiement de ses charges de leasing des cars dédiés à l'activité contractuelle pour lequel elle demande l'aide de Comuto ne suffit pas à remettre en cause (pièces Comuto 15 et 18). Ce commun accord pour suspendre les obligations corrélatives des parties prive de pertinence ses développements sur l'impossibilité d'opposer la force majeure à l'obligation de Comuto de payer une somme d'argent telle que le RMG contractuel.
D'autre part, à la date de notification de la suspension du contrat, le 17 mars 2020 (pièce Comuto 6), il n'est pas sérieusement contestable que nul ne savait quand ni comment ces mesures gouvernementales drastiques et sans précédent de confinements, d'ailleurs prolongées, pourraient cesser. Capri Cars n'est donc pas fondée à reprocher à Comuto de n'avoir formulé aucune limitation prévisible de durée à la période de suspension notifiée.
Par suite, la suspension des obligations corrélatives des parties sur le fondement de l'article 15 du contrat pour cause de force majeure liée à ces mesures gouvernementales de lutte contre la propagation du virus de la Covid 19 n'est pas fautive et n'ouvre donc pas droit à indemnisation pour Capri Cars.
2.2 - Sur la nullité de la clause de résiliation comme étant « potestative » :
L'article 1304-2 du code civil dispose : « est nulle l'obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur ».
L'article 5.2.2 (I) a) du contrat, intitulé « Kilomètres Garantis et modification du Plan de Transport » qui se lit ainsi :
« a) Le partenaire reconnait que BLABLABUS est libre de modifier, à sa seule discrétion, les caractéristiques d'une Ligne (itinéraires, arrêts, fréquence et/ou horaires), ou de retirer une ou plusieurs Lignes du Plan de Transport ou d'ajouter au Plan de Transport une Ligne incorporant intégralement une Ligne préexistante, sous réserve que cette modification et/ou ce retrait et/ou cet ajout n'entraine pas une variation des Kilomètres Effectués de plus vingt pourcent (20%) à la hausse ou de plus de dix pourcent (10 %) à la baisse par rapport aux Kilomètres Garantis (ci-après, définies, les variations Autorisées) ».
« En cas de Variations Autorisées, le Partenaire disposera d'un délai de deux (2) semaines pour faire parvenir ses éventuelles observations par écrit à BLABLABUS. Passé ce délai, BLABLABUS pourra, à sa discrétion, ajuster la nature des modifications du Plan de Transport demandés afin de tenir compte des observations du Partenaire et lui indiquera également la date d'entrée en vigueur desdites modifications (...) »
« Une variation des Kilomètres Effectués au-delà des Variations Autorisées, les Parties se rencontreront et négocieront de bonne foi un avenant au Contrat afin d'acter des modifications du Plan de Transport et des modifications du Plan de Transport et des modifications à apporter, le cas échéant, aux conditions financières du Contrat ».
En cas d'absence d'accord entre les Parties, sur les modalités ou les modifications à apporter au Contrat dans un délai de deux (2) mois (le « Délai de Discussion ») à compter de la Notification, le Contrat pourra être résilié de plein droit par l’une ou l'autre des Parties dans les trois (3) mois suivant l'expiration du Délai de Discussion. La résiliation interviendra après un délai de préavis de trois (3) mois à compter de l'envoi de la notification de résiliation ».
Ainsi les modifications laissées à la discrétion de Comuto sont limitées, en ce qu'elles ne concernent que celles qui entraînent les « variations autorisées » précitées, soit celles jugées non significatives pour l'équilibre économique du contrat.
En revanche, pour les modifications qui entraînent des variations au-delà de celles autorisées, la clause instaure un mécanisme de négociations de bonne foi pendant deux mois à l'issue duquel, en cas d'échec de ces négociations, chacune des parties peut résilier le contrat moyennant un préavis de trois mois. Cette clause de résiliation du contrat est donc limitée dans son contenu. En outre, elle comporte une contrepartie en ce qu'elle est bilatéralisée, chacune des parties bénéficiant de cette possibilité de résiliation et en ce qu'elle prévoit un préavis de trois qui fait suite à deux mois de négociations au cours desquelles l'exécution du contrat se poursuit, sauf circonstance particulière, comme en l'espèce la pandémie liée à la Covid 19 ayant notamment conduit à l'arrêt brutal de l'activité de transport par autocars.
Comuto fait justement valoir que ce mécanisme se situe dans l'esprit de celui de l'imprévision, consacré par l'article 1195 du code civil tandis que Capri Cars prétend à tort qu'il instaure une condition potestative prohibée par l'article 1304-2 précité. En effet, il s'agit par cette clause de résiliation, à défaut d'accord des parties sur les modifications en négociation, de mettre un terme au contrat sans condition. Cette clause n'a donc pas pour effet de faire dépendre l'exécution du contrat d'un événement qu'une seule partie a le pouvoir de faire arriver ou d'empêcher, ce dont il résulte que cette clause, qui n'affecte pas l'existence même de l'obligation mais seulement sa durée, n'est pas potestative (V Cass. com, 31 mars 2021, n° 19-16214).
La demande de Capri Cars tendant à la nullité de cette clause de résiliation ne peut donc aboutir.
2.3 Sur l'applicabilité de la clause, au vu du projet d'avenant à négocier qui outrepasserait les seules modifications possibles du plan de transport :
Capri Cars n'étaye pas utilement son allégation d'inapplicabilité de la clause qui ne permettrait des modifications unilatéralement proposées par Comuto que concernant le plan de transport et non « d'autres clauses générales du contrat ». En effet, elle se borne à citer les modifications du projet d'avenant relatives à l'imprévision (article 5) ou au plan de transport provisoire, alors que les négociations ont conduit, comme déjà relevé, à l'abandon de cet article 5 et qu'elle n'explique pas en quoi le plan de transport provisoire ouvert à la négociation est étranger au plan de transport au sens de l'article 5.2.2 du contrat.
Comuto était donc fondée, le 24 juin 2020, à résilier le contrat sur le fondement de cet article 5.2.2, faute d'aboutissement, à cette date, des négociations du projet d'avenant valablement initiées deux mois plus tôt soit le 23 avril 2020, conformément à cet article.
2.4 Sur l'indemnisation du préavis de résiliation :
La clause prévoit donc au vu de ce qui précède un préavis de trois mois à compter de l'envoi de la notification de résiliation, le 24 juin 2020, soit deux mois après la période de négociation initiée le 23 avril 2020, le tout sauf la limitation de responsabilité de l'article 11 du contrat qui prévoit :
« La responsabilité totale de BLABLABUS au titre du présent Contrat est limitée aux dommages directs et pour un montant qui ne pourra excéder la plus petite des deux sommes entre cinquante mille euros (50.000, 00 €) et deux fois le montant du RMG 11, le calcul de ce dernier s'appuyant sur les kilomètres effectués ou envisagés (en cas de préjudice survenant pendant les deux premiers mois qui suivent l'entrée en vigueur du Contrat) pendant les jours qui précèdent la date de l'occurrence de l'événement à l'origine du préjudice ».
Capri Cars n'étaye pas utilement son affirmation sur le caractère léonin, abusif et déséquilibré de cette clause comme permettant à Comuto d'échapper à ses obligations déjà minimales.
En effet, en vertu de l'article 1231-3 du code civil, la clause limitative de responsabilité est applicable entre professionnels dès lors que, comme en l'espèce, ils l'ont connue et acceptée par la signature du contrat. (V. par exemple Cass. com, 14 septembre 2022, n° 20-20736).
Compte tenu de cette limitation de responsabilité à 50.000 euros, Capri Cars n'est pas fondée à réclamer une somme correspondant à trois mois de RMG sur une base mensuelle moyenne de 65.135 euros de janvier à mars 2020, soit supérieure à cette limite de 50.000 euros.
Surtout, son préjudice au titre de ce préavis manquant correspond à sa seule perte de marge sur coûts variables et se calcule en appliquant son taux de marge sur coûts variables moyen à son chiffre d'affaires moyen, soit son RMG mensuel moyen évalué à 60.738 euros HT (pièce Comuto 24).
Or, faute pour elle de justifier de ce taux et de son chiffre d'affaires, la limitation contractuelle à 50.000 euros des dommages-intérêts dus au titre du non-respect du préavis de trois mois de l'article 5.2.2 du contrat doit être retenue.
Le jugement entrepris doit par suite être confirmé, ainsi que le demande Comuto.
3 - Plus subsidiairement, sur la brutalité de la rupture du contrat :
Moyens des parties
Capri Cars qui estime établie depuis mars 2019 sa relation commerciale avec Comuto déduit la brutalité de la rupture de son exposé des faits et revendique un préavis de 12 mois, subsidiairement 9 mois, plus subsidiairement 6 mois, dont l'indemnité est calculée sur la base de son RMG.
Comuto conteste ces prétentions, faisant valoir que Capri Cars ne sollicitait pas l'exécution d'un préavis mais le paiement d'une indemnité dont le caractère disproportionné n'a permis aucune conciliation.
Réponse de la cour
L'article L. 442-1-II du code de commerce, applicable en la cause, dispose :
-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords commerciaux.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.-
Il ressort de cet article que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant. Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause ainsi que les usages du commerce ou aux accords commerciaux.
Par ailleurs, le préavis contractuel ne dispense pas le juge d'apprécier sa suffisance au regard de ces dispositions.
En l'espèce et à supposer même que Capri Cars puisse prétendre à une relation commerciale établie avec Comuto du 7 octobre 2019 au 24 juin, date de la rupture, soit huit mois et demi dont 5 mois d'exécution effective avant suspension, la cour retient le peu d'ancienneté de cette relation, l'absence de dépendance économique déjà retenue et de clause d'exclusivité comme l'absence de spécificité des produits, en l'état d'un déflocage rapide et peu coûteux des bus dédiés à l'activité de Comuto, enfin le contexte de crise sanitaire affectant durement l'activité de transport international par bus de longue distance (pièce Comuto 23). Elle estime donc suffisant un délai de préavis de quinze jours.
Or, le préjudice de Capri Cars ne saurait comme elle le prétend, être évalué sur la base de son chiffre d'affaires soit, manifestement selon elle, le RMG dont elle a été privée pendant le préavis dû. En effet, il est constant que ce préjudice correspond à sa seule perte de marge sur coûts variables et qu'il se calcule en appliquant son taux de marge sur coûts variables moyen à son chiffre d'affaires moyen. Mais Capri Cars ne justifie par aucun document comptable de ce taux de marge sur coûts variables ni de son chiffre d'affaires, étant observé que son RMG mensuel moyen évalué sur la période d'exécution du contrat s'élève à 60.738 euros HT (pièce Comuto 24).
En cet état, la cour estime satisfaisante l'indemnisation contractuelle à hauteur de 50.000 euros de son préavis manquant.
Les demandes indemnitaires de Capri Cars au titre de la rupture brutale de sa relation commerciale établie avec Comuto ne peuvent donc aboutir.
4 - Sur la demande reconventionnelle de Comuto en remboursement d'un trop perçu de régularisation du RMG à hauteur de 27.195 euros :
Comuto, qui reproche au jugement entrepris d'avoir compensé cette somme avec les dommages-intérêts accordés à Capri Cars, n'explique pas en quoi il ressort de l'arrêté trimestriel du premier trimestre 2020 un trop perçu de Comuto à Capri Cars au titre des avances de RMG à hauteur de 27.195 euros HT, les avenants auxquels elle renvoie (ses pièces 10 et 13) n'attestant manifestement rien de tel et aucun titre de ses autres pièces communiquées ne correspondant à cet arrêté trimestriel.
Le jugement entrepris sera donc confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il rejette cette demande qui n'est pas fondée.
5 - Sur les demandes accessoires :
Le sens de l'arrêt rend la demande de désignation d'un expert sans objet.
Le jugement entrepris a fait une exacte application de l'article 696 du code de procédure civile et une application équitable de l'article 700 de ce code.
En appel, Comuto débitrice doit supporter les dépens et l'équité commande de la condamner à payer à Capri Cars l'indemnité de procédure mentionnée ci-dessous.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne la société Comuto Pro à payer à la société les Voyages Star et Capri Cars une indemnité de procédure de 8.000 euros et aux dépens d'appel ;
Rejette toute autre demande.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE