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CA AIX-EN-PROVENCE (8e ch. B), 29 janvier 2010

Nature : Décision
Titre : CA AIX-EN-PROVENCE (8e ch. B), 29 janvier 2010
Pays : France
Juridiction : Aix-en-provence (CA), 8e ch. B
Demande : 07/19265
Décision : 2010/47
Date : 29/01/2010
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 27/11/2007
Numéro de la décision : 47
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CERCLAB - DOCUMENT N° 2325

CA AIX-EN-PROVENCE (8e ch. B), 29 janvier 2010 : RG n° 07/19265 arrêt n° 2010/47

Publication : Jurica

 

Extrait : « Attendu qu'aux termes de l'article L. 442-6 I 4ème, engage sa responsabilité et l'oblige à réparer le préjudice causé, tout commerçant qui obtient ou tente de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

Qu'en l'espèce, il résulte du dernier paragraphe du courrier du 7 avril 2003 de la société AROMATT à la société CARNIVAR que sous la menace d'une rupture, celle-ci a demandé à l'appelante de consentir encore à un effort alors qu'il y avait un risque de difficulté pour elle et qu'en cas de rupture, elle serait contrainte de licencier une personne à temps complet ; Qu'ainsi, la société CARNIVAR a acculé la société AROMATT à lui consentir encore un rabais, ce qu'elle concédera dans son courrier du 10 avril 2003 en acceptant d'appliquer toujours le tarif de 2000 jusqu'au 30 septembre 2004, ainsi qu'une ristourne supplémentaire de 2 % ; Que cette situation contraire aux usages a créée un déséquilibre significatif entre les parties ;

Que cependant, la société AROMATT ne demande pas des dommages et intérêts de ce chef distincts de ceux qu'elle sollicite au titre de la brusque rupture, mais met en exergue cette situation pour souligner la violence de la séparation notifiée par la société CARNIVAR dès le 19 avril 2006 ».

 

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

HUITIÈME CHAMBRE B

ARRÊT DU 29 JANVIER 2010

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION          (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 07/19265. Arrêt n° 2010/ 47. Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de TOULON en date du 19 septembre 2007 enregistré au répertoire général sous le n° 2006F00038.

 

APPELANTE :

SAS AROMATT,

[adresse], représentée par la SCP SIDER, avoués à la Cour, assistée de Maître Christine LUSSAULT, avocat au barreau de PARIS

 

INTIMÉE :

SARL CARNIVAR,

représentée par la SCP BLANC-CHERFILS, avoués à la Cour

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 4 décembre 2009 en audience publique. Conformément à l’article 785 du Code de Procédure Civile, Madame France-Marie BRAIZAT, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de : Madame France-Marie BRAIZAT, Président, Madame Laure BOURREL, Conseiller, Madame Catherine DURAND, Conseiller, qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Michèle GOUREL DE SAINT PERN.

ARRÊT : Contradictoire, Prononcé en audience publique le 29 Janvier 2010 par Madame Laure BOURREL, Conseiller, Signé par Madame France-Marie BRAIZAT, Président et Madame Michèle GOUREL DE SAINT PERN, greffier présent lors du prononcé.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

En 1997, la SARL AROMATT qui depuis a pris la forme d'une SAS et produit, conditionne et commercialise des olives, natures et assaisonnées en barquettes, et la SARL CARNIVOR qui se dénomme aujourd'hui CARNIVAR et exploite une quarantaine de boucheries, se sont rapprochées. Aux termes de leurs accords, la société AROMATT a fourni gratuitement à la société CARNIVAR les meubles, présentoirs fabriqués sur mesure pour ses boucheries ainsi que le premier garnissage en produit des dits présentoirs contre l'engagement d'atteindre un certain chiffre d'affaires.

Au cours de ces années de relations commerciales, la société CARNIVAR a obtenu des conditions tarifaires de son fournisseur très avantageuses : application du tarif 2000 en 2002, puis en 2003, avec ristourne trimestrielle de 4 % garantie jusqu'à fin 2003 (cf. lettres du 13 septembre 2002 et du 31 janvier 2003 de la société AROMATT à la société CARNIVOR).

Par courrier du 10 avril 2003, la société AROMATT a encore consenti à la société CARNIVOR l'application du tarif 2000 jusqu'au 30 septembre 2004 ainsi qu'une ristourne supplémentaire de 2 %.

Mais par courrier du 19 avril 2003, la société CARNIVOR a informé la société AROMATT que leur collaboration serait rompue à la fin du mois de mai 2003.

En réponse, par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 mai 2003, bien que considérant « cette rupture soudaine et injustifiée tout à fait abusive », la société AROMATT a proposé à la société CARNIVAR soit la prolongation de leur relation jusqu'à fin septembre 2004, soit une rupture à fin mai sous réserve du remboursement de la somme de 23.000 euros correspondant aux investissements effectués. Elle a précisé qu'à défaut d'accord, elle serait contrainte de « mettre eu œuvre toute démarche judiciaire ».

Par exploit du 14 octobre 2003, la société AROMATT a assigné en paiement de dommages et intérêts la société CARNIVAR devant le Tribunal de Commerce de NÎMES qui, par jugement du 23 mars 2004, s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de Commerce de TOULON.

Sur contredit, par arrêt du 7 octobre 2004, la Cour d'Appel de NÎMES a confirmé le jugement du Tribunal de Commerce de NÎMES du 23 mars 2004.

L'affaire a été plaidée le 31 mai 2006 devant le Tribunal de Commerce de TOULON.

Par déclaration en date du 27 novembre 2007, la SARL AROMATT a relevé appel du jugement du Tribunal de Commerce de TOULON en date du 19 septembre 2007 qui, au motif que par courrier du 7 mai 2003, la demanderesse aurait consenti à la rupture et qu'elle n'aurait pas démontré sa dépendance économique :

- l'a déboutée de toutes ses demandes,

- a constaté qu'elle avait consenti à la rupture de la collaboration commerciale,

- a dit que le délai de préavis accordé était suffisant,

- l'a condamnée à payer à la société CARNIVAR la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du CPC,

- l'a condamnée aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions en date du 2 février 2009, qui sont tenues pour entièrement reprises, invoquant l'abus de position de la société CARNIVAR, la société AROMATT demande à la Cour de :

« Vu l’article 450 du CPC,

Vu l’article L 442-6 du code de commerce,

Recevoir la société AROMATT en ses écritures et l'y dire bien fondée,

Constater les irrégularités ayant entaché la procédure devant le Tribunal de Commerce,

Dire et juger que la société CARNIVAR a rompu brutalement les relations commerciales établies, engageant de ce fait sa responsabilité,

Condamner la société CARNIVAR à verser à la société AROMATT la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts, montant auquel il y a lieu d'évaluer le préjudice subi né du comportement fautif de la société CARNIVAR,

Dire que cette somme portera intérêts au taux légal,

Ordonner la capitalisation des intérêts dus pour plus d'une année dans les conditions de l’article 1154 du code civil,

Condamner la société CARNIVAR à verser à la société AROMATT la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC,

Condamner la société CARNIVAR aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP SIDER, avoué près la Cour d'Appel d'AIX EN PROVENCE, laquelle pourra les recouvrés directement en application de l’article 699 du CPC ».

Par ses uniques conclusions en date du 9 octobre 2008, qui sont tenues pour entièrement reprises, soutenant qu'il n'y a pas eu de pratiques discriminatoires de sa part, que la délai de préavis était suffisant, et que la société AROMATT aurait commis une faute en ne détenant pas un agrément CE et en ne payant pas une facture, la société CARNIVAR demande à la Cour de :

« Vu les dispositions de l'article L. 442-6-4ème et 5ème du code de commerce,

Vu les pièces versées au débat,

- Voir confirmer purement et simplement le jugement entrepris,

- Débouter la société AROMATT de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- Constater qu'elle a accepté le principe de la rupture à fin mai dans son courrier du 7 mai 2003,

- Constater que n'est nullement rapporté le moindre élément de preuve d'obtention ou de tentative d'obtenir un quelconque avantage et spécialement d'une rupture brutale (sic !) les avantages et remises librement consentis par la société AROMATT dans le cadre d'un accord commercial équilibré,

Subsidiairement,

- pour le cas où la Cour retiendrait une rupture non conforme aux usages, dire et juger que la société AROMATT ne justifiant pas réellement du préjudice subi par la brutalité invoquée de la rupture, il n'y a lieu en l'état à aucune indemnisation,

- Condamner la société AROMATT à payer à la société CARNIVAR la somme de 3.500,00 euros au titre de l'article 700 du NCPC (sic !)

- La condamner en outre aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP BLANC-CHERFILS, avoués associés, aux offres de droit ».

L'instruction de l'affaire a été close le 4 novembre 2009.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Attendu que les dispositions de l’article 450 du CPC ne sont pas sanctionnées à peine de nullité ;

Que certes, aucune mention dans le jugement déféré, ni sur la chemise du dossier transmis à la Cour par le greffe du Tribunal de Commerce de TOULON ne permet de dire que les parties avaient été avisées de la date du délibéré, ni que dans l'hypothèse où le délibéré aurait été prorogé, celles-ci auraient été informées de la nouvelle date ;

Que la société AROMATT ayant pu exercer son droit de recours, elle ne justifie d'aucun préjudice, si ce n'est une longueur excessive du délibéré qui n'est pas, à lui seul, de nature à entraîner ni la nullité, ni la réformation de la décision entreprise ;

Attendu qu'aux termes de l'article L 442-6 I 4ème, engage sa responsabilité et l'oblige à réparer le préjudice causé, tout commerçant qui obtient ou tente de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

Qu'en l'espèce, il résulte du dernier paragraphe du courrier du 7 avril 2003 de la société AROMATT à la société CARNIVAR que sous la menace d'une rupture, celle-ci a demandé à l'appelante de consentir encore à un effort alors qu'il y avait un risque de difficulté pour elle et qu'en cas de rupture, elle serait contrainte de licencier une personne à temps complet ;

Qu'ainsi, la société CARNIVAR a acculé la société AROMATT à lui consentir encore un rabais, ce qu'elle concédera dans son courrier du 10 avril 2003 en acceptant d'appliquer toujours le tarif de 2000 jusqu'au 30 septembre 2004, ainsi qu'une ristourne supplémentaire de 2 % ;

Que cette situation contraire aux usages a créée un déséquilibre significatif entre les parties ;

Que cependant, la société AROMATT ne demande pas des dommages et intérêts de ce chef distincts de ceux qu'elle sollicite au titre de la brusque rupture, mais met en exergue cette situation pour souligner la violence de la séparation notifiée par la société CARNIVAR dès le 19 avril 2006 ;

Attendu que l'article L 442-6 I 5ème stipule qu'engage sa responsabilité et l'oblige à réparer le préjudice causé, tout commerçant qui rompt même partiellement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce ;

Que cet article précise que toute relation commerciale peut être rompue sans préavis en cas d'inexécution de ses obligations par une des parties ou en cas de force majeure ;

Qu'à défaut d'avoir, au moment de la rupture, invoquée une quelconque faute de la société AROMATT, la société CARNIVAR ne peut justifier a posteriori sa rupture en invoquant des manquements de son fournisseur ;

Qu'au surplus, les dits manquements sont contestables, la facture qui serait impayée est en date du 11 juillet 2003, donc postérieure de trois mois à la lettre de rupture, et la société CARNIVAR ne précise pas le règlement CEE dont la société AROMATT ne serait pas titulaire, ce qui empêche toute réponse de l'appelante sur ce point, outre le fait que ce document n'a jamais été en centre des discussions des parties ;

Que par son courrier du 19 avril 2003, la société CARNIVAR a bien notifié par écrit la rupture à la société AROMATT ;

Que par son courrier du 7 mai 2003, la société AROMATT a accepté la rupture qui lui était imposée par la société CARNIVAR, mais par contre, elle a refusé les conditions qu'elle lui fixait puisqu'elle a tenté de les négocier en proposant soit une prolongation des relations commerciales jusqu'à fin 2004 aux mêmes conditions financières, avec un engagement d'approvisionnement exclusif et aucun autre investissement, soit une rupture à fin mai avec le paiement de la somme de 23.000 euros correspondant à sa participation aux investissements effectués dans cette société ;

Que la société CARNIVAR n'ayant pas accepté ces propositions, elles sont caduques, et à présent l'intimée ne peut les invoquer comme repère ;

Que la société AROMATT produit le contrat de référencement la liant à la société EUROCHAN, la centrale d'achat d'AUCHAN, aux termes duquel la durée de préavis, pour une relation supérieure à cinq ans, est comprise entre 3 et 12 mois en fonction du chiffre d'affaires « déréférencé » entre le fournisseur et le distributeur ;

Qu'eu égard aux usages du commerce de bouche, et à la durée de la relation commerciale, le préavis aurait dû être de six mois ;

Qu'il suit de là que la rupture de la société CARNIVAR est fautive ;

Attendu qu'en ce qui concerne le préjudice, dans ses documents de présentation, la société AROMATT annonce un chiffre d'affaires de 2.907.180 euros pour 2002, et son courrier du 7 avril 2003 à la société CARNIVAR précise que pour cette même année, le chiffre d'affaires réalisé avec l'intimée a été de 202.451 euros, soit 6,96 % de son chiffre d'affaires total ;

Que dans son courrier du 19 septembre 2003, M. A., expert comptable, indique que la société AROMATT a une marge commerciale de 65,5 %, qui n'est pas la marge brute à prendre en considération ;

Que la société AROMATT précise que le coût des investissements supporté par elle en présentoir et en garnissage gratuit a été de 43.416 euros (cf. courrier du 19 septembre 2003 de M. A., expert comptable) ;

Que la société CARNIVAR ne conteste pas avoir conservé les présentoirs et les utiliser avec les produits de son nouveau fournisseur ;

Que cependant, la société AROMATT n'a jamais réclamé la restitution de ces meubles réfrigérés ;

Qu'eu égard à ces éléments, à la brutalité de la rupture et à l'insuffisance de la durée du préavis, le préjudice de la société AROMATT est certain et sera indemnisé par l'allocation de la somme de 30.000 euros ;

Que cette condamnation sera assortie d'intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation soit le 14 octobre 2003, avec anatocisme à calculer à compter du 25 mars 2008, première date où cette demande a été formulée par l'appelante ;

Attendu que l'équité commande de faire bénéficier la société AROMATT des dispositions de l’article 700 du CPC ;

Que la société CARNIVAR qui succombe sera condamnée aux entiers dépens ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                          (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort.

Reçoit l'appel de la SAS AROMATT.

Réforme la décision entreprise, et statuant à nouveau :

Condamne la SARL CARNIVAR à payer à la SAS AROMATT la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2003.

Dit que les intérêts produiront eux-mêmes intérêts au même taux à compter d'une année écoulée calculés à partir du 25 mars 2008.

Condamne la SARL CARNIVAR à payer à la SAS AROMATT la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du CPC.

Condamne la SARL CARNIVAR aux dépens, ceux d'appel pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC.

 LE GREFFIER,          LE PRÉSIDENT,