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CA COLMAR (3e ch. A), 12 mai 2025

Nature : Décision
Titre : CA COLMAR (3e ch. A), 12 mai 2025
Pays : France
Juridiction : Colmar (CA), 3 ch. civ. sect. A
Demande : 24/01019
Décision : 25/234
Date : 12/05/2025
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 6/03/2024
Décision antérieure : TJ Strasbourg (11e ch. civ. com.), 15 décembre 2023
Numéro de la décision : 234
Décision antérieure :
  • TJ Strasbourg (11e ch. civ. com.), 15 décembre 2023
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CERCLAB - DOCUMENT N° 24191

CA COLMAR (3e ch. A), 12 mai 2025 : RG n° 24/01019 ; Cerclab n° 25/234

Publication : Judilibre

 

Extrait : « Si la société Grenke Location conteste le bénéfice de ces dispositions aux contrats litigieux, force est de constater que la société Bleu Campagne a produit, à hauteur de cour, une attestation de son expert-comptable en date du 14 janvier 2025 qui établit que son effectif était de quatre salariés au 31 janvier 2019, ainsi que le registre de son personnel, qui confirme que, même en tenant compte du contrat d'apprentissage en cours, le nombre de salariés restait inférieur ou égal à cinq.

Quand bien même la location de matériel de téléphonie et internet contribue à l'exercice par la preneuse de son activité professionnelle, elle n'entre pas dans le champ de son activité principale qui porte sur la détente et la remise en forme esthétique, requérant des compétences sans lien avec la téléphonie.

Enfin, l'article L. 221-1 2° dispose qu'est un contrat hors établissement tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur dans un lieu qui n'est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d'une sollicitation ou d'une offre faite par le consommateur ou dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d'une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes.

Il est acquis que tant le bon de commande du matériel que le contrat de location longue durée ont été souscrits dans les locaux de la société Bleu Campagne, en présence du fournisseur, la société Eurosys Télécom, ainsi venue proposer un contrat hors établissement, étant au surplus observé que la signature du contrat par la société Bleu Campagne, en présence du professionnel qui lui a soumis le bon de commande et l'offre de location longue durée, l'engageait définitivement, le fait que la société bailleresse ratifie ultérieurement le contrat de location ne remettant pas en cause le fait que la locataire était irrévocablement engagée par sa signature dans ses locaux et en présence du fournisseur.

C'est donc à raison que le premier juge a considéré que la Sarl Bleu Campagne pouvait valablement se prévaloir d'un droit de rétractation, à charge toutefois pour elle de démontrer l'avoir exercé valablement. […]

Faute d'élément probant sur l'effectivité et la régularité de la rétractation alléguée, c'est à juste titre que le premier juge a indiqué ne pouvoir constater que la Sarl Bleu Campagne avait usé de son droit de rétractation et l'a déboutée de sa demande de ce chef. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE COLMAR

TROISIÈME CHAMBRE SECTION A

ARRÊT DU 12 MAI 2025

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 3 A 24/01019. Arrêt n° 25/234. N° Portalis DBVW-V-B7I-IIHZ. Décision déférée à la cour : jugement rendu le 15 décembre 2023 par la onzième chambre civile, commerciale et des contentieux du tribunal judiciaire de Strasbourg.

 

APPELANTE ET INCIDEMMENT INTIMÉE :

SARL BLEU CAMPAGNE

prise en la personne de son représentant légal es qualité audit siège, [Adresse 1], Représentée par Maître Pégah HOSSEINI SARADJEH, avocat au barreau de COLMAR

 

INTIMÉE ET INCIDEMMENT APPELANTE :

SAS GRENKE LOCATION

prise en la personne de son représentant légal [Adresse 2], Représentée par Maître Christine BOUDET, avocat au barreau de COLMAR

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 17 mars 2025, en audience publique, devant la cour composée de : Mme FABREGUETTES, présidente de chambre, Mme DESHAYES, conseillère, M. LAETHIER, vice-président placé, qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : M. BIERMANN

ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Mme FABREGUETTES, présidente et M. BIERMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS CONSTANTS ET PROCÉDURE :

Par contrat n° ETN 113541 signé le 17 janvier 2019, la Sarl Bleu Campagne, exploitant un centre de détente-remise en forme et esthétique, a passé commande auprès de la société Eurosys Télécom nord de matériels de téléphonie (notamment la fourniture d'un PABX référence TG 582n, d'un téléphone sans fil référence TGP600, et d'un routeur 4G), moyennant le règlement d'un loyer de 136 euros HT par mois sur 21 trimestres avec mention du rachat de son précédent contrat auprès de la société Orange Business.

La société Bleu Campagne a signé le même jour un contrat sous référence n° EC 113541 portant souscription aux services de la société Eurosys Communications portant sur une ligne fixe, une ligne mobile et un forfait internet, dans le cadre d'une offre optimum pro pour un tarif mensuel de 78 euros HT sur 36 mois.

Parallèlement, la Sas Grenke Location a consenti à la Sarl Bleu Campagne un contrat sous référence n°058-45008 portant location de longue durée de l'équipement professionnel précité vendu par la société Eurosys Télécom nord, moyennant versement de 63 loyers mensuels de 136 euros HT.

La confirmation de livraison a été signée le 26 février 2019.

Se prévalant de loyers impayés à compter du 19 mai 2020, la Sas Grenke Location a, par courrier recommandé avec accusé de réception, daté du 15 juin 2020, mis en demeure le locataire de payer la somme de 587,73 euros, sous peine de résiliation du contrat.

Par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 13 octobre 2020, la Sas Grenke Location a prononcé la résiliation anticipée du contrat.

Selon exploit d'huissier délivré le 6 avril 2022, la Sas Grenke Location a fait assigner la Sarl Bleu Campagne devant le tribunal judiciaire de Strasbourg afin de voir ordonner la restitution du matériel loué sous astreinte, condamner la preneuse au paiement des sommes de 6 855,73 euros avec les intérêts légaux à compter du 19 mai 2020, 598,40 euros au titre de la clause pénale incluse dans les conditions générales de la société requérante, 40 euros d'indemnité de recouvrement, 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Sarl Bleu Campagne s'est opposée aux demandes formées à son encontre et a sollicité de voir constater qu'elle tenait à la disposition de la société Grenke Location l'intégralité du matériel objet du contrat de location, constater qu'elle a valablement fait valoir son droit de rétractation en date du 27 février 2019, ordonner la résolution du contrat de location financière en date du 27 février 2019, condamner la société Grenke Location au remboursement de tous les loyers perçus au titre dudit contrat suivant la résolution intervenue le 27 février 2019, débouter la société Grenke Location de l'intégralité de ses demandes.

Elle a sollicité, à titre subsidiaire, de voir constater l'interdépendance des contrats conclus entre les sociétés Eurosys télécom, Grenke Location et elle, prononcer la résolution du contrat conclu entre les sociétés Bleu Campagne et Eurosys télécom en date du 13 février 2020 pour inexécution contractuelle, prononcer la caducité du contrat de location financière conclu entre la société Grenke Location et la Sarl Bleu Campagne en date du 13 février 2020, condamner la société Grenke Location au remboursement de tous les loyers perçus au titre dudit contrat suivant la résolution intervenue le 13 février 2020 ; à titre infiniment subsidiaire, réduire l'indemnité de résiliation à 1 euros et en tout état de cause, condamner la société Grenke Location à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en sus des entiers frais et dépens.

Par jugement contradictoire en date du 15 décembre 2023, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :

- débouté la Sarl Bleu Campagne de sa demande au titre de l'exercice de son droit de rétractation et de sa demande visant à voir prononcer la caducité du contrat de location de longue durée conclu avec la Sas Grenke location ;

- condamné la Sarl Bleu Campagne à payer à la Sas Grenke Location la somme de 652,80 euros TTC au titre des arriérés de loyers, avec intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2022 ;

- condamné la Sarl Bleu Campagne à payer à la Sas Grenke Location la somme de 5 984 euros HT au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation, avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- ordonné la restitution du matériel objet du contrat de location n° 058-45008 ;

- condamné la Sarl Bleu Campagne à payer à la Sas Grenke Location la somme de 40 euros TTC au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement ;

- débouté la Sas Grenke Location de ses demandes de paiement au titre des cotisations d'assurance, de la clause pénale et de sa demande d'astreinte ;

- condamné la Sarl Bleu Campagne à payer à la Sas Grenke Location la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la Sarl Bleu Campagne aux dépens.

Pour se déterminer ainsi, le premier juge a retenu que la Sarl Bleu Campagne pouvait, vu le nombre de ses salariés, valablement invoquer le bénéfice des dispositions de l'article L. 221-3 du code de la consommation ; que toutefois ni la simple copie du formulaire intitulé « bordereau de rétractation détachable » complété, signé et daté du 27 février 2019 avec une mention manuscrite d'envoi en date du 4 mars 2019, ni le courriel daté du 17 octobre 2019 ne prouvaient l'envoi ou la réception de ce courrier recommandé et l'usage par la Sarl Bleu Campagne de son droit de rétractation ; qu'elle ne démontrait pas non plus que la société Grenke Location, dont le contrat portait exclusivement sur le matériel et non sur l'abonnement aux services de téléphonie et à internet, ait eu connaissance de cet abonnement ; que les deux photographies de câblage produites ne suffisaient pas à prouver que l'installation n'était pas opérationnelle ; que la Sarl Bleu Campagne ne s'était pas acquittée des loyers dus à compter du 19 mai 2020 et était ainsi redevable des loyers échus impayés, à l'exclusion des cotisations d'assurance pour lesquelles la société Grenke Location ne justifiait ni de la souscription ni du montant de l'assurance, ainsi que des loyers à échoir et de l'indemnité forfaitaire ; que la majoration de 10 % des loyers restant à échoir, constitutive d'une clause pénale, était excessive et devait être rejetée ; que le matériel devait être restitué sans qu'il y ait lieu à astreinte à ce stade.

Par acte du 6 mars 2024, la Sarl Bleu Campagne a formé appel à l'encontre de cette décision, sauf en ce qu'elle a débouté la Sas Grenke Location de plusieurs de ses demandes.

[*]

Par conclusions notifiées électroniquement le 25 février 2025, la Sarl Bleu Campagne demande à la cour de :

sur l'appel principal, le déclarer recevable et bien fondé, y faisant droit, infirmer le jugement en date du 15 décembre 2023 en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'exercice de son droit de rétractation et de sa demande visant à voir prononcer la caducité du contrat de location de longue durée conclu avec la société Grenke Location, l'a condamnée à payer diverses sommes à la Sas Grenke Location, a ordonné la restitution du matériel loué et l'a condamnée aux dépens ;

et statuant à nouveau :

- constater que la société Bleu Campagne tient à la disposition de la société Grenke Location l'intégralité du matériel objet du contrat de location ;

- constater que la Sarl Bleu Campagne a valablement fait valoir son droit de rétractation en date du 27 février 2019 ;

- ordonner la résolution du contrat de location financière en date du 27 février 2019 ;

- condamner la société Grenke Location au remboursement de tous les loyers perçus au titre dudit contrat suivant la résolution intervenue le 27 février 2019 ;

- débouter la société Grenke Location de l'intégralité de ses demandes ;

à titre subsidiaire,

- constater l'interdépendance des contrats conclus entre les sociétés Eurosys télécom, Grenke Location et Bleu Campagne ;

- prononcer la résolution du contrat conclu entre elle et la société Eurosys télécom en date du 13 février 2020 pour inexécution contractuelle ;

- prononcer la caducité du contrat de location financière conclu entre la société Grenke Location et la Sarl Bleu Campagne en date du 13 février 2020 ;

- condamner la société Grenke Location au remboursement de tous les loyers perçus au titre dudit contrat suivant la résolution intervenue le 13 février 2020 ;

sur appel incident,

- déclarer l'appel incident mal fondé, le rejeter,

- débouter la société Grenke Location de son appel incident ;

en tout état de cause,

- débouter la société Grenke Location de l'ensemble de ses demandes et de son appel incident ;

- confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;

- condamner la société Grenke Location à verser à la société Bleu Campagne la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

A l'appui de son appel, la Sarl Bleu Campagne soutient essentiellement qu'elle a fait usage de son droit de rétractation dès le 27 février 2019, conformément aux dispositions du code de la consommation dont elle peut bénéficier puisque le nombre de ses salariés est inférieur à cinq et que l'objet des contrats litigieux, conclus hors établissement, n'entre pas dans le champ de son activité principale ; que cette rétractation est intervenue dans les 14 jours de la livraison effectuée le 26 février 2019 et ce par le biais d'un courrier daté du 27 février 2019 transmis par lettre recommandée postée le 4 mars 2019, comme attesté par le cachet

de la poste figurant sur le bordereau d'envoi ; qu'elle en a également informé la société Grenke Location par lettre recommandée avec accusé de réception ; que celle-ci en a volontairement fait abstraction mais n'a jamais contesté l'envoi du courrier recommandé de rétractation ni invoqué l'absence de preuve de sa notification, le premier juge ayant, en fondant sa décision sur un moyen non invoqué par les parties et sans recueillir leurs observations, violé les articles 7, 8 et 16 du code de procédure civile ; que, démontrant avoir usé de son droit de rétractation dans les délais, le jugement doit être infirmé et la résolution du contrat de location financière ordonnée à la date du 27 février 2019.

A titre subsidiaire, l'appelante se prévaut de l'exception d'inexécution résultant des manquements commis par la société Eurosys Télécom lors de l'installation de la ligne, la société fournisseur ayant été placée en redressement judiciaire le 28 novembre 2019 puis en liquidation judiciaire le 13 février 2020, sans exécuter en conséquence aucune prestation de fourniture internet ou maintenance après cette date. Ces faits, que ne pouvait ignorer la bailleresse, justifiaient, selon elle, l'arrêt du paiement de ses loyers à compter du mois de mai 2020, l'interdépendance entre les contrats entraînant la caducité du contrat de location financière en date du 13 février 2020, date de la liquidation judiciaire de la société Eurosys Telecom.

Elle critique le jugement en ce qu'il a considéré que le contrat de location portait exclusivement sur le matériel alors que la nature du matériel et les termes du bon de commande faisant état d'une «'souscription aux services Eurosys communications'» démontraient que la location était liée à un abonnement de télécommunication ; qu'il existe une présomption de connaissance de l'opération d'ensemble par le bailleur, à charge pour la société Grenke Location de prouver qu'elle ne pouvait connaître l'opération d'ensemble, ce en quoi elle est défaillante, étant au surplus observé que les sociétés Grenke Location et Eurosys sont des partenaires commerciaux réguliers.

La Sarl Bleu Campagne sollicite confirmation du surplus de la décision en ce qu'elle a exclu la majoration de 10 % des loyers restant à échoir et débouté la Sas Grenke Location de plusieurs demandes.

[*]

Par conclusions notifiées le 13 février 2025, la Sas Grenke Location sollicite :

- sur appel principal, le voir déclarer mal fondé, en conséquence débouter la Sarl Bleu Campagne de l'ensemble de ses fins, moyens et conclusions ;

- sur appel incident, infirmer la décision entreprise sur les montants alloués à la Sas Grenke Location, et, statuant à nouveau :

* condamner la Sarl Bleu Campagne au paiement d'une somme de 6'855,73 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 19 mai 2020 ainsi qu'au paiement d'une somme de 598,40 euros au titre de la clause pénale et en ce que la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile a été limitée à la somme de 200 euros et en ce que la société Grenke Location a été déboutée de sa demande de condamnation sous astreinte de restitution du matériel loué ;

* la condamner sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt en cas de retard dans la restitution du matériel loué ;

* la condamner au paiement d'une somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance ;

* la condamner aux dépens de la procédure d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En réplique, la Sas Grenke Location conteste l'application au contrat de location, passé entre elle et l'appelante, des dispositions des articles L. 221-3 et L. 221-18 du code de la consommation, dès lors d'une part, que ledit contrat n'est pas un contrat conclu hors établissement puisqu'il n'a pas fait suite à un démarchage opéré par la société Grenke Location et n'a pas été signé en présence simultanée des parties mais après plusieurs étapes et vérifications et que, d'autre part, ce contrat rentrait dans le champ de l'activité principale de la preneuse s'agissant d'une installation téléphonique indispensable à son activité et qu'enfin, la Sarl Bleu Campagne se refusant à produire son registre du personnel, elle ne prouve pas avoir employé moins de six salariés au jour du contrat, l'attestation de son expert-comptable n'étant pas conforme aux exigences légales formelles et excluant sans motif les apprentis et contrats aidés.

L'intimée conteste la valeur probante du récépissé de dépôt de la lettre de rétractation, faute de mention complète de l'adresse de la société Eurosys et de preuve de l'accusé de réception.

Elle argue en outre du fait que la rétractation implique restitution dans un délai de 14 jours, ce qui n'est pas le cas, le matériel étant toujours en possession de la société locataire et pouvant être utilisé dans le cadre d'une fourniture de service téléphonique avec un autre opérateur, la Sarl Bleu Campagne reconnaissant d'ailleurs avoir récupéré son RIO et la portabilité de son numéro.

La Sas Grenke Location s'oppose à la caducité de son contrat de location au titre de l'interdépendance avec le contrat souscrit avec la société Eurosys Télécom en faisant valoir que l'appelante ne démontre pas le prétendu non-fonctionnement de l'installation ; qu'elle n'a pas mis dans la cause la société Eurosys Télécom aux fins de résiliation du contrat principal et n'a nullement démontré que la société Grenke Location avait connaissance de l'opération d'ensemble et notamment de l'existence, en sus du contrat de location, d'un contrat portant sur un forfait téléphonique ; qu'elle a elle-même exécuté ses obligations de bailleresse ; qu'au surplus, la Sarl Bleu Campagne a signé une confirmation de livraison attestant de la réception du matériel en parfait état et s'est acquittée du loyer pendant 17 mois sans formuler aucune contestation sur le fonctionnement de l'installation.

Sur appel incident, la société Grenke Location sollicite paiement de la majoration de 10 % destinée à compenser le manque à gagner résultant de la résiliation anticipée du bail, d'autant plus justifiée que la partie adverse est restée en possession du matériel depuis plus de cinq ans, lequel est désormais devenu obsolète.

[*]

La décision a été mise en délibéré pour être rendue le 12 mai 2025.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Vu les dernières écritures des parties ci-dessus citées auxquelles il est référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, en application de l'article 455 du code de procédure civile ;

Vu les pièces régulièrement communiquées ;

En vertu des dispositions de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

En application de l'article 1186 du code civil, un contrat valablement formé devient caduc si l'un de ses éléments essentiels disparaît. Lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie. La caducité n'intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée, connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement.

 

Sur l'usage par la société Bleu Campagne de son droit de rétractation :

A titre liminaire, la cour relève que l'appelante formule des critiques envers le jugement qui aurait fondé sa décision sur un moyen non invoqué par les parties sans toutefois en tirer aucune conséquence juridique ni formuler aucune prétention à cet égard dans son dispositif. Elle n'est donc pas tenue d'y répondre, étant au surplus observé que le moyen a désormais été débattu entre les parties.

Aux termes de l'article L. 221-3 du code de la consommation, les dispositions des sections 2, 3 et 6 du chapitre applicables aux relations entre consommateurs et professionnels dans les contrats conclus à distance ou hors établissement, dont fait partie l'article L. 221-8 prévoyant un droit de rétractation dans un délai de quatorze jours, sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq.

Si la société Grenke Location conteste le bénéfice de ces dispositions aux contrats litigieux, force est de constater que la société Bleu Campagne a produit, à hauteur de cour, une attestation de son expert-comptable en date du 14 janvier 2025 qui établit que son effectif était de quatre salariés au 31 janvier 2019, ainsi que le registre de son personnel, qui confirme que, même en tenant compte du contrat d'apprentissage en cours, le nombre de salariés restait inférieur ou égal à cinq.

Quand bien même la location de matériel de téléphonie et internet contribue à l'exercice par la preneuse de son activité professionnelle, elle n'entre pas dans le champ de son activité principale qui porte sur la détente et la remise en forme esthétique, requérant des compétences sans lien avec la téléphonie.

Enfin, l'article L. 221-1 2° dispose qu'est un contrat hors établissement tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur dans un lieu qui n'est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d'une sollicitation ou d'une offre faite par le consommateur ou dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d'une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes.

Il est acquis que tant le bon de commande du matériel que le contrat de location longue durée ont été souscrits dans les locaux de la société Bleu Campagne, en présence du fournisseur, la société Eurosys Télécom, ainsi venue proposer un contrat hors établissement, étant au surplus observé que la signature du contrat par la société Bleu Campagne, en présence du professionnel qui lui a soumis le bon de commande et l'offre de location longue durée, l'engageait définitivement, le fait que la société bailleresse ratifie ultérieurement le contrat de location ne remettant pas en cause le fait que la locataire était irrévocablement engagée par sa signature dans ses locaux et en présence du fournisseur.

C'est donc à raison que le premier juge a considéré que la Sarl Bleu Campagne pouvait valablement se prévaloir d'un droit de rétractation, à charge toutefois pour elle de démontrer l'avoir exercé valablement.

Or, comme souligné par le premier juge, la copie du formulaire de rétractation annoté par ses soins et d'un courriel adressé à une tierce personne sont insuffisants.

La cour n'est pas davantage convaincue de l'envoi effectif du formulaire de rétractation quand bien même l'appelante produit devant elle la copie d'un recommandé déposé aux services postaux le 4 mars 2019, ledit document étant illisible s'agissant de l'adresse de son destinataire, à l'exception du nom «'Eurosys Télécom nord'», apposé en surcharge et donc sujet à caution. La cour observe en outre que la preneuse ne justifie pas avoir restitué le matériel dans la foulée de sa prétendue rétractation et a réglé le loyer pendant plusieurs mois alors pourtant qu'elle soutient avoir résilié le contrat de fourniture de matériel dès le lendemain de sa livraison.

Faute d'élément probant sur l'effectivité et la régularité de la rétractation alléguée, c'est à juste titre que le premier juge a indiqué ne pouvoir constater que la Sarl Bleu Campagne avait usé de son droit de rétractation et l'a déboutée de sa demande de ce chef.

 

Sur l'inexécution des prestations dues par la société Eurosys et la caducité subséquente du contrat de location :

La Sarl Bleu Campagne se prévaut de la mauvaise exécution de ses prestations par la société Eurosys.

Elle ne produit devant la cour aucun élément nouveau de nature à modifier l'exacte appréciation du premier juge quant à l'absence de preuve d'un dysfonctionnement alors que la preneuse a signé le 26 février 2019 un bon de livraison attestant de l'état de fonctionnement du matériel et que les quelques photographies produites sont non probantes.

Elle se prévaut désormais de la liquidation judiciaire de la société Eurosys Télécom intervenue le 13 février 2020 et sollicite de voir prononcer la résolution du contrat conclu avec cette dernière à cette date pour inexécution contractuelle, alors pourtant que la société Eurosys Télécom, le cas échéant régulièrement représentée, n'a pas été mise dans la cause et qu'aux termes de l'article L. 641-11-1 du code de commerce, aucune résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture ou du prononcé d'une liquidation judiciaire.

Il n'est au surplus pas démontré que la société Grenke Location connaissait l'existence du contrat de souscription à des services de téléphonie auprès de la société Eurosys Communications, alors que le contrat de location ne comporte aucune information en ce sens et qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir que cette information a été effectivement portée à la connaissance de la société Grenke Location, une telle connaissance ne pouvant se déduire du seul fait que le matériel loué suppose la mise en œuvre d'une ligne de téléphonie/internet par un opérateur alors que le locataire dispose de la faculté de recourir aux services d'un opérateur de son choix, sans nécessairement conclusion d'un contrat concomitant au contrat de location. La Sarl Bleu Campagne indique d'ailleurs avoir eu recours à un nouvel opérateur et avoir obtenu la portabilité de sa ligne en septembre 2019, sans produire aucun élément permettant d'exclure qu'elle continue à faire usage du matériel acquis avec ce nouvel opérateur.

C'est donc à bon droit que le premier juge a écarté toute caducité du contrat de location financière.

 

Sur les demandes financières :

Les sommes mises en compte au titre des loyers impayés à hauteur de 652,80 euros, des loyers à échoir à hauteur de 5'984 euros et 40 euros d'indemnité de recouvrement doivent être confirmées, la Sarl Bleu Campagne en étant redevable par l'effet du contrat auquel elle s'est engagée.

Comme relevé par le premier juge, la majoration de 10 % constitue une clause pénale susceptible de modération, même d'office, dans les conditions fixées à l'article 1231-5 du code civil.

Elle vient en complément de l'indemnité de résiliation déjà accordée, correspondant au montant des loyers à échoir, qui a vocation à réparer le préjudice économique résultant de la perte du bénéfice escompté pour le bailleur, qui a financé et mis à disposition un matériel neuf en contrepartie de la perception des loyers, l'économie des contrats ayant été calculée sur la base de la durée ferme de location. Ladite indemnité compensant l'intégralité du préjudice subi par la bailleresse, le premier juge a, opportunément, supprimé la majoration de 10 %.

S'agissant de l'indemnité d'assurance, si la réclamation de la bailleresse est justifiée par les dispositions de l'article 7 de ses conditions générales lui permettant d'intégrer les produits loués à son contrat cadre d'assurance dommages aux frais du locataire si ce dernier ne justifie pas s'être assuré par lui-même dans les six semaines de la prise d'effet du contrat, encore faut-il que la société Grenke Location prouve avoir effectivement intégré le contrat litigieux dans son contrat cadre d'assurance et justifie du montant des cotisations afférentes. En l'absence de tout élément autre que le décompte établi par la bailleresse elle-même, le rejet doit être confirmé.

Il est acquis que le matériel, dont la preneuse prétend n'avoir eu aucun usage depuis février 2019, n'a pas été restitué et ce malgré la mise en demeure qui lui a été adressée le 13 octobre 2020 et malgré la procédure en cours dans laquelle elle se dit pourtant disposée à restituer le matériel. Afin de garantir l'effectivité de l'obligation de restitution prononcée, il paraît justifié d'assortir cette restitution d'une astreinte selon les modalités fixées au dispositif de la présente décision.

 

Sur les frais et dépens :

Aucun élément ne justifie de remettre en cause les considérations d'équité qui ont amené le premier juge à fixer l'indemnité de procédure due à la société Grenke Location à la somme de 200 euros.

S'agissant des frais et dépens de la procédure d'appel, il est justifié de condamner l'appelante, succombant pour l'essentiel, aux entiers dépens et au paiement à la société Grenke Location d'une indemnité de procédure qui sera justement fixée à la somme de 1.300 euros.

La demande de la Sarl Bleu Campagne, fondée sur ces mêmes dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, sera rejetée.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement rendu le 15 décembre 2023 par la 11ème chambre civile des contentieux de proximité et de la protection du tribunal judiciaire de Strasbourg sauf en ce qu'il a débouté la Sas Grenke Location de sa demande d'astreinte ;

Statuant à nouveau du chef infirmé :

ASSORTIT l'obligation pour la Sarl Bleu Campagne de restituer le matériel objet du contrat de location n°058-45008 d'une astreinte de 20 euros par jour de retard à l'issue d'un délai de deux semaines suivant la signification de la présente décision et dans la limite maximale de trois mois ;

Y ajoutant :

DEBOUTE la Sarl Bleu Campagne de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la Sarl Bleu Campagne à verser à la Sas Grenke Location une somme de 1 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la Sarl Bleu Campagne aux dépens de la procédure d'appel.

Le Greffier                                        La Présidente