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TJ LIMOGES (1re ch. civ.), 24 juin 2025

Nature : Décision
Titre : TJ LIMOGES (1re ch. civ.), 24 juin 2025
Pays : France
Juridiction : Limoges (T. jud.)
Demande : 23/01119
Date : 24/06/2025
Nature de la décision : Irrecevabilité
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 22/09/2023
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CERCLAB - DOCUMENT N° 24238

TJ LIMOGES (1re ch. civ.), 24 juin 2025 : RG n° 23/01119 

Publication : Judilibre

 

Extrait : « En l’espèce, l’article 16 de la lettre de mission signée le 23 novembre 2017 par les parties prévoit : « Les litiges qui pourraient éventuellement survenir entre KPMG S.A et son Client seront portés, avant toute action judiciaire, devant le Président du Conseil Régional de l’Ordre des experts comptables dont dépend le Bureau KPMG S.A., à l’origine du présent Contrat, aux fins de conciliation »

Cette clause ne crée aucun déséquilibre entre les droits et obligations des parties au contrat puisqu’elle a simplement pour objet d’instaurer une phase de conciliation préalable à toute action en justice, ce qui est d’ailleurs conforme à l’évolution récente de la procédure civile.

Sa rédaction, différente de celle ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation invoquée par la société Travaux Bois Forêt, ne prévoit pas la faculté pour les parties de déroger au principe de la conciliation préalable. Elle présente donc un caractère obligatoire pour elles.

L’apparition du litige postérieurement à la résiliation du contrat ne peut avoir pour effet de faire obstacle à la mise en œuvre de cette clause dès lors que le présent litige concerne la mise en jeu de la responsabilité de l’expert-comptable du fait d’un manquement allégué à la mission qui lui a été confiée.

Si le code déontologie professionnelle de l’expertise comptable prévoit en ses articles 159 et 160, une procédure de conciliation facultative, le principe de la liberté contractuelle n’interdit pas à l’expert-comptable et à son client de convenir d’une clause prévoyant une procédure de conciliation obligatoire dès lors que, comme en l’espèce, celle-ci n’a pas pour effet de restreindre les devoirs de l’expert-comptable tels prévus dans le code de déontologie. En ce sens, la clause litigieuse ne porte pas atteinte aux dispositions d’ordre public du code de déontologie.

Enfin, il est constant que les fins de non-recevoir ne sont pas limitativement énumérées aux articles 122 et 124 du code de civile et que la clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent (Cass., Ch. mixte., 14 février 2003, pourvoi n° 00-19.423).

En conséquence, les demandes présentées par la société Travaux Bois Forêt seront déclarées irrecevables dès lors que la saisine du tribunal judiciaire n’a pas été précédée de la conciliation obligatoire prévue par l’article 16 de la lettre de mission. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LIMOGES

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ORDONNANCE DE MISE EN ÉTAT DU 24 JUIN 2025

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 23/01119. N° Portalis DB3K-W-B7H-F3GT. NATURE : 56C Demande en dommages-intérêts contre le prestataire de services pour mauvaise exécution.

Nous M. COLOMER, 1er Vice-Président, Juge de la Mise en Etat au TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LIMOGES, assisté de Madame BRACQ, avons rendu l’ordonnance suivante dans la procédure entre :

 

DEMANDERESSE A L’INCIDENT, DÉFENDERESSE AU FOND :

La société RYDGE CONSEIL (anciennement dénommée S.E.L.A.S. KMPG ESG & GS)

[Adresse 5], [Adresse 1], [Localité 3], représentée par Maître Laetitia DAURIAC, avocat postulant, au barreau de LIMOGES et par Maître Georges de MONJOUR de la SELARL RONSARD AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS, substitué par Maître DE LAMBILLY, avocat au barreau de PARIS

 

DÉFENDERESSE A L’INCIDENT, DEMANDERESSE AU FOND :

SARL TRAVAUX BOIS FORET

[Adresse 4], [Localité 2], représentée par Maître Michel LABROUSSE, avocat au barreau de TULLE substitué par Maître Eric BRECY-TEYSSANDIER, avocat au barreau de LIMOGES

 

L’affaire a été appelée à l’audience d’incident de Mise en Etat du 13 mai 2025, Maîtres DE LAMBILLY et BRECY-TESSANDIER, avocats, ont été entendus en leurs observations, L’affaire a été mise en délibéré,

Et ce jour, le 24 juin 2025, l’ordonnance suivante a été rendue :

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 23 novembre 2017, la société Travaux Bois Forêt a confié à la société KPMG devenue la société RYDGE Conseil, une mission de tenue de comptabilité et d’établissement des déclarations fiscales, notamment de TVA, de résultats, de taxe sur les véhicules de tourisme des sociétés.

Elle a résilié le contrat le 20 février 2020 avant de faire l’objet d’un contrôle fiscal qui a conduit à un redressement de 88 885 €, pénalités incluses.

Malgré la résiliation du contrat, la société KPMG a assisté son ancien client dans le cadre des échanges avec l’administration fiscale et, suite aux observations émises sur la proposition de redressement, celui-ci a été réduit à la somme de 70.142 €.

Le 29 novembre 2022, la société Travaux Bois Forêt a mis en demeure la société d’expertise comptable de lui régler la somme de 30.403 € due au titre des majorations et intérêts de retard et de l’impôt sur les sociétés dus en raison des déclarations tardives.

Aucun accord n’a pu être trouvé entre les parties.

Par acte en date du 22 septembre 2023, la société Travaux Bois Forêt l’a faite assigner devant le tribunal judiciaire de Limoges aux fins d’obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 36.908,35 € en réparation de son préjudice financier et économique avec intérêts de retard à compter de la mise en demeure du 29 novembre 2022, outre l’indemnisation de son préjudice moral et des frais de procédure.

L’affaire a été renvoyée devant le juge de la mise en état pour son instruction.

* * *

Le 26 avril 2024, la société RYDGE Conseil a saisi le juge de la mise en état aux fins de l’entendre, selon le dernier état de ses conclusions signifiées le 30 avril 2025 par RPVA :

- déclarer irrecevable l’ensemble des demandes de la société demanderesse ;

A titre subsidiaire,

- ordonner, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l’ordonnance à intervenir, à la société Travaux Bois Foret de produire les pièces suivantes :

Les échanges ayant eu lieu avec l’administration fiscale postérieurement à la proposition de rectification du 11 octobre 2021 et notamment : La réponse aux observations du contribuable du 20 décembre 2021 et la réponse à la proposition de rectification a priori adressée par le cabinet CESIS le 9 février 2022 ;

La preuve du règlement de la somme mise en recouvrement par l’administration fiscale ;

Tout élément relatif à l’engagement de recours à l’encontre de la proposition de rectification devant les juridictions administratives ;

En tout état de cause,

- débouter la société Travaux Bois Foret en sa demande de condamnation de la société RYDGE CONSEIL (anciennement dénommée KPMG ESC & GS) à une somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;

- condamner la société Travaux Bois Foret à payer à la société RYDGE Conseil (anciennement dénommée KPMG ESC & GS) la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Travaux Bois Foret aux entiers dépens dont recouvrement en application de l’article 699 du Code de procédure civile en faveur de Me [C] de Monjour ;

A l’appui de ses prétentions, la société RYDGE Conseil fait valoir que les demandes présentées par la société Travaux Bois Forêt sont irrecevables dans la mesure où elle n’a pas engagé la procédure de conciliation préalable prévue par l’article 16 de la lettre de mission. Elle considère que la société Travaux Bois Forêt n’est pas fondée à lui opposer les dispositions de l’article 1171 du code civil car cette clause ne crée aucun déséquilibre en sa faveur. Elle ajoute que la clause demeure applicable malgré la résiliation du contrat et qu’elle n’est pas contraire aux dispositions du code de déontologie de la profession.

* * *

Par conclusions signifiées le 04 mars 20252025 par RPVA, la société Travaux Bois Forêt demande au juge de la mise en état de :

- déclarer l’action introduite par la société Travaux Bois Foret recevable et bien-fondée ;

- débouter KPMG de l’intégralité de ses demandes ;

- condamner KPMG à verser à la société travaux bois foret la somme de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en tous les dépens.

Elle soutient la clause de conciliation préalable doit être déclarée non écrite en application des dispositions de l’article 1171 code civil. Par ailleurs, elle estime que celle-ci ne peut pas être appliquée dans une procédure engagée postérieurement à la résiliation du contrat et d’autant que la sanction de l’irrecevabilité n’est pas contractuellement prévue. Enfin, elle estime que cette clause contrevient aux dispositions d’ordre public du code de déontologie de l’expert-comptable prévoyant la conciliation préalable facultative.

* * *

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il convient de se référer à leurs conclusions susvisées.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE,

Il résulte de l'article 1103 du code civil et de l'article 122 du code de procédure civile que la clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent (Cass., 2e civ., 12 septembre 2024, pourvoi n° 21-14.946).

Par ailleurs, l’article 1171 du code civil prévoit :

« Dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation. »

En l’espèce, l’article 16 de la lettre de mission signée le 23 novembre 2017 par les parties prévoit : « Les litiges qui pourraient éventuellement survenir entre KPMG S.A et son Client seront portés, avant toute action judiciaire, devant le Président du Conseil Régional de l’Ordre des experts comptables dont dépend le Bureau KPMG S.A., à l’origine du présent Contrat, aux fins de conciliation »

Cette clause ne crée aucun déséquilibre entre les droits et obligations des parties au contrat puisqu’elle a simplement pour objet d’instaurer une phase de conciliation préalable à toute action en justice, ce qui est d’ailleurs conforme à l’évolution récente de la procédure civile.

Sa rédaction, différente de celle ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation invoquée par la société Travaux Bois Forêt, ne prévoit pas la faculté pour les parties de déroger au principe de la conciliation préalable. Elle présente donc un caractère obligatoire pour elles.

L’apparition du litige postérieurement à la résiliation du contrat ne peut avoir pour effet de faire obstacle à la mise en œuvre de cette clause dès lors que le présent litige concerne la mise en jeu de la responsabilité de l’expert-comptable du fait d’un manquement allégué à la mission qui lui a été confiée.

Si le code déontologie professionnelle de l’expertise comptable prévoit en ses articles 159 et 160, une procédure de conciliation facultative, le principe de la liberté contractuelle n’interdit pas à l’expert-comptable et à son client de convenir d’une clause prévoyant une procédure de conciliation obligatoire dès lors que, comme en l’espèce, celle-ci n’a pas pour effet de restreindre les devoirs de l’expert-comptable tels prévus dans le code de déontologie. En ce sens, la clause litigieuse ne porte pas atteinte aux dispositions d’ordre public du code de déontologie.

Enfin, il est constant que les fins de non-recevoir ne sont pas limitativement énumérées aux articles 122 et 124 du code de civile et que la clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent (Cass., Ch. mixte., 14 février 2003, pourvoi n° 00-19.423).

En conséquence, les demandes présentées par la société Travaux Bois Forêt seront déclarées irrecevables dès lors que la saisine du tribunal judiciaire n’a pas été précédée de la conciliation obligatoire prévue par l’article 16 de la lettre de mission.

La société Travaux Bois Forêt, partie perdante, sera condamnée aux dépens de l’instance

A la suite de la présente procédure, la société RYDGE Conseil a exposé des frais non compris dans les dépens. L’équité commande de l’en indemniser. La société Travaux Bois Forêt sera condamnée à lui payer la somme de 1.000 € au titre des frais non compris dans les dépens.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par ordonnance contradictoire susceptible d’appel immédiat et mise à disposition au greffe,

Déclare irrecevables les demandes formées par société Travaux Bois Forêt à l’encontre de société RYDGE Conseil ;

Condamne la société Travaux Bois Forêt aux entiers dépens dont distraction en faveur de Me [C] de Monjour et à payer à la société RYDGE Conseil la somme de 1.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

LE GREFFIER,                               LE JUGE F. LA MISE EN ETAT,