CA BORDEAUX (4e ch. civ.), 1er septembre 2025
CERCLAB - DOCUMENT N° 24287
CA BORDEAUX (4e ch. civ.), 1er septembre 2025 : RG n° 23/04589
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « Le fait, allégué par la société Gier Motoculture, que le site internet conçu et paramétré par la société Incomm (www.gier-motoculture.fr) collecte de manière illégale les données personnelles des internautes qui s'y connectent, ne peut constituer un motif d'annulation pour cause d'erreur, puisque le grief concerne exclusivement les conditions dans lesquelles la société Incomm a exécuté ses prestations. Or, il n'est pas démontré que le mode opératoire habituellement mis en œuvre par Incomm dans la conception des sites impliquait nécessairement, pour le contrat conclu avec M. X. comme pour les autres, une réalisation finale non conforme aux règles de protection des données personnelles des internautes. - Il en résulte que la demande en nullité du contrat doit être rejetée pour ce motif. »
2/ « En l'espèce, il ressort des mentions du contrat litigieux que celui-ci a été signé à [Localité 5], donc hors établissement, la société Incomm ayant son siège social à [Localité 3]. Par ailleurs, l'attestation URSSAF établit que la société Gier Motoculture n'employait aucun salarié. Enfin, la société Gier Motoculture est spécialisée dans la réparation de machines et équipements mécaniques. La location d'un site Internet n'entre pas dans le champ de son activité principale, celui-ci n'étant qu'un support destiné à développer sa clientèle, dans un but de promotion de son activité manuelle. L'objet du contrat n'entre donc pas dans le champ d'activité principal de la société Gier Motoculture. En conséquence, la cour considère que le contrat litigieux remplit les conditions posées par l'article L. 221-3 du code de la consommation. »
3/ « La société Incomm et la société Locam soutiennent, à tort, que le contrat de licence d'exploitation de site internet ne pourrait donner lieu à l'exercice du droit de rétractation, en invoquant les dispositions de l'article L.221-28 du code de la consommation, selon lesquelles le droit de rétractation ne peut être exercé pour les contrats de fourniture de biens confectionnés selon les spécifications du consommateur ou nettement personnalisés. Ces dispositions précitées doivent être d'interprétation stricte, dès lors qu'elles ont pour conséquence de limiter les droits octroyés à un professionnel, qui, par l'effet de la loi, se trouve assimilé à un consommateur pour l'exercice de certains droits dans le cadre d'un contrat conclu hors établissement.
En l'espèce, le contrat du 28 octobre 2020 ne concerne pas la fourniture d'un bien, à savoir un objet mobilier corporel, mais une prestation de services à savoir la conception, la création, la réalisation d'un site internet, son hébergement, son référencement et la location du site web. L'exception prévue par l'article L.221-28 ° du code de la consommation ne peut donc trouver à s'appliquer. »
4/ « En l'espèce, lors de la conclusion du contrat de licence d'exploitation de site internet le 28 octobre 2020, la société Gier Motoculture a consenti, par avance, à sa cession au profit de diverses sociétés nommément désignées, dont la société Locam, en vertu des dispositions de l'article 12.02 du contrat. Par ailleurs, en l'absence de toute forme prescrite par l'article 1216 alinéa 3, l'attestation de cession de contrat (pièce 73 Incomm), fait suffisamment la preuve de la cession du contrat de licence, au profit de la société Locam, moyennant paiement de la facture d'acquisition n°FV025066, en date du 1er décembre 2020, ayant donné lieu ensuite à la facture unique de loyers du 7 décembre 2020 adressée à la société Gier Motoculture. Dès lors que le contrat cédé a été anéanti par l'effet de la nullité, la société Locam doit être déboutée de ses demandes en paiement, et doit restituer les sommes perçues, qui n'ont plus de fondement contractuel. »
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 1er SEPTEMBRE 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 23/04589. N° Portalis DBVJ-V-B7H-NOUA. Nature de la décision : AU FOND. Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 4 septembre 2023 (R.G. 2022F00304) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 10 octobre 2023.
APPELANTE :
SAS INCOMM
agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 4], Représentée par Maître Anthony BABILLON de la SELARL ANTHONY BABILLON AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉES :
SAS GIER MOTOCULTURE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 1], Représentée par Maître Delphine BARTHELEMY-MAXWELL, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Bassirou KÉBÉ, avocat au barreau de LILLE
SAS LOCAM
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 2], Représentée par Maître Bertrand GABORIAU de la SELARL B.G.A., avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 mai 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne-Sophie JARNEVIC, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président, Madame Sophie MASSON, Conseiller, Madame Anne-Sophie JARNEVIC, Conseiller.
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
1 - La SAS Gier Motoculture est spécialisée dans la réparation de machines et équipements mécaniques.
La société Incomm a pour activité la communication par Internet.
Par acte en date du 28 octobre 2020, la société Gier Motoculture a conclu avec la société Incomm un contrat de licence d'exploitation de site internet pour une période de 4 ans moyennant le versement de 48 échéances mensuelles de 365 euros HT (438 euros TTC) outre une somme de 1291,20 euros de frais d'adhésion.
Le 24 novembre 2020, un procès-verbal de livraison de conformité du site www.gier-motoculture.fr a été signé.
Le contrat a été cédé à la société Locam, qui a adressé une facture unique à la société Gier motoculture le 7 décembre 2020, comportant un échéancier des paiements du 20 décembre 2020 au 20 novembre 2024.
Par courriers recommandés en date du 8 novembre 2021, la société Gier Motoculture a notifié aux sociétés Incomm et Locam sa volonté de faire valoir son droit de rétractation au titre de l'article L221-3 du code de la consommation et a sollicité l'anéantissement du contrat.
Par courriers recommandés en date des 19 novembre 2021 et 26 novembre 2021, les sociétés Incomm et Locam ont contesté la validité de la rétractation.
2 - Par actes des 14 et 15 février 2022, la société Gier Motoculture a assigné a la société Incomm et la société Locam devant le tribunal de commerce de Bordeaux pour voir, à titre principal, déclarer le contrat litigieux anéanti par l'effet de la rétractation et condamner les sociétés Incomm et Locam à restituer respectivement les sommes de 1291, 20 euros et 60511, 59 euros.
Par jugement du 14 septembre 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- Fait droit à la demande de nullité du contrat conclu entre la société Gier Motoculture et la société Incomm le 28 octobre 2020,
- Débouté la société Gier motoculture de toutes ses demandes à l'encontre la société Locam,
- Condamné la société Incomm à payer à la société Gier Motoculture la somme de 1291,20 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 février 2022
- Condamné la société Incomm à désactiver le site Internet de la société Gier motoculture et quatre de 30 euros par jour à compter de 15 jours après publication du présent jugement ce dans une limite de 5000 euros,
- Ordonné la capitalisation des intérêts,
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- Dit que l'exécution provisoire de droit,
- Condamné la société Incomm à payer à la société Gier Motoculture la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la société Incomm aux dépens.
Par déclaration au greffe du 11 octobre 2023, la SAS Incomm a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la société Gier Motoculture et la SAS Locam.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
3 - Par dernières écritures notifiées par message électronique le 7 mai 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Incomm demande à la cour de :
-Réformer le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux en date du 06 septembre 2023 en ce qu'il a retenu la responsabilité contractuelle de la société Incomm et a :
« Fait droit à la demande de nullité du contrat conclu entre la société Gier Motoculture SAS et la société Incomm SAS le 28 octobre 2020,
Déboute la la société Gier Motoculture SAS de toutes ses demandes à l'encontre de
la société Locam- Location Automobiles Matériels SAS,
Condamne la société Incomm SAS à payer à la société Gier Motoculture SAS la somme de 1.291,20 euros (mille deux cent quatre vingt onze euros et vingt centimes) avec intérêts au taux légal à compter du 15 février 2022,
Condamne la société Incomm SAS à désactiver le site internet de la société Gier Motoculture SAS avec astreinte de 30,00 euros par jour à compter de 15 jours après publication du présent jugement, ce dans une limite de 5.000,00 euros,
Ordonne la capitalisation des intérêts,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Dit que l'exécution provisoire est de droit,
Condamne la société Incomm SAS à payer à la la société Gier Motoculture SAS la somme de 2.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Incomm SAS aux dépens »
- Confirmer pour le surplus
Statuant à nouveau,
- Juger qu'en l'état la législation consumériste ne peut recevoir application à la présente espèce,
- Juger que le contrat n°28102020KYOTDE01 du 28 octobre 2020 a été résilié aux torts exclusifs de la société Gier Motoculture SAS
En conséquence,
- Débouter la société Gier Motoculture SAS de l'ensemble de ses demandes fins et
prétentions à l'encontre de la société Incomm
- Condamner la société Gier Motoculture SAS à restituer la somme de 3334,41 euros versée dans le cadre de l'exécution provisoire
En toute hypothèse
- Condamner la société Gier Motoculture SAS à verser la somme de 5500 euros à la société Incomm en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
[*]
4 - Par dernières écritures notifiées par message électronique le 30 avril 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Gier Motoculture demande à la cour de :
Vu l'article 1367 du code civil,
Vu les articles L.221-1 et suivants du code de la consommation
Vu l'article L.242-1 du code de la consommation,
Vu les articles 1130 et suivants du code civil,
Vu les articles 1194 et suivants du code civil,
Vu les articles 1178, 1128, 1163 du code civil,
Vu le Règlement général sur la protection des données personnelles,
Vu les articles 226-16 et suivants du code pénal,
Il est demandé au tribunal de céans de :
À titre principal,
Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il :
- Annule le contrat litigieux pour erreur sur les qualités essentielles du site internet,
- Condamne la société Incomm SAS à payer à la société Gier Motoculture SAS la somme de 1.291,20 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 février 2022,
- Condamne la société Incomm SAS à désactiver le site internet de la société Gier Motoculture SAS avec astreinte de 30,00 euros par jour à compter de 15 jours après
publication du présent jugement, ce dans une limite de 5.000,00 euros
- Ordonne la capitalisation des intérêts,
- Dit que l'exécution provisoire est de droit,
- Condamne la société Incomm SAS à payer à la société Gier Motoculture SAS la somme de 2.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne la société Incomm SAS aux dépens.,
- Déboute les sociétés Incomm et Locam- Location Automobiles Matériels SAS de l'ensemble de leurs demandes contre la société Gier Motoculture SAS,
Infirmer le jugement en ce qu'il :
- Déboute la société Gier Motoculture SAS de toutes ses demandes à l'encontre
de la société Locam- Location Automobiles Matériels SAS,
- Déboute la société Gier Motoculture du surplus de ses demandes,
Statuer à nouveau
Condamner la société Locam- Location Automobiles Matériels à restituer à la société Gier Motoculture SAS, la somme de 6511,59 euros avec intérêts calculés selon les modalités de l'article L.242-4 du code de la consommation ;
Premier niveau de subsidiarité
Si la Cour ne confirme pas l'annulation du contrat pour erreur sur les qualités essentielles du site internet, il lui est demandé d'annuler le contrat notamment pour les motifs suivants :
- indétermination de l'obligation essentielle de référencement,
- Stipulation d'obligations sans contrepartie,
- violation de l'obligation d'information sur le droit de rétractation, ou de déclarer le contrat anéanti par l'effet de la rétractation exercée par la société Gier Motoculture le 08/11/2021,
- violation de l'obligation d'information sur le total des coûts mensuels,
- violation de l'obligation d'information sur le délai de livraison ou d'exécution des
différentes prestations,
- Violation de l'obligation d'information sur les caractéristiques essentielles du bien et des services,
En conséquence,
- Débouter les sociétés Incomm et Locam-Location Automobiles Matériels de l'ensemble de leurs demandes,
- Condamner les sociétés Incomm et Locam- Location Automobiles Matériels à restituer respectivement à la société Gier Motoculture la somme de 1291,20 euros et celle de 6511,59 euros avec intérêts calculés selon les modalités de l'article L.242-4 du code de la consommation,
Second niveau de subsidiarité
- Prononcer la résolution du contrat litigieux et ce, avec effet rétroactif à la date de sa conclusion,
En conséquence,
- Débouter les sociétés Incomm et Locam-Location Automobiles Matériels de l'ensemble de leurs demandes,
- Condamner les sociétés Incomm et Locam-Location Automobiles Matériels à restituer respectivement à la société Gier Motoculture la somme de 1291,20 euros et celle de 6511,59 euros, avec les intérêts calculés au taux légal à compter de l'assignation,
En tout état de cause,
- Débouter la société Locam- Location Automobiles Matériels de toutes ses demandes,
- Condamner la société Locam- Location Automobiles Matériels à restituer à la société Gier Motoculture, la somme de 6511,59 euros avec les intérêts calculés au taux légal à compter de l'assignation,
- Condamner in solidum les sociétés Incomm et Locam- Location Automobiles Matériels à verser à la société Gier Motoculture la somme de 4000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure en appel.
[*]
5 - Par dernières écritures notifiées par message électronique le 3 avril 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Locam demande à la cour de :
Vu les articles L221-3, L221.5, L 221.18, L 221-28 du code de la consommation Vu les articles 1101, 1216 et suivants du code civil
Vu les stipulations contractuelles notamment l'article 12.02
Juger la SAS Incomm recevable et bien fondée en son appel sauf en ce qu'il tend à la réformation du jugement qui a débouté la société Gier Motoculture de ses demandes à l'encontre de la société LOCAM,
Débouter la société Gier Motoculture de son appel incident,
Faisant droit à l'appel incident de la SAS Locam
Infirmer le jugement du 4 septembre 2023 en ce qu'il a fait droit à la demande de nullité du contrat conclu entre la société Gier Motoculture et la société Incomm.
Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Gier Motoculture de ses demandes à l'encontre de la société Locam.
En toutes hypothèses,
Débouter La SAS Gier Motoculture de sa demande tendant à voir valider sa rétractation.
Débouter La SAS Gier Motoculture de ses demandes d'annulation pour quelque motif que ce soit et de résolution du contrat de licence d'exploitation de site internet.
Débouter la SAS Gier Motoculture de sa demande tendant à voir annuler la cession du contrat au profit de la SAS L Locam.
En conséquence débouter la SAS Gier Motoculture de sa demande de caducité du contrat de location financière et de ses demandes de restitution.
Condamner la SAS Gier Motoculture à payer à la SAS Locam une
indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Condamner la SAS Gier Motoculture aux entiers dépens.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la nullité pour erreur sur les qualités substantielles :
Moyens des parties :
- La société Incomm conteste toute nullité pour cause d'erreur sur les qualités essentielles du site. Elle relève que l'objet du contrat est licite, que le motif d'erreur invoqué par la société Gier Motoculture est étranger aux qualités essentielles de la prestation et que la nullité du contrat ne concerne pas les éventuels défauts d'exécution.
- La société Locam observe que l'argument tiré d'une erreur sur les qualités substantielles relève davantage des conditions d'exécution du contrat que de ses conditions de formation.
- La société Gier Motoculture soutient que le contrat est nul pour erreur sur les qualités substantielles du site internet sur le fondement des articles 1132 et 1133 du code civil, puisque le site en cause www.gier-motoculture.fr a été conçu et paramétré pour collecter de manière illégale les données personnelles des internautes à par le biais de cookies publicitaires, le tout au nom et à l'insu de la société Gier Motoculture et qu'il existait en outre une collecte illégale de données personnelles (nom, adresse, numéro de téléphone, mail) via un formulaire de contact présent sur le site, sans aucune des mentions d'information rendues obligatoires par l'article 13 du règlement général de protection des données (RGPD).
Réponse de la cour :
- Selon les dispositions de l'article 1133 du code civil, les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté.
L'erreur est une cause de nullité qu'elle porte sur la prestation de l'une ou de l'autre partie.
- Il est constant par ailleurs que l'erreur doit être démontrée par comparaison entre la croyance initiale du demandeur à l'action, en ce qui concerne la qualité essentielle attendue d'une chose ou d'une prestation, et la réalité, appréciée elle-même à la date de conclusion du contrat.
- Le fait, allégué par la société Gier Motoculture, que le site internet conçu et paramétré par la société Incomm (www.gier-motoculture.fr) collecte de manière illégale les données personnelles des internautes qui s'y connectent, ne peut constituer un motif d'annulation pour cause d'erreur, puisque le grief concerne exclusivement les conditions dans lesquelles la société Incomm a exécuté ses prestations.
Or, il n'est pas démontré que le mode opératoire habituellement mis en œuvre par Incomm dans la conception des sites impliquait nécessairement, pour le contrat conclu avec M. X. comme pour les autres, une réalisation finale non conforme aux règles de protection des données personnelles des internautes.
- Il en résulte que la demande en nullité du contrat doit être rejetée pour ce motif.
Sur les autres motifs de nullité du contrat :
- La société Gier Motoculture sollicite la nullité du contrat pour la violation de l'obligation d'information (sur le droit de rétractation, sur les coûts mensuels, sur le délai de livraison et sur les caractéristiques essentielles du bien ou service), en raison de la stipulation d'obligations sans contrepartie et pour indétermination de l'obligation essentielle de référencement.
- Sur la demande de nullité au titre du droit de la consommation :
Moyens des parties :
- La société Incomm soutient que la législation sur les contrats souscrits hors établissement ne peut s'appliquer en l'espèce, et que selon les dispositions de l'article L. 221-28 du code de la consommation, le droit de rétractation ne peut être exercé pour les contrats de fourniture de biens à confectionner selon les spécifications du consommateur ou nettement personnalisés ce qui est le cas de la création d'un site Internet personnalisé.
Elle relève que l'article 17.1 des conditions générales rappelle les conditions d'exercice éventuel du droit de rétractation.
- La société Locam indique que le contrat d'exploitation de site internet ne saurait relever des dispositions du code de la consommation.
- La société Gier Motoculture fait valoir qu'en application des dispositions du code de la consommation, la société Incomm a manqué à son obligation d'information sur le droit de rétractation, le total des coûts mensuels, le délai de livraison ou d'exécution des prestations et sur les caractéristiques essentielles du bien et des services.
Elle soutient que les dispositions de l'article L. 221-3 du code de la consommation sont applicables à l'opération contractuelle, conclu hors établissement à la suite démarchage physique, puisque la location d'un site internet n'entre pas dans le cadre de son activité principale.
Réponse de la cour :
Sur l'application du code de la consommation :
- Selon les dispositions de l'article L.221-3 du code de la consommation, les dispositions des sections 2, 3, 6 du chapitre 1er « Contrats conclus à distance et hors établissement » applicables aux relations entre consommateurs et professionnels sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq.
Trois conditions cumulatives doivent donc être réunies pour que le professionnel puisse se prévaloir ces dispositions et soit ainsi assimilé à un consommateur :
- le contrat doit être conclu à distance ou hors établissement,
- l'objet du contrat ne doit pas entrer dans le champ de l'activité principale du professionnel qui entend se prévaloir de ces dispositions,
- ledit professionnel doit employer moins de 5 salariés.
- Selon les dispositions de l'article L. 221-1 2° du code de la consommation, reçoit la qualification de contrat hors établissement tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur :
a) Dans un lieu qui n'est pas celui où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle, en la présence physique simultanée des parties, y compris à la suite d'une sollicitation ou d'une offre faite par le consommateur ;
b) Ou dans le lieu où le professionnel exerce son activité en permanence ou de manière habituelle ou au moyen d'une technique de communication à distance, immédiatement après que le consommateur a été sollicité personnellement et individuellement dans un lieu différent de celui où le professionnel exerce en permanence ou de manière habituelle son activité et où les parties étaient, physiquement et simultanément, présentes ;
c) Ou pendant une excursion organisée par le professionnel ayant pour but ou pour effet de promouvoir et de vendre des biens ou des services au consommateur.
- L'article 17.1des conditions générales du contrat de licence stipule :
« Sous réserve que le contrat entre dans le cadre de l'application des articles L. 121-20-12 et suivants du code de la consommation, notamment lorsque l'effectif du partenaire est inférieur ou égal à cinq, celui-ci dispose d'un délai de quatorze jours calendaires à compter de la signature du présent Contrat, pour exercer s'il le souhaite son droit de rétractation. »
- En l'espèce, il ressort des mentions du contrat litigieux que celui-ci a été signé à [Localité 5], donc hors établissement, la société Incomm ayant son siège social à [Localité 3]. Par ailleurs, l'attestation URSSAF établit que la société Gier Motoculture n'employait aucun salarié.
Enfin, la société Gier Motoculture est spécialisée dans la réparation de machines et équipements mécaniques. La location d'un site Internet n'entre pas dans le champ de son activité principale, celui-ci n'étant qu'un support destiné à développer sa clientèle, dans un but de promotion de son activité manuelle. L'objet du contrat n'entre donc pas dans le champ d'activité principal de la société Gier Motoculture.
En conséquence, la cour considère que le contrat litigieux remplit les conditions posées par l'article L. 221-3 du code de la consommation.
Sur le droit de rétractation
- Selon les dispositions de l'article L.221-9 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur au 28 octobre 2020, le professionnel fournit au consommateur un exemplaire daté du contrat conclu hors établissement, sur papier signé par les parties ou, avec l'accord du consommateur, sur un autre support durable, confirmant l'engagement exprès des parties.
Ce contrat comprend toutes les informations prévues à l'article L. 221-5.
Le contrat mentionne, le cas échéant, l'accord exprès du consommateur pour la fourniture d'un contenu numérique indépendant de tout support matériel avant l'expiration du délai de rétractation et, dans cette hypothèse, le renoncement de ce dernier à l'exercice de son droit de rétractation.
Le contrat est accompagné du formulaire-type de rétractation mentionné au 2° de l'article L. 221-5.
- Aux termes de l'article L221-20 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, lorsque les informations relatives au droit de rétractation n'ont pas été fournies au consommateur dans les conditions prévues au 2° de l'article L. 221-5, le délai de rétractation est prolongé de douze mois à compter de l'expiration du délai de rétractation initial, déterminé conformément à l'article L. 221-18.
- L'exercice du droit de rétractation doit répondre aux conditions prévues par l'article L.221-21 du code de la consommation selon lequel le consommateur exerce son droit de rétractation en informant le professionnel de sa décision de se rétracter par l'envoi, avant l'expiration du délai prévu à l'article L. 221-18, du formulaire de rétractation mentionné au 2° de l'article L. 221-5 ou de toute autre déclaration, dénuée d'ambiguïté, exprimant sa volonté de se rétracter.
- La société Incomm et la société Locam soutiennent, à tort, que le contrat de licence d'exploitation de site internet ne pourrait donner lieu à l'exercice du droit de rétractation, en invoquant les dispositions de l'article L.221-28 du code de la consommation, selon lesquelles le droit de rétractation ne peut être exercé pour les contrats de fourniture de biens confectionnés selon les spécifications du consommateur ou nettement personnalisés.
Ces dispositions précitées doivent être d'interprétation stricte, dès lors qu'elles ont pour conséquence de limiter les droits octroyés à un professionnel, qui, par l'effet de la loi, se trouve assimilé à un consommateur pour l'exercice de certains droits dans le cadre d'un contrat conclu hors établissement.
- En l'espèce, le contrat du 28 octobre 2020 ne concerne pas la fourniture d'un bien, à savoir un objet mobilier corporel, mais une prestation de services à savoir la conception, la création, la réalisation d'un site internet, son hébergement, son référencement et la location du site web.
L'exception prévue par l'article L.221-28 ° du code de la consommation ne peut donc trouver à s'appliquer.
- En toutes hypothèses, si elle estimait que le droit de rétractation n'était pas applicable à l'opération contractuelle envisagée, il incombait à la société Incomm de respecter les dispositions de l'article L.221-5-5° du code de la consommation, et d'en aviser préalablement la société Gier Motoculture de manière compréhensible.
- Ainsi, préalablement à la conclusion du contrat de licence d'exploitation du site internet, et par application des articles L.221-9, L.221-5 et L.111-1 du code de la consommation, la société Incomm devait communiquer à la société Gier Motoculture de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes :
- en l'absence d'exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s'engage à délivrer le bien ou à exécuter le service ;
- lorsque le droit de rétractation existe, les conditions, le délai et les modalités d'exercice de ce droit ainsi que le formulaire type de rétractation, dont les conditions de présentation et les mentions qu'il contient sont fixées par décret en Conseil d'Etat.
- La société Gier Motoculture fait valoir à juste titre que le contrat conclu le 28 octobre 2020 ne comporte pas d'information exacte et compréhensible sur les conditions, le délai et les modalités d'exercice de ce droit de rétractation.
- En l'espèce, l'article 17.1 des conditions générales stipule: ‘sous réserve que le contrat entre dans le cadre de l'application des articles L.121-20-12 et suivants du code de la consommation, notamment lorsque l'effectif du partenaire est inférieur ou égal à cinq, celui-ci dispose d'un délai de quatorze jours calendaires à compter de la signature du présent contrat pour exercer s'il le souhaite son droit de rétractation. Si le partenaire souhaite se rétracter, il lui appartient de notifier sa décision au fournisseur par tout moyen, le cas échéant au moyen du bordereau de rétractation ci-dessous, au plus tard le quatorzième jour suivant la signature du contrat, et de joindre un document officiel type récépissé DADSU de l'année en cours, justifiant l'effectif de son entreprise au jour de signature du contrat, étant entendu que la charge de la preuve de l'exercice du droit de rétractation dans les conditions légales pèse sur le partenaire. (...) À défaut d'exercice par le partenaire de la faculté légale de rétractation ou si la demande de rétractation ne respecte pas les conditions exposées ci-dessus(souligné par la cour) et en cas de résiliation à l'initiative du partenaire avant la signature du procès-verbal de livraison du site Internet, le partenaire versera au fournisseur une indemnité égale à 40 % de la totalité des échéances dues en vertu du contrat.
- Il sera relevé en premier lieu que la référence faite à l'article L.121-20-12 du code de la consommation est erronée puisque cet article n'existait pas à la date du contrat, de sorte que la société Gier Motoculture n'était pas en mesure de saisir, à la lecture de la clause, si sa situation lui permettait ou non d'exercer le droit de rétractation. Les dispositions d'ordre public du code de la consommation applicables en matière d'exercice du droit de rétractation n'étaient pas rappelées, ni leur contenu.
- Par ailleurs, la rédaction ambiguë de l'article 17.1 des conditions générales de vente laisse à penser que pour être régulier et éviter au contractant le paiement d'une indemnité de 40 % du montant des échéances, le droit de rétractation doit obligatoirement s'accompagner de l'envoi concomitant d'un justificatif concernant l'effectif de l'entreprise.
- Il en résulte que l'information donnée à la société Gier Motoculture sur les conditions d'exercice du droit de rétractation n'était pas compréhensible.
La clause figurant en page 1 du contrat (Information précontractuelle), par laquelle la société Gier Motoculture reconnaît avoir reçu du fournisseur avant la signature du contrat les informations prévues par les articles L. 111-1 et L. 221-5 du code de la consommation constitue seulement un indice qu'il incombait à la société Incomm de corroborer par plusieurs éléments complémentaires ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
- Dès lors que les informations relatives à l'exercice du droit de rétractation ne lui ont pas été fournies dans les conditions prévues à l'article L. 221-5 7° du code de la consommation, la société Gier Motoculture était fondée, par application de l'article L.221-20 alinéa 1er du même code, à notifier aux société Incomm et Locam l'exercice de ce droit de rétractation par l'intermédiaire de son conseil, ce qui a été fait de manière claire et exprès en page 2 des deux lettres recommandées avec accusé de réception du 8 novembre 2021. En effet, le délai de rétractation se trouvait ainsi prolongé de 12 mois à compter de l'expiration du délai de rétractation initial, tel que déterminé conformément à l'article L.221-18.
- En application des articles L. 221-24 et L.221-27 du code de la consommation, l'exercice régulier du droit de rétractation par la société Gier Motoculture a mis fin aux obligations des parties d'exécuter le contrat, et les professionnels ont l'obligation de rembourser les sommes reçues.
- Le tribunal a fait droit à la demande de nullité du contrat et a condamné la société Incomm à payer la somme de 1291, 20 euros avec intérêts au taux légal, au titre des frais d'adhésion.
Sa décision sera donc confirmée par substitution de motifs.
Sur les rapports entre la société Gier Motoculture et la société Locam et sur les conséquences de l'anéantissement du contrat de licence d'exploitation de site internet :
Moyens des parties :
- La société Gier Motoculture soutient n'avoir aucun lien contractuel avec la société Locam, qui prouve seulement la charge du site Internet, mais non la cession du contrat portant sur le site, qui n'a pas été conclu par écrit et de sorte qu'elle n'a aucun droit à percevoir les loyers.
- La société Locam soutient, au visa de l'article 12.02 du contrat du 28 octobre 2020 et de l'article 1216 du code civil, que la société Gier Motoculture a consenti à la cession du contrat, dès la signature de celui-ci, selon les termes de l'article 12.02 des conditions générales, qu'elle a d'ailleurs signé un mandat de prélèvement au profit de la société Locam en étant destinataire de la facture d'échéances, dont elle s'est au demeurant acquittée.
Réponse de la cour :
- Selon les dispositions de l'article 1216 du code civil, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l'accord de son cocontractant, le cédé.
Cet accord peut être donné par avance, notamment dans le contrat conclu entre les futurs cédant et cédé, auquel cas la cession produit effet à l'égard du cédé lorsque le contrat conclu entre le cédant et le cessionnaire lui est notifié ou lorsqu'il en prend acte.
La cession doit être constatée par écrit, à peine de nullité.
- En l'espèce, lors de la conclusion du contrat de licence d'exploitation de site internet le 28 octobre 2020, la société Gier Motoculture a consenti, par avance, à sa cession au profit de diverses sociétés nommément désignées, dont la société Locam, en vertu des dispositions de l'article 12.02 du contrat.
- Par ailleurs, en l'absence de toute forme prescrite par l'article 1216 alinéa 3, l'attestation de cession de contrat (pièce 73 Incomm), fait suffisamment la preuve de la cession du contrat de licence, au profit de la société Locam, moyennant paiement de la facture d'acquisition n°FV025066, en date du 1er décembre 2020, ayant donné lieu ensuite à la facture unique de loyers du 7 décembre 2020 adressée à la société Gier Motoculture.
- Dès lors que le contrat cédé a été anéanti par l'effet de la nullité, la société Locam doit être déboutée de ses demandes en paiement, et doit restituer les sommes perçues, qui n'ont plus de fondement contractuel..
- La décision du tribunal sera donc infirmée de ce chef.
- Il convient en conséquence de condamner la société Locam à payer à la société Gier Motoculture la somme de 6 511, 59 euros au titre de la restitution des loyers.
Dès lors que ces sommes n'ont pas été restituées dans le délai de 14 jours, elles produisent intérêt au taux légal majoré, dans les conditions prévues par l'article L. 242-4 du code de la consommation.
Sur les demandes accessoires :
- Echouant toutes deux en leurs prétentions, la société Incomm et la société Locam seront condamnées in solidum aux dépens d'appel et à verser la somme de 3.000 euros à la société Gier Motoculture au titre de ses frais irrépétibles d'appel ; le jugement étant confirmé en ce qui concerne les dépens et frais irrépétibles de première instance.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 4 septembre 2023 en ce qu'il a débouté la société Gier Motoculture SAS de toutes ses demandes à l'encontre de la société Locam SAS,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société Locam à restituer à la société Gier Motoculture la somme de
6 511, 59 euros au titre des loyers,
Dit que cette condamnation produit intérêt au taux légal, à compter de l'assignation, dans les conditions prévues par l'article L.242-4 du code de la consommation,
Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions,
Déboute la société Incomm et la société Locam de leurs demandes,
Condamne in solidum la société Incomm et la société Locam aux dépens d'appel,
Condamne in solidum la société Incomm et la société Locam à payer à la société Gier Motoculture la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président