TJ ÉVREUX (Jex), 6 janvier 2025
CERCLAB - DOCUMENT N° 24391
TJ ÉVREUX (Jex), 6 janvier 2025 : RG n° 24/00045
Publication : Judilibre
Extrait : « Aux termes de l’article L. 212-1 du code de la consommation, « […]. » Les clauses abusives sont réputées non écrites en application de l’article 1171 du code civil. En vertu de l’article 1226 du code civil, « […]. »
En l’espèce, outre l’absence de titre exécutoire, il sera fait observer qu’en permettant au créancier poursuivant de prononcer les déchéances du terme par simple lettre recommandée avec accusé de réception sans mise en demeure préalable, les clauses d’exigibilité anticipée des contrats de prêts (articles 6.3) revêtent un caractère abusif et doivent être réputées non écrites.
Ainsi, en l’absence de clause résolutoire et de dispositions particulières du code de la consommation encadrant la mise en œuvre de la déchéance du terme d’un prêt immobilier, il convient de se reporter aux dispositions générales applicables aux contrats. En considération de la date de conclusion des offres de prêts, sont opposables au créancier poursuivant les dispositions créées par l’ordonnance du 10 février 2016 et notamment le nouvel article 1226 du code civil encadrant précisément la résiliation unilatérale des contrats.
Conformément audit article ci-avant littéralement reproduit, la régularité de la résiliation unilatérale suppose qu’il soit justifié de la gravité de l’inexécution, d’une mise en demeure préalable contenant délai raisonnable de préavis et d’une notification de ladite résiliation contenant les raisons qui la motivent. Or, il s’évince des pièces versées aux débats que les défendeurs ont été, par courrier recommandé du 1er septembre 2021, mis en demeure de régler leur situation d’impayés avant le 11 septembre 2021, soit dans un délai théorique de dix jours. En effet, force est de constater que ledit courrier n’a été présenté et distribué par les services postaux que le 6 septembre 2021 laissant, ainsi, en pratique aux consorts Y. qu’un délai de cinq jours pour régulariser leur situation.
A toutes fins utiles, il sera rappelé qu’en considération du dernier état de la jurisprudence interne rendue en matière de clause abusive, il a été jugé qu’une clause de déchéance du terme stipulant la résiliation de plein droit du contrat de prêt, quinze jours après une simple mise en demeure adressée à l'emprunteur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement (Cour de cassation, première chambre civile 29/05/2024 n°23-12.904). Partant, le délai de préavis contenu dans ce courrier de mise en demeure ne saurait être considéré comme raisonnable.
Ainsi, outre que le créancier poursuivant se révèle défaillant à produire un titre exécutoire, il y a lieu de considérer, en tout état de cause, irrégulières les déchéances du terme des prêts litigieux et subséquemment non exigibles les sommes réclamées en vertu de telles déchéances, soit les sommes réclamées au titre du capital restant dû et de l’indemnité forfaitaire.
Dans ces circonstances, le créancier poursuivant sera débouté de l’intégralité de ses demandes et la demande des défendeurs tendant à se voir autoriser à poursuivre la vente amiable du bien saisi, bien que recevable, devient, en tout état de cause, sans objet. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE D’ÉVREUX
JUGE DE L’EXÉCUTION
JUGEMENT DU 6 JANVIER 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° RG 24/00045. N° Portalis DBXU-W-B7I-HYDW.
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : Marine DURAND, juge de l’exécution Statuant par application de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire
Greffier : Audrey JULIEN
PARTIES :
Créancier poursuivant :
SA CRÉDIT FONCIER ET COMMUNAL D’ALSACE ET DE LORRAINE BANQUE
[Adresse 2], [Adresse 2], représenté par Maître Jean-Michel EUDE, avocat au barreau de l’Eure
Débiteurs saisis :
Madame X. épouse Y.
née le [Date naissance 1] à [Localité 9], [Adresse 12], [Adresse 12], Comparante
Monsieur Y.
né le [Date naissance 5] à [Localité 11], [Adresse 12], [Adresse 12], Comparant
Créancier inscrit :
CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL NORMANDIE
chez Maître Z., Notaire, [Adresse 3], [Adresse 3], non comparante
DÉBAT : en audience publique du 4 novembre 2024
Jugement réputé contradictoire en premier ressort prononcé par mise à disposition au greffe par application de l’article 453 du Code de Procédure Civile.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Suivant commandement de payer valant saisie immobilière délivré à personne et à domicile le 3 avril 2024, et publié le 24 mai 2024 au Service de la Publicité Foncière d’EVREUX Volume 2024 S numéro 40, le CRÉDIT FONCIER ET COMMUNAL D’ALSACE ET DE LORRAINE a fait saisir un bien immobilier appartenant à Monsieur Y. et à Madame X. épouse Y. (ci-après dénommés « les consorts Y. ») et situé sur la commune du [Adresse 12] et [Adresse 4], cadastré [Cadastre 6] section AI numéros [Cadastre 7] et [Cadastre 8].
Par acte d’huissier du 21 juin 2024 délivré selon les mêmes modalités, le Crédit Foncier et Communal d’Alsace et de Lorraine-Banque a assigné les consorts Y. devant le juge de l’exécution de ce tribunal au visa des articles R. 322-4 et suivants du code des procédures civiles d’exécution aux fins notamment de :
- statuer sur la validité de la présente procédure,
- statuer sur les éventuelles contestations et demandes incidentes,
- mentionner le montant de sa créance,
- déterminer les modalités de la poursuite,
- condamner les consorts Y. à lui payer la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par acte d’huissier du même jour, le Crédit Foncier et Communal d’Alsace et de Lorraine-Banque a dénoncé le commandement susvisé à la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE SEINE, en sa qualité de créancier inscrit au jour de la publication dudit commandement.
Le cahier des conditions de vente a été déposé au Greffe du juge de l'exécution du tribunal judiciaire d’Evreux le 25 juin 2024.
Appelée à l’audience du 9 septembre 2024, l’affaire a fait l’objet d’un unique renvoi avant d’être retenue à l’audience du 4 novembre 2024.
A cette occasion, le créancier poursuivant, représenté par son conseil, s’en est rapporté à son assignation en procédant au dépôt de son dossier. Il est précisé qu’à l’occasion de l’audience du 9 septembre 2024, il était mis dans les débats les dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives et à la prescription biennale.
Les consorts Y. ont sollicité l’autorisation de poursuivre la vente amiable du bien saisi et ont été autorisés à produire en délibéré sous quinzaine les pièces justificatives tandis que le créancier poursuivant a été autorisé à faire connaître sa position sur cette demande dans un délai de trois semaines.
L’affaire a été mise en délibéré au 6 janvier 2025 par mise à disposition au greffe.
Par courriel adressé le 10 novembre 2024 au greffe du juge de l’exécution, les consorts Y. ont transmis un mandat de vente.
Par courrier adressé le 19 novembre 2024 au greffe du juge de l’exécution, le créancier poursuivant a indiqué ne pas s’opposer la demande de vente amiable présentée par les consorts Y.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Conformément à l’article R. 322-15 du code des procédures civiles d'exécution, à l'audience d'orientation, le juge de l'exécution, après avoir entendu les parties présentes ou représentées, vérifie que les conditions des articles L. 311-2, L. 311-4 et L.311-6 sont réunies, statue sur les éventuelles contestations et demandes incidentes et détermine les modalités de poursuite de la procédure, en autorisant la vente amiable à la demande du débiteur ou en ordonnant la vente forcée. Lorsqu'il autorise la vente amiable, le juge s'assure qu'elle peut être conclue dans des conditions satisfaisantes compte tenu de la situation du bien, des conditions économiques du marché et des diligences éventuelles du débiteur.
Et, en application de l’article R.322-18 du code des procédures civiles d'exécution, le jugement d'orientation mentionne le montant retenu pour la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires.
En matière de saisie immobilière, pour fixer le montant de la créance du poursuivant en application de l'article R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution est tenu de vérifier que celui-ci est conforme aux énonciations du titre exécutoire fondant les poursuites, en application des dispositions de l'article R. 322-15 du même code, que le débiteur conteste ou non ce montant. S'il doit procéder d'office à cette vérification, il exerce, en outre, en tant que juge du principal, l'office qui lui est imparti par le code de procédure civile ou par des dispositions particulières.
Sur la régularité de procédure :
Conformément aux dispositions combinées des articles R. 322-15 et L. 311-2, 4 et 6 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution est tenu de vérifier d’office que le créancier agit sur le fondement d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible, que la poursuite n’est pas engagée pendant le délai d’opposition à une décision rendue par défaut, la vente forcée ne pouvant quoi qu’il en soit intervenir sur le fondement d’un titre exécutoire par provision et que la saisie porte sur des droits réels afférents aux immeubles, y compris leurs accessoires réputés immeubles, susceptibles de faire l'objet d'une cession.
En application de l’article L. 311-1 du code des procédures d’exécution, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut procéder à une saisie immobilière dans les conditions fixées par le présent livre et par les dispositions qui ne lui sont pas contraires du livre Ier.
Sur le titre exécutoire :
En vertu de l’article L. 111-3 4° du code des procédures civiles d’exécution, « seuls constituent des titres exécutoires :
4° les actes notariés revêtus de la formule exécutoire. »
En l’espèce, le créancier poursuivant déclare poursuivre le recouvrement de sa créance en vertu de la copie authentique d'un acte notarié contenant prêts dressé le 30 avril 2021 par Maître [S] [E], notaire à [Localité 10], et consenti par le Crédit Foncier et Communal d’Alsace et de Lorraine – Banque aux consorts Y. dans les conditions suivantes :
Prêt de regroupement de crédits n°207705-300529 et portant sur un montant de 123.000 euros remboursable en 240 mensualités au taux fixe de 1,95 % l’an ; Prêt de regroupement de crédits n°207705-300984 et portant sur un montant de 26.000 euros remboursable en 240 mensualités au taux fixe de 2,60% l’an. En garantie des engagements souscrits, le bien saisi fait l’objet de deux inscriptions d’hypothèque conventionnelle publiées et enregistrées le 18 mai 2021 sous les références Volume 2021 V n°1988.
Il sera rappelé qu’en vertu des dispositions précitées, seul constitue un titre exécutoire l’acte notarié revêtu de la formule exécutoire. Or, force est de constater que la copie versée aux débats est dépourvue de toute formule exécutoire et ne saurait, ainsi, constituer un titre exécutoire.
Sur la régularité des déchéances du terme :
Aux termes de l’article L. 212-1 du code de la consommation, « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution.
L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »
Les clauses abusives sont réputées non écrites en application de l’article 1171 du code civil.
En vertu de l’article 1226 du code civil, « le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.
Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.
Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution. »
En l’espèce, outre l’absence de titre exécutoire, il sera fait observer qu’en permettant au créancier poursuivant de prononcer les déchéances du terme par simple lettre recommandée avec accusé de réception sans mise en demeure préalable, les clauses d’exigibilité anticipée des contrats de prêts (articles 6.3) revêtent un caractère abusif et doivent être réputées non écrites.
Ainsi, en l’absence de clause résolutoire et de dispositions particulières du code de la consommation encadrant la mise en œuvre de la déchéance du terme d’un prêt immobilier, il convient de se reporter aux dispositions générales applicables aux contrats. En considération de la date de conclusion des offres de prêts, sont opposables au créancier poursuivant les dispositions créées par l’ordonnance du 10 février 2016 et notamment le nouvel article 1226 du code civil encadrant précisément la résiliation unilatérale des contrats.
Conformément audit article ci-avant littéralement reproduit, la régularité de la résiliation unilatérale suppose qu’il soit justifié de la gravité de l’inexécution, d’une mise en demeure préalable contenant délai raisonnable de préavis et d’une notification de ladite résiliation contenant les raisons qui la motivent.
Or, il s’évince des pièces versées aux débats que les défendeurs ont été, par courrier recommandé du 1er septembre 2021, mis en demeure de régler leur situation d’impayés avant le 11 septembre 2021, soit dans un délai théorique de dix jours. En effet, force est de constater que ledit courrier n’a été présenté et distribué par les services postaux que le 6 septembre 2021 laissant, ainsi, en pratique aux consorts Y. qu’un délai de cinq jours pour régulariser leur situation.
A toutes fins utiles, il sera rappelé qu’en considération du dernier état de la jurisprudence interne rendue en matière de clause abusive, il a été jugé qu’une clause de déchéance du terme stipulant la résiliation de plein droit du contrat de prêt, quinze jours après une simple mise en demeure adressée à l'emprunteur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement (Cour de cassation, première chambre civile 29/05/2024 n°23-12.904). Partant, le délai de préavis contenu dans ce courrier de mise en demeure ne saurait être considéré comme raisonnable.
Ainsi, outre que le créancier poursuivant se révèle défaillant à produire un titre exécutoire, il y a lieu de considérer, en tout état de cause, irrégulières les déchéances du terme des prêts litigieux et subséquemment non exigibles les sommes réclamées en vertu de telles déchéances, soit les sommes réclamées au titre du capital restant dû et de l’indemnité forfaitaire.
Dans ces circonstances, le créancier poursuivant sera débouté de l’intégralité de ses demandes et la demande des défendeurs tendant à se voir autoriser à poursuivre la vente amiable du bien saisi, bien que recevable, devient, en tout état de cause, sans objet.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le juge de l’exécution,
CONSTATE le caractère non écrit des clauses « Cas d’exigibilité anticipée du prêt » des articles 6.3 des conditions générales des contrats de prêt consentis par le CREDIT FONCIER ET COMMUNAL D’ALSACE ET DE LORRAINE à Monsieur Y. et à Madame X. épouse Y. et constatés par acte reçu le 30 avril 2021 par Maître [S] [E];
DEBOUTE le CREDIT FONCIER ET COMMUNAL D’ALSACE ET DE LORRAINE de l’intégralité de ses demandes ;
DIT n’y avoir lieu à statuer sur la demande de Monsieur Y. et de Madame X. épouse Y. aux fins d’autorisation de poursuivre la vente amiable du bien saisi ;
CONDAMNE le CREDIT FONCIER ET COMMUNAL D’ALSACE ET DE LORRAINE aux entiers dépens de l’instance.
Ainsi jugé et ont signé le 6 janvier 2025
LE GREFFIER LE JUGE DE L'EXÉCUTION
- 6152 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit postérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 et à la loi du 20 avril 2018 - Art. 1171 C. civ. – Articulation avec d’autres dispositions
- 9752 - Code civil - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Art. 1171 C. civ. (Ord. 10 février 2016 – L. ratif. 20 avril 2018). – Présentation par contrat – Financement