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CA COLMAR (1re ch. civ. A), 22 octobre 2025

Nature : Décision
Titre : CA COLMAR (1re ch. civ. A), 22 octobre 2025
Pays : France
Juridiction : Colmar (CA), 1re ch. civ. sect. A
Demande : 22/00129
Décision : 431/25
Date : 22/10/2025
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Judilibre
Numéro de la décision : 431
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CERCLAB - DOCUMENT N° 24497

CA COLMAR (1re ch. civ. A), 22 octobre 2025 : RG n° 22/00129 ; arrêt n° 431/25 

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « Certes, la société appelante fait valoir qu'elle n'aurait pas souscrit auxdites conditions générales, dont elle conteste, dès lors, l'opposabilité à sa personne, faute pour elle de les avoir signées, tout comme d'ailleurs celles relatives à la convention Filbanque. Toutefois, comme l'ont justement rappelé les premiers juges, la convention de compte liant la société ACE Transports à la SA Banque CIC Est porte la mention « Je reconnais avoir reçu en temps utile les conditions générales correspondantes, en avoir pris connaissance et les approuver entièrement », qui précède la signature des parties, tout comme c'est le cas pour la convention Filbanque, de sorte que, dans ces deux cas, l'appelante n'est pas fondée à invoquer l'absence de signature des conditions générales pour se les rendre inopposables. »

2/ « L'appelante soutient que la clause prévue à l'article 4.5.1, contenant la prescription abrégée, ne lui est pas non plus opposable du fait de son caractère non apparent et non identifiable, mais aussi de son absence de clarté et de précision.

Or, d'une part, la société ACE Transports ne peut utilement invoquer le défaut d'apparence et d'identifiabilité de l'article litigieux, alors qu'en ratifiant la convention de compte, celle-ci a reconnu, par là-même, non seulement avoir reçu les conditions générales correspondantes, mais plus encore « en avoir pris connaissance et les approuver entièrement ». Qui plus est, la jurisprudence qu'elle invoque en appui retient, pour les déclarer inopposables, que les conditions étaient rédigées « dans un texte à la police très petite, difficilement lisible et en langue anglaise, que la seule mention de « limites de responsabilité » sur la télécopie est insuffisante pour qu'il soit admis que la société Goss a été informée du contenu des limitations, qu'il n'est fait aucune référence aux clauses particulières contenant une limitation de responsabilité ou d'indemnisation […] » (Cass, Com., 27 novembre 2007, n° 06-16.523, non publié), ce qui n'est manifestement pas le cas dans la présente espèce.

D'autre part, concernant l'intelligibilité de l'article 4.5.1, dernier paragraphe cité plus haut, il s'en comprend aisément que les actions et exceptions stipulées ont pour but de faire obstacle à toutes contestations afférentes aux opérations effectuées et ce, dans le cadre indiqué, lequel cadre se voulant particulièrement large (‘le cadre du compte courant ou au contenu des relevés, arrêtés de comptes, tickets d'agios, »). S'agissant de la notion d'opération, il convient de se référer à l'article 4.3.2.1, premier paragraphe, qui précise : « Une opération de paiement (ci-après « Opération de paiement ») est une action consistant à verser, transférer ou retirer des fonds, ordonné par le CLIENT ou le bénéficiaire de l'Opération de paiement. » Il s'en déduit sans équivoque que la notion d'opération de l'article 4.5.1 renvoie, entre autres, aux opérations de paiement et que les chèques, en tant que moyen de paiement, sont compris dans cette notion.

Enfin, l'article 1190 du code civil, qui n'est pas applicable à la cause dans la version invoquée, implique de se référer à l'article 1162 du même code, dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016. Or, son application requiert qu'il existe un doute d'interprétation, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, comme cela vient d'être relevé, peu important que le contrat soit un contrat d'adhésion ou de gré à gré.

Aussi, la clause litigieuse est rédigée en des termes suffisamment clairs et précis pour être opposable à l'appelante en l'état. »

3/ « Elle revendique l'application de l'article 1171, alinéa 1er, du code civil, tel que modifié par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, lequel, dans sa version en vigueur du 1er octobre 2016 au 1er octobre 2018, dispose : « Dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. » Cependant, il est constant que cet article, dans la version précitée, n'était pas encore en vigueur à la date de la souscription de la convention de compte et de la convention Filbanque, le 1er juin 2012 et qu'il n'a pas d'effet rétroactif (voir 1ère Civ., 15 mai 2024, pourvoi n° 22-23.166), étant rappelé que l'article 9 de l'ordonnance précitée du 10 février 2016, prévoit que : « Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016. Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public. Toutefois, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont applicables dès l'entrée en vigueur de la présente ordonnance. Lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente ordonnance, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation. » Dès lors, l'article 1171 du code civil n'est pas applicable à la présente espèce, l'application des conditions générales ne pouvant, dès lors, être écartée à ce titre. »

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A

ARRÊT DU 22 OCTOBRE 2025

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 1 A 22/00129. Arrêt n° 431/25. N° Portalis DBVW-V-B7G-HXXH. Décision déférée à la Cour : 13 décembre 2021 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG - 1ère chambre civile.

 

APPELANTE :

SARL ACE TRANSPORTS

en liquidation judiciaire, représentée par son liquidateur Maître T., [Adresse 4], Représentée par Maître Pégah HOSSEINI SARADJEH, avocat à la Cour

 

INTERVENANTE VOLONTAIRE :

S.E.L.A.R.L. JSA, prise en la personne de Maître T., liquidateur judiciaire de la société ACE TRANSPORTS

[Adresse 1], Représentée par Maître Pégah HOSSEINI SARADJEH, avocat à la Cour

 

INTIMÉES :

SA LYONNAISE DE BANQUE

prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 3], Représentée par Maître Biasantonio CALVANO, avocat à la Cour

SA BANQUE CIC EST

prise en la personne de son représentant légal, [Adresse 2], Représentée par Maître Laurence FRICK, avocat à la Cour

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 8 septembre 2025, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. ROUBLOT, Conseiller faisant fonction de Président et Mme RHODE, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : M. ROUBLOT, Conseiller faisant fonction de Président, Mme WURTZ, Conseillère, Mme RHODE, Conseillère, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRÊT : - Contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par M. Philippe ROUBLOT, conseiller faisant fonction de président et Mme Régine VELLAINE, cadre greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Vu l'arrêt rendu le 12 juin 2024, auquel il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens antérieurs des parties et par lequel la cour de céans a statué comme suit :

« - Ordonne la réouverture des débats,

- Révoque l'ordonnance de clôture en date du 13 mars 2024,

- Invite les parties à conclure sur la question de l'applicabilité au litige de l'article 1171 du code civil et sur la compétence de la cour au regard de l'application de l'article L. 442-4 du code de commerce,

Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état du vendredi 20 septembre 2024,

Réserve les demandes au fond, les dépens et les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile. »

[*]

Vu les dernières conclusions en date du 6 novembre 2024, transmises par voie électronique le 7 novembre 2024, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties et par lesquelles la SARL ACE Transports et la SELARL JSA, prise en la personne de Maître T., ès qualités de liquidateur de la société ACE Transports, demandent à la cour de :

« Vu les articles 1135, 1147 et 1149 anciens, 1110, 1119, 1171, 1190, 1240 et suivants, 1937, 2224, 2254 du Code civil,

Vu les articles 56, 66, 331, 455, 515, 641 et suivants, 696, 752 du Code de procédure civile,

Vu les articles L. 131-2 et L. 131-38 alinéa 2 du Code monétaire et financier,

Vu l'article L. 110-4 et L 442-1 du Code de commerce,

Vu l'article 4 du Code de procédure pénale,

Vu l'article 212-1 du Code de la consommation,

Vu l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu le jugement du Tribunal de Strasbourg du 13 décembre 2021,

Vu le jugement du Tribunal de Commerce de Nevers du 6 mars 2023,

Vu l'ordonnance du Conseiller de la mise en état du 10 mars 2023,

Il est demandé à la Cour d'appel de Colmar de bien vouloir :

- DÉCLARER recevable les conclusions la SELARL JSA prise en la personne de Maître T., en sa qualité de liquidateur de la société ACE TRANSPORTS ;

- DÉCLARER recevable l'appel de la société ACE TRANSPORTS ;

- DÉCLARER recevables et bien fondées les demandes de la SELARL JSA prise en la personne de Maître T., en sa qualité de liquidateur de la société ACE TRANSPORTS ;

- INFIRMER le jugement du Tribunal judiciaire de Strasbourg du 13 décembre 2021 ;

Statuant à nouveau,

- JUGER que la prescription légale quinquennale est applicable à l'encontre de la Banque Crédit Industriel et Commercial Est ;

- JUGER que la Banque Crédit Industriel et Commercial Est engage sa responsabilité contractuelle envers la société ACE TRANSPORTS, en qualité de banque tirée ;

- JUGER que la Banque CIC LYONNAISE DE BANQUE engage sa responsabilité extracontractuelle envers la société ACE TRANSPORTS, en qualité de banque présentatrice ;

En conséquence,

- CONDAMNER la Banque Crédit Industriel et Commercial Est et la Banque CIC LYONNAISE DE BANQUE, à payer in solidum à la SELARL JSA prise en la personne de Maître T., en sa qualité de liquidateur de la société ACE TRANSPORTS, la somme de 49.026 €, en remboursement des chèques indûment encaissés ;

- CONDAMNER la Banque Crédit Industriel et Commercial Est et la Banque CIC LYONNAISE DE BANQUE à payer in solidum à la SELARL JSA prise en la personne de Maître T., en sa qualité de liquidateur de la société ACE TRANSPORTS, la somme de 4.977,99 €, au titre du préjudice financier ;

- CONDAMNER la Banque Crédit Industriel et Commercial Est et la Banque CIC LYONNAISE DE BANQUE à payer in solidum à la SELARL JSA prise en la personne de Maître T., en sa qualité de liquidateur de la société ACE TRANSPORTS, la somme de 25.000 €, au titre du préjudice moral ;

En tout état de cause,

- DÉBOUTER la Banque Crédit Industriel et Commercial Est et la Banque CIC LYONNAISE DE BANQUE de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- CONDAMNER in solidum la Banque Crédit Industriel et Commercial Est et la Banque CIC LYONNAISE DE BANQUE à payer à la SELARL JSA prise en la personne de Maître T., en sa qualité de liquidateur de la société ACE TRANSPORTS, la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ASSORTIR les condamnations des intérêts légaux de droit à compter de la mise en demeure du 15 mars 2018 ;

- CONDAMNER in solidum la Banque Crédit Industriel et Commercial Est et la Banque CIC LYONNAISE DE BANQUE aux entiers frais et dépens incluant le coût des éventuelles mesures d'exécution qui pourraient être entreprises »

et ce, en invoquant notamment :

- des diligences vainement accomplies en vue de parvenir à un accord amiable,

- l'absence d'acquisition de la prescription, la prescription quinquennale de droit commun s'appliquant à défaut d'opposabilité des conditions générales stipulant une prescription dérogatoire, principalement comme non signées par la concluante, subsidiairement comme n'étant ni apparente, ni identifiable, ni claire et précise, à défaut de définir les opérations concernées et devant donner lieu, le cas échéant, à interprétation de la clause en sa faveur et

plus subsidiairement en raison du caractère abusif de cette clause créant, au sens de l'article 1171 du code civil applicable aux contrats en cours lors de son entrée en vigueur et, au regard de la jurisprudence antérieure, l'application de l'article L. 442-1 du code de commerce étant exclue en l'espèce, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties en la privant du droit d'agir utilement,

- à titre subsidiaire et alors que le pénal ne tient pas le civil en l'état, la responsabilité de la Banque CIC Est en sa qualité de banque de la société ACE ayant procédé au paiement des chèques, dite banque tirée, du fait de son manquement contractuel, en payant, alors qu'elle était tenue d'une obligation de vérification et de vigilance qu'il lui appartient de prouver avoir respecté, des chèques dont la falsification était apparente, parfaitement visible et décelable par un employé de banque normalement diligent, sans que l'accès à un service en ligne, dont elle conteste avoir reçu les conditions générales, ne permette à la concluante, qui n'a, en outre, aucune raison de vérifier les chèques puisqu'ils sont bien débités de son compte et du montant qu'elle a mentionné, d'identifier le destinataire des chèques, lui causant un préjudice de ce chef, se trouvant débitrice, en raison de ces manquements, de sommes qu'elle avait payées, outre des frais et pénalités et subsidiairement, si les conditions générales devaient être retenues comme opposables, le caractère déséquilibré de la clause 4.5.1 engageant la responsabilité de la CIC Est et l'obligeant à réparer le préjudice causé,

- la responsabilité également de la Lyonnaise de Banque, mais à titre extra-contractuel, en sa qualité de banque de CID Gestion, ayant procédé à l'encaissement des chèques, dite banque présentatrice, du fait de sa négligence fautive, point sur lequel les premiers juges n'auraient pas statué et ce alors que la Lyonnaise de Banque se contredirait entre ses écritures au fond et ses écritures d'incident sur la présence de falsifications et aurait procédé à l'encaissement des chèques sans en vérifier le contenu, alors même qu'une vérification extrêmement sommaire aurait permis de déceler la supercherie, occasionnant à la concluante un préjudice financier important, outre un préjudice moral lié au stress subi par ses dirigeants,

- l'absence de faute commise par la société ACE Transports qui, ayant rempli les chèques de manière complète, conteste toute imprudence, sans pouvoir avoir connaissance, notamment via le service 'Filbanque' dont elle conteste avoir reçu les conditions générales, de l'encaissement par un autre destinataire des chèques falsifiés, tandis que la banque était tenue de vérifier la provenance des fonds litigieux,

- des conséquences pour la concluante, aujourd'hui placée en liquidation judiciaire, impliquant le remboursement des chèques litigieux, s'agissant de sommes indûment débitées de son compte bancaire et non du remboursement des sommes dues aux administrations, dont la Lyonnaise de Banque ne démontre pas qu'elles auraient finalement perçu les sommes indûment encaissées par CID Gestion, faute de quoi la société ACE Transports en aurait été créancière et au-delà la mise en compte de dommages-intérêts au titre d'un préjudice à la fois de nature financière, du fait des relances en demande de paiement qui lui ont été adressées, des majorations effectuées, des frais d'huissier imputés, alors même que les chèques avaient été versés et moral, réparable pour une personne morale et qui serait caractérisé.

[*]

Vu les dernières conclusions en date du 12'janvier 2025, transmises par voie électronique le même jour, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties et par lesquelles la SA Banque CIC Est demande à la cour de :

« Vu les articles 1103, 1104, 1135 du Code civil,

Vu les articles 1240 et suivants, 1937 et 2224 du Code civil

Vu l'article 564 du code de procédure civile,

Vu l'article L. 442-1 et L. 442-4 du code de commerce,

Vu l'article 1171 du code civil

Vu l'article L. 110-4 du Code commerce,

Vu l'article L. 131-38 alinéa 2 du Code monétaire et financier,

Vu les articles 122 et 700 du Code de procédure civile,

REJETER l'appel,

CONFIRMER le jugement déféré rendu le 13 décembre 2021 par le Tribunal Judiciaire de STRASBOURG en ce qu'il :

« DÉCLARE la demande irrecevable,

DIT n'y avoir lieu à appliquer l'article 700 du CPC,

CONDAMNE la SARL ACE TRANSPORTS aux dépens. »

En conséquence,

DÉBOUTER la société ACE TRANSPORTS et la SELARL JSA de l'ensemble de leurs demandes ;

A titre subsidiaire, si la Cour jugeait l'action recevable,

DÉCLARER irrecevable la prétention nouvelle tirée de l'inopposabilité des conventions ;

SE DÉCLARER incompétent à juger du caractère abusif d'une clause fondée sur les dispositions de l'article L. 442-1 du Code de commerce ;

DÉCLARER que l'article 1171 du code civil n'est pas applicable en l'espèce ;

DÉCLARER en tout état de cause que la convention de compte régularisée le 1er juin 2012 ne comporte pas de clauses abusives ;

DÉCLARER que le CIC EST est bien fondé à refuser de produire les originaux des chèques litigieux recto-verso dans la mesure où le secret bancaire s'oppose à cette communication et qu'en tout état de cause les originaux des chèques ne sont pas en la possession du CIC EST ;

DÉCLARER que le CIC EST n'a commis aucune faute à l'égard de la société ACE TRANSPORTS que ce soit en sa qualité de banque tirée ou de banque présentatrice,

DÉCLARER en conséquence que la responsabilité du CIC EST n'est pas engagée,

DÉBOUTER la société ACE TRANSPORTS et la SELARL JSA de leur demande d'indemnisation au titre du préjudice subi ;

A titre subsidiaire si une faute du CIC EST était retenue,

DÉCLARER qu'à défaut pour la société ACE TRANSPORTS et la SELARL JSA de verser aux débats l'intégralité du dossier pénal la preuve de la réalité de la fraude et partant du préjudice n'est pas établie.

DÉCLARER en tout état de cause que la société ACE TRANSPORTS, par sa négligence, a concouru à la réalisation de son préjudice

DÉCLARER qu'il n'existe, dès lors, aucun lien de causalité entre la faute reprochée au CIC EST et le préjudice allégué par la société ACE TRANSPORTS

DÉBOUTER la société ACE TRANSPORT et la SELARL JSA de leur demande ;

A titre encore plus subsidiaire,

DÉCLARER que seule la perte de chance est réparable ;

DÉCLARER en conséquence que le montant du préjudice allégué devra être réduit ;

REJETER toute demande relative à la réparation du préjudice moral ;

En tout état de cause,

DÉBOUTER la société ACE TRANSPORTS et la SELARL JSA de l'intégralité de leurs fins et conclusions ;

CONDAMNER la société ACE TRANSPORTS et la SELARL JSA à verser au CIC EST la somme de 5.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER la société ACE TRANSPORTS et la SELARL JSA aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel »

et ce, en invoquant notamment :

- l'inapplicabilité des dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce, désormais reconnue par les appelantes et 1171 du code civil, s'agissant d'un contrat antérieur à son entrée en vigueur, outre que la clause était négociable en vertu du préambule des conditions générales, dans le cadre de contrats régularisés par le gérant pour le compte de la société, l'argumentation tirée de leur inopposabilité étant, en tout état de cause, irrecevable comme nouvelle,

- l'irrecevabilité pour prescription des demandes de la société ACE, par application du délai de prescription conventionnel abrégé d'un an opposable à la société ACE, qui aurait approuvé les conditions générales formant un tout avec la convention de compte, couvrant l'hypothèse en cause en vertu d'une clause parfaitement claire, non modifiée d'un commun accord des parties et dont n'est pas rapporté, au-delà de l'inapplicabilité des dispositions invoquées, la preuve du déséquilibre significatif qu'elle créerait, compte tenu de la contrepartie dont est tenue la banque de fournir une information spécifique, à défaut de laquelle elle n'est pas fondée à se prévaloir de la prescription abrégée, outre que le point de départ de la prescription courrait à compter de la présentation de chaque chèque,

- le rejet des demandes de la société ACE à son encontre, comme n'étant pas la banque présentatrice, étant constaté qu'il a été renoncé aux demandes présentées à ce titre et en l'absence de faute commise par la concluante en tant que banque tirée, à défaut de démonstration du caractère avéré de la falsification, jamais constaté par la justice pénale et dont la démonstration serait loin d'être évidente, dans un contexte où la concluante, banque tirée, n'est pas en possession des originaux et en tout état de cause en vertu du principe de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client, en dérogation duquel le devoir de vigilance reste cantonné aux anomalies apparentes, supposant une falsification grossière contestée en l'espèce,

- l'absence de démonstration d'un préjudice certain et d'un lien de causalité, à défaut de caractère avéré de la falsification et compte tenu, à supposer les détournements caractérisés, de la responsabilité en premier lieu de la société CID Gestion, d'autant que, par sa propre négligence, la société ACE aurait concouru à la réalisation de son dommage, dans un contexte de fraude s'étant déroulé sur plusieurs années, alors qu'elle avait l'obligation contractuelle de suivre les chèques (grâce au service FILIBANQUE), en tout cas tous ceux supérieurs à 5.000 euros 'et à signaler immédiatement à la Banque toute anomalie et toute fraude de manière à permettre le cas échéant le rejet de tout chèque litigieux dans les délais interbancaires' (article 1.2 des conditions générales FILIBANQUE), outre qu'il ne serait pas démontré que les sommes prétendument détournées n'auraient pas servi au paiement des sommes dues au Trésor public, les demandes de la partie appelante étant, en tout état de cause, qualifiées d'excessives et fondées sur l'affirmation péremptoire que l'ensemble des chèques a été falsifié et leurs montants détournés, aucun préjudice moral de la société n'étant, par ailleurs, caractérisé,

- à titre subsidiaire, l'absence de déséquilibre significatif causé par la clause 4.5.1 des conditions générales, que ce soit sur le fondement de l'article 1171 du code civil, ou celui, désormais invoqué et exclusif du précédent, de l'article L. 442-1 du code de commerce, alors que le contrat pouvait être modifié et que les conditions générales étaient bien opposables à la société ACE et dès lors que, comme retenu par les premiers juges, le délai d'un an pour agir n'est pas un délai qui restreint significativement le droit pour le client d'agir contre la banque.

[*]

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 novembre 2023, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties et par lesquelles la SA Lyonnaise de Banque demande à la cour de :

« Vu les articles 1382 ancien, 1240 et suivants et 2242 du Code civil,

Rejeter l'appel interjeté par la société CID GESTION, et confirmer le jugement rendu le 13 décembre 2021 par le Tribunal Judiciaire de STRASBOURG dans toutes ses dispositions,

Déclarer les demandes irrecevables car prescrites,

A titre subsidiaire déclarer mal fondées les demandes de la société ACE TRANSPORTS et Maître T. es qualité et les en débouter,

A titre très infiniment subsidiaire limiter l'indemnisation du préjudice de la société ACE TRANSPORTS à la somme de 19.192 €, ordonner un partage de responsabilité entre la société ACE TRANSPORTS et les banques, et limiter la condamnation de la concluante à 50 % des détournements retenus, in solidum avec le CIC EST,

Condamner Maître T. es qualité au paiement d'une indemnité de 2.000 € au titre de l'article 700 et aux dépens »

et ce, en invoquant notamment :

- sa souscription à l'argumentation de la SA Banque CIC Est et la contestation de toute reconnaissance de sa part de la falsification des chèques,

- l'absence d'omission de statuer du tribunal sur les demandes de la société ACE formulées à l'encontre de la concluante puisque la concluante a fait sien les moyens développés par la société CIC Est et que le tribunal a fait droit à l'argumentation développée par cette société,

- à titre subsidiaire, la prescription des demandes formées à son encontre, puisque la société ACE, bénéficiaire du service Filbanque et qui avait l'obligation de suivre ces trois chèques et de signaler toute anomalie à la société CIC Est, aurait donc dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action à l'encontre de la concluante au plus tard le 31 mars 2015,

- une faute de la société ACE, qui aurait commis plusieurs erreurs ayant participé à la création de son préjudice, dans le choix d'un expert-comptable en réalité dépourvu de cette qualité, sans que l'appelante ne soit fondée, à ce titre, à invoquer une méconnaissance par la concluante de ses obligations relatives à la lutte contre le blanchiment, mais également dans l'absence de réaction prompte et appropriée en cas de détournement subi dès 2014,

- l'absence de justification suffisante du quantum du préjudice, à défaut de démonstration d'une mise en demeure ou voie d'exécution engagée par le Trésor Public pour les années 2014, 2015, 2016, l'argumentation de la partie adverse quant à sa propriété des fonds détournée étant contestée, dès lors qu'ils auraient finalement pu être remis à leur destinataire réel, ce qui serait aisé à établir, de surcroît dans le cadre d'une procédure collective de l'appelante ayant dû conduire les administrations concernées à déclarer leurs créances, et la valeur probante des pièces produites étant contestée tant pour le Trésor Public que pour l'URSSAF

- l'absence de préjudice moral subi par la société ACE.

[*]

Vu l'ordonnance de clôture en date du 2 juillet 2025,

Vu les débats à l'audience du 8 septembre 2025,

Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur les demandes de la SARL ACE Transports :

Sur la recevabilité des demandes :

Ainsi que cela a été rappelé au préalable, la société ACE Transports, en liquidation judiciaire, représentée par son liquidateur, met en cause à la fois la responsabilité contractuelle de la Banque CIC Est, en sa qualité de tirée, en raison de la violation de son obligation de vérification et de vigilance et la responsabilité délictuelle de la Lyonnaise de Banque, en sa qualité de banque présentatrice, pour négligence fautive, pour avoir procédé à l'encaissement des chèques présentés par son client CID Gestion, comptable de la société ACE Transports.

À ce titre, l'action, tant sur le fondement contractuel que délictuel, intentée par la société ACE Transports, est soumise, en principe, au délai quinquennal de droit commun posé par l'article 2224 du code civil.

Mais, en l'espèce, s'agissant des relations de la société ACE avec sa banque, à savoir la SA Banque CIC Est, les conditions générales afférentes à la convention de compte du 1er juin'2012 stipulent, en leur article 4.5.1, dernier paragraphe : « Aucune action du CLIENT relative aux opérations effectuées dans le cadre du compte courant ou au contenu des relevés, arrêtés de comptes, tickets d'agios, bordereaux d'escompte ou tout autre document se rapportant à l'opération ne pourra être intentée, ni aucune exception opposée après expiration d'un délai d'un an à compter de la réception ou, le cas échéant, de la mise à disposition par voie électronique ou télématique desdits documents. » Il en ressort que, par dérogation au droit commun, cet article prévoit un délai de prescription abrégé à un an.

Certes, la société appelante fait valoir qu'elle n'aurait pas souscrit auxdites conditions générales, dont elle conteste, dès lors, l'opposabilité à sa personne, faute pour elle de les avoir signées, tout comme d'ailleurs celles relatives à la convention Filbanque.

Toutefois, comme l'ont justement rappelé les premiers juges, la convention de compte liant la société ACE Transports à la SA Banque CIC Est porte la mention « Je reconnais avoir reçu en temps utile les conditions générales correspondantes, en avoir pris connaissance et les approuver entièrement », qui précède la signature des parties, tout comme c'est le cas pour la convention Filbanque, de sorte que, dans ces deux cas, l'appelante n'est pas fondée à invoquer l'absence de signature des conditions générales pour se les rendre inopposables.

L'appelante soutient que la clause prévue à l'article 4.5.1, contenant la prescription abrégée, ne lui est pas non plus opposable du fait de son caractère non apparent et non identifiable, mais aussi de son absence de clarté et de précision.

Or, d'une part, la société ACE Transports ne peut utilement invoquer le défaut d'apparence et d'identifiabilité de l'article litigieux, alors qu'en ratifiant la convention de compte, celle-ci a reconnu, par là-même, non seulement avoir reçu les conditions générales correspondantes, mais plus encore « en avoir pris connaissance et les approuver entièrement ». Qui plus est, la jurisprudence qu'elle invoque en appui retient, pour les déclarer inopposables, que les conditions étaient rédigées « dans un texte à la police très petite, difficilement lisible et en langue anglaise, que la seule mention de « limites de responsabilité » sur la télécopie est insuffisante pour qu'il soit admis que la société Goss a été informée du contenu des limitations, qu'il n'est fait aucune référence aux clauses particulières contenant une limitation de responsabilité ou d'indemnisation […] » (Cass, Com., 27 novembre 2007, n° 06-16.523, non publié), ce qui n'est manifestement pas le cas dans la présente espèce.

D'autre part, concernant l'intelligibilité de l'article 4.5.1, dernier paragraphe cité plus haut, il s'en comprend aisément que les actions et exceptions stipulées ont pour but de faire obstacle à toutes contestations afférentes aux opérations effectuées et ce, dans le cadre indiqué, lequel cadre se voulant particulièrement large (‘le cadre du compte courant ou au contenu des relevés, arrêtés de comptes, tickets d'agios, »). S'agissant de la notion d'opération, il convient de se référer à l'article 4.3.2.1, premier paragraphe, qui précise : « Une opération de paiement (ci-après « Opération de paiement ») est une action consistant à verser, transférer ou retirer des fonds, ordonné par le CLIENT ou le bénéficiaire de l'Opération de paiement. » Il s'en déduit sans équivoque que la notion d'opération de l'article 4.5.1 renvoie, entre autres, aux opérations de paiement et que les chèques, en tant que moyen de paiement, sont compris dans cette notion.

Enfin, l'article 1190 du code civil, qui n'est pas applicable à la cause dans la version invoquée, implique de se référer à l'article 1162 du même code, dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016. Or, son application requiert qu'il existe un doute d'interprétation, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, comme cela vient d'être relevé, peu important que le contrat soit un contrat d'adhésion ou de gré à gré.

Aussi, la clause litigieuse est rédigée en des termes suffisamment clairs et précis pour être opposable à l'appelante en l'état.

La société ACE Transports argue encore d'un déséquilibre significatif créé par la clause litigieuse, l'empêchant d'agir utilement.

Elle revendique l'application de l'article 1171, alinéa 1er, du code civil, tel que modifié par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, lequel, dans sa version en vigueur du 1er octobre 2016 au 1er octobre 2018, dispose : « Dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. »

Cependant, il est constant que cet article, dans la version précitée, n'était pas encore en vigueur à la date de la souscription de la convention de compte et de la convention Filbanque, le 1er juin 2012 et qu'il n'a pas d'effet rétroactif (voir 1ère Civ., 15 mai 2024, pourvoi n° 22-23.166), étant rappelé que l'article 9 de l'ordonnance précitée du 10 février 2016, prévoit que : « Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016. Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public. Toutefois, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont applicables dès l'entrée en vigueur de la présente ordonnance. Lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente ordonnance, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation. »

Dès lors, l'article 1171 du code civil n'est pas applicable à la présente espèce, l'application des conditions générales ne pouvant, dès lors, être écartée à ce titre.

Ainsi, le délai de prescription abrégé prévu par les conditions générales de la convention de compte est applicable à l'espèce.

S'agissant du point de départ du délai de prescription, la SA Banque CIC Est se réfère précisément aux conditions générales de la convention Filbanque, notamment l'art. 1.2, soutenant que la société cliente pouvait visualiser à tout moment l'image du recto des chèques émis et devait assurer un suivi personnel spécifique desdits chèques, de sorte qu'elle aurait pu avoir connaissance de la falsification alléguée dès la présentation de chaque chèque.

Pour autant, la connaissance des informations permettant d'exercer un droit devant être exacte et précise, rien ne permet d'établir que la seule visualisation possible du recto des chèques, par la société ACE Transports, ait pu suffire à lui permettre de déceler la falsification alléguée, étant au surplus relevé qu'il n'est pas démontré que ce dispositif permettrait de visualiser le verso, soit l'endossement, rendant la visualisation incomplète, ainsi que l'affirme l'appelante.

Il n'en demeure pas moins que, dès la première notification par l'URSSAF, en date du 24 novembre 2017, d'une contrainte faisant apparaître une insuffisance de versement, la société ACE Transports était à même de se rendre compte d'irrégularités dans la tenue de sa comptabilité par la société CID Gestion et, partant, des anomalies bancaires correspondantes, lui permettant de vérifier que les chèques, dont le dernier datait du 25'octobre 2017, avaient été encaissés sur le compte de la société CID Gestion.

Il en résulte que l'appelante avait jusqu'au 24 novembre 2018 inclus pour attraire la SA Banque CIC Est et que, ne l'ayant fait citer que par assignation délivrée le 13 juin 2019, son action est couverte par la prescription.

S'agissant de l'action visant la société Lyonnaise de Banque, laquelle n'est pas soumise au délai conventionnel d'un an, au regard des conclusions auxquelles la cour est parvenue, quant au point de départ du délai de prescription concernant la SA Banque CIC Est, lequel s'applique tout autant s'agissant de la société Lyonnaise de Banque, il y a lieu de rappeler que cette dernière a été assignée en intervention forcée par assignation en date du 17'juin 2020, de sorte qu'à cette date la prescription n'était pas acquise, l'action de la société ACE Transports à son encontre étant, par conséquent, recevable. Le jugement entrepris ayant statué en ce sens qu'il a déclaré « la demande irrecevable », sans autre précision, il y a lieu à infirmation de ce chef en ce qui concerne l'action dirigée contre la société Lyonnaise de Banque.

 

Sur la responsabilité de la SA Lyonnaise de Banque :

L'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. L'article 1383 du même code, dans sa version applicable à la cause, précise que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Tout d'abord, il convient de rappeler que si la plainte déposée par la société ACE Transports à l'encontre du gérant de la société CID Gestion n'a pu aboutir, en raison du décès de ce dernier, cette circonstance est sans emport sur l'issue de l'action en responsabilité civile intentée, non contre cette société mais contre les banques et en l'occurrence la SA Lyonnaise de Banque, non sur les conséquences directes des infractions alléguées par l'appelante, mais sur le défaut de vigilance que l'appelante reproche à cette banque, sachant en tout état de cause, que l'article 4 du code de procédure pénale dispose que l'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique.

Par ailleurs, s'agissant de la banque présentatrice, si elle est soumise à un principe de non-immixtion, elle reste tenue de détecter les anomalies apparentes d'un chèque qu'elle est chargée d'encaisser pour le compte de son client et, en s'en abstenant, elle prend un risque dont elle doit assumer les conséquences (Cass., Com., 17 septembre 2013, pourvois n° 12-18.198 et 12-20.202).

Et si, en cas de falsification, l'émetteur d'un chèque a la charge de démontrer cette irrégularité, il incombe à la banque tirée de prouver qu'une telle anomalie n'était pas apparente pour établir son absence de faute (Com, 9 novembre 2022, pourvoi n° 20-20.031, publié), le caractère non apparent d'une anomalie pouvant se déduire de l'identité de bénéficiaire entre plusieurs chèques, en l'absence de rature ou autre particularité apparente (Cass., Com., 22 mars 2017, pourvoi n° 15-24.129).

Or, en l'espèce, il y a lieu de rappeler que si la SA Banque CIC Est indique « refuser de produire les originaux des chèques litigieux recto-verso dans la mesure où le secret bancaire s'oppose à cette communication et qu'en tout état de cause les originaux des chèques ne sont pas en [sa] possession », l'ordonnance rendue le 10 mars 2023 par le magistrat chargé de la mise en état a retenu que la demande en communication des deux chèques dont le montant est supérieur à 10.000 €, soit celle du chèque n°3196300 initialement libellé à l'ordre de l'URSSAF le 11 juillet 2017, d'un montant de 13.929 euros et celle du chèque n°3279596 initialement libellé à l'ordre de l'URSSAF le 30 septembre 2017, d'un montant de 10.986 euros, était sans objet, ceux-ci ayant été adressés à la SARL ACE Transports et a rejeté le surplus des demandes en communication des originaux des chèques, eu égard aux obligations de conservation incombant aux banques en la matière.

Au vu des éléments soumis à l'appréciation de la cour et étant également rappelé que la SA Lyonnaise de Banque entend souscrire à l'argumentation au fond de la SA Banque CIC Est, en particulier quant au caractère non avéré de la falsification des chèques litigieux, tout en rappelant n'avoir jamais reconnu cette falsification, mais uniquement que la production de copies rendait possible leur examen pour savoir s'ils étaient ou non falsifiés, la cour observe que les sept chèques versés en copie aux débats, datés du 30'juin 2014 d'un montant de 5.000 euros, du 17 décembre 2014 d'un montant de 4.231 euros, du 31 mars 2015 d'un montant de 4.380 euros, du 29 août 2016 d'un montant de 5.300 euros, du 11 juillet 2017 d'un montant de 13.929 euros, du 30 septembre 2017 d'un montant de 10.986 euros et du 25 octobre 2017 d'un montant de 5.200 euros, portent tous des mentions manuscrites visiblement altérées, voire surchargées par d'autres mentions, sans rapport avec le bénéficiaire supposé et même, s'agissant du chèque du 30 septembre 2017, la mention lisible de l'URSSAF comme bénéficiaire, ces mentions, dont une seule, étant recouvertes par l'apposition du tampon de la société CID Gestion, laquelle n'est mentionnée manuscritement comme bénéficiaire que sur le chèque du 31 mars 2015 et encore avec des marques de rature visibles, même sur la copie.

Il en ressort des anomalies manifestes, aisément décelables par un employé normalement diligent, de nature à caractériser une faute à la charge de la société Lyonnaise de Banque.

La société Lyonnaise de Banque entend, pour sa part, reprocher à la société ACE Transports la commission d'une faute ayant contribué à la réalisation de son propre préjudice et ce à défaut de vérification suffisante dans le suivi de ses relevés bancaires, du choix d'un expert-comptable « qui n'en était pas un », étant dépourvu des qualifications nécessaires, ou encore à défaut de suite appropriée à la réaction rapide et coercitive qu'aurait dû nécessairement avoir les administrations qui n'avaient pas été payées, à savoir le Trésor public et l'URSSAF.

À ce titre, si l'établissement d'un faux ordre de paiement a été rendu possible à la suite d'une faute du titulaire du compte, ou de l'un de ses préposés, le banquier n'est tenu envers lui que s'il a lui-même commis une négligence et ce seulement pour la part de responsabilité en découlant (Cass., Com., 31 mai 2005, pourvoi n°'03-20.952, Bulletin 2005, IV, n°'120).

Cela étant, ainsi que cela a été rappelé sous l'angle de l'examen de la recevabilité, il n'est pas établi que la société ACE Transports aurait eu connaissance des anomalies avant la contrainte reçue de l'URSSAF le 25'octobre 2017, les affirmations de la banque concernant les réactions des administrations restant hypothétiques et le suivi de ses comptes bancaires ne pouvant suffire à s'assurer du bénéficiaire de l'encaissement des chèques et de leur falsification, au regard des conditions de consultation du service Filbanque, telles qu'elles ont été précisées. Quant au choix d'un expert-comptable n'ayant pas les qualités requises, s'il peut être, le cas échéant, d'abord préjudiciable au client de l'expert-comptable lui-même, il ne présente pas de lien de causalité directe avec les agissements frauduleux de détournement à l'origine des virements litigieux. Aucune faute ne peut donc être reprochée à la société ACE Transports en lien avec le préjudice qu'elle invoque.

Quant au préjudice subi par la société ACE Transports, il apparaît que si les chèques litigieux, dont le montant total s'élève à 49'026 euros, ont bien été indûment encaissés par la société CID Gestion, l'appelante devant, par conséquent, être indemnisée à la hauteur de ce quantum, représentant la perte financière en lien direct avec le manquement de la banque.

La société ACE Transports justifie, en outre, avoir dû assumer des frais en lien avec les mesures d'exécution et pénalités correspondant aux sommes impayées à l'URSSAF du fait des détournements et ce à hauteur d'un montant total de 4.977,99 euros, les circonstances de la cause l'ayant conduite à procéder à des rattrapages de comptabilité et à faire face à des mesures d'exécution justifiant, pour le surplus, la mise en compte de 2.000 euros au titre du préjudice moral.

 

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La SA Lyonnaise de Banque, succombant pour l'essentiel, sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, ainsi que de ceux de la première instance, en infirmation du jugement déféré sur cette question, étant précisé qu'il n'appartient pas à la cour de se prononcer sur les frais liés à d'éventuelles mesures d'exécution à venir.

L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de l'une ou l'autre des parties à l'instance d'appel, tout en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Infirme le jugement rendu le 13 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Strasbourg, en ce qu'il a déclaré la demande irrecevable, en ce qu'est visée la demande de la SARL ACE Transports dirigée contre la SA Lyonnaise de Banque et condamné la SARL ACE Transports aux dépens,

Confirme le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs du dispositif infirmés et y ajoutant,

Déclare recevable la demande de la SARL ACE Transports, en liquidation judiciaire, représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître T., ès qualités de liquidateur, dirigée contre la SA Lyonnaise de Banque,

Condamne la SA Lyonnaise de Banque à payer à la SARL ACE Transports, en liquidation judiciaire, représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître T., ès qualités de liquidateur, les sommes suivantes :

- 49.026 euros au titre du préjudice matériel,

- 4.977,99 euros au titre du préjudice financier,

- 2.000 euros au titre du préjudice moral,

Dit que ces sommes seront majorées des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne la SA Lyonnaise de Banque aux dépens de la première instance et de l'appel,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice tant de la SARL ACE Transports, en liquidation judiciaire, représentée par la SELARL JSA, prise en la personne de Maître T., ès qualités de liquidateur, que de la SA Banque CIC Est et de la SA Lyonnaise de Banque.

Le cadre greffier :                                        Le Conseiller :