CA NANCY (1re ch. civ.), 31 août 2010
CERCLAB - DOCUMENT N° 2453
CA NANCY (1re ch. civ.), 31 août 2010 : RG n° 07/00590 ; arrêt n° 2064/2010
Publication : Jurica
Extrait (arguments) : « Soutenant que la clause relative aux délais de déclaration de sinistre créé, en faveur de l'assureur, un déséquilibre significatif quand est en cause une exploitation importante, comme c'était le cas de la SCEA de la Q., dont le cheptel comptait 729 bovins, si bien que l'épidémie a provoqué plusieurs morts par jours, l'appelante soutient que la clause doit être réputée non écrite, pour être abusive, par application de l'article L. 132-1 du Code de la consommation. »
Extrait (motifs) : « Enfin, le premier juge a méconnu que pour éviter les abus que dénonce la SCEA en faisant conclure sur l'existence d'une clause abusive, l'article L. 113-11 2° du Code des assurances déclare nulles toutes clauses frappant de déchéance l'assuré à raison de simple retard apporté par lui à la déclaration du sinistre aux autorités ou à des productions de pièces, sans préjudice du droit de l'assureur de réclamer une indemnité proportionnée au dommage que ce retard lui a causé. Or force est de constater que la société AREAS Dommages, si elle établit la réalité de retards dans les déclarations de sinistres, ne formule aucune demande indemnitaire. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE NANCY
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 31 AOÛT 2010
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 07/00590. Arrêt n° 2064/2010. Décision déférée à la Cour : Déclaration d'appel en date du 27 février 2007 d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de VERDUN - RG n° 03/00606, en date du 25 janvier 2007.
APPELANTE :
SCEA DE LA Q.,
dont le siège est [adresse], représentée par son gérant pour ce domicilié audit siège. Comparant et procédant par le ministère de la SCP CHARDON & NAVREZ, avoués à la Cour. Plaidant par Maître BIENFAIT, avocat au barreau de la MEUSE,
INTIMÉE :
AREAS ASSURANCES,
dont le siège est [adresse], représentée par son Président et tous représentants légaux pour ce domiciliés audit siège. Comparant et procédant par le ministère de la SCP MILLOT-LOGIER & FONTAINE, avoués à la Cour. Plaidant par Maître HECHINGER, avocat au barreau de la MEUSE.
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 8 juin 2010, en audience publique devant la Cour composée de : Monsieur Guy DORY, Président de Chambre, Monsieur Gérard SCHAMBER, Conseiller, entendu en son rapport, Madame Joëlle ROUBERTOU, Conseiller, qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame DEANA ;
ARRÊT : Contradictoire, prononcé à l'audience publique du 31 août 2010 date indiquée à l'issue des débats, par Monsieur DORY, Président, conformément à l'article 452 du Code de Procédure Civile, signé par Monsieur Guy DORY, Président, et par Madame DEANA, greffier présent lors du prononcé.
[minute page 2]
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 20 août 1999 la SCEA de la Q. a souscrit auprès de la Caisse Mutuelle d'Assurance et de Prévoyance (CMA) une police d'assurance couvrant le risque de mortalité du bétail. Le 8 février 2002, la SCEA a déclaré le décès de 9 bovins suite à une épizootie grippale. Cette épidémie ayant finalement provoqué la mort de 20 animaux au total, un avenant du 26 février 2002 a été conclu pour tenir compte de l'évolution du cheptel de l'exploitation.
L'article 5-1 des conditions générales de la police énonce que « ne sont jamais garantis les dommages résultant des mauvais traitements, du manque de nourriture ou de soins, lorsque ces faits sont imputables à l'assuré ».
Selon l'article 14 des mêmes conditions générales, l'assuré, en cas de maladie, s'engage à faire examiner l'animal par le vétérinaire dans les plus brefs délais, à suivre les prescriptions du vétérinaire traitant et, en cas de maladie contagieuse, à suivre les prescriptions de la prophylaxie sanitaire et médicale. Le non respect par l'assuré de ces obligations est sanctionné par l'allocation à l'assureur d'une indemnité proportionnée aux dommages que le manquement a occasionné.
Selon l'article 16 des conditions générales, l'assuré doit, sous peine de déchéance, informer l'assureur, à son siège social ou à l'agence indiquée dans la police, dès qu'il en a connaissance, et au plus tard dans les 24 heures, de tout sinistre susceptible d'engager la garantie de l'assureur.
En outre, les conditions générales imposent à l'assuré, en cas de réalisation du risque, sous peine d'une indemnité proportionnée au préjudice occasionné par le manquement, d’adresser à l'assureur, dans les deux jours du décès ou de l'abattage, un procès-verbal établi par un vétérinaire indiquant la cause de la mort ou de l'abattage, la date de la première visite, l'historique des soins donnés et la valeur de l'animal à la date du sinistre.
De plus, selon les conditions générales, l'assuré s'engageait à faire procéder à l'autopsie de l'animal déclaré décédé, si l'assureur lui en faisait la demande.
Le 7 mai 2002, la SCEA de la Q. a accepté une indemnisation de 3.279,18 euros pour les sinistres du mois de février, après déduction de la franchise.
Au mois de septembre 2002, la SCEA a déclaré le décès de 7 bovins. L'indemnisation proposée par l'assureur, pour un montant de 5.843,17 euros a été refusée par la SCEA, qui ultérieurement, a déclaré le décès de 69 autres animaux au courant des mois d'octobre, novembre et décembre [minute page 3] 2002. Le 27 janvier 2003, le Docteur G., désigné à cet effet par l'assureur, s'est rendu sur l'exploitation. Dans son rapport du 14 mars 2003, ce vétérinaire a relevé des manquements de l'assuré aux obligations mises à sa charge par les conditions générales de la police d'assurance, incriminant en particulier un défaut de soins, notamment par absence de vaccination. Se fondant sur ce rapport, la CMA, qui avait résilié la police avec effet au 31 décembre 2002, a refusé sa garantie.
Contestant le bien fondé de la position de l'assureur, la SCEA de la Q., par acte du 15 septembre 2003, a fait assigner la CMA devant le tribunal de grande instance de Verdun en paiement d'une indemnité de sinistre d'un montant de 73.484 euros. Par jugement avant dire droit du 25 mars 2005 le tribunal a ordonné une expertise qui a été confiée à M. B., lequel a déposé son rapport le 14 mars 2003.
Par jugement du 25 janvier 2007 le tribunal a débouté la SCEA de ses demandes et l'a condamnée aux dépens. Se fondant sur les conclusions de l'expert, le tribunal a estimé que ne sont caractérisés ni manque, ni insuffisance de soins, au sens de l'article 5-1 des conditions générales de la police d'assurance, dès lors que l'éleveur ne se trouvait pas dans une période favorable pour faire procéder à la vaccination du cheptel, et que toute prophylaxie ne garantit pas nécessairement les résultats escomptés. Par contre, le tribunal a retenu que l'assurée n'a pas respecté les prescriptions des articles 14 et 16 des conditions générales, en particulier en s'abstenant de déclarer les décès dans un délai de 24 heures, alors que, du fait de l'importance des sinistres, le respect de ce délai s'imposait particulièrement.
La SCEA de la Q. a interjeté appel par déclaration du 27 février 2007.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Par ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 6 mai 2006, la SCEA de la Q. demande à la cour, par voie de réformation du jugement déféré, de condamner la société AREAS Dommages, venant aux droits de la société CMA, à lui payer la somme de 73.484 euros à titre d'indemnité de sinistre, augmentée d'une somme de 3.000 euros en remboursement de ses frais de défense non compris dans les dépens.
L'appelante fait valoir que l'expertise judiciaire a permis d'établir que le cheptel était sous surveillance vétérinaire régulière, si bien que n'est caractérisé aucun manquement à l'article 14 des conditions générales de la police d'assurance, le rapport du Docteur G., dont les conclusions sont contraires, devant être écarté des débats en raison de sa partialité et en ce qu'il lui est inopposable, en l'absence de toute contradiction.
Soutenant que la clause relative aux délais de déclaration de sinistre créé, en faveur [minute page 4] de l'assureur, un déséquilibre significatif quand est en cause une exploitation importante, comme c'était le cas de la SCEA de la Q., dont le cheptel comptait 729 bovins, si bien que l'épidémie a provoqué plusieurs morts par jours, l'appelante soutient que la clause doit être réputée non écrite, pour être abusive, par application de l'article L. 132-1 du Code de la consommation. Elle ajoute que l'ampleur de l'épidémie constitue un cas de force majeure et reproche au premier juge d'avoir appliqué une déchéance globale, alors qu'un éventuel non respect du délai de déclaration devait être apprécié sinistre par sinistre et qu'il incombe à l'assureur de rapporter la preuve de chacun des dépassements de délai invoqués. La SCEA relève que l'assureur est d'autant moins fondé à invoquer une déchéance qu'il a accepté de garantir les sinistres antérieurs qui ont été déclarés dans les mêmes conditions. Elle affirme que tout au plus trois retards sont caractérisés dès lors qu'il y a lieu de tenir compte de l'information donnée au courtier et à l'agent général de la compagnie d'assurance. Enfin, la SCEA soutient que la franchise doit être appliquée annuellement, et non pas à chaque sinistre.
Par ses écritures dernières, notifiées et déposées le 18 mai 2010, la société AREAS Assurances conclut à la confirmation du jugement et demande à la cour, à titre subsidiaire, de limiter l'indemnité de sinistre à la somme de 59.443 euros. Elle réclame une somme de 2 500 euros en remboursement de ses frais de défense non compris dans les dépens.
L'intimée réplique que la SCEA, professionnelle de l'élevage, ne saurait s'affranchir des obligations mises à sa charge par les conditions générales qu'elle a acceptées lors de la souscription de la police d'assurance. Affirmant que le courtier était le mandataire de l'assurée, la société AREAS Assurances maintient que les sinistres ont systématiquement été déclarés avec retard et rappelle que la déchéance de garantie est encourue dans les conditions prévues par le contrat. Elle ajoute que les déclarations tardives lui ont été préjudiciables dans la mesure où elle s'est trouvée dans l'impossibilité de faire procéder à des constatations, et en particulier à des autopsies, en temps utile. L'intimée reproche au premier juge d'avoir écarté un manque de soins, alors que selon elle, la SCEA est bien fautive pour n'avoir pas procédé à une vaccination généralisée dès la première alerte. Elle relève à cet égard que le rapport d'expertise du Docteur G., réalisé dans les conditions prévues par le contrat, est bien opposable à la SCEA.
L'instruction a été déclarée close le 21 mai 2010.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Si dans leur article 17, les conditions générales applicables à la police d'assurance invoquée par la SCEA, prévoient une procédure conventionnelle d'expertise, ce n'est pas pour vérifier le respect par [minute Jurica page 5] l'assuré de ses obligations contractuelles, mais seulement pour évaluer le dommage dont l'indemnisation est demandée. Dans ces conditions, c'est à juste titre que la SCEA soutient que le rapport d'expertise non judiciaire, dressé par le Docteur G. ne lui est pas opposable, en tant qu'expertise sur les circonstances de la survenance des sinistres. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un élément de preuve ordinaire, soumis à la libre discussion des parties, que la société AREAS Dommage est en droit d'invoquer pour critiquer les conclusions de l'expert judiciaire.
L'article 5 des conditions générales dresse la liste des exclusions de garantie. Dans son paragraphe d), il rappelle l'exclusion légale de l'article L. 113-1 alinéa 2 du Code des assurances, en cas de dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré. Il y ajoute les cas dans lesquels les dommages résultent de mauvais traitements, d'un manque ou d'une insuffisance de nourriture ou de soins, lorsque ces faits sont imputables à l'assuré.
Etant rappelé que par principe, et selon l'alinéa 1er de l'article L. 113-1 susvisé, l'assureur doit garantir même les dommages occasionnés par la faute de l'assuré, il doit être considéré, les exclusions devant être formelles et limitées, que la notion de manque de soins, de nature à exclure la garantie en l'espèce, vise une faute caractérisée, tenant à la volonté avérée de l'assuré de ne pas mettre en œuvre les moyens normaux pour assurer la survie de son cheptel, sans pouvoir être étendue à la faute d'imprudence tenant, entre autre, à des erreurs d'appréciation dans les plans de vaccination et de soins.
Force est de constater en l'espèce, que l'expert judiciaire, dont le rapport n'est pas utilement contredit par les conclusions de M. G., a écarté tout manque de nourriture ou de soins. En effet, il a constaté que les bâtiments sont adaptés aux types de productions en cause, que les animaux sont nourris dans le respect de la charte des bonnes pratiques de l'élevage, que les visites de vétérinaires sont régulières sur l'exploitation, une cinquantaine de visites ayant été dénombrées pour l'année 2002. L'expert a admis que la distribution des médicaments par l'éleveur n'est pas critiquable, dès lors qu'elle a eu lieu sous contrôle avéré du vétérinaire, qui avait une parfaite connaissance de l'état sanitaire du cheptel.
S'agissant de la réponse apportée aux vagues de mortalité du bétail, au cours de l'année 2002, il doit être rappelé que l'expert judiciaire a identifié trois causes de mortalité. En premier lieu une épizootie par le virus de la grippe à laquelle il a été réagi par une vaccination intervenue en fin d'année sur les animaux de plus de 4 mois, alors que l'opération aurait produit de meilleurs résultats si la vaccination avait eu lieu au courant de l'été. S'agissant donc d'une erreur stratégique, à laquelle le vétérinaire n'était d'ailleurs pas étranger, la faute ainsi commise ne saurait caractériser la cause contractuelle d'exclusion.
[minute page 6] La seconde pathologie est liée à des infections suraiguës (entérotoxémies) apparues à la rentrée des pâtures. Pour lutter contre la maladie, liée au brusque changement de régime alimentaire, l'éleveur a, à nouveau, mis en place une campagne de vaccination, en achetant 537 doses, mises en œuvre au mois de février 2002. L'échec de cette campagne, qui traduit sans équivoque la volonté de l'éleveur de soigner son cheptel, ne saurait pas non plus constituer l'exclusion de garantie prévue dans le contrat ayant lié les parties.
Quant à la troisième cause, elle est liée aux maladies néonatales, mais concernent des animaux de moins de 3 mois, non couverts par la police. C'est donc à juste titre que le premier juge a refusé de faire application de la clause d'exclusion.
Par contre, il ne pouvait pas sanctionner le non respect des obligations mises à la charge de l'assuré par l'article 14 des conventions générales par une non garantie, ou une exclusion, dès lors que la convention énonce en termes clairs et précis que le manquement par l'assuré aux obligations mises à sa charge par ce texte ouvre seulement à l'assureur le droit de solliciter une indemnité proportionnée au dommage que le manquement lui a occasionné.
Enfin, le premier juge a méconnu que pour éviter les abus que dénonce la SCEA en faisant conclure sur l'existence d'une clause abusive, l'article L. 113-11 2° du Code des assurances déclare nulles toutes clauses frappant de déchéance l'assuré à raison de simple retard apporté par lui à la déclaration du sinistre aux autorités ou à des productions de pièces, sans préjudice du droit de l'assureur de réclamer une indemnité proportionnée au dommage que ce retard lui a causé. Or force est de constater que la société AREAS Dommages, si elle établit la réalité de retards dans les déclarations de sinistres, ne formule aucune demande indemnitaire.
Les conditions de la garantie étant donc réunies, c'est à juste titre que la SCEA réclame une indemnité de sinistre suite au décès d'animaux survenus sur son exploitation. Conformément aux propositions de l'expert judiciaire, le dommage sera évalué à 59.443 euros.
Partie perdante, comme telle tenue aux dépens, la société AREAS Dommages, par application de l'article 700 du Code de procédure civile, sera condamnée à indemniser la SCEA à hauteur de 2.500 euros de ses frais de défense non compris dans les dépens.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant en audience publique, contradictoirement,
Infirme le jugement déféré ;
[minute page 7] Et statuant à nouveau :
Condamne la société AREAS Dommages à payer à la SCEA de la Q. la somme de CINQUANTE NEUF MILLE QUATRE CENT QUARANTE TROIS EUROS (59.443 €) outre intérêts au taux légal à compter du 15 septembre 2003, ainsi qu'une somme de DEUX MILLE CINQ CENTS EUROS (2.500 €) au titre des frais de défense non compris dans les dépens ;
Condamne la société AREAS Dommages aux dépens de première instance et d'appel et accorde à l'avoué de l'appelante un droit de recouvrement direct dans les conditions prévues par l'article 699 du Code de procédure civile ;
L'arrêt a été prononcé à l'audience publique du trente et un Août deux mille dix par Monsieur DORY, Président de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, conformément à l'article 452 du Code de Procédure Civile, assisté de Madame DEANA, Greffier.
Et Monsieur le Président a signé le présent arrêt ainsi que le Greffier.
Signé : C. DEANA.- Signé : G. DORY.-
Minute en sept pages.