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CA ANGERS (1re ch. A), 8 mars 2011

Nature : Décision
Titre : CA ANGERS (1re ch. A), 8 mars 2011
Pays : France
Juridiction : Angers (CA)
Demande : 09/02136
Date : 8/03/2011
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 30/09/2009
Décision antérieure : TI LAVAL, 7 juillet 2009
Numéro de la décision : 102
Décision antérieure :
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CERCLAB – DOCUMENT N° 2628

CA ANGERS (1re ch. A), 8 mars 2011 : RG n° 09/02136 ; arrêt n° 102

Publication : Jurica

 

Extrait : « La clause litigieuse est ainsi rédigée : « La livraison de l'ensemble des logements devra intervenir au plus tard le 31 décembre 2005. Le tout sous réserve de survenance d'un cas de force majeure ou d'une cause légitime de suspension du délai de livraison. Pour l'application de ces dispositions, seront considérées comme causes légitimes de suspension dudit délai : ... les intempéries... Pour l'appréciation des événements ci-dessus évoqués, les parties, d'un commun accord, déclarent s'en rapporter dès à présent à un certificat établi par l'architecte ou le maître d'œuvre ayant la direction des travaux, sous sa propre responsabilité ».

Le premier juge a dit que cette clause pouvait être qualifiée d'abusive dans la mesure où elle renvoyait à la délivrance d'un certificat par l'architecte ou le maître d'œuvre pour l'appréciation d'événements dans lesquels il est juge et partie et lui permettant d'échapper à ses propres obligations et qu'il convenait de prendre en compte d'autres éléments extérieurs pour établir la réalité des intempéries.

Cette motivation relève d'une méprise sur le rôle et les responsabilités de l'architecte ou du maître d'œuvre. En effet, le retard de livraison suppose un retard dans l'exécution des travaux qui sont réalisés par les entrepreneurs. C'est le maître d'œuvre qui est chargé de leur appliquer le cas échéant les pénalités de retard lorsque celui-ci est de leur fait. Si la responsabilité de l'architecte ou du maître d'œuvre peut également être engagée en cas de retard, c'est à la condition qu'une faute soit prouvée à son encontre dans l'exécution de sa mission de direction des travaux. Par ailleurs, l'architecte ou le maître d'œuvre est le mieux placé pour apprécier l'existence des causes de suspension légitimes mentionnées dans la clause et l'intervention d'un huissier de justice serait aussi lourde qu'onéreuse. En écrivant dans leurs conclusions que, rémunéré par le maître de l'ouvrage, l'architecte peut être partial, les époux X. méconnaissent les obligations déontologiques qui pèsent sur cette profession et présument la mauvaise foi alors que c'est la bonne foi qui est présumée. Enfin, ce professionnel établit le certificat sous sa responsabilité et sa valeur probante peut être contestée en justice, comme les intimés ne manquent pas de le faire.

Pour toutes ces raisons, la clause litigieuse ne peut être considérée comme une clause abusive au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL D’ANGERS

PREMIÈRE CHAMBRE A

ARRÊT DU 8 MARS 2011

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 09/02136. Arrêt n° 102. Sur appel d’un jugement du 7 juillet 2009 – Tribunal d’Instance de LAVAL, n° d’inscription au RG de première instance 08/0204

 

APPELANT :

L’ÉTABLISSEMENT SARTHE HABITAT

[adresse], représenté par la SCP CHATTELEYN ET GEORGE, avoués à la Cour, assisté de Maître Joseph ROTH, avocat au barreau de METZ,

 

INTIMÉS ET INCIDEMMENT APPELANTS :

Monsieur X.

[adresse],

Madame Y. épouse X.

[adresse],

représentés par la SCP GONTIER - LANGLOIS, avoués à la Cour, assistés de Maître Alain DUPUY, avocat au barreau du MANS

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 25 janvier 2011 à 14 H 00, en audience publique, devant la Cour composée de : Monsieur DELETANG, président en application de l’ordonnance du 3 janvier 2011, Madame VERDUN et Madame RAULINE, ayant été entendue en son rapport, conseillers, qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame LEVEUF

ARRÊT : contradictoire. Prononcé publiquement le 8 mars 2011, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile. Signé par Monsieur DELETANG, président, et par Madame LEVEUF, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par acte authentique passé en l'étude de maître G., notaire au Mans, le 7 octobre 2004, monsieur et madame X. ont acquis auprès de Sarthe Habitat, les lots n° 6, 31 et 109 constitués d'un appartement, d'une cave et d'un parking, dans un ensemble immobilier situé [...], dans le cadre d'un contrat de vente en l'état futur d'achèvement.

L'acte stipule que la livraison devra intervenir le 31 décembre 2005 au plus tard, sous réserve de la survenance d'un cas de force majeure ou d'une cause légitime de suspension du délai de livraison, les parties déclarant s'en rapporter à un certificat de l'architecte ou du maître d'œuvre pour l'appréciation des événements énumérés dans la clause, parmi lesquels figurent les intempéries.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 février 2006, les époux X. ont mis en demeure Sarthe Habitat d'achever les travaux et de leur livrer l'appartement en indiquant qu'ils subissaient un préjudice financier du fait du retard. Le 14 mars suivant, le conseil de Sarthe Habitat leur a répondu que le chantier avait été retardé par 130 jours d'intempéries et que le terme était reporté au 10 mai 2006.

Le procès-verbal de réception des lots n° 6, 31 et 109 a été signé par les parties le 11 mai 2006 avec réserves.

Par acte d'huissier en date du 25 juin 2007, les époux X. ont fait assigner Sarthe Habitat devant le tribunal d'instance du Mans sur le fondement de l’article 1147 du code civil pour obtenir des dommages-intérêts, soit 4.550 euros au titre de la perte de loyers et 4.129,74 euros au titre des frais intercalaires, ainsi qu'une indemnité de procédure.

L'affaire a été renvoyée devant le tribunal d'instance de Laval par un jugement du 12 mars 2008 en application de l’article 47 du code de procédure civile en raison de la qualité d'avocate de madame X.

Par un jugement du 7 juillet 2009, ce tribunal a dit que la société Sarthe Habitat était responsable du retard de livraison de l'immeuble vendu à monsieur et madame X. et l'a condamnée à leur payer 5.629,74 euros à titre de dommages-intérêts et 800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, sous le bénéfice de l'exécution provisoire à hauteur de la moitié des condamnations.

Sarthe Habitat a interjeté appel de cette décision le 30 septembre 2009. Les époux X. ont relevé appel incident.

Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 janvier 2011.

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Par conclusions du 23 septembre 2010, l'office public d'aménagement et de construction de la Sarthe, Sarthe Habitat, demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter les époux X. de toutes leurs demandes, de la décharger des condamnations prononcées à son encontre et de les condamner à leur payer 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

Il conteste la qualification de clause abusive opérée par le premier juge à qui ils reprochent de ne pas avoir expliqué en quoi il existait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, et ce alors que madame X. exerce la profession d'avocat et qu'il lui incombait de soulever le caractère abusif de la clause au moment de la signature du contrat. Il rappelle qu'aux termes de l’article L. 5424-9 du code du travail, c'est le maître d'œuvre qui détermine l'arrêt de travail pour cause d'intempéries et qu'une clause qui se réfère à un dispositif légal ne peut donc être abusive. Il rappelle que l'architecte ou le maître d'œuvre n'est pas partie au contrat VEFA et que le même certificat est opposable au maître de l'ouvrage par les entrepreneurs pour le décompte des pénalités de retard. Il indique qu'en l'espèce, aucune pénalité ne leur a été décomptée car le retard de livraison était imputable aux intempéries et non à leur inertie. Il soutient que les acquéreurs n'établissent pas que le 31 décembre 2005, l'immeuble n'était pas achevé au sens de l’article R. 261-1 du code de la construction et de l'habitation, preuve qui ne saurait résulter de la production en appel de la déclaration d'achèvement de travaux adressée à l'autorité administrative et que la date d'achèvement ne doit pas non plus être confondue avec la date de réception de l'ouvrage sur le fondement de l’article 1792 du code civil, seule la première date devant être retenue. En conséquence, le tribunal ne pouvait pas retenir le procès-verbal de réception du 11 mai 2006. Il déclare produire le bilan météorologique établissant la réalité des 172 jours d'intempéries, lequel constitue un élément extérieur aux parties, faisant observer que chaque corps de métier est soumis à des conditions atmosphériques propres et que l'empêchement en résultant ne signifie pas nécessairement l'arrêt complet du chantier et que c'est le total des empêchements qui doit être pris en compte.

Il soutient que l'obligation de résultat de livrer l'appartement le 31 décembre 2005 n'entraîne pas présomption de lien de causalité avec le dommage allégué par les acquéreurs, la preuve de celui-ci incombant à ces derniers, conformément à une jurisprudence constante. Or, l'attestation de l'agent immobilier, outre qu'elle émane de leur mandataire et n'est donc pas plus fiable que le certificat de l'architecte relatif aux intempéries établit seulement que le bien mis en location depuis deux mois n'est toujours pas loué deux mois plus tard en raison des désordres subsistant après la réception, et non que des demandes de location parvenues à l'agence après le 31 décembre 2005 n'ont pu être satisfaites avant le 11 mai 2006 en raison du retard de livraison. Il estime que la seconde attestation de l'agent immobilier contredit la première. Selon lui, les préjudices allégués par les intimés ne sont qu'éventuels.

Par conclusions du 29 septembre 2010, monsieur et madame X. demandent à la cour de débouter Sarthe Habitat de son appel, de faire droit à leur appel incident, d'infirmer le jugement et de le condamner à leur payer 4.550 euros au titre de la perte de loyers, 4.129,74 euros au titre des frais intercalaires et 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.

Ils soutiennent que la clause est abusive en ce qu'elle permet au constructeur de s'affranchir totalement du délai de livraison sans justification valable et en ce que l'architecte n'est pas un « élément extérieur » permettant de respecter l'équilibre entre les parties contractantes car, étant rémunéré par le maître de l'ouvrage, il peut être considéré comme partial. Ils qualifient les propos tenus sur madame X. de diffamatoires et estiment qu'un avocat est en droit d'invoquer la protection légale, et ce d'autant qu'elle n'est pas un spécialiste de droit immobilier. Ils ajoutent qu'ils n'auraient pas soulevé de difficulté si la clause avait été appliquée de bonne foi alors qu'il en a été fait une utilisation abusive. Ils dénient toute force probante au relevé météorologique qui, selon eux, ne permet pas d'établir que les conditions climatiques ont été à l'origine de retards de chantier. Ils font valoir qu'aucune vérification n'a été réalisée, qu'il n'existe aucune corrélation entre les intempéries et les jours d'arrêt du chantier et qu'il n'est que rarement fait état des intempéries dans les comptes-rendus du chantier ce dont il résulte que l'architecte se contredit. Ils déduisent de la lecture de ceux-ci que c'est l'inertie des entrepreneurs, les retards de livraison des matériaux et l'insuffisance des effectifs dépêchés sur le chantier, régulièrement stigmatisés dans ces comptes-rendus, qui sont à l'origine du retard, ainsi que le manque de coordination des travaux par l'architecte. Ils répondent que la déclaration d'achèvement de travaux du 30 septembre 2006 est la preuve qu'à la date du 11 mai 2006, l'immeuble n'était toujours pas achevé. Ils reprochent à l'appelante sa mauvaise foi.

Ils sollicitent la confirmation du jugement sur les intérêts intercalaires mais son infirmation sur la somme allouée en réparation de la perte de loyers qu'ils jugent insuffisante. Ils demandent à la cour de calculer la perte de chances de janvier 2006 au 24 juillet 2006, soit 650 euros pendant sept mois.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

1°) Sur le retard de livraison :

Le litige porte sur la date de livraison de l'immeuble, la validité de la clause relative aux causes de suspension légitime du délai contractuel et la valeur probante du certificat délivré par l'architecte le 5 juillet 2006.

 

1.1. Sur la date de livraison de l'immeuble :

Sarthe Habitat soutient que les intimés ne rapportent pas la preuve que l'immeuble n'était pas achevé le 31 décembre 2005 et que le procès-verbal du 11 mai 2006 ne peut valoir preuve de la date de livraison car la réception au sens de l’article 1792 du code civil est un acte postérieur à l'achèvement de l'immeuble.

C'est à juste titre que l'appelant rappelle que l'achèvement de l'immeuble doit être distingué de la réception de l'ouvrage, le premier concernant uniquement l'exécution des obligations du vendeur à l'égard de l'acquéreur tandis que la seconde intervient postérieurement, entre le vendeur-maître de l'ouvrage, le maître d'œuvre et les entrepreneurs, et constitue le point de départ des garanties légales.

La preuve de l'achèvement est libre, aucune formalité particulière n'ayant été prévue pour sa constatation. L'appelant laisse entendre que l'immeuble était achevé le 31 décembre 2005 sans en rapporter la preuve et les comptes-rendus de chantier produits par les intimés démontrent le contraire.

C'est à bon droit que le premier juge a retenu la date du procès-verbal de réception du 11 mai 2006. Certes, il fait référence à l’article 1792-6 du code civil mais Sarthe Habitat ne peut se prévaloir de ce qui relève à l'évidence d'une erreur ou d'une maladresse rédactionnelle dont elle est, de surcroît, l'auteur. Ce document concerne uniquement les lots acquis par les époux X. et il est signé par les deux parties. Il justifie dès lors de la livraison du bien à cette date.

 

1.2. Sur la qualification de clause abusive :

La clause litigieuse est ainsi rédigée :

« La livraison de l'ensemble des logements devra intervenir au plus tard le 31 décembre 2005. Le tout sous réserve de survenance d'un cas de force majeure ou d'une cause légitime de suspension du délai de livraison. Pour l'application de ces dispositions, seront considérées comme causes légitimes de suspension dudit délai : ... les intempéries... Pour l'appréciation des événements ci-dessus évoqués, les parties, d'un commun accord, déclarent s'en rapporter dès à présent à un certificat établi par l'architecte ou le maître d'œuvre ayant la direction des travaux, sous sa propre responsabilité ».

Le premier juge a dit que cette clause pouvait être qualifiée d'abusive dans la mesure où elle renvoyait à la délivrance d'un certificat par l'architecte ou le maître d'œuvre pour l'appréciation d'événements dans lesquels il est juge et partie et lui permettant d'échapper à ses propres obligations et qu'il convenait de prendre en compte d'autres éléments extérieurs pour établir la réalité des intempéries.

Cette motivation relève d'une méprise sur le rôle et les responsabilités de l'architecte ou du maître d'œuvre. En effet, le retard de livraison suppose un retard dans l'exécution des travaux qui sont réalisés par les entrepreneurs. C'est le maître d'œuvre qui est chargé de leur appliquer le cas échéant les pénalités de retard lorsque celui-ci est de leur fait. Si la responsabilité de l'architecte ou du maître d'œuvre peut également être engagée en cas de retard, c'est à la condition qu'une faute soit prouvée à son encontre dans l'exécution de sa mission de direction des travaux.

Par ailleurs, l'architecte ou le maître d'œuvre est le mieux placé pour apprécier l'existence des causes de suspension légitimes mentionnées dans la clause et l'intervention d'un huissier de justice serait aussi lourde qu'onéreuse. En écrivant dans leurs conclusions que, rémunéré par le maître de l'ouvrage, l'architecte peut être partial, les époux X. méconnaissent les obligations déontologiques qui pèsent sur cette profession et présument la mauvaise foi alors que c'est la bonne foi qui est présumée.

Enfin, ce professionnel établit le certificat sous sa responsabilité et sa valeur probante peut être contestée en justice, comme les intimés ne manquent pas de le faire.

Pour toutes ces raisons, la clause litigieuse ne peut être considérée comme une clause abusive au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation.

 

1.3. Sur la valeur probante du certificat du 5 juillet 2006 :

Il convient de rappeler qu'en matière d'indemnisation des salariés du bâtiment en cas d'arrêt de travail par suite d'intempéries, l’article L. 5424-8 du code du travail considère comme telles « les conditions atmosphériques et les inondations lorsqu'elles rendent dangereux ou impossible l'accomplissement du travail eu égard soit à la santé ou à la sécurité des salariés soit à la nature ou à la technique du travail à accomplir ». Même si la définition des intempéries en matière civile est indépendante de celle existant en droit du travail, il aurait été utile que Sarthe Habitat, qui se prévaut de ces dispositions dans ses conclusions, communique le document de la caisse de congés-payés attestant du nombre de jours d'intempéries indemnisés par cette dernière, comme l'a relevé le premier juge.

Pour être une cause légitime de suspension des travaux permettant de retarder le délai de livraison, les intempéries doivent présenter un caractère de gravité suffisant de nature à empêcher tous les salariés du chantier de travailler et, sans avoir les caractéristiques de la force majeure, à constituer un événement fortuit pour les constructeurs. Si elles peuvent n'affecter qu'un corps de métier, comme le soutient l'appelant, encore faut-il qu'elles entraînent une interruption des travaux suffisamment longue pour avoir une répercussion sur les autres corps de métier.

Il apparaît à la lecture du certificat dressé par monsieur S., architecte, le 5 juillet 2006 qu'il y aurait eu 129 jours d'intempéries jusqu'au 31 décembre 2005, date à laquelle l'immeuble aurait dû être livré, ce qui représente 25 semaines sur la base de 5 jours ouvrés ou 6 mois pour une durée totale du chantier de16 mois d'après le premier compte-rendu de chantier, étant précisé qu'il s'agissait d'un programme de construction de 43 logements. La cour ne peut que relever qu'un nombre aussi important de journées d'intempéries est invraisemblable dans un département au climat tempéré comme la Sarthe.

Il ressort du dossier que, pour établir ce certificat, monsieur S. s'est fondé sur un document intitulé « suivi météorologique de chantier » établi mensuellement par Météo France, qui relate les températures sous abri, les précipitations, le vent, la neige, l'humidité, le gel et la température au sol au cours du mois écoulé, que ce service a adressé chaque mois d'octobre 2004 à mai 2006 à l'un des entrepreneurs intervenant sur le chantier, CBF, ainsi que cela ressort du tampon d'arrivée figurant sur chaque relevé.

Il apparaît à la lecture de ces relevés que monsieur S. a considéré comme journée d'intempérie toute journée au cours de laquelle le cumul des précipitations était supérieur à 3 mm, le vent supérieur à 39 km/heure ou la température négative, les phénomènes se cumulant ou non selon les cas. Aucune explication n'est fournie quant au choix de tels critères. Ils présentent la caractéristique d'exister les douze mois de l'année, de manière plus ou moins importante selon les saisons, y compris au printemps et pendant l'été. Compte tenu des critères retenus, il aurait été logique que des journées d'intempéries soient relevées également pendant les sept premiers mois du chantier, de mars 2004 à septembre 2004, mais, pour une raison inconnue, cela n'a pas été le cas.

Il s'agit souvent de journées éparses et à 12 reprises, il y a eu au moins dix journées d'intempéries dans le mois, c'est à dire la moitié des jours ouvrés, ce qui est considérable. Or, comme le font observer les intimés, rien ne laisse deviner à la lecture des comptes-rendus hebdomadaires que l'activité du chantier a été interrompue, à l'exception de la période du 6 mai au 14 juin 2004 en raison d'un référé préventif. La seule mention d'un retard pour cause d'intempérie apparaît dans le compte-rendu du 2 février 2006 pour les travaux de façade (qui avaient déjà un retard de trois semaines).

Il ressort clairement des 96 comptes-rendus de chantier versés aux débats (sur 106) qu'outre l'arrêt déjà évoqué du 6 mai au 14 juin 2004, l'architecte a régulièrement dénoncé le retard pris par les entrepreneurs, au premier rang desquels CBF chargé du lot gros œuvre, à qui il a maintes fois demandé de renforcer ses effectifs sans qu'il ne s'exécute jamais (cf. notamment les comptes-rendus de mars 2005). Ainsi, les travaux de charpente qui auraient dû commencer en décembre 2004 (semaine 50) n'ont débuté qu'en juin 2005.

Le relevé d'intempérie versé aux débats est ainsi en discordance avec les comptes rendus de chantiers et procède d'une conception extensive de la notion d'intempéries comme cause légitime de suspension du délai de livraison dont la clause précitée, qui s'interprète strictement, permet de faire peser le risque économique sur les acquéreurs en l'état futur d'achèvement. Il n'a donc pas la valeur probante nécessaire pour permettre à Sarthe Habitat de se prévaloir de son bénéfice.

Dans ces conditions, l'appelant n'est pas fondé à invoquer la clause permettant de majorer le délai contractuel des jours d'intempéries, le jugement étant confirmé en ce qu'il a déclaré Sarthe Habitat responsable du retard de livraison.

 

2°) Sur la réparation du préjudice :

Les intimés réclament 4.550 euros au titre de la perte de loyers et 4.129,74 euros au titre des frais intercalaires en invoquant un retard de sept mois, du 1er janvier au 24 juillet 2006, date à laquelle ils ont loué l'appartement, précisant que cette acquisition était une opération de défiscalisation dans le cadre de la loi de Robien.

Lorsque le préjudice résulte du retard dans l'exécution de l'obligation, le droit à réparation ne naît qu'à la date de la mise en demeure et ne couvre que la partie du retard postérieure à celle-ci. L’article 1146 du code civil pose, en effet, le principe d'une mise en demeure en matière contractuelle, laquelle, seule, permet d'imputer le retard au débiteur.

Les époux X. justifient d'une mise en demeure le 24 février 2006.

Le bien a été livré le 11 mai 2006, comme cela a été indiqué précédemment, mais le procès-verbal comportait des réserves. Celles-ci, portées manuscritement, sont illisibles mais l'agent immobilier déclare n'avoir pu louer l'appartement qu'à compter du 24 juillet 2006 car « les anomalies ont gêné les candidats locataires qui se sont dirigés vers d'autres biens ». Il convient donc de retenir la date du 24 juillet 2006, comme les intimés le demandent, et non celle du 11 mai, retenue par le tribunal.

Les intimés ne peuvent donc prétendre être indemnisés que du 24 février au 24 juillet 2006, soit cinq mois de retard.

Ce retard est imputable à Sarthe Habitat qui s'était contractuellement engagé envers les époux X. sur la date du 31 décembre 2005 et qui est donc tenue de réparer le préjudice subi de ce fait dès lors qu'une mise en demeure lui a été adressée.

Sur la perte de loyers : il s'écoule un délai entre la mise en location d'un bien et la signature du bail, plus ou moins long selon les caractéristiques du bien loué et l'état du marché immobilier. Elle constitue donc une perte de chances, ce qu'admettent les intimés tout en réclamant une indemnisation des sept mois. L'agent immobilier ne fournit aucune précision sur l'attractivité du bien au regard notamment de son emplacement et des besoins du marché manceau à cette époque.

S'agissant d'un bien neuf, il convient de fixer la perte de chance à 75 %. Il sera donc alloué aux intimés la somme de 2.437,50 euros au titre de la perte de loyers.

Sur les intérêts intercalaires, le jugement qui a accueilli la demande (4.129,74 euros) sera infirmé puisque cette somme correspond à six mois d'après le document émanant du cabinet de gestion des époux X. Elle sera réduite au prorata à 3.441,45 euros.

Le montant des dommages-intérêts alloués à monsieur et madame X. s'élève dès lors à 5 878,95 euros.

 

3°) Sur les autres demandes :

Les dispositions du jugement relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens seront confirmées.

Il convient d'allouer la somme de 2.000 euros aux intimés en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

L'appelant qui succombe en ses prétentions sera débouté de sa demande à ce titre et condamné aux dépens d'appel.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME partiellement le jugement déféré,

CONDAMNE Sarthe Habitat à payer à monsieur et madame X. la somme de 5 878,95 euros à titre de dommages-intérêts,

CONFIRME les autres dispositions du jugement,

Y ajoutant,

CONDAMNE Sarthe Habitat à payer à monsieur et madame X. la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

CONDAMNE Sarthe Habitat aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER         LE PRESIDENT

C. LEVEUF               B. DELETANG