CA BORDEAUX (1re ch. civ. sect. A), 25 janvier 2010
CERCLAB - DOCUMENT N° 2888
CA BORDEAUX (1re ch. civ. sect. A), 25 janvier 2010 : RG n° 09/00492
Publication : Jurica
Extrait : « Il est constant que Mademoiselle X. et Monsieur Y. qui s'étaient rendus dans le magasin de la société VGC Distribution le 29 mars 2008 ont signé, après plusieurs heures de négociation, le même jour, un bon de commande relatif à une cuisine aménagée comprenant des meubles, des accessoires, des éléments d'électroménager et l'installation de l'ensemble pour un prix de 10.000 euros TTC payable à raison d'un acompte de 8.000 euros à la commande et le solde à la livraison.
Les pièces jointes au bon de commande et ce dernier lui-même révèlent que le plan technique, certes revêtu de la mention « bon pour implantation » par les acquéreurs et qui a servi de base au devis, a été réalisé sur la base du plan théorique de leur appartement tel qu'annexé au contrat de réservation de l'immeuble le 8 décembre 2007. Le devis n'a été précédé d'aucun déplacement d'un technicien chargé de la vérification des côtes et des métrages, de l'étendue et des conditions techniques d'exécution des prestations en dépit des termes de la recommandation n° 82-03 du 14 mai 2003 de la commission des clauses abusives qui mentionne que les contrats d'installation d'une cuisine recouvrant des prestations diverses, compte tenu de la complexité de l'opération, nécessitent l'information précise du consommateur notamment sur la nature, l'étendue et les conditions techniques d'exécution des prestations de telle sorte qu'il appartient au professionnel d'effectuer avant la conclusion définitive du contrat une étude technique permettant d'apprécier l'influence des caractéristiques techniques de l'immeuble sur le coût de l'installation projetée.
Si cette recommandation ne revêt pas une valeur impérative elle n'en constitue pas moins la définition d'une disposition dont la privation caractérisée, comme c'est le cas en l'espèce, a interdit aux acquéreurs d'être « en possession de toutes ces informations techniques qui sont des éléments constitutifs de leur consentement et à défaut desquels le contrat de vente ne s'est pas réellement formé », et ce alors même qu'ils ont été contraints de verser un acompte représentant 80 % du prix global de l'installation.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité du bon de commande en considérant que son élaboration selon les modalités précitées avait enfreint les dispositions de l’article 1129 du code civil ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A
ARRÊT DU 25 JANVIER 2010
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
RG n° 09/00492. Nature de la décision : AU FOND. Décision déférée à la cour : jugement rendu le 9 janvier 2009 par le Tribunal d'Instance de BORDEAUX (RG : 08-001693) suivant déclaration d'appel du 28 janvier 2009.
APPELANTE :
SAS VGC DISTRIBUTION,
exerçant sous l'enseigne VOGICA, agissant par son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [adresse], représentée par la SCP LABORY-MOUSSIE & ANDOUARD, avoués à la Cour, et assistée de la SCP MICHEL - FREY-MICHEL - BAUER - BERNA, avocats au barreau de NANCY
INTIMÉS :
Mademoiselle X.
demeurant [adresse],
Monsieur Y.
demeurant [adresse],
représentés par la SCP GAUTIER & FONROUGE, avoués à la Cour, et assistés de Maître Bénédicte DE BOUSSAC DI PACE, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 30 novembre 2009 en audience publique, devant la cour composée de : Marie-Paule LAFON, président, Jean-Paul ROUX, président, Jean-Claude SABRON, conseiller, qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Annick BOULVAIS
ARRÊT : contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE ANTÉRIEURE :
Mademoiselle X. et Monsieur Y. ont signé auprès de la société anonyme VGC Distribution un bon de commande le 29 mars 2008 relatif à l'achat d'une cuisine modèle « Shogun » pour un montant de 10.000 euros TTC livrable au plus tard le 30 mai 2008.
Ils ont versé à titre d'acompte une somme de 8.000 euros.
Dès le lendemain de la signature du bon de commande, se prévalant du fait qu'ils s'étaient aperçus tardivement que l'électroménager inclus dans le prix était de marque VGC et non Scholtès comme ils l'avaient pensé et négocié et qu'en outre la cuisine modèle Shogun était d'une qualité bien moindre que le modèle Sushi sur lequel s'était fixé initialement leur choix, les consorts X. - Y. ont sollicité amiablement l'annulation du bon de commande auprès de la société VGC Distribution. Ils se voyaient opposer un refus de la part de cette dernière.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 10 avril 2008 adressée tant au magasin qu'au service consommateur de la société, leur conseil mettait en demeure cette dernière d'annuler le bon de commande litigieux sur le fondement de l’article 1129 du Code civil dès lors qu'il reposait sur un document intitulé « votre implantation » consistant en un plan sommaire sur lequel ne figure strictement aucune cotation à l'exception de la longueur et de la largeur supposées de la pièce dans laquelle doit être implantée cette cuisine.
La SA VGC Distribution répondait par courrier du 14 avril 2008 aux termes duquel elle refusait de procéder à l'annulation du bon de commande tout en reconnaissant « En l'espèce, tant que la visite technique n'a pu être réalisée, il est impossible de se prononcer sur la faisabilité du projet ». Par ailleurs elle déclinait « toute responsabilité quant au non respect du délai de livraison ».
Par acte d'huissier en date du 13 mai 2008, Mademoiselle X. et Monsieur Y. ont fait assigner la société VGC Distribution devant le tribunal d'instance de Bordeaux aux fins de voir prononcer la nullité du bon de commande signé le 29 mars 2008 et d'entendre condamner ladite société à leur rembourser l'acompte de 8.000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 avril 2008 avec capitalisation des intérêts, publication du jugement dans le journal Sud Ouest et allocation d'une somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement en date du 9 janvier 2009, le tribunal d'instance de Bordeaux annulait le bon de commande du 29 mars 2008 et condamnait la société VGC Distribution à payer aux consorts X. - Y. la somme de 8.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2008, et capitalisation des intérêts outre l'allocation d'une somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile, avec exécution provisoire.
PROCÉDURE D'APPEL :
Par déclaration en date du 28 janvier 2009, la société VGC Distribution a régulièrement relevé appel de ce jugement.
A l'appui de son appel elle soutient que :
- le bon de commande fait apparaître de manière très claire et complète chaque élément références, couleurs, mesures et toutes précisions utiles ;
- en conséquence l'objet de la vente est parfaitement déterminé ou déterminable au sens de l’article 1129 du Code civil, la possibilité de prévoir le passage d'un technicien étant seulement prévue par la SA VGC Distribution dans l'intérêt des clients ;
- l'annulation du bon de commande ne serait envisageable que si le technicien lors de son passage constatait l'impossibilité totale d'implantation de la cuisine ;
- les demandeurs, ayant refusé l'intervention du technicien, ne peuvent donc se prévaloir de ce cas de figure ;
- le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a accueilli les demandes des consorts X. - Y. ;
- il lui sera alloué une somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
En réplique les consorts X. - Y. soutiennent que :
- ils ne se sont pas opposés à la venue du technicien, mais savaient qu'elle conduirait à opérer des modifications nécessaires en raison des mesures imprécises et donc à augmenter le coût de la cuisine ;
- or ils ont constaté à la simple lecture du bon de commande qu'il manquait un meuble et qu'en conséquence la rectification qui s'imposait à ce titre entraînerait un surcoût ;
- c'est donc à juste titre que le jugement entrepris a annulé le bon de commande sur le fondement de l’article 1129 du Code civil en ce que seul un relevé précis des dimensions de la pièce par un technicien aurait permis de rendre déterminables les conditions d'exécution du contrat ;
- la commission des clauses abusives a indiqué dans sa recommandation n° 82-03 du 14 mai 2003 que les contrats d'installation de cuisines nécessitaient pour que l'objet de la vente soit déterminé, qu'un technicien vienne sur les lieux pour apprécier l'influence des caractéristiques de l'immeuble sur le coût de l'installation, avant toute conclusion du bon de commande ;
- à titre infiniment subsidiaire, la résolution du contrat de vente devrait être confirmée sur le fondement de l'article L. 114-2 du Code de la consommation en raison du dépassement de la date de livraison ;
- le jugement sera confirmé ;
- il leur sera en outre alloué la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la privation de la somme de 8.000 euros qu'ils ont subie outre 3.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Il est constant que Mademoiselle X. et Monsieur Y. qui s'étaient rendus dans le magasin de la société VGC Distribution le 29 mars 2008 ont signé, après plusieurs heures de négociation, le même jour, un bon de commande relatif à une cuisine aménagée comprenant des meubles, des accessoires, des éléments d'électroménager et l'installation de l'ensemble pour un prix de 10.000 euros TTC payable à raison d'un acompte de 8.000 euros à la commande et le solde à la livraison.
Les pièces jointes au bon de commande et ce dernier lui-même révèlent que le plan technique, certes revêtu de la mention « bon pour implantation » par les acquéreurs et qui a servi de base au devis, a été réalisé sur la base du plan théorique de leur appartement tel qu'annexé au contrat de réservation de l'immeuble le 8 décembre 2007.
Le devis n'a été précédé d'aucun déplacement d'un technicien chargé de la vérification des côtes et des métrages, de l'étendue et des conditions techniques d'exécution des prestations en dépit des termes de la recommandation n° 82-03 du 14 mai 2003 de la commission des clauses abusives qui mentionne que les contrats d'installation d'une cuisine recouvrant des prestations diverses, compte tenu de la complexité de l'opération, nécessitent l'information précise du consommateur notamment sur la nature, l'étendue et les conditions techniques d'exécution des prestations de telle sorte qu'il appartient au professionnel d'effectuer avant la conclusion définitive du contrat une étude technique permettant d'apprécier l'influence des caractéristiques techniques de l'immeuble sur le coût de l'installation projetée. Si cette recommandation ne revêt pas une valeur impérative elle n'en constitue pas moins la définition d'une disposition dont la privation caractérisée, comme c'est le cas en l'espèce, a interdit aux acquéreurs d'être 'en possession de toutes ces informations techniques qui sont des éléments constitutifs de leur consentement et à défaut desquels le contrat de vente ne s'est pas réellement formé', et ce alors même qu'ils ont été contraints de verser un acompte représentant 80 % du prix global de l'installation.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité du bon de commande en considérant que son élaboration selon les modalités précitées avait enfreint les dispositions de l'article 1129 du Code civil
Egalement sera confirmée la condamnation de la société VGC Distribution à la restitution subséquente de l'acompte de 8.000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 avril 2008 et capitalisation des intérêts lorsqu'ils seront dus pour une année entière, en application des dispositions de l’article 1154 du Code civil La disposition du jugement entrepris rejetant la demande de publication de la décision dans le journal Sud-Ouest ne faisant l'objet d'aucune contestation sera purement et simplement reconduite.
En revanche, il ne peut être contesté que l'attitude de la société VGC Distribution qui, sur la base de documents imprécis a obtenu la signature du bon de commande par ses clients après plusieurs heures de négociation conduites dès la première prise de contact mais également le versement d'un acompte représentant 80 % du prix de l'installation de la cuisine, dans des conditions encourant la nullité du contrat, les a privés depuis le 29 mars 2008 de la libre disposition de cette somme dont ils avaient besoin pour équiper l'appartement qu'ils venaient d'acquérir. Il y a donc lieu de leur allouer en réparation de ce chef de préjudice la somme de 1.500 euros en sus des intérêts au taux légal qui compensent un préjudice distinct. Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.
Par ailleurs il sera alloué aux intimés la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
Enfin la société VGC Distribution qui succombe en son appel sera tenue aux dépens d'appel.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Infirme le jugement entrepris au titre du rejet de la demande de dommages et intérêts de Mademoiselle X. et de Monsieur Y.
Statuant à nouveau
Condamne la société VGC Distribution à payer à Mademoiselle X. et à Monsieur Y. la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts.
Confirme pour le surplus le jugement entrepris.
Y ajoutant
Condamne la société VGC Distribution à payer à Mademoiselle X. et à Monsieur Y. la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la société VGC Distribution aux dépens d'appel et en accorde distraction à la SCP GAUTIER et FONROUGE.
Le présent arrêt a été signé par Madame Marie-Paule Lafon, président, et par Madame Annick Boulvais, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
- 5996 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Normes de référence - Recommandations de la Commission des clauses abusives - Absence de caractère normatif
- 5998 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Normes de référence - Recommandations de la Commission des clauses abusives - Influence effective
- 6481 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Vente d’ameublement - Cuisine intégrée (vente et installation) (1) - Formation et contenu du contrat