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TGI PARIS (5e ch. 1re sect.), 26 juin 2002

Nature : Décision
Titre : TGI PARIS (5e ch. 1re sect.), 26 juin 2002
Pays : France
Juridiction : Paris (TGI)
Demande : 00/18027
Date : 26/06/2002
Nature de la décision : Rejet
Date de la demande : 6/06/2000
Décision antérieure : CA PARIS (15e ch. sect. B), 24 juin 2005
Numéro de la décision : 15
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CERCLAB - DOCUMENT N° 3076

TGI PARIS (5e ch. 1re sect.), 26 juin 2002 : RG n° 00/18027 ; jugement n° 15

(sur appel CA Paris (15e ch. B), 24 juin 2005 : RG n° 04/06974)

 

Extrait : « Attendu que Madame X. conclut également à ce que la clause de 5 % soit déclarée nulle et inopposable ; Attendu que cette disposition contractuelle prévoit : « Si au cours d'un mois les demandes d'arbitrage portant sur les parts ou actions d'un support excédaient 5 % de son capital, la date d'arbitrage de ce support pourrait être différée sur une durée maximum de six mois afin de préserver les intérêts de nos assuré » ;

Attendu que cette clause, parfaitement claire et précise dans son libellé, tendant à limiter les reports effectués sur un même support, n'a pas pour conséquence de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations respectifs des parties au détriment du souscripteur ; Qu'elle ne présente aucun caractère potestatif dans la mesure où sa mise en œuvre dépend d'un événement extérieur à l'assureur, objectif, constitué par des demandes d'arbitrage dont l'ampleur échappe à la maîtrise de la compagnie ; Que c'est à tort que Madame X. soutient que cette disposition doit « s'entendre comme ne concernant que les ordres d'arbitrage donnés sur une période d'un mois par le seul souscripteur » auquel elle est opposée ; que son but étant de limiter les mouvements affectant chaque support afin de préserver l'intérêt collectif des épargnants contre des fluctuations trop brutales qui résulteraient de mouvements massifs et soudains, l'interprétation défendue par Madame X. reviendrait inéluctablement à vider cette disposition de son sens et à la priver de toute efficacité ;

Attendu que cette clause doit donc recevoir application telle qu'elle est formulée au contrat ».

 

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

CINQUIÈME CHAMBRE PREMIÈRE SECTION

JUGEMENT DU 26 JUIN 2002

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 00/18027. Assignation du 6 juin 2000.

 

DEMANDERESSE :

Madame X.

demeurant [adresse], représentée par la SELARL LECOQ VALLON et a., Avocats au Barreau de Paris L 187

 

DÉFENDERESSE :

La Société ABEILLE VIE SA

dont le siège social est [adresse], représentée par Maître Bruno QUINT de la SCP GRANRUT (anciennement dénommée SCP GRANRUT, VATIER, BAUDELOT, Avocats au Barreau de Paris P 14

 

COMPOSITION DU TRIBUNAL : Magistrats ayant délibéré : M. J. BICHARD, Vice-Président, M. LEBAULT de la MORINIERE, Premier Juge, Madame CLEROY, Juge

[minute page 2]  GREFFIER : Anne LOREAU

DÉBATS : À l'audience du 7 mai 2002 tenue publiquement

JUGEMENT : Prononcé en audience publique contradictoire, en premier ressort.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Vu l'assignation délivrée le 6 juin 2000 à la requête de Madame X. à l'encontre de la Compagnie ABEILLE VIE ;

Vu les conclusions notifiées le 26 avril 2002 par la Société défenderesse et le 29 avril 2002 par la demanderesse ;

Madame X. a souscrit auprès de la Compagnie ABEILLE VIE deux contrats dénommés « Sélection Internationale », à versements libres, multisupports, enregistrés sous les numéros 956181 C à date d'effet du 28 avril 1995 et 977168 X à date d'effet du 4 avril 1997 et ceci à durée de vie entière.

Ces contrats stipulaient sous le titre « Valeur liquidative des parts ou actions » des dispositions générales valant note d'information une clause dite d'arbitrage à cours connu, en fonction de la valeur « de la dernière Bourse de la semaine précédant la réception au siège social d'Abeille Vie : .... de la demande de mouvement et des pièces nécessaires pour les arbitrages, retraits partiels ou avances.... ».

[minute page 3]  Ils prévoyaient notamment la possibilité pour le souscripteur d'opérer des « allers et retours » au gré de l'évolution des marchés parmi les différents supports financiers proposés :

SUPPORTS EN FRANCS À TAUX GARANTI

- VICTOIRE GARANTIE (Fonds général à capital et taux garantis),

- VICTOIRE ÉPARGNE (taux garantis sur 8 ans) ;

SUPPORT COMPOSITE

- VICTORIEL (SICAV/FCP Victoire + OCPVM extérieurs) ;

SUPPORTS SICAV (Société d'Investissement à Capital  Variable)

- VICTOIRE OBLIREA (obligations françaises),

- VICTOIRE ANDROMÈDE (obligations françaises et étrangères),

- VICTOIRE SÉCURITÉ (obligations françaises et étrangères),

- VICTOIRE OBLIGATIONS (obligations françaises et étrangères),

- VICTOIRE CONVERTIBLES (obligations convertibles),

- VICTOIRE PATRIMOINE (obligations françaises et étrangères),

- VICTOIRE VALEURS (actions et obligations françaises et étrangères),

- VICTOIRE (actions et obligations diversifiées),

- CROISSANCE BRITANNIA D,

- VICTOIRE SIRIUS (actions et obligations diversifiées),

- VICTOIRE ARIANE (obligations libellées en dollars) ;

SUPPORTS FCP (Fonds Commun de Placement)

- FINABEILLE (Court terme monétaire),

- VICTOIRE PROGRESSION 1 (obligations, année impaire),

- VICTOIRE PROGRESSION 2 (obligations, année paire),

- VICTOIRE INTEROBLIG (obligations à taux fixe, variable ou indexé),

- VICTOIRE PERFORMANCE (actions diversifiées),

- VICTOIRE FRANCE (actions françaises),

- CROISSANCE ACTIONS,

- VICTOIRE JAPON (actions et obligations japonaises),

- VICTOIRE ASIE (actions et obligations asiatiques) ;

SUPPORT SCI (Société Civile Immobilière)

- VICTOIRE IMMO 1 (patrimoine immobilier) ;

[minute page 4] AUTRES FONDS SPÉCIALISÉS

- FONDS OR,

- FONDS PAYS ÉMERGENTS,

- FONDS DE CROISSANCE AMÉRICAIN.

Madame X. usant de cette faculté a donc procédé à de multiples arbitrages.

À la fin de l'année 1997, la Compagnie ABEILLE VIE lui a adressé une liste modifiée des supports désormais disponibles dont le nombre était restreint par comparaison au choix initial. Au mois de juillet 1998, la liste desdits supports a de nouveau été revue à la baisse.

Corrélativement, par deux correspondances en date du 16 juin 1998, la Compagnie d'assurance lui a proposé par avenant une modification des contrats souscrits à renoncer à la clause d'arbitrage à cours connu pour retenir désormais une valeur liquidative calculée en fonction du « cours de la dernière Bourse de Paris de la semaine suivant la réception de la demande ».

En contrepartie de l'acception par le souscripteur, celui-ci se voyait restituer à l'arbitrage un certain nombre des supports initiaux.

Madame X. n'a pas donné suite aux propositions de la Compagnie ABEILLE VIE laquelle ultérieurement a refusé de procéder à certains arbitrages aux motifs que les supports concernés n'étaient plus éligibles à son contrat ou que le seuil de 5 % du volume d'arbitrage traité chaque semaine était dépassé.

C'est dans ces Conditions que Madame X. a engagé la présente procédure.

Au visa des articles 1134 et 1147 du Code civil, elle sollicite du Tribunal :

- de la dire recevable et bien fondée ;

- [minute page 5] de constater que l'ABEILLE VIE a illégalement supprimé les supports dont elle bénéficiait en vertu de ses contrats en date des 28 avril 1995 et 4 avril 1997 et abusivement invoqué à son profit la clause du seuil des 5 % ;

- de dire et juger que l'ABEILLE VIE lui a causé un préjudice pour la période s'étalant du 1er janvier 1998 jusqu'au jugement à intervenir ;

- de désigner tel Expert qui conviendra au Tribunal afin de procéder à la vérification du préjudice subi ;

- de condamner sous astreinte de 30.000 euros par jour de retard l'ABEILLE VIE à rétablir à son profit l'intégralité des supports tels qu'ils existaient dans leur dénomination et leur composition, lors de la souscription des contrats des 28 avril 1995 et 4 avril 1997, ainsi que ceux sur lesquels elle a arbitré, ou tous supports équivalents, quant à leur composition et leur nombre ;

- sur la cause dite du seuil des 5 %, de dire et juger que cette clause lui est inopposable à Madame X. ;

Subsidiairement,

- de dire et juger que la clause du seuil des 5 % doit s'appliquer sur une période d'une semaine et non sur une période d'un mois ;

- d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

- de condamner l'ABEILLE VIE à lui payer une somme de 12.200 euros HT au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- de la condamner aux entiers dépens.

Pour sa part, la Compagnie ABEILLE VIE demande au Tribunal :

- de dire que les prétentions de Madame X. sont soumises à la prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances, à l'exclusion de toute autre ;

- [minute page 6] en conséquence, de constater que l'action de Madame X. est prescrite en ce qui concerne la validité et l'opposabilité de la clause des 5 % et les modifications de la liste des supports éligibles antérieures au 6 juin 1998 ;

- de dire et juger que la clause dite des 5 % est valable et opposable à Madame X. ;

- en tout état de cause, de constater que la Société ABEILLE VIE a procédé à une parfaite exécution des contrats SÉLECTION INTERNATIONAL de Madame X. ;

En conséquence,

- de débouter Madame X. de l'ensemble de ses demandes ;

- de condamner Madame X. à lui payer 12.000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- de condamner Madame X. aux entiers dépens.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

- Sur la prescription :

Attendu qu'en réplique aux prétentions émises par Madame X., la Compagnie ABEILLE VIE argue en premier lieu de leur irrecevabilité au motif qu'elles seraient atteintes par la prescription biennale édictée par les dispositions de l'article L. 114-1 du Code des assurances ; que, plus précisément sur les deux modifications de supports intervenues les 1er janvier et 1er juillet 1998, Madame X. serait prescrite en sa demande concernant la première ;

Attendu que la demanderesse se prévalant de l'interprétation a contrario qu'elle donne d'un arrêt rendu le 13 mars 1996 par la Cour d'appel de PARIS, répond que la prescription applicable est celle de 10 ans prévue par le 6ème alinéa dudit article L. 114-1 du Code des assurances, [minute page 7] dans la mesure où les bénéficiaires des contrats souscrits sont ses enfants ; qu'elle invoque également les stipulations mêmes du contrat ;

Qu'elle fait également valoir :

- que ce n'est qu'à compter du 17 février 1999, date à laquelle elle a reçu des relevés de situation, qu'elle a pu prendre conscience des conséquences des modifications de supports intervenues en janvier et juillet 1998 ; que la prescription n'a pu courir qu'à compter de cette date et a donc été interrompue par la délivrance de l'assignation ;

- que si la réception des nouvelles listes de supports devait être considérée comme point de départ de la prescription, force serait alors de considérer que ce n'est qu'au reçu des propositions d'avenant adressées le 16 juin 1998 qu'elle aurait pu avoir conscience du caractère définitif de la suppression des supports et de ce que leur restitution serait conditionnée par la signature desdits avenants ;

- que le caractère illicite de la suppression des avenants ne pouvait avoir pour conséquence de faire courir la prescription ;

 

Attendu que la compagnie d'assurance maintient que seule est applicable la prescription biennale dont elle n'a fait que rappeler la formulation édictée par l'article L. 114-1 du Code des assurances dans le contrat souscrit et que celle-ci a commencé à courir à compter des modifications des supports ce qui a pour conséquence d'entraîner l'irrecevabilité de toutes les prétentions concernant les modifications antérieurs du 6 juin 1998, intervenus à l'instar de celles de juillet 1998 en application des dispositions contractuelles et sans mauvaise foi de sa part ;

Attendu que les modifications apportées aux supports éligibles auxquelles a procédé en deux temps et à six mois d'intervalle la compagnie d'assurances qui, corrélativement a soumis à la signature de la demanderesse un avenant dont l'acceptation lui aurait permis de retrouver partie [minute page 8] desdits supports initialement proposés, s'inscrivent manifestement dans un processus global caractérisé par la volonté de l'ABEILLE VIE d'opérer non seulement une réduction notable de leur nombre (passé de 27 à 19, puis 8) mais également de leur nature aux seules valeurs obligataires ou à dominante obligataire ;

Qu'en faisant état dans ses écritures pour expliquer cette décision des circonstances économiques et plus précisément de l'évolution des marchés financiers et notamment de la crise asiatique qui aurait été directement à l'origine d'une trop grande volatilité des supports initialement proposés et donc désormais de leur incompatibilité avec un contrat d'assurance-vie comportant une clause de « cours connu », la compagnie d'assurance reconnaît en conséquence implicitement mais nécessairement la mise en œuvre d'un processus de rééquilibrage des contrats ;

Qu'elle ne peut dès lors sérieusement soutenir que la prescription biennale - seule applicable dans la mesure où la demanderesse, souscripteur du contrat n'en est pas la bénéficiaire - a couru à compter de l'expédition de chaque liste modificative alors que seul l'envoi du 1er juillet 1998, opérant une réduction drastique des supports proposés par rapport à la première réunion de janvier 1998, concomitamment à la proposition d'avenant, a pu permettre à Madame X. d'appréhender dans sa globalité, son ampleur et ses conséquences en termes de rentabilité des placements opérés, la démarche suivie par la compagnie d'assurance ;

Que Madame X., qui a assigné son cocontractant par acte d'huissier du 6 juin 2000, est donc parfaitement recevable en ses prétentions au regard des dispositions de l'article L. 114-1 du Code des assurances ;

Attendu que, s'agissant de l'application faite par la Compagnie ABEILLE VIE de la clause dite du seuil de 5 %, laquelle stipule « si au cours d'un mois les demandes d'arbitrage portant sur les parts ou actions d'un support excéderaient 5 % de son capital, la date d'arbitrage de [minute page 9] ce support pourrait être différée pour une durée maximum de 6 mois afin de préserver les intérêts de nos assurés », Madame X. qui dénonce « l'imprécision dans la rédaction de cette clause qui a permis à l'ABEILLE VIE de bloquer de manière quasi systématique les ordres d'arbitrage qui lui étaient adressés par les assurés » et qui entend voir prononcer l'inopposabilité et la nullité de cette disposition du contrat, doit cependant être considérée comme prescrite pour toute demande relative à des ordres passés antérieurement au 6 juin 1998 ;

Qu'en effet, ayant eu une parfaite connaissance de la clause litigieuse, il lui appartenait en conséquence de réagir à chaque refus d'arbitrage fondé sur ces dispositions, opposé par la compagnie d'assurance, et dont elle conteste le bien-fondé ;

 

- Sur le fond du litige :

Attendu qu'à l'appui de ses prétentions, Madame X. invoque essentiellement le caractère illégal des suppressions de supports pratiqués par la Compagnie ABEILLE VIE taxée d'avoir agi de mauvaise foi ;

Qu'elle argue des dispositions de l'article R. 131-1, alinéa 3 du Code des assurances stipulant que « ...le contrat doit prévoir les modalités selon lesquelles en cas de disparition d'une unité de compte, une autre unité de compte de même nature lui est substituée par un avenant au contrat », en précisant que rendre un support inéligible revient en réalité à prononcer sa suppression ;

Qu'elle estime également que les contrats souscrits sont de véritables produits financiers dont une gestion rentable et dynamique justifie des arbitrages fréquents qu'il n'appartient pas à la Compagnie d'assurance de gérer en ses lieux et place alors que l'argument invoqué par la défenderesse, fondé sur les dispositions de l'article L. 131-1 du Code des assurances relatif à la protection de l'épargne, apparaît tout à fait fallacieux dans la mesure où la clause d'arbitrage à cours [minute page 10] connu assurait une sécurité suffisante pour le souscripteur ; qu'elle indique enfin que la notion d'équilibre économique du contrat que lui oppose la défenderesse revient à consacrer la théorie de l'imprévision et qu'il n'est pas abusif de la part du souscripteur qu'elle est, n'ayant pas agi dans l'intention de nuire, de vouloir obtenir de la Compagnie ABEILLE VIE la stricte application du contrat ;

Attendu que sur la clause dite de 5 % Madame X. argue de son caractère inopposable et nul en raison de son imprécision et de l'usage abusif fait par son cocontractant ;

Attendu que, pour sa part, la Société défenderesse fait valoir pour l'essentiel que :

- l'objet principal d'un contrat d'assurance vie doit sauvegarder la pérennité et la sécurité inhérentes à tout contrat de cette nature,

- la modification des supports éligibles est parfaitement licite tant au regard des dispositions contractuelles que des articles R. 131-1 et L. 131-1, alinéa 2 du Code des assurances,

- Madame X. ne justifie d'aucun moyen en fait et en droit relatif à sa demande de nullité de la clause de 5 % laquelle permet de privilégier une gestion de l'épargne sur le long terme en limitant la volatilité des supports et dont l'usage a toujours été approprié ;

- Madame X. dispose de tous les éléments pour chiffrer son supposé préjudice, ce qui implique le rejet de sa demande d'expertise ;

- la demande de réintégration des supports déclarés inéligibles doit être également écartés sauf pour le Tribunal de méconnaître les dispositions contractuelles ;

 

Attendu qu'il est effectif, tant au regard des dispositions contractuelles que légales, que la Compagnie ABEILLE VIE était en droit de modifier la liste et la composition des supports éligibles proposés au souscripteur ;

[minute page 11] Que le contrat prévoit en effet expressément cette possibilité pour la compagnie d'assurances alors que la clause stipulant « Si pour une raison de force majeure ABEILLE VIE se trouvait dans l'impossibilité d'acquérir les parts ou actions du support financier choisi, elle s'engage à le remplacer par un support de même nature en préservant vos intérêts » n'est pas applicable à la modification par l'assureur de la liste des supports disponibles mais concerne les cas où, lors d'un versement ou d'un arbitrage, la compagnie d'assurances, pour des motifs inhérents au support lui-même, ne peut plus acquérir les parts ou actions du support choisi par le souscripteur ;

Que l'article R. 131-1, alinéa 1er du Code des assurances, lequel stipule, en cas de combinaison de plusieurs unités de compte, que « le contrat doit prévoir les modalités selon lesquelles, en cas de disparition d'une unité de compte, une autre unité de compte de même nature lui est substituée par avenant.... » concerne, non pas l'inéligibilité, comme en l'espèce, d'un support mais l'hypothèse où celui-ci cesserait d'exister ou d'être agréé ;

Attendu qu'il n'en demeure pas moins qu'aux termes de l'article 1134 du Code civil, les conventions qui sont la loi des parties, doivent être par elles exécutées de bonne foi ;

Que, dans les contrats d'assurance-vie multisupports avec faculté d'arbitrage, cette possibilité -élément essentiel du contrat et déterminant de l'engagement du souscripteur - ne peut s'exercer effectivement que si les supports proposés restent nombreux et diversifiés

Qu'en l'espèce, force est de constater :

- d'une part que le nombre des supports proposés par l'assureur a été fortement réduit dans le cadre du processus précédemment rappelé pour passer de 27 initialement à seulement 8 en juillet 1998 ;

- d'autre part, que la nature des supports offerts à l'arbitrage de [minute page 12] Madame X. a été cantonné aux seules valeurs de nature obligataire ou essentiellement orienté vers celles-ci ;

Attendu qu'après avoir vanté, dans ses notices publicitaires, la diversité des choix proposés, la souplesse dont bénéficient les souscripteurs pour procéder à leurs arbitrages et rappelé dans les dispositions générales du contrat : « Si vous souhaitez adapter vos choix d'investissement à vos objectifs et à l'évolution de l'environnement économique et financier, vous pouvez effectuer des arbitrages entre les différents supports proposés... », mettant ainsi l'accent sur la pluralité des choix proposés au souscripteur et sur la possibilité pour celui-ci d'opérer des arbitrages en fonction d'objectifs de rentabilité évidents, il s'avère qu'en janvier et juillet 1998, en faisant disparaître quasiment les fonds en actions, spécialement spéculatifs et en réduisant de façon drastique les supports proposés, la compagnie ABEILLE VIE, contrairement à ce qu'elle indiquait dans sa note d'information, a fait perdre une grande part de l'intérêt du produit mis sur le marché de l'assurance vie ;

Que sa démarche est d'autant plus critiquable que, concomitamment, elle n'a pas hésité à réintroduire dans ses propositions une certaine variété des supports éligibles en faveur des seuls souscripteurs qui acceptaient par avenant de renoncer à la clause d'arbitrage à cours connu au profit de celle à cours inconnu beaucoup plus favorable à ses propres intérêts puisque réduisant de façon sensible les risques financiers désormais réels pour elle en raison de la crise du marché asiatique ;

Qu'après avoir promu un produit d'assurance-vie dont le caractère financier à forte valeur spéculative était vanté dans ses documents publicitaires afin d'attirer une clientèle désireuse de réaliser une véritable spéculation tout en assurant une présentation optimale (notamment par l'exonération fiscale) de son épargne, la Compagnie ABEILLE VIE ne peut, sans une certaine hypocrisie, dénoncer l'usage à des fins spéculatives faites par certains souscripteurs des conditions générales et particulières du contrat qu'elle a elle-même élaborées et proposées à l'adresse de ce type précis de clientèle ;

[minute page 13] Qu'ainsi, son argument fondé sur l'obligation de prudence et de sécurisation de l'épargne apparaît-il dépourvu de toute pertinence, alors que Madame X. n'a fait qu'user strictement et exactement des facultés offertes par le contrat et largement vantées par la Compagnie dans ses documents publicitaires ;

Attendu que si l'évolution de la liste et du nombre des supports, prévue contractuellement, ne permet pas de rétablir au profit de la demanderesse les supports d'origine, celle-ci est fondée néanmoins à revoir proposer la liste de ceux offerts à tout souscripteur de l'avenant du 16 juin 1998 ;

Que le respect effectif de cette faculté implique de l'assortir d'une astreinte telle que définie, au dispositif de ce jugement ;

Attendu que la réduction importante du nombre et de la diversité des supports à laquelle a été confrontée la demanderesse est susceptible de lui avoir fait perdre une chance, compte tenu de sa pratique antérieure des arbitrages et de l'option spéculative qui était la sienne, de réaliser des plus-values supérieures à celles qu'elle a effectivement obtenues ;

Qu'il convient en conséquence d'avoir recours à l'expertise sollicitée pour apprécier l'étendue de son éventuel préjudice ;

Attendu que Madame X. conclut également à ce que la clause de 5 % soit déclarée nulle et inopposable ;

Attendu que cette disposition contractuelle prévoit :

« Si au cours d'un mois les demandes d'arbitrage portant sur les [minute page 14] parts ou actions d'un support excédaient 5 % de son capital, la date d'arbitrage de ce support pourrait être différée sur une durée maximum de six mois afin de préserver les intérêts de nos assuré » ;

Attendu que cette clause, parfaitement claire et précise dans son libellé, tendant à limiter les reports effectués sur un même support, n'a pas pour conséquence de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations respectifs des parties au détriment du souscripteur ;

Qu'elle ne présente aucun caractère potestatif dans la mesure où sa mise en œuvre dépend d'un événement extérieur à l'assureur, objectif, constitué par des demandes d'arbitrage dont l'ampleur échappe à la maîtrise de la compagnie ;

Que c'est à tort que Madame X. soutient que cette disposition doit « s'entendre comme ne concernant que les ordres d'arbitrage donnés sur une période d'un mois par le seul souscripteur » auquel elle est opposée ; que son but étant de limiter les mouvements affectant chaque support afin de préserver l'intérêt collectif des épargnants contre des fluctuations trop brutales qui résulteraient de mouvements massifs et soudains, l'interprétation défendue par Madame X. reviendrait inéluctablement à vider cette disposition de son sens et à la priver de toute efficacité ;

Attendu que cette clause doit donc recevoir application telle qu'elle est formulée au contrat ;

Que la question relative à sa mise en œuvre ainsi que celle relevant de la supposée mauvaise exécution des arbitrages différés invoquée par la demanderesse nécessitent préalablement le recours sur ce point à l'avis de l'expert ;

[minute page 15] Que le Tribunal ne peut en effet se satisfaire des seules affirmations de la compagnie d'assurances ni même des attestations succinctes délivrées par la société d'expertise comptable COOPERS et LYBRAND AUDIT ;

 

- Sur les autres demandes :

Attendu que l'exécution provisoire n'est pas incompatible avec la nature de l'affaire ; qu'elle sera donc ordonnée ;

Attendu que l'équité commande d'accorder à la seule demanderesse une indemnité en application dé l'article 700 du nouveau Code de procédure civile d'un montant de 3.000 euros ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement par jugement contradictoire, et en premier ressort ;

Dit Madame X. recevable en ses prétentions à l'exception de celles relatives à l'application de la clause de 5 % antérieures à la date du 16 juin 1998 ;

Déboute Madame X. de sa demande visant au prononcé de la nullité ou de l'inopposabilité de la clause de 5 % insérée au contrat ;

Dit que Madame X. pourra bénéficier de tous les supports proposés à l'occasion de la modification du contrat par l'avenant qui lui fut soumis selon corres- [minute page 16] -pondance en date du 16 juin 1998 ou de leurs équivalents et que la Compagnie ABEILLE VIE sera redevable en cas de non exécution d'une astreinte de 2.500 euros par manquement constatés ;

Se réserve expressément le pouvoir de liquider l'astreinte prononcée ;

Ordonne une mesure d'expertise ; et désigne comme expert :

Monsieur Y. [adresse] [numéro de téléphone] avec mission :

- d'entendre les parties en leurs explications ;

- de se faire remettre tous documents nécessaires ;

- de vérifier pour les ordres d'arbitrage les modalités d'application de la règle de 5 % postérieurement à la date du 16 juin 1998 ;

- de proposer une évaluation de la perte de chance éventuellement subie par Madame X. de n'avoir pu réaliser des plus-values supérieures à celles qu'elle a enregistrées et ceci en raison de l’impossibilité d'opérer des arbitrages sur les supports retirés par la Compagnie ABEILLE VIE par rapport à ceux initialement proposés et en raison d'une éventuelle application non conforme de la clause des 5 %, cette appréciation devant tenir compte de la pratique d'arbitrage antérieurement suivie par la demanderesse ;

Dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du nouveau Code de procédure civile et qu'il déposera l'original et une copie de son rapport au Greffe de la [minute page 17] 5ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris avant le 1er avril 2003, sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile auprès du Juge chargé du Contrôle des Expertises de cette Chambre ;

Ordonne la consignation d'une somme de TROIS MILLE EUROS (3.000 euros) par Madame X., au Greffe Service de la Régie (esc. D, 2ème étage) avant le 1er octobre 2002 ;

Dit que faute de consignation de la provision dans ce délai impératif, la désignation des experts sera caduque et privée de tout effet ;

Désigne le magistrat chargé à la Chambre du contrôle des expertises pour veiller au déroulement des opérations de l'expert ;

Renvoie l'affaire à la conférence de procédure du 22 avril 2003 ;

Ordonne l'exécution provisoire ;

Condamne la Compagnie ABEILLE VIE à verser à Madame X. une indemnité de 3.000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Réserve les dépens.

Fait et Jugé à PARIS LE VINGT SIX JUIN DEUX MILLE DEUX

LE GREFFIER         LE PRÉSIDENT