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TGI PARIS (5e ch. 1re sect.), 30 avril 2003

Nature : Décision
Titre : TGI PARIS (5e ch. 1re sect.), 30 avril 2003
Pays : France
Juridiction : Paris (TGI)
Demande : 00/7550
Date : 30/04/2003
Nature de la décision : Admission
Date de la demande : 21/08/1998
Décision antérieure : CA PARIS (15e ch. sect. B), 1er juillet 2005
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CERCLAB - DOCUMENT N° 3077

TGI PARIS (5e ch. 1re sect.), 30 avril 2003 : RG n° 00/7550

(sur appel CA Paris (15e ch. B), 1er juillet 2005 : RG n° 03/15464)

 

Extrait : « Que la Société ABEILLE VIE fait valoir à juste titre que les dispositions du contrat lui permettaient de modifier la liste et la composition des supports éligibles proposés aux souscripteurs puisque les conditions générales prévoyaient expressément que « la liste et le nombre des supports étaient susceptibles d'évoluer », alors que, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, d'une part, une telle clause ne revêt pas en soi de caractère potestatif puisqu'elle ne fait pas par elle-même dépendre l'exécution de la convention d'un événement qu'il serait seul au pouvoir de la compagnie d'assurance de provoquer ou d'empêcher et, d'autre part, la possibilité d'opérer cette modification n'était pas soumise à la condition de survenance d'un cas de force majeure ; […]

Attendu, toutefois, que, conformément à l'article 1134 du Code civil, les conventions doivent être exécutées, de bonne foi, dans les conditions que les parties ont librement définies et acceptées ; Que la faculté d'arbitrage, qui plus est à cours connu, accordée au souscripteur du contrat d'assurance-vie multisupports - dont la Société ABEILLE VIE a elle-même reconnu dans ses documents d'information que, permettant « d'optimiser » le placement opéré « en fonction de l'évolution des marchés », elle constituait, dans un environnement économique incertain, « un avantage décisif », supposait, pour rester effective, le maintien de supports éligibles nombreux et diversifiés ; Que, dans le cas présent, force est de constater qu'à compter du 1er juillet 1998, soit environ un an après la souscription des contrats litigieux, le nombre des supports éligibles au contrat « Selectivaleurs Croissance », a été sensiblement réduit pour passer de seize à neuf et que, surtout, la diversification de ces supports n'a pas été maintenue puisqu'ont été supprimés les plus spéculatifs ou volatils (Fonds de croissance américain, Fonds pays émergents...), ainsi que l'admet elle-même ABEILLE VIE et qu'à la suite de la modification, ne subsistait plus qu'un seul support « en action françaises et étrangères », « Option Performance », tandis que six des neufs supports disponibles étaient soit en francs à taux garanti, soit obligataires, monétaires ou immobilier ;Que la nature de ces derniers supports, désormais prépondérants dans la liste proposée aux souscripteurs, ainsi que le maintien d'un seul support exclusivement composé d'actions françaises et étrangères « à fort potentiel de plus-values » ôtaient, de fait, la majeure partie de son intérêt à la clause d'arbitrage à cours connu qui constituait pourtant un des éléments essentiels du contrat ;

Attendu que les consorts X.-Y. sont donc fondés à reprocher à la Société ABEILLE VIE d'avoir, de la sorte, dénaturé les contrats qu'ils avaient souscrits, en en ayant modifié unilatéralement l'économie à leur détriment, et manqué à ses obligations contractuelles ».

 

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

CINQUIÈME CHAMBRE PREMIÈRE SECTION

JUGEMENT DU 30 AVRIL 2003

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 00/7550. Assignation du 21 août 1998.

 

DEMANDEURS :

- Monsieur X.

agissant tant en son nom personnel qu'ès qualités d'administrateur légal de ses enfants mineurs [prénom] et [prénom] demeurant [lieu-dit]

- Mademoiselle E. X.

- Mademoiselle S. X.

demeurant [lieu-dit]

- Monsieur Y.

- Madame Y.

demeurant tous deux [adresse]

- Mademoiselle P. Y.

agissant tant en son nom personnel qu'ès qualités d'administratrice légale de sa fille mineure [nom]

- Monsieur A.

demeurant tous [adresse]

- Monsieur A. Y.

- Madame Y. Y.

demeurant tous deux [ville]

- Madame B.

demeurant [adresse]

[minute page 2]

- Monsieur C.

- Madame C.

demeurant tous deux [lieu-dit]

tous représentés par SCP LAMY-LEXEL, Avocats postulants au Barreau de Paris assistée de K41 Maître Jérôme LETANG, Avocat plaidant au Barreau de Lyon - Cabinet Francis LEFEBVRE [adresse]

 

DÉFENDERESSE :

La Société ABEILLE VIE SA

dont le siège social est [adresse], représentée par SCP GRANRUT Avocats au Barreau de Paris P 14

 

COMPOSITION DU TRIBUNAL : Philippe BOIFFIN, Vice-Président, F. BOUSQUET-LABADIE, Juge, Virginie RENAUD, Juge

GREFFIER : Anne LOREAU

DÉBATS : À l'audience du 5 février 2003 tenue publiquement

JUGEMENT : Prononcé en audience publique contradictoire, en premier ressort sous la rédaction de : Philippe BOIFFIN

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 3] Entre les 25 mai et 27 juin 1997, Monsieur X., ses enfants [prénoms], Monsieur Y., Mademoiselle P. Y. et sa fille [prénom et nom], Monsieur A. Y., Madame Y. Y., Madame Y., Madame B., Monsieur C., Madame C. et Monsieur A. ont, pour chacun d'eux, souscrit auprès de la Société ABEILLE VIE un contrat d'assurance sur la vie multisupports, intitulé « SELECTI VALEURS CROISSANCE », à versement libre et à durée de vie entière, en ayant opéré un apport initial de 10.000 francs ou de 20.000 francs (Monsieur X., Monsieur Y., Monsieur et Madame C.).

Selon les conditions de ces contrats (conditions particulières et dispositions générales valant note d'information), le souscripteur pouvait effectuer sur son compte des versements libres et les répartir entre plusieurs supports financiers (FCP, SICAV, SCI, fonds composites ou fonds de garantie) en ayant la possibilité de modifier à tout moment la répartition de ses capitaux entre ces différents supports.

Le paragraphe « Comment votre épargne est-elle investie » des dispositions générales prévoyait ainsi :

« Vos versements.... sont investis sur le ou les supports financiers de votre choix. Vous trouverez sur la « Fiche des mouvements sur contrat » les supports disponibles... La liste et le nombre des supports sont susceptibles d'évoluer. Si, pour une raison de force majeure, Abeille Vie se trouvait dans l'impossibilité d'acquérir les parts ou actions du support financier choisi, elle s'engage à le remplacer par un support de même nature, en préservant vos intérêts.... ».

Au paragraphe « Comment modifier 1a composition de votre épargne », figuraient également les dispositions suivantes :

[minute page 4] « Si vous souhaitez adapter vos choix d'investissement à vos objectifs et à l'évolution de l'environnement économique et financier, vous pouvez effectuer des arbitrages entre les différents supports proposés.... La date de valeur de la part ou action retenue pour réaliser les arbitrages est précisée au paragraphe « valeur liquidative des parts ou actions ».

Si au cours d'un mois, les demandes d'arbitrage portant sur les parts ou actions d'un support excédaient 5 % de son capital, la date d'arbitrage de ce support et des fonds composites comprenant des parts de ce support, pourrait être différée pour une durée maximum de 6 mois, afin de préserver les intérêts de nos assurés. »

Au paragraphe « valeur liquidative des parts et actions », était notamment stipulé que « pour les supports dont la valeur liquidative est calculée au moins une fois par semaine, la valeur retenue par la compagnie est celle de la dernière Bourse de la semaine précédant : * la réception au siège social d'Abeille Vie.... de la demande de mouvement et des pièces nécessaires pour les arbitrages .... » (clause dite « d'arbitrage à cours connu »).

Reprochant à la Société ABEILLE VIE d'avoir manqué à ses obligations contractuelles en ayant, à compter du 1er juillet 1998, retiré de la liste des supports financiers dont ils pouvaient bénéficier, les supports « actions françaises » sans leur avoir proposé de supports équivalents, Monsieur X., agissant tant en son nom personnel qu'ès qualités d'administrateur légal de ses enfants mineurs [prénoms], Mademoiselle E. X., Mademoiselle S. X., Monsieur Y., Mademoiselle P. B., agissant tant en son nom personnel qu'ès qualités d'administratrice légale de sa fille mineure, [prénom nom], Monsieur A. Y., Madame Y. Y., Madame Y., Madame B., Monsieur C., Madame C. et Monsieur A., ci-après dénommés les consorts X.-Y., ont, par acte en date du 21 août 1998, assigné cette société en réparation de leur préjudice devant le Tribunal de Grande Instance de BOURG EN BRESSE, lequel a, suivant un jugement rendu le 9 décembre 1999, fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par la défenderesse et renvoyé l'examen du litige devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS.

[minute page 5] Selon leurs dernières conclusions récapitulatives signifiées le 11 décembre 2002, les consorts X.-Y. demandent au Tribunal de :

- rejeter toutes les prétentions de la Société ABEILLE VIE,

- leur donner acte de « leur souhait que soient rétablis les contrats en cause dans leurs modalités de fonctionnement initiales »,

- condamner « en l'état » la Société ABEILLE VIE à leur payer « une somme globale de 3.658.776,40 Euros (24 millions de francs) à répartir entre eux au prorata de la valorisation actuelle du contrat de chacun des demandeurs », Monsieur Y. et Monsieur X. se chargeant de procéder à cette répartition ;

- subsidiairement, condamner la Société ABEILLE VIE à leur payer « une provision globale de 1.829.388,20 Euros (12 millions de francs) à répartir entre eux comme précédemment indiqué » et nommer un expert aux fins d'évaluer leur préjudice, aux frais avancés par la Société ABEILLE VIE ;

- condamner la Société ABEILLE VIE à leur verser la somme de 15.244,90 Euros (100.000 francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

À l'appui de leurs demandes, les consorts X.-Y. exposent ou soutiennent essentiellement que :

- en ayant en novembre 1997 et juillet 1998, modifié de manière unilatérale la liste des supports proposés aux souscripteurs du contrat « Selectivaleurs Croissance » pour en retirer les supports dits volatils, « c'est-à-dire potentiellement générateurs d'importantes plus-values », alors que, dans le même temps, ces supports restaient offerts à ceux qui acceptaient de renoncer à la clause d'arbitrage à cours connu, la Société ABEILLE VIE a, en violation des dispositions de l'article 1134 du Code civil, fautivement dénaturé le contrat librement souscrit entre les parties et en a bouleversé l'économie au détriment des [minute page 6] souscripteurs pour faire échec au jeu de la clause d'arbitrage à cours connu ;

- les conditions du contrat ne permettaient de supprimer un support qu'en cas de force majeure et, en ce cas, imposaient de le remplacer par un support de même nature à l'effet de préserver les intérêts de ses assurés, ce qu'elle n'a pas fait ;

- pour s'exonérer de la responsabilité découlant de ces fautes, la Société ABEILLE VIE n'est pas fondée à invoquer un impératif de protection de la collectivité des assurés alors que la clause d'arbitrage à cours connu exclut pour le souscripteur avisé tout risque et qu'elle a continué à proposer des supports spéculatifs aux souscripteurs qui acceptaient de renoncer à cette clause ;

- la Société ABEILLE VIE a également appliqué de manière fautive la clause dite des 5 % pour s'opposer indûment à l'exécution d'une demande d'arbitrage formée le 25 février 1998 par Monsieur Y. ;

- ils sont, en conséquence, fondés à obtenir de la Société ABEILLE VIE la réparation du préjudice que leur ont causé ces fautes et qui a consisté en la perte d'une chance d'arbitrer à cours connu sur les supports qui leur étaient initialement proposés ou sur des supports de nature équivalente si cette société avait respecté ses obligations.

Aux termes de ses écritures récapitulatives du 28 mai 2002, la Société ABEILLE VIE conclut au rejet de toutes les demandes formées à son encontre en sollicitant la condamnation « in solidum « des consorts X.-Y. à lui verser la somme de 15.000 Euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Société ABEILLE VIE fait principalement valoir que :

- elle n'a commis aucune faute dans l'exécution des contrats litigieux en ayant modifié la liste des supports proposés aux souscripteurs dès lors que, ce faisant, elle a seulement usé d'une faculté expressément prévue par les conditions générales qui disposent que « la liste et le nombre des supports sont sus- [minute page 7] -ceptibles d'évoluer », liste qui figurait d'ailleurs sur un document distinct comportant une mention de validité, que l'obligation de prudence pesant sur elle lui imposait de retirer de cette liste les supports qui, en particulier, après la survenance de la crise des marchés asiatiques, en 1997, avaient perdu le caractère sécuritaire qui avait justifié leur sélection à l'origine et qu'au regard de la nature d'un contrat d'assurance-vie tel que le contrat « Selectivaleurs Croissance » dont l'objet est de permettre la constitution d'une épargne à long terme, la faculté d'arbitrage réservé au souscripteur a pour finalité d'assurer à ce dernier la possibilité de changer d'orientation de gestion et non de pratiquer une spéculation par le seul effet combiné de la date de valeur retenue et de la volatilité de certains supports ;

- la clause de force majeure qui reprend les dispositions de l'article R. 131-1 du Code des assurances et n'est relative qu'à la disparition des unités de compte du contrat, est inapplicable en l'espèce ;

- la clause dite des 5 % a été appliquée à bonne date, en parfaite conformité avec les dispositions contractuelles ;

- le préjudice allégué par les demandeurs qui n'ont utilisé la possibilité d'arbitrage que de façon extrêmement limitée, n'est aucunement justifié.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est, conformément aux dispositions des articles 455 et 753 du nouveau Code de procédure civile, expressément fait référence à leurs dernières conclusions dont les dates ont été précédemment indiquées.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE :

Attendu que, selon la documentation de la Société ABEILLE VIE communiquée aux demandeurs lors de la souscription des contrats, les supports éligibles pour le [minute page 8] contrat « Sélectivaleurs Croissance « étaient, selon une notice d'information intitulée « Les Supports Victoires », établie au deuxième semestre 1996, au nombre de 16, ou, selon une « fiche des mouvements sur contrat », « valable en 1996 » et apparemment annexée aux contrats, au nombre de 13, et composés de la manière suivante :

- « Option Équilibre (40 % immobilier + 40 % obligations + 20 % actions),

- Option Performance (80 % actions + 20 % obligations),

- Option Sécurité - fonds général à capital et taux garantis (60 % du TME plafonné à 3,5 % actuellement),

- Victoire Retraite - fonds en Francs à capital et taux garantis (60 % du TME plafonné à 3,5 % actuellement),

- Victoire Performance (FCP) - actions diversifiées,

- Victoriel (fonds composite) - SICAV/FCP (Victoire + OPCVM extérieurs),

- Victoire Interoblig (FCP) - obligations à taux fixe, variable ou indexé,

- Victoire Progression 1 et 2 (FCP) - obligations court terme ;

- FINABEILLE (FCP) - court terme monétaire ;

- Victoire Immo 1 (SCI) - patrimoine immobilier,

- Victoire France (FCP) - actions françaises,

- Victoire Epargne - fonds en Francs à Capitaux garantis sur 8 ans » ;

Que, selon la notice « les supports Victoire », étaient, en outre, acceptés les supports « Fonds de croissance américain », « Fonds pays émergents » et « Fonds Or» ;

[minute page 9] Que la Société ABEILLE VIE qui n'a pas elle-même produit la liste des supports disponibles lors de la souscription des contrats litigieux, n'a pas contesté cette composition ;

Qu'elle n'a pas davantage contesté avoir modifié cette composition en novembre 1997 (Fonds de Croissance américain, Fonds Pays Émergents et Fonds Or devenus inéligibles), pris en juillet 1998, en même temps qu'elle proposait à l'ensemble des souscripteurs une nouvelle version du contrat « Sélectivaleurs Croissance », dénommée « Vie Universelle », laquelle supprimait notamment la clause d'arbitrage à cours connu ;

Qu'à compter du 1er juillet 1998 et « en l'absence de transformation (du) contrat multisupports Selectivaleurs Croissance en version Vie Universelle », les supports disponibles étaient ainsi :

 

NOM DU SUPPORT

ANNÉE DE CRÉATION

NATURE DU SUPPORT ET ORIENTATION

Option Sécurité 2

1993

Capitaux et taux garantis ; effet cliquet sur la valeur acquise

Option Equilibre

1993

Sécurité et régularité des performances grâce à un dosage harmonieux de valeurs immobilière, obligataires et d'actions

Option Performance

1993

Gestion dynamique grâce à des actions françaises et étrangères à fort potentiel de plus-values

SUPPORTS EN FRANCS À TAUX GARANTI

Victoire Retraite 2

1985

Fonds en francs offrant une rémunération annuelle garantie à l'avance avec effet cliquet

Victoire Garantie

1992

Fonds général très diversifié offrant une progression annuelle garantie à l'avance avec effet cliquet

Victoire Epargne

1995

Support en francs offrant un taux garantie sur 8 ans

[minute page 10]    SUPPORTS OBLIGATIONS

Victoire Interoblig

1992

FCP d'obligations internationales

SUPPORT MONÉTAIRE

Finabeille

1988

FCP monétaire à orientation très court terme

SUPPORT IMMOBILIER

Victoire Immo 1

1992

Société Civile Immobilière composée d'immeubles de prestige

 

Que le nombre de ces supports était donc réduit à neuf tandis que ne subsistait plus qu'un seul support exclusivement composé d'actions françaises et étrangères, soit « Option Performance » ;

Que la Société ABEILLE VIE fait valoir à juste titre que les dispositions du contrat lui permettaient de modifier la liste et la composition des supports éligibles proposés aux souscripteurs puisque les conditions générales prévoyaient expressément que « la liste et le nombre des supports étaient susceptibles d'évoluer », alors que, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, d'une part, une telle clause ne revêt pas en soi de caractère potestatif puisqu'elle ne fait pas par elle-même dépendre l'exécution de la convention d'un événement qu'il serait seul au pouvoir de la compagnie d'assurance de provoquer ou d'empêcher et, d'autre part, la possibilité d'opérer cette modification n'était pas soumise à la condition de survenance d'un cas de force majeure ;

Qu'en effet, la clause du contrat visant le cas de force majeure qui ne fait, en réalité, que transposer dans ses conditions générales les prescriptions de l'article R. 131-1 du Code des assurances, ne concerne pas la modification, comme en l'espèce, de la liste des supports à l'initiative de l'assureur mais la disparition d'un des supports pour des raisons étrangères à ce dernier ;

[minute page 11] Attendu, toutefois, que, conformément à l'article 1134 du Code civil, les conventions doivent être exécutées, de bonne foi, dans les conditions que les parties ont librement définies et acceptées ;

Que la faculté d'arbitrage, qui plus est à cours connu, accordée au souscripteur du contrat d'assurance-vie multisupports - dont la Société ABEILLE VIE a elle-même reconnu dans ses documents d'information que, permettant « d'optimiser » le placement opéré « en fonction de l'évolution des marchés », elle constituait, dans un environnement économique incertain, « un avantage décisif », supposait, pour rester effective, le maintien de supports éligibles nombreux et diversifiés ;

Que, dans le cas présent, force est de constater qu'à compter du 1er juillet 1998, soit environ un an après la souscription des contrats litigieux, le nombre des supports éligibles au contrat « Selectivaleurs Croissance », a été sensiblement réduit pour passer de seize à neuf et que, surtout, la diversification de ces supports n'a pas été maintenue puisqu'ont été supprimés les plus spéculatifs ou volatils (Fonds de croissance américain, Fonds pays émergents...), ainsi que l'admet elle-même ABEILLE VIE et qu'à la suite de la modification, ne subsistait plus qu'un seul support « en action françaises et étrangères », « Option Performance », tandis que six des neufs supports disponibles étaient soit en francs à taux garanti, soit obligataires, monétaires ou immobilier ;

Que la nature de ces derniers supports, désormais prépondérants dans la liste proposée aux souscripteurs, ainsi que le maintien d'un seul support exclusivement composé d'actions françaises et étrangères « à fort potentiel de plus-values » ôtaient, de fait, la majeure partie de son intérêt à la clause d'arbitrage à cours connu qui constituait pourtant un des éléments essentiels du contrat ;

Attendu que les consorts X.-Y. sont donc fondés à reprocher à la Société ABEILLE VIE d'avoir, de la sorte, dénaturé les contrats qu'ils avaient sous- [minute page 12] -crits, en en ayant modifié unilatéralement l'économie à leur détriment, et manqué à ses obligations contractuelles ;

Attendu que, pour justifier une telle modification et contester son caractère fautif au regard de ses obligations, la Société ABEILLE VIE qui, en énonçant dans ses écritures que le retrait des supports « répondait à un souci d'équilibrer le contrat.... en fonction du nouvel environnement économique », semble d'ailleurs ainsi reconnaître qu'elle en a effectivement modifié l'économie tel qu'elle résultait du simple jeu de ses conditions initiales, ne peut invoquer la nécessaire protection de ses assurés ;

Que comme le soulignent les demandeurs, la clause d'arbitrage à cours connu excluait en effet tout risque pour le souscripteur normalement avisé en ce qu'elle permettait précisément à celui-ci de modifier les orientations de la gestion à court terme de ses placements en toute connaissance de l'évolution des cours ;

Que la Société ABEILLE VIE ne rapporte pas davantage la preuve d'un risque pour la collectivité de ses assurés alors que le jeu de la clause à cours connu, qu'elle a librement décidé d'insérer dans les contrats qu'elle proposait à sa clientèle, a, en fait, eu pour principale conséquence de lui faire supporter la charge financière des plus-values réalisées par celle-ci, et qu'elle a, en juillet 1998, continué à proposer aux souscripteurs qui en adhérant à la version « Vie Universelle » du contrat Selectivaleurs Croissance, renonçaient au bénéfice de cette clause, une gamme diversifiée de supports dits « volatils » ou à plus fort potentiel de plus-values ;

Qu'elle ne peut pas plus invoquer la dénaturation du contrat qui résulterait, selon elle, de l'utilisation à des fins spéculatives de tels supports en lien avec la clause d'arbitrage à cours connu alors que, dans les documents qu'elle a diffusés auprès de sa clientèle, elle a elle-même mis en relief les avantages de ses contrats d'assurance-vie multisupports [minute page 13] découlant « d'une grande diversité des supports, des plus sûrs aux plus spéculatifs » permettant au souscripteur, en fonction de ses objectifs et de sa personnalité, d'opter pour « une orientation fortement spéculative ou un équilibre harmonieux entre sécurité et performance.... » et qu'au demeurant, elle ne démontre, ni même prétend que les demandeurs auraient développé une semblable pratique purement spéculative ;

Attendu, sur l'application de la clause dite des 5 %, que seul Monsieur Y. articule un grief précis à ce titre en soutenant que la Société ABEILLE VIE a indûment fait jouer cette clause pour différer une demande d'arbitrage sur le support « Victoire France » qu'il lui avait transmise le 25 février 1998 ;

Attendu, cependant, qu'il ressort des pièces versées aux débats par la Société ABEILLE VIE que cette demande d'arbitrage du support « Victoire France » (ancien support) vers celui « Fonds de Croissance Américain » (nouveau support) a fait l'objet non pas d'un différé d'exécution mais d'un rejet en raison de l'inéligibilité, à cette date, de ce dernier support ;

Que la contestation élevée quant aux conditions d'application de la clause dite des 5 % à cette occasion apparaît donc sans objet ;

Attendu, sur le préjudice subi par les consorts X.-Y. du fait du manquements de la Société ABEILLE VIE à ses obligations contractuelles, qu'en raison de la réduction du nombre et surtout de la diversité des supports qui leur a été imposée, ceux-ci ont été privés de la possibilité d'exercer leur faculté d'arbitrage conformément aux conditions contractuelles initiales afin d'optimiser la valorisation de leur capital ;

Qu'ainsi qu'ils en conviennent eux-mêmes, ce préjudice ne peut s'analyser que comme la perte [minute page 14] d'une chance, laquelle doit donc s'apprécier au regard, notamment, de leur utilisation de cette faculté antérieurement au 1er juillet 1998, de l'orientation qu'ils avaient ainsi donnée à la gestion de leur placement et de la valorisation ultérieure de ce placement en fonction de l'évolution comparée des supports supprimés ou maintenus ;

Qu'en l'état, le Tribunal ne dispose pas des éléments d'information suffisants pour apprécier l'étendue d'un tel préjudice et qu'il convient, en conséquence, d'avoir recours, aux frais avancés par les demandeurs, à la mesure d'expertise sollicitée à titre subsidiaire par ces derniers ;

Attendu qu'en considération du montant des sommes investies et du nombre de demandes d'arbitrage enregistrées figurant au tableau récapitulatif communiqué par la Société ABEILLE VIE dont le contenu ne fait l'objet d'aucune contestation par les demandeurs, ne sera accordée qu'à Monsieur Y., Mademoiselle Y., Monsieur C., Madame C. et Monsieur X. une provision à valoir sur la réparation définitive de leur préjudice, d'un montant, pour chacun d'eux, de 3.000 Euros ;

Que les autres demandeurs doivent être déboutés de leurs demandes de provisions, qui, en l'état, ne sont pas justifiées ;

Attendu que l'exécution provisoire, compatible avec la nature de l'affaire, doit être ordonnée ;

Qu'il convient de réserver les dépens et, par voie de conséquence, les demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 15] PAR CES MOTIFS :

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort ;

Dit et juge que la Société ABEILLE VIE a manqué à ses obligations contractuelles envers les demandeurs en ayant modifié de manière fautive la liste des supports éligibles aux contrats « Selectivaleurs Croissance » souscrits par ces derniers ;

Avant dire droit sur les demandes de dommages et intérêts formées par les consorts X.-Y., ordonne une mesure d'expertise et désigne comme expert :

Monsieur D. demeurant [adresse et téléphone]

avec mission de :

- entendre les parties en leurs explications, leurs conseils respectifs ayant été convoqués, ainsi que tous sachants ;

- se faire remettre tous documents nécessaires ;

- fournir au Tribunal tous éléments techniques et de fait lui permettant d'évaluer le préjudice subi pat les demandeurs du fait de la perte dé chance de procéder à des arbitrages en faveur des supports retirés de la liste des supports éligibles en novembre 1997 et juillet 1998 ;

Dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du nouveau Code de procédure civile et qu'il déposera l'original et une copie de son rapport au Greffe de la 5ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris avant le 3 octobre 2003, sauf prorogation de ce délai dûment sollicitée en temps utile auprès du Juge chargé du Contrôle des Expertises de cette Chambre ;

Ordonne la consignation d'une somme de CINQ MILLE EUROS (5.000 Euros) par les demandeurs, au Greffe Service de la Régie (esc. D, 2ème étage) avant le 6 juin 2003 ;

Dit que faute de consignation de la provision dans ce délai impératif, la désignation des experts sera caduque et privée de tout effet ;

Désigne le magistrat chargé à le Chambre du contrôle des expertises pour veiller au bon déroulement des opérations d'expertise ;

Condamne la Société ABEILLE VIE à verser, à Monsieur Y., Mademoiselle P. Y., Monsieur C., Madame C. et Monsieur X., pour chacun d'eux, la somme de TROIS MILLE EUROS (3.000 Euros) à titre de provision à valoir sur la réparation définitive de leur préjudice ;

Déboute les autres demandeurs de leurs demandes de provision ;

Ordonne l'exécution provisoire ;

Réserve les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Renvoie l'affaire à la conférence de procédure du 15 octobre 2003 à 13h 30.

Fait et Jugé à PARIS LE TRENTE AVRIL DEUX MIL TROIS

LE GREFFIER                     LE PRÉSIDENT

Anne LOREAU                     Philippe BOIFFIN