TGI PARIS (1e ch. sect. soc.), 18 mai 2004
CERCLAB - DOCUMENT N° 3082
TGI PARIS (1e ch. sect. soc.), 18 mai 2004 : RG n° 02/18936 ; jugement n° 2
Publication : site CCAB
Extrait : « Attendu que si le détail des dates de valeur, dont le système est critiqué en demande, est inscrit dans les conditions tarifaires de la banque, il ressort des nombreux documents versés aux débats par la demanderesse que l’institution du système des dates de valeur réside dans l’existence d’un délai nécessaire entre la remise du chèque à l’encaissement et le crédit effectif de la Banque des sommes correspondantes ; Qu’en conséquence, la cause invoquée par la banque dans l’actuelle procédure, à savoir la tarification forfaitaire de ses opérations d’encaissement, n’est pas la cause réelle de la pratique des dates de valeur ; qu’il s’agit d’une fausse cause ;
Attendu qu’il apparaît que si l’instauration du système EIC a très fortement raccourci le temps de traitement des opérations bancaires et permis ainsi aux opérations d’entrer en compte dans des délais inférieurs à ceux qui existaient antérieurement à son instauration, ce système nécessite des interventions à la charge de la banque, notamment par la création de fichiers EIC, la réglementation interbancaire faisant en outre que les images chèques échangées un jour J ne sont réglées entre les banques que le lendemain ouvré de leur échange, de sorte que la banque n’est pas créditée instantanément du montant de l’opération ; Que dès lors le maintien du système des dates de valeur pour la remise des chèques à l’encaissement, seul appliqué par la banque défenderesse, repose sur une cause valide quand bien même elle ne serait pas exprimée dans le contrat ; […] ;
Attendu que la cause réelle du maintien des dates de valeur n’étant pas constituée par l’instauration d’une rémunération forfaitaire au profit de la banque, cette dernière ne peut utilement invoquer les dispositions du 7ème alinéa de cet article ;
Attendu que compte tenu de la subsistance des délais nécessaires à l’encaissement des chèques, la pratique invoquée pour ce type d’opération ne créée pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, l’application d’intérêts aux comptes débiteurs pendant le délai d’encaissement du chèque étant justifié par le crédit ainsi consenti à son client par la banque dès la remise du chèque ;
Attendu que l’UFC QUE CHOISIR sera déboutée de ses demandes fondées sur les articles 1131 du Code civil et L. 132-1 du Code de la consommation ».
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
PREMIÈRE CHAMBRE SECTION SOCIALE
JUGEMENT DU 18 MAI 2004
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 02/18936.
DEMANDERESSE :
Association UNION FÉDÉRALE DES CONSOMMATEURS QUE CHOISIR,
prise en la personne de son Président en exercice, M. X. [adresse], représentée par la SCP BOUAZIZ BENAMARA, avocats au barreau de PARIS, avocats postulant, vestiaire P215 et par la SCP BRASSEUR-BAREK, avocats au Barreau de Grenoble, avocats plaidants
DÉFENDERESSE :
SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
[adresse] représentée par la SCP LUSSAN BROUILLAUD, avocats au barreau de PARIS, vestiaire P 77
COMPOSITION DU TRIBUNAL : Monsieur Bernard VALETTE, Premier Vice-président, Président de la formation, Madame Odile BLUM, Vice-présidente, Madame Marie-France LECLERCQ-CARNOY, Vice-présidente, Assesseurs,
Assistés de Karine NIVERT, Greffière
[minute page 2] DÉBATS : À l’audience du 16 mars 2004 tenue publiquement
JUGEMENT : Prononcé en audience publique Contradictoire En premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu à la suite de l’assignation du 11 décembre 2002, les conclusions du 5 janvier 2004 par lesquelles l’association Union Fédérale des Consommateurs QUE CHOISIR, ci-après UFC QUE CHOISIR, demande au tribunal, outre la somme de 3.800 euros en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile et l’exécution provisoire du jugement, de :
- déclarer recevable son action au regard des dispositions des articles L. 421-1 et suivants du Code de la consommation ;
- dire bien fondées ses demandes au regard des dispositions des articles 1382, 1131 et 1147 du Code civil et L. 132-1 du Code de la consommation ;
- ordonner en conséquence sous astreinte la cessation de la pratique des dates de valeur par la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE ;
- dire que les clauses des conditions contractuelles proposées par la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE et relatives aux dates de valeur sont abusives au regard de l’article L. 132-1 du Code de la consommation et d’en ordonner sous astreinte la suppression pure et simple ;
- condamner la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à lui verser 100.000 euros à titre de dommages et intérêts;
- ordonner, au regard de l’article L. 421-9 du Code de la consommation, la publication du jugement ;
Vu les écritures du 16 février 2004 par lesquelles la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE demande au tribunal, outre la somme de 3.500 euros en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, de :
- déclarer l’UFC QUE CHOISIR irrecevable à agir sur le fondement des articles L. 421-1 et 2 du Code de la consommation ;
- dire et juger que la pratique des dates de valeur en matière de remise de chèques à l’encaissement n’est pas dépourvue de cause et que les clauses contractuelles s’y rapportant ne sont pas abusives;
- débouter en conséquence l’UFC QUE CHOISIR de ses demandes ;
Vu l’ordonnance de clôture du 17 février 2004 ;
[minute page 3] Vu les conclusions du 24 février 2004 par lesquelles l’UFC QUE CHOISIR sollicite, au visa des articles 15,16 et 761 du nouveau Code de procédure civile, le rejet des conclusions signifiées par la défenderesse le 16 février 2004 ;
Vu les conclusions du 5 mars 2004 par lesquelles la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE s’oppose à cette demande.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Sur le rejet des conclusions :
Attendu que l’UFC QUE CHOISIR qui ne s’est pas opposée le 17 février 2004 au prononcé de l’ordonnance de clôture afin de répondre aux conclusions signifiées par la défenderesse n’est pas fondée à demander au tribunal le rejet des dites écritures.
Sur la recevabilité :
Attendu que l’UFC QUE CHOISIR est investie en vertu de la loi de la mission de défendre l’intérêt collectif des consommateurs ;
Attendu que le caractère abusif de clauses incluses dans un contrat proposé aux consommateurs est constitutif d’un préjudice collectif dont cette association est recevable à demander réparation ;
Attendu qu’une association agréée de défense des consommateurs est en droit de demander devant les juridictions civiles la réparation, notamment par l’octroi de dommages et intérêts, de tout préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs ;
Que cependant cette action est encadrée par les dispositions des articles L. 421-1 et suivant du Code de la consommation ;
Que l’alinéa 1 de l’article L. 421-1 dispose que :
« Les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs peuvent, si elles ont été agréées à cette fin, exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs. » ;
Que l’article L. 421-2 précise que :
« Les associations de consommateurs mentionnées à l’article L. 421-1 et agissant dans les conditions précisées à cet article peuvent demander à la juridiction civile, statuant sur l’action civile, ou à la juridiction répressive, statuant sur l’action civile, d’ordonner au défenseur ou au prévenu, le cas échéant sous astreinte, toute mesure destinée à faire cesser des agissements illicites ou à supprimer dans le contrat ou le type de contrat proposé aux consommateurs une clause illicite. » ;
[minute page 4] Attendu qu’en l’absence de fait illicite constituant une infraction pénale pour laquelle elle pourrait exercer l’action civile, l’UFC QUE CHOISIR n’est pas recevable à demander l’application des mesures prévues à l’article L. 421-2 du Code de la consommation ;
Attendu qu’elle est également irrecevable à agir sur le fondement de l’article L. 421-7 du même Code selon lequel :
« Les associations mentionnées à l’article L. 421-1 peuvent intervenir devant les juridictions civiles et demander notamment l’application des mesures prévues à l’article L. 421-2, lorsque la demande initiale a pour objet, la réparation d’un préjudice subi par un ou plusieurs consommateurs à raison de faits non constitutifs d’une infraction pénale. » ;
Qu’elle n’intervient pas sur une demande initiale ayant pour objet la réparation d’un préjudice subi par un ou plusieurs consommateurs ;
Attendu que l’UFC QUE CHOISIR apparaît néanmoins recevable à agir sur le fondement de l’article L. 421-6 qui prévoit que :
« Les associations mentionnées à l’article L. 421-1 et les organismes justifiant de leur inscription sur la liste publiée au Journal officiel des Communautés européennes en application de l’article 4 de la directive 98/27/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux actions en cessation en matière de protection des consommateurs peuvent agir devant la juridiction civile pour faire cesser ou interdire tout agissement illicite au regard des dispositions transposant les directives mentionnées à l’article 1er de la directive précitée » ;
Qu’en effet, l’article 16 de l’ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001, ayant transposé les dispositions de la Directive n° 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 afférentes aux clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs et mentionnée à l’article 1 de la Directive n° 98/27/CE, a complété le dispositif de l'article L. 132-1 du Code de la consommation.
Au fond :
Attendu que l’UFC QUE CHOISIR fait grief à la banque d’appliquer, sur les seules opérations de remise de chèques, des dates de valeurs différentes de la date de l’opération elle-même ;
Qu’elle fait valoir que cette pratique entraîne l’application d’intérêts aux comptes débiteurs non justifiés alors que depuis la disparition, en 2002, des chambres de compensation, la mise en place par le réseau bancaire d’un système d’échange d’image chèque (EIC) ne justifie plus cette pratique et la rend dépourvue de cause ;
[minute page 5] Qu’elle réclame l’indemnisation du préjudice collectif subi du fait de cette pratique et demande la suppression de cette clause qu’elle considère comme abusive ;
Attendu que la banque conteste que l’institution du système EIC ait fait disparaitre toute opération de traitement des chèques et rende immédiat le crédit du chèque ; qu’elle soutient que l’application du système des dates de valeurs constitue la rémunération de sa gestion des opérations réalisées sur les comptes débiteurs,
Attendu que si le détail des dates de valeur, dont le système est critiqué en demande, est inscrit dans les conditions tarifaires de la banque, il ressort des nombreux documents versés aux débats par la demanderesse que l’institution du système des dates de valeur réside dans l’existence d’un délai nécessaire entre la remise du chèque à l’encaissement et le crédit effectif de la Banque des sommes correspondantes ;
Qu’en conséquence, la cause invoquée par la banque dans l’actuelle procédure, à savoir la tarification forfaitaire de ses opérations d’encaissement, n’est pas la cause réelle de la pratique des dates de valeur ; qu’il s’agit d’une fausse cause ;
Attendu qu’il apparaît que si l’instauration du système EIC a très fortement raccourci le temps de traitement des opérations bancaires et permis ainsi aux opérations d’entrer en compte dans des délais inférieurs à ceux qui existaient antérieurement à son instauration, ce système nécessite des interventions à la charge de la banque, notamment par la création de fichiers EIC, la réglementation interbancaire faisant en outre que les images chèques échangées un jour J ne sont réglées entre les banques que le lendemain ouvré de leur échange, de sorte que la banque n’est pas créditée instantanément du montant de l’opération ;
Que dès lors le maintien du système des dates de valeur pour la remise des chèques à l’encaissement, seul appliqué par la banque défenderesse, repose sur une cause valide quand bien même elle ne serait pas exprimée dans le contrat ;
Attendu que la demanderesse invoque également l’article L. 132-1 du Code de la consommation qui dispose ;
« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Des décrets en Conseil d’État, pris après avis de la commission instituée à l’article L. 132-2, peuvent déterminer des types de clauses qui doivent être regardées comme abusives au sens du premier alinéa.
[minute page 6] Une annexe au présent Code comprend une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être regardées comme abusives si elles satisfont aux conditions posées au premier alinéa. En cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le demandeur n’est pas dispensé d’apporter la preuve du caractère abusif de cette clause.
Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies.
Sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du Code civil, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. Il s’apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l’exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l’une de l’autre.
Les clauses abusives sont réputées non écrites.
L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans lesdites clauses.
Les dispositions du présent article sont d’ordre public. » ;
Attendu que la cause réelle du maintien des dates de valeur n’étant pas constituée par l’instauration d’une rémunération forfaitaire au profit de la banque, cette dernière ne peut utilement invoquer les dispositions du 7ème alinéa de cet article ;
Attendu que compte tenu de la subsistance des délais nécessaires à l’encaissement des chèques, la pratique invoquée pour ce type d’opération ne créée pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, l’application d’intérêts aux comptes débiteurs pendant le délai d’encaissement du chèque étant justifié par le crédit ainsi consenti à son client par la banque dès la remise du chèque ;
Attendu que l’UFC QUE CHOISIR sera déboutée de ses demandes fondées sur les articles 1131 du Code civil et L. 132-1 du Code de la consommation ;
Que n’établissant pas l’existence d’un lien contractuel avec la banque, ni d’une faute quelconque de la défenderesse, l’UFC QUE CHOISIR sera déboutée de ses demandes au titre des articles 1147 et 1382 du Code civil.
[minute page 7]
Sur les dépens et l’article 700 du NCPC :
Attendu que l’UFC QUE CHOISIR, succombant et condamnée aux dépens, verra sa demande au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile rejetée ;
Que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à rejeter également la demande formée à ce titre par la défenderesse.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,
Rejette la demande tendant à voir écartées des débats les conclusions signifiées par la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE le 16 février 2004 ;
Déclare l’UFC QUE CHOISIR irrecevable à agir sur le fondement des articles L. 421-1, L. 421-2 et L. 421-7 du Code de la consommation ;
La déclare recevable mais mal fondée pour le surplus ;
La déboute de ses demandes
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne l’UFC QUE CHOISIR aux dépens.
Fait et jugé à Paris le 18 mai 2004
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
K. NIVERT B. VALETTE
- 5762 - Code de la consommation - Régime de la protection - Association de consommateurs - Conditions - Clauses
- 6017 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Clauses sur l’objet principal ou le prix - Loi du 1er février 1995 - Notion d’objet principal
- 6616 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Instruments et services de paiement - Chèques