CA TOULOUSE (2e ch. sect. 1), 5 octobre 2011
CERCLAB - DOCUMENT N° 3353
CA TOULOUSE (2e ch. sect. 1), 5 octobre 2011 : RG n° 09/04975 ; arrêt n° 290
Publication : Jurica
Extrait : « Attendu que la loi du 4 août 2008, entrée en vigueur le 6 août 2008, a modifié l'article L. 442-6 I en abrogeant le 1er de cet article et en modifiant les a et b du 2° ; que cependant, l'article 21 IV de la loi précise que le I s'applique aux contrats conclus à compter du 1er janvier 2009.
Attendu, par ailleurs, que si l'article L. 442-6 I énumère un certain nombre de comportements, assimilables à des délits civils, la loi du 4 août 2008 n'a pas supprimé le cas prévu par l'article L. 442-6, I, 2° b mais en a précisé le sens en adoptant une autre rédaction ; qu'ainsi, l'article 93 de la loi dispose que le b devient le 2° de l'article L. 442-6 I et est désormais rédigé de la façon suivante : « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ;
Attendu, en conséquence, que la société Océanne, qui se prévaut du contrat signé le 30 juillet 2007 et invoque l'exécution défectueuse de ce contrat, est recevable à fonder son action sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° b du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 4 août 2008 ; que le jugement déféré doit être infirmé sur ce point. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
DEUXIÈME CHAMBRE SECTION 1
ARRÊT DU 5 OCTOBRE 2011
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 09/04975. Arrêt n° 290. Décision déférée du 24 juillet 2009 - Tribunal de Commerce d'ALBI - R.G n° 08/003857
APPELANTE :
SARL SOCIÉTÉ OCÉANNE
représentée par la SCP DESSART SOREL DESSART, avoués à la Cour assistée de la SELARL P. BOUE, avocats au barreau d'Agen
INTIMÉE :
SARL SOCIÉTÉ ACTION TARNAISE DE SÉCURITÉ
représentée par la SCP BOYER LESCAT MERLE, avoués à la Cour, assistée de la SCP PALAZY-BRU, PILLOST, VALAX, CULOZ, REYNAUD, avocats au barreau d'Albi
COMPOSITION DE LA COUR : Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 30 mars 2011 en audience publique, devant la Cour composée de : G. COUSTEAUX, président, P. DELMOTTE, conseiller, F. CROISILLE-CABROL, vice président placé, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : A. THOMAS
ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties - signé par G. COUSTEAUX, président, et par A. THOMAS, greffier de chambre.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Attendu qu'en 2006, M. X., exploitant une entreprise individuelle à l'enseigne « PSG Sécurité 47 », et la société Action Tarnaise de Sécurité exerçaient l'un et l'autre une activité de surveillance et de gardiennage.
Attendu que par contrat de sous-traitance du 28 avril 2006, la société ATS a confié à l'entreprise PSG Sécurité des missions de surveillance et de gardiennage.
Attendu que le 1er mars 2007, la société ATS, M. X. et Mme Y. ont constitué la SARL Océanne dont l'objet social était le gardiennage et la télésurveillance, M. X. détenant 60 parts sociales, la société ATS, 30 parts sociales et Mme Y., 10 parts sociales ; que cette société, immatriculée le 30 avril 2007, a pour gérant M. X.
Attendu que par contrat de sous-traitance du 30 juillet 2007, la société ATS a confié à la société Océanne des missions de surveillance et de gardiennage, le protocole de mission annexé au contrat précisant que la réalisation du gardiennage s'effectuait dans le département du Lot et Garonne.
Attendu que le 21 décembre 2007, M. X. et Mme Y., devenue son épouse, ont constitué la société PSG Sécurité 47 (la société PSG) qui a pour activité la surveillance et le gardiennage, M. X., gérant, ayant fait l'apport de son fonds de commerce à la société ; que M. X. a été radié du registre du commerce le 25 février 2008 à effet du 31 décembre 2007 tandis que la société a été immatriculée le 13 février 2008.
Attendu qu'à la suite d'une réunion intervenue le 16 septembre 2008, entre les représentants des sociétés ATS et Océanne et de leurs conseils, la société ATS a adressé le 15 octobre 2008 à la société Océanne un courrier, ayant pour objet la résiliation de contrat, et rédigé dans les termes suivants : « par contrat en date du 28 avril 2006, la société ATS vous a confié la sous-traitance de missions de surveillance et de gardiennage. Conformément aux stipulations de l'article 16, je vous informe de la résiliation de notre engagement à l'issue d'un délai de préavis d'un mois... ».
Attendu que la société ATS a assigné M. X. et la société PSG devant le tribunal de commerce d'Agen à l'effet d'obtenir leur condamnation au paiement de dommages et intérêts pour détournement de clientèle et concurrence déloyale ; que par jugement du 3 février 2010, ce tribunal a pris acte de la rupture du contrat dans les formes fixées entre les parties et a rejeté leurs demandes respectives.
Attendu que, parallèlement, par acte du 12 novembre 2008, la société Océanne a assigné la société ATS devant le tribunal de commerce d'Albi pour rupture abusive des relations commerciales.
Attendu que par déclaration du 13 octobre 2009, la société Océanne a relevé appel du jugement du tribunal de commerce d’Albi du 24 juillet 2009, signifié le 16 septembre 2009, qui a déclaré irrecevable l'action de la société Océanne en raison de l'abrogation des dispositions de l'article L. 442-6 I 2°, b du code de commerce, a rejeté la demande reconventionnelle de la société ATS et a condamné la société Océanne au paiement d'une somme de 900 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Attendu que par conclusions du 26 janvier 2011, la société Océanne demande à la cour :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré son action irrecevable et l'a condamnée au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile mais de le confirmer en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société ATS,
- au principal, de déclarer abusif le comportement de la société ATS, par application des articles L. 442-6 I, 2° b du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 4 août 2008, 1134 et 1147 du code civil et de condamner la société ATS à lui payer la somme de 77.808,93 euros en réparation de son préjudice économique,
- à titre subsidiaire, de dire que la société ATS a engagé sa responsabilité par application des articles L. 442-6, 4° du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 4 août 2008, 1134 et 1147 du code civil et de condamner la société ATS à lui payer la somme de 77.808,93 euros en réparation de son préjudice économique,
- de condamner la société ATS à lui payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Qu'elle soutient que sous couvert de la menace de rompre les relations commerciales, si elle n'obtenait pas la dissolution de la société PSG, menace mise ultérieurement à exécution, la société ATS a abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle elle la tenait, a rompu brutalement, sans préavis et sans motif, les relations commerciales alors même que la résiliation intervenue le 15 octobre 2008 lui est inopposable faute de viser le contrat du 30 juillet 2007.
Qu'elle fait valoir que la loi du 4 août 2008 n'est applicable qu'aux contrats conclus postérieurement au 1er janvier 2009 et n'a fait que modifier les termes de l'article L. 442-6, sans en changer l'esprit de sorte que la loi ancienne est applicable au présent litige ; qu'à titre subsidiaire, les agissements de la société ATS tomberaient sous le coup de l'article L. 442-6, 4°, dans sa rédaction issue de la loi du 4 août 2008.
Attendu qu'elle conteste enfin s'être rendu coupable d'actes de concurrence déloyale, de dénigrement, de détournement de clientèle ou de parasitisme.
Attendu que par conclusions du 24 janvier 2011, la société ATS demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de la société Océanne, de rejeter les demandes adverses et de condamner la société Océanne à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts outre celle de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Qu'elle soutient qu'en matière de délit civil, le texte édictant ce délit ne peut, dès son abrogation, servir de fondement à une action, de sorte que l'article L. 442-6 I 2°, b, fondement de l'action adverse, qui a été abrogé par la loi du 4 août 2008, ne peut plus servir de support à une action en responsabilité.
Que tout en soulignant qu'elle a respecté les conditions de résiliation du contrat, sans être tenue de préciser les motifs de cette résiliation dans la lettre de rupture, elle souligne que le courrier du 15 octobre 2008 ne contient aucune menace et qu'elle a respecté ses obligations contractuelles.
Attendu qu'elle fait valoir par ailleurs qu'en utilisant le sigle PSG Sécurité 47, M. X., qui n'a pas développé l'activité de la société Océanne, préférant favoriser l'activité de la société PSG, a créé une confusion auprès de la clientèle et a tenté de détourner la clientèle de la société ATS comme celle de la société Océanne ; que M. X. a démarché des clients de la société ATS, dénigré cette société auprès des clients, au mépris des obligations contractuelles, notamment celle de loyauté envers le donneur d'ordres.
Attendu que la clôture de l'instruction du dossier est intervenue le 2 février 2011.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
I. Sur la loi applicable :
Attendu que l'article L. 442-6, I 2°, b du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 4 août 2008 disposait qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers « d'abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées ».
Attendu que la loi du 4 août 2008, entrée en vigueur le 6 août 2008, a modifié l'article L. 442-6 I en abrogeant le 1er de cet article et en modifiant les a et b du 2° ; que cependant, l'article 21 IV de la loi précise que le I s'applique aux contrats conclus à compter du 1er janvier 2009.
Attendu, par ailleurs, que si l'article L. 442-6 I énumère un certain nombre de comportements, assimilables à des délits civils, la loi du 4 août 2008 n'a pas supprimé le cas prévu par l'article L. 442-6, I, 2° b mais en a précisé le sens en adoptant une autre rédaction ; qu'ainsi, l'article 93 de la loi dispose que le b devient le 2° de l'article L. 442-6 I et est désormais rédigé de la façon suivante : « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ;
Attendu, en conséquence, que la société Océanne, qui se prévaut du contrat signé le 30 juillet 2007 et invoque l'exécution défectueuse de ce contrat, est recevable à fonder son action sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° b du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 4 août 2008 ; que le jugement déféré doit être infirmé sur ce point.
II. Sur la responsabilité de la société ATS :
Attendu que c'est à tort que la société Océanne invoque l'état de dépendance économique dans laquelle l'aurait tenue la société ATS ; qu'en effet, les statuts de la société Océanne révèlent que M. X. était l'associé majoritaire et ne comportent aucune restriction relative à l'objet social ; que pas davantage, le contrat de sous-traitance du 30 juillet 2007 n'intègre une clause de non-concurrence ou ne fait mention d'une limitation du domaine d'activités de la société Océanne mais insiste au contraire sur l'indépendance juridique des deux personnes juridiques que sont respectivement Océanne et ATS(article 12) ; que si l'expert-comptable de la société Océanne déclare dans une attestation du 22 octobre 2008, que le chiffre d'affaires de la société provient exclusivement des missions de sous-traitance confiées par la société ATS, cette situation résulte du choix exclusif de M. X. qui n'a pas développé l'activité de la société Océanne en dehors des missions confiées par ATS alors qu'il était libre d'opérer un autre choix de gestion.
Attendu que pas davantage, la société Océanne ne saurait se prévaloir de l'inopposabilité de la résiliation intervenue par courrier du 15 octobre 2008 ; qu'en effet, même si, par erreur, la société ATS fait référence au contrat du 28 avril 2006 et non au contrat du 30 juillet 2007, il n'est pas douteux que ce document adressé à la société Océanne visait la résiliation du contrat de sous-traitance du 30 juillet 2007.
Attendu qu'à cet égard, les parties ont choisi de s'engager dans le cadre d'un contrat d'une durée brève, limitée à un an ; que les parties à un contrat, qui ne peuvent être liées par un engagement perpétuel, son libres de dénoncer la convention à la condition de respecter un préavis minimal ; que la société ATS, qui n'avait pas l'obligation de mentionner le motif de la résiliation du contrat dans la lettre de rupture, a respecté le délai de préavis d'un mois prévu au contrat du 30 juillet 2007.
Attendu que la société Océanne ne démontre pas l'existence de menaces dont elle aurait fait l'objet de la part de la société ATS avant la rupture du contrat, la société ATS n'ayant fait qu'user de son droit de résiliation de la convention, faute pour les deux parties d'être parvenue à concrétiser un partenariat, à des conditions nouvelles, à la suite de la réunion du 16 septembre 2008.
Attendu qu'il y a lieu en conséquence de rejeter les demandes de la société Océanne.
III. Sur les fautes commises par la société Océanne :
Attendu que la cour relève, en liminaire, que sous couvert d'adresser des griefs à la société Océanne, la société ATS réitère pour l'essentiel les reproches qu'elle adressait à M. X. dans le cadre de l'instance ouverte devant le tribunal d'instance d'Agen ayant abouti au rejet de ses demandes ;
Attendu que dès 2006, la société ATS connaissait l'activité concurrente de M. X., peu important que celui-ci ait transformé le cadre juridique de son exploitation, en transformant son entreprise personnelle en SARL ; que d'ailleurs, le contrat signé le 28 avril 2006 ne mentionne pas l'obligation pour M. X. de cesser son activité personnelle ; que le contrat du 31 juillet 2007 ne mentionne pas non plus une telle obligation et ne précise en rien les conditions dans lesquelles les activités respectives et concurrentes des sociétés Océanne, ATS et de M. X. doivent prospérer ; que dès lors, la société ATS a accepté le principe que M. X. poursuive son exploitation dans une activité identique et concurrente à la sienne et à celle de la société Océanne.
Attendu que la société ATS ne démontre pas que la société Océanne se serait livrée à des pratiques anticoncurrentielles et déloyales ; que le transfert du marché de la société Aquila au profit de la société PSG a obéi à la seule volonté du client sans que la manœuvre de la société Océanne pour détourner ce client au profit de la société PSG soit établie ; que le courriel émanant de M. A. est vague et non circonstancié et concerne une période postérieure à la résiliation du contrat du 30 juillet 2007 ; qu'aucune autre pièce n'est invoquée pour rapporter la preuve d'un détournement de clientèle ; que les autres pièces émanant de Sécurité Protection, Alert Services et la Caisse d'allocations familiales du Lot et Garonne n'établissent ni les dénigrements dont la société Océanne se serait rendue coupables ni des actes anticoncurrentiels ; que les clients rapportent seulement que M. X. les a informés de la rupture des relations commerciales intervenues entre les parties et du fait que ATS sous-traitait en réalité ses missions de gardiennage, ce que M. X. pouvait dévoiler, étant délié de l'obligation de confidentialité, prévu au contrat du 30 juillet 2007 désormais résilié ; que dès lors, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté les demandes de la société ATS.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la SARL ATS de sa demande reconventionnelle ;
Déclare recevable l'action engagée par la société Océanne sur le fondement de l'article L. 442-6 I, 2° b, du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 4 août 2008 ;
Rejette les demandes de la société Océanne ;
Rejette les demandes de la société ATS ;
Dit que chacune des parties supportera par moitié les dépens de première instance et d'appel ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes de la société Océanne et de la société ATS.
Le greffier, Le président.