TGI PARIS (1re ch. sect. soc.), 16 mai 2006
CERCLAB - DOCUMENT N° 3728
TGI PARIS (1re ch. sect. soc.), 16 mai 2006 : RG n° 05/00523 ; jugt n° 2
(sur contredit CA Paris (1re ch. D), 6 décembre 2006 et au fond CA Paris (pôle 5 ch. 11), 18 septembre 2009 : RG n° 06/21695 ; arrêt n° 58)
Extrait : « Selon l'article 4 de la loi susvisée : « L'usage des autoroutes est en principe gratuit. Toutefois, ...l'État ... ou... les collectivités locales peuvent autoriser le concessionnaire à percevoir des péages pour assurer l'intérêt et l'amortissement des capitaux investis par lui, ainsi que l'entretien et, éventuellement, l'extension de l'autoroute » ;
Le tribunal des conflits par arrêt du 28 juin 1965 a considéré que les sommes payées par les usagers d'une autoroute à péage ont le caractère d'une taxe dont le versement ne fait naître aucun lien contractuel entre eux et le concessionnaire autorisé à percevoir ce péage et a retenu la compétence de la juridiction administrative par application de l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII ; La doctrine a posé le principe selon lequel la situation de l'usager du service public administratif est entièrement définie par les réglementations qui fixent les modalités d'organisation, de fonctionnement et de tarification du service public ; l'utilisation du service public par l'usager est un acte - condition qui ne présente aucun caractère contractuel ; Par conséquent, le paiement du péage ne fait naître aucun lien contractuel entre l'usager d'une autoroute et la société concessionnaire, de telle sorte que leurs relations sont régies par les règles du droit public ;
Monsieur X. soutient que si cette thèse peut se concevoir pour le péage ordinaire aux guichets pour des usagers qui ne disposent d'aucun contrat d'abonnement, la situation est différente en présence du contrat spécifique Libert-T, lequel présente toutes les caractéristiques d'une exploitation commerciale classique faite par la société anonyme SANEF, contrat de droit privé qui ne comporte aucune clause exorbitante du droit commun ;
Cependant, les conventions de concession conclues entre l'ÉTAT et les sociétés d'autoroute prévoient la possibilité pour les concessionnaires de proposer aux usagers des formules d'abonnement permettant l'octroi de conditions préférentielles, matérialisées dans un contrat type, comme en l'espèce le contrat d'adhésion au télépéage souscrit par Monsieur X. ; Ces formules comportent des clauses réglementaires dans la mesure où elles tirent leur source directement du contrat de délégation et du cahier des charges qui y est annexé, étant observé que sont considérées comme réglementaires toutes les clauses qui fixent les conditions dans lesquelles le concessionnaire doit s'acquitter de sa mission, et notamment les modalités de ses rapports avec les usagers qui recouvrent les conditions de tarification du service rendu à celui-ci, car ceci relève de l'organisation et du fonctionnement du service public, le télépéage n'étant qu'une modalité particulière de paiement du péage autoroutier ;
Ainsi, l'abonné à un péage autoroutier se trouve dans une situation unilatérale et réglementaire à l'égard de la société chargée de l'exploitation de l'autoroute puisque le règlement des abonnements participe au caractère du traité de concession de service public dont il doit être considéré comme faisant partie intégrante ;
Il s'ensuit que les tribunaux de l'ordre judiciaire ne peuvent, sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs, déclarer que la clause critiquée, de nature réglementaire, a un caractère abusif, les dispositions de l'article XIII au contrat d'abonnement litigieux invoquées par monsieur X., en ce qu'elles visent le « Tribunal compétent du ressort du domicile élu.. » par la société, n'étant pas de nature à faire échec à la compétence des juridictions administratives ».
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
PREMIÈRE CHAMBRE SECTION SOCIALE
JUGEMENT DU 16 MAI 2006
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 05/00523. Jugement n° 2. Assignation du 3 janvier 2005.
DEMANDEUR :
Monsieur X.
[adresse], représenté par Maître Olivier LAGRAVE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D171
DÉFENDERESSE :
la Société SANEF SA
[adresse], représentée par Maître Claude GRANGE, avocat de la SCP GRANGE & Associés au barreau de PARIS, vestiaire R251
COMPOSITION DU TRIBUNAL : M. VALETTE, Premier Vice-Président, Président de la formation, Mme LECLERCQ-CARNOY, Vice-Présidente, Mme DALLERY, Vice-Président, Assesseurs
Assistées de Karine NIVERT, Greffière.
[minute page 2] DÉBATS : À l'audience du 14 mars 2006 tenue publiquement
JUGEMENT : Prononcé en audience publique, Contradictoire, Susceptible de contredit
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu à la suite de l'assignation du 3 janvier 2005, les dernières conclusions du 30 décembre 2005 de Monsieur X. qui demande au tribunal de :
Sur l'exception d'incompétence :
- Débouter la SANEF de l'exception d'incompétence soulevée à tort par elle s'agissant d'un contrat de droit privé dépourvu de clause exorbitante du droit commun, la SANEF agissant en tant que société commerciale pour son nom propre et non comme mandataire ou représentant de la puissance publique ;
Sur la clause abusive :
- Dire et juger abusive la clause de paiement par prélèvement automatique du contrat intervenu le 21 août 2003 entre les parties conformément à l'article L. 132-1 du Code de la consommation et de ses annexes, en conséquence :
- Dire la clause réputée non écrite et frappée de nullité d'ordre public ;
- Dire et juger que la SANEF avait renoncé au paiement par prélèvement automatique, les factures ayant été réglées par lui pendant près d'une année par chèques adressés le jour même de la réception de la facture et avant la date d’échéance ;
- Dire et juger en tout état de cause que la résiliation pouvait d'autant moins être prononcée que conformément à la clause X 4 des conditions générales figurant au verso du contrat LIBER-T il est précisé à cette clause résolutoire « qu'à défaut de règlement dans les 8 jours de la réception de la mise en demeure, la résiliation du contrat est prononcée de plein droit et sans nouvel avis », alors que les règlements avaient toujours été effectués par chèque et régulièrement encaissés par la SANEF ;
- Dire et juger en conséquence manifestement irrégulière la résiliation invoquée par la SANEF conformément à l'article 1134 du Code civil alors que cette résiliation était sans cause en raison du règlement ponctuellement effectué de la prestation fournie, le règlement par prélèvement ne pouvant être qu'une modalité de ce règlement, la résiliation étant donc sans cause, conformément à l'article 1131 du Code civil ;
- Dire et juger qu'à compter du jour de la décision à intervenir, il devra bénéficier du passage par le télépéage ainsi qu'il en était convenu et ce avec exécution provisoire du jugement à intervenir ;
- [minute page 3] Lui donner acte de ce qu'il s'engage à régler les sommes dues par chèque bancaire, à réception de facture, ainsi qu'il l'a fait pendant près d'une année sans protestation de la SANEF ;
- Condamner la SANEF à lui payer une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel et moral subi, outre une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures du 15 novembre 2005 de la société SANEF tendant à, sur le fondement des articles 1134 et suivants de Code civil et XII des conditions générales du contrat de télépéage Liber-T,
Se déclarer incompétent pour statuer sur la demande et renvoyer Monsieur X. à se pourvoir devant la juridiction administrative compétente ;
A titre subsidiaire,
- Dire et juger que les dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation ne sont pas applicables au contrat d'abonnement au télépéage Liber-T, dès lors que ce contrat a été conclu avec une société concessionnaire d'un service public administratif ;
- Constater en tout état de cause, que la clause relative au mode de règlement de l'abonnement au télépéage Liber-T souscrit par le demandeur prévoit que le paiement des factures peut s'effectuer soit par prélèvement bancaire, soit par carte de crédit ;
- Dire et juger que cette clause qui n'impose donc pas le prélèvement automatique comme unique moyen de paiement, ne constitue pas une clause abusive ;
- Constater que l'article XII-2 des conditions générales d'utilisation du télépéage autorise la société émettrice à résilier de plein droit le contrat en cas d'inexécution de l'une quelconque des obligations incombant au titulaire ;
- Dire et juger qu'en s'opposant aux prélèvements automatiques sur son compte bancaire qu'il avait pourtant dûment acceptés, en toute connaissance de cause, lors de la signature de son contrat d'abonnement, Monsieur X. a manifestement manqué à ses obligations contractuelles ;
- Dire et juger en conséquence, qu'elle était bien fondée à prononcer la résiliation du contrat d'abonnement souscrit par Monsieur X. sur le fondement de l'article XII-2 des conditions générales d’utilisation du télépéage ;
- Dire et juger que Monsieur X. ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice de nature à justifier sa demande de dommages et intérêts ;
- Rejeter en conséquence sa demande tendant à l'allocation d'une somme de 10.000 euros à ce titre ;
- Le condamner à lui verser la somme de 3.500 euros H.T. au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture du 17 janvier 2006.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 4] SUR CE,
SUR L 'EXCEPTION D 'INCOMPÉTENCE :
Monsieur X. a souscrit le 21 août 2003, auprès de la SANEF, un contrat d'abonnement « télépéage Liber-T » ;
Il expose qu'il lui a été demandé de s'engager à payer les redevances, soit par carte bancaire, soit par prélèvements automatiques, qu'il a proposé de régler les factures à réception avant même leur échéance, ce qui a été accepté par la défenderesse après qu'il ait néanmoins signé une demande de prélèvement bancaire ;
Le 21 juin 2004 la SANEF lui a fait savoir qu'elle n'acceptait plus les chèques et qu'elle résiliait le contrat de télépéage ce qu'il a contesté en adressant de nombreux courriers à la défenderesse ;
Il estime que la position de la SANEF résiliant le contrat pour non observation d'un paiement par prélèvement automatique sur le compte bancaire constitue une clause abusive et que la résiliation prononcée est entachée d'une nullité absolue d'ordre public ;
La SANEF a soulevé in limine litis une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative ;
Elle rappelle qu'elle est une société concessionnaire d'autoroute liée à l'État par une convention de concession et un cahier des charges approuvé par décret en Conseil d'État et que par dérogation au principe de gratuité de l'usage des autoroutes, la loi du 18 avril 1955 modifiée a autorisé le concessionnaire à percevoir des péages.
Elle affirme que l'activité ainsi exercée par les sociétés concessionnaires d'autoroutes à péages est un service public administratif et que le contentieux des relations de ces usagers avec le service relève de la juridiction administrative ;
Elle soutient que l'existence du contrat d'abonnement n'exclut pas que l'usager reste à l'égard de la société concessionnaire dans une situation essentiellement réglementaire et se réfère à un arrêt du Conseil d'État du 28 juillet 1995. Elle ajoute que les contrats d'abonnement contiennent des clauses réglementaires qui sont les conditions dans lesquelles le concessionnaire doit s'acquitter de sa mission, et notamment les modalités de ses rapports avec les usagers. Or, le contentieux de ces clauses relève de la compétence exclusive de la juridiction administrative ;
Elle fait valoir que de la même façon, l'appréciation de la légalité des clauses réglementaires contenues dans le contrat d'abonnement au télépéage en cause, relève de la compétence exclusive de la juridiction administrative, ainsi que l'a jugé la Cour de cassation ;
Elle réfute l'argument développé par le demandeur à propos de la rédaction de l'article XIII des conditions générales du contrat en cause, alors que le terme générique de « tribunal » ne désigne pas les seules juridictions civiles ;
Le demandeur objecte qu'en ce qui concerne le passage Libert-T, celui-ci a fait l'objet d'un contrat spécifique entre l'usager et la SANEF dans le cadre d'une exploitation commerciale, il s'agit d'un contrat entre personnes privées, il est donc privé ;
[minute page 5] Il fait observer que les clauses figurant au verso du contrat ne sont pas exorbitantes du droit commun et que les termes de l'article XIII des conditions générales ne renvoient pas à la compétence administrative ;
Il soutient que la clause par laquelle le bénéficiaire choisit un paiement par carte de crédit ou par prélèvement bancaire n'est pas une clause réglementaire issue d'un acte réglementaire, que la SANEF, personne morale de droit privé, n'a pas le pouvoir d'édicter des actes administratifs réglementaires ;
Il estime que rien ne permet de soustraire au tribunal de grande instance un litige qui est d'ordre purement privé et dans lequel la SANEF n'apporte aucun élément de nature à fonder son exception d'incompétence ;
* * *
Monsieur X. poursuit devant la juridiction civile l'annulation de la clause qu'il estime abusive de paiement par prélèvement bancaire insérée dans le contrat Libert-T qu'il a souscrit auprès de la SANEF le 21 août 2003 ;
La société SANEF, qui soutient que ce litige ressortit à la compétence de la juridiction administrative, rappelle qu'elle est une société concessionnaire d'autoroute liée à l'État par une convention de concession et un cahier des charges approuvés par décret en Conseil d'État, qu'elle est soumise aux dispositions de la loi du 18 avril 1955, modifiée, portant statut des autoroutes et du décret du 24 janvier 1995 relatif aux péages autoroutiers ;
Selon l'article 4 de la loi susvisée :
« L'usage des autoroutes est en principe gratuit.
Toutefois, ...l'État ... ou... les collectivités locales peuvent autoriser le concessionnaire à percevoir des péages pour assurer l'intérêt et l'amortissement des capitaux investis par lui, ainsi que l'entretien et, éventuellement, l'extension de l'autoroute » ;
Le tribunal des conflits par arrêt du 28 juin 1965 a considéré que les sommes payées par les usagers d'une autoroute à péage ont le caractère d'une taxe dont le versement ne fait naître aucun lien contractuel entre eux et le concessionnaire autorisé à percevoir ce péage et a retenu la compétence de la juridiction administrative par application de l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII ;
La doctrine a posé le principe selon lequel la situation de l'usager du service public administratif est entièrement définie par les réglementations qui fixent les modalités d'organisation, de fonctionnement et de tarification du service public ; l'utilisation du service public par l'usager est un acte - condition qui ne présente aucun caractère contractuel ;
Par conséquent, le paiement du péage ne fait naître aucun lien contractuel entre l'usager d'une autoroute et la société concessionnaire, de telle sorte que leurs relations sont régies par les règles du droit public ;
Monsieur X. soutient que si cette thèse peut se concevoir pour le péage ordinaire aux guichets pour des usagers qui ne disposent d'aucun contrat d'abonnement, la situation est différente en présence du contrat spécifique Libert-T, lequel présente toutes les caractéristiques d'une exploitation commerciale classique faite par la société anonyme SANEF, contrat de droit privé qui ne comporte aucune clause exorbitante du droit commun ;
[minute page 6] Cependant, les conventions de concession conclues entre l'ÉTAT et les sociétés d'autoroute prévoient la possibilité pour les concessionnaires de proposer aux usagers des formules d'abonnement permettant l'octroi de conditions préférentielles, matérialisées dans un contrat type, comme en l'espèce le contrat d'adhésion au télépéage souscrit par Monsieur X. ;
Ces formules comportent des clauses réglementaires dans la mesure où elles tirent leur source directement du contrat de délégation et du cahier des charges qui y est annexé, étant observé que sont considérées comme réglementaires toutes les clauses qui fixent les conditions dans lesquelles le concessionnaire doit s'acquitter de sa mission, et notamment les modalités de ses rapports avec les usagers qui recouvrent les conditions de tarification du service rendu à celui-ci, car ceci relève de l'organisation et du fonctionnement du service public, le télépéage n'étant qu'une modalité particulière de paiement du péage autoroutier ;
Ainsi, l'abonné à un péage autoroutier se trouve dans une situation unilatérale et réglementaire à l'égard de la société chargée de l'exploitation de l'autoroute puisque le règlement des abonnements participe au caractère du traité de concession de service public dont il doit être considéré comme faisant partie intégrante ;
Il s'ensuit que les tribunaux de l'ordre judiciaire ne peuvent, sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs, déclarer que la clause critiquée, de nature réglementaire, a un caractère abusif, les dispositions de l'article XIII au contrat d'abonnement litigieux invoquées par monsieur X., en ce qu'elles visent le « Tribunal compétent du ressort du domicile élu.. » par la société, n'étant pas de nature à faire échec à la compétence des juridictions administratives ;
Il y a lieu de renvoyer Monsieur X. à mieux se pouvoir ;
Aucune considération d'équité ne justifie de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LE TRIBUNAL,
statuant en audience publique par jugement contradictoire et susceptible de contredit,
Renvoie Monsieur X. à mieux se pourvoir ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
[minute page 7] Condamne Monsieur X. aux dépens et accorde à Maître Claude GRANGE le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 16 mai 2006
Le Greffier Le Président
K. NIVERT B. VALETTE