T. COM. NANTERRE (8e ch.), 15 décembre 2010
CERCLAB - DOCUMENT N° 4300
T. COM. NANTERRE (8e ch.), 15 décembre 2010 : RG n° 2010F03912
Publication : Lexbase
Extraits : 1/ « Attendu qu'en matière de procédure orale, [...] les prétentions des parties peuvent être formulées oralement en cours d'audience, et qu'il en est ainsi notamment des exceptions de procédure, qui peuvent valablement être soulevées oralement avant toute référence aux prétentions sur le fond formulées par écrit, Attendu que lors de l'audience du 9 novembre 2010, Chep a soulevé avant tout débat au fond l'exception d'incompétence qu'elle invoque, Attendu que le tribunal dira recevable cette exception. »
2/ « Attendu que dans leur assignation et dans leurs premières conclusions, les requérants se sont fondés essentiellement sur les articles L. 442-6 et L. 420-2 du code de commerce, et n'ont modifié leur fondement juridique qu'après avoir été informés de l'exception d'incompétence soulevée par Chep, Attendu que les reproches justifiant leurs demandes sont exactement les mêmes, et surtout que les griefs invoqués sont précisément des actes et comportements prohibés par les articles L. 442-6 et L. 420-2 du code de commerce à savoir rupture de relations commerciales établies, abus de dépendance économique, Attendu que le changement de fondement juridique au principal en responsabilité contractuelle au vu des articles 1134 et 1147 du code civil ne s'impose pas au juge et qu'il est de sa compétence d'analyser les faits invoqués pour procéder si nécessaire à leur requalification ».
3/ « Attendu qu'une clause attributive de juridiction ne saurait faire échec à une disposition législative attribuant à une juridiction déterminée le contentieux de l'application de différents articles du code de commerce en matière économique, disposition expressément instituée dans l'objectif d'un renforcement de l'expertise des juridictions compétentes pour appliquer ces textes, Attendu qu'il appartient au juge de se déclarer incompétent s'il est saisi d'une demande dont l'objet est clairement de la compétence d'une autre juridiction, spécialisée en vertu d'un texte législatif, pour répondre à un impératif de bonne justice, Attendu qu'une clause attributive de juridiction lui attribuant compétence en application d'un simple accord entre deux ou plusieurs parties contractantes, lequel répond à un intérêt particulier, ne peut primer sur une disposition d'intérêt général, Attendu en conséquence que le tribunal se déclarera incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris. »
TRIBUNAL DE COMMERCE DE NANTERRE
HUITIÈME CHAMBRE
JUGEMENT DU 15 DÉCEMBRE 2010
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 2010F03912.
DEMANDEURS :
SELARL BAULAND GLADEL MARTINEZ
mission conduite par Maître Eric BAULAND [es qualité] D'ADMINISTRATEUR JUDICIAIRE DE STE ROUSSILLON LOGISTICS [adresse], comparant par CRTD Associés [adresse] et par CABINET JACQUES BRET [adresse]
Maître Patrick Paul DUBOIS [es qualité] DE MANDATAIRE JUDICIAIRE DE STE ROUSSILLON LOGISTICS
[adresse], comparant par CRTD Associés [adresse] et par CABINET JACQUES BRET [adresse]
SARL ROUSSILLON LOGISTICS
[adresse], comparant par CRTD Associés [adresse] et par CABINET JACQUES BRET [adresse]
DÉFENDEUR :
SA CHEP FRANCE
[adresse], comparant par Maître TREHET & VICHATZKY [adresse] et par SA COTTY VIVANT MARCHISIO ET LAUZERAL [adresse]
LE TRIBUNAL AYANT LE 9 novembre 2010 ORDONNÉ LA CLÔTURE DES DÉBATS POUR LE JUGEMENT ÊTRE PRONONCÉ PAR MISE À DISPOSITION AU GREFFE LE 15 décembre 2010, APRES EN AVOIR DÉLIBÉRÉ.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] LES FAITS
Roussillon Logistics, ci-après Roussillon, appartient au groupe CIL qui entretient depuis de nombreuses années des relations commerciales avec Chep.
A compter de 2003, Roussillon a été chargée par Chep pour assurer en sous-traitance le stockage et la logistique de palettes sur son site de [ville F.], puis en 2005 également sur le site de [ville S.].
En 2008, elle a arrêté l'exploitation du site de [ville F.] devenue insuffisamment rentable en 2009, elle a cessé son activité de transport routier pour les mêmes raisons, et elle n'exerce plus aujourd'hui que l'activité de sous-traitance sur le site de [ville S.]. Selon Roussillon, les conditions tarifaires imposées par Chep ont considérablement réduit sa rentabilité et de surcroit elle a dû faire face à un conflit social violent entre le 15 mars et le 12 avril 2010 que Chep a invoqué pour lui réclamer une indemnité de 216.112 € au titre du préjudice que cette dernière estime subi du fait de cette grève
Roussillon s'est opposée au paiement de cette indemnité et Chep a mis un terme au contrat de prestations de services le 28 juin 2010, à effet du 10 mars 2011
Roussillon a déposé une déclaration de cessation des paiements et le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire le 7 juillet 2010.
LA PROCÉDURE
C'est dans ces circonstances que par acte d'huissier signifié le 16 septembre 2010, les administrateurs et mandataires judiciaires de Roussillon et Roussillon elle-même ont assigné à jour fixe Chep devant le tribunal de commerce de Nanterre, puis déposé des conclusions à l'audience du 19 octobre 2010, aux fins de :
Vu les articles L. 420-2, L. 442-6 et L. 622-7 du code de commerce,
Vu l'article L. 1224-1 du code du travail,
Juger que la rupture des relations contractuelles par Chep est abusive,
Juger que Chep a abusé de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve Roussillon à son égard,
Lui donner acte de ce qu'elle ne conteste pas devoir la somme de 423.092 € au titre de la reprise des machines et des aménagements,
En conséquence,
Sur les demandes de Roussillon
Sur les contrats de travail,
Juger que les contrats de travail en vigueur au sein de Roussillon sur le site de [ville S.] seront transférés à Chep,
A titre subsidiaire,
Condamner Chep à lui payer la somme de 2.100.000 € à parfaire à titre de dommages et intérêts correspondant au coût probable du plan social que Roussillon sera amené à mettre en œuvre,
Le cas échéant, ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la période d'observation initialement fixée au 7 janvier 2011.
[minute page 3] Sur la reprise des équipements industriels et des aménagements,
Condamner Chep à lui payer la somme de 423.092 € correspondant à leur valeur nette comptable au 10 mars 2011,
Sur le préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations contractuelles, de l’abus de dépendance économique,
Condamner Chep à la somme de 1.682.443 € à titre de dommages et intérêts sur les exercices 2009 et 2010,
Condamner Chep à lui payer la somme de 1.741.982 € sauf à parfaire en raison de ses agissements à l'origine du redressement judiciaire de Roussillon,
Sur les demandes reconventionnelles de Chep,
A titre principal,
dire irrecevable sa demande en paiement de la somme de 245.326,19 € et l'en débouter,
A titre subsidiaire, la déclarer mal fondée,
A titre infiniment subsidiaire,
Débouter Chep de sa demande de compensation au titre des créances à échoir,
En tout état de cause,
Ordonner la capitalisation des intérêts,
Ordonner l'exécution provisoire nonobstant appel et sans caution,
Condamner Chep à la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux dépens.
Par conclusions n° 1 déposées à l'audience du 19 octobre 2010, Chep demande au tribunal de :
Débouter les demandeurs de leurs demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause et à titre subsidiaire,
Ordonner la compensation entre les sommes que Chep serait condamnée à payer à Roussillon et les créances de Chep à l'égard de Roussillon,
Reconventionnellement,
Condamner Roussillon à lui payer la somme de 245.326,19 € à titre de dommages et intérêts, Condamner solidairement les demandeurs à lui payer la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux dépens.
Par conclusions rectificatives régularisées à l'audience du 9 novembre 2010, les demandeurs Réitèrent leurs précédentes écritures, rectifiant ainsi en ce qui concerne les demandes reconventionnelles de Chep ,
Débouter Chep de sa demande de compensation en l'absence de connexité des créances, à l'exception de la créance éventuelle de Chep au titre du préjudice subi du fait de la grève, si par extraordinaire le tribunal devait le retenir,
[minute page 4]
Par conclusions récapitulatives régularisées à l'audience du 9 novembre 2010, Chep :
Réitère ses précédentes écritures,
y ajoutant
A titre principal
Se déclarer incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris.
En réponse aux conclusions récapitulatives régularisées par Chep à l'audience du 9 novembre 2010, les demandeurs régularisent à cette même audience des conclusions récapitulatives réitérant leurs précédentes écritures, mais sur le fondement principal des articles 1134 et 1147 du code civil et à titre subsidiaire sur la responsabilité contractuelle de Chep,
y ajoutant,
Sur l'exception d'incompétence,
A titre principal, la déclarer irrecevable,
A titre subsidiaire, la déclarer mal fondée,
En conséquence, se déclarer compétent pour statuer sur le présent litige.
A l'audience du 9 novembre 2010, le juge rapporteur, après avoir entendu les parties sur l'exception d'incompétence et sur le fond, a clos les débats et mis le jugement en délibéré pour être mis à disposition le 15 décembre 2010 sur la compétence, et si le tribunal se déclarait compétent pour être mis à disposition le 12 janvier 2011 sur le fond.
LA DISCUSSION
Sur la compétence
Chep fait valoir que :
Aux termes des articles L. 442-6 III alinéa 5 et D. 443-3, L. 420-7 et R. 420-3 du code de commerce, la juridiction compétente pour statuer sur les litiges concernés par ces articles dans le ressort des cours d'appel de Bourges, Orléans, Saint-Denis de la Réunion et Versailles est le tribunal de commerce de Paris,
Dans les procédures orales, le fait d'avoir déposé des conclusions au fond, avant l'audience, n'empêche pas une partie de soulever ce jour-là une exception d'incompétence pourvu que cela soit dans l'ordre de l'article 74 du CPC l'exception d'incompétence est ainsi recevable si elle est soulevée oralement à l'audience avant toute défense au fond ou fin de non recevoir,
En l'espèce, les demandeurs ont assigné Chep sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce, en lui reprochant une rupture abusive du contrat et d'avoir tenté de soumettre Roussillon à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, et sur le fondement de l'article L. 420-2 du code de commerce qui prohibe l'exploitation abusive par une entreprise d'un état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur,
Ces litiges sont exclusivement attribués à des juridictions spécialisées dont Nanterre ne fait pas partie,
Conscients de leur erreur, les demandeurs ont invoqué dans leurs dernières conclusions non plus les articles figurant dans l'assignation, mais à titre principal les articles 1134 et 1147 du code civil, toujours sur les mêmes faits et les mêmes moyens toutefois, les demandeurs [minute page 5] n'ont pas abandonné leurs demandes sur le fondement des articles L. 420-2 et L. 442-6 du code de commerce,
Enfin le caractère d'ordre public de la compétence exclusive des juridictions désignées par décret rend inapplicable toute clause attributive de juridiction susceptible d'y faire échec,
Maître Bauland es qualité, Maître Dubois es qualité et Roussillon rétorquent que :
A titre principal,
Chep a déposé à l'audience du 19 octobre 2010 des conclusions aux termes desquelles elle a non seulement développé des moyens de défense au fond, mais également formulé une demande reconventionnelle à l'encontre de Roussillon,
Elle ne peut donc sérieusement invoquer une exception de procédure aux termes des conclusions communiquées le 29octobre 2010, même dans le cas d'une procédure orale La jurisprudence est constante en ce sens,
A titre subsidiaire,
Les demandeurs invoquent à titre principal la responsabilité contractuelle de Chep en application des articles 1134 et 1147 du code civil, et donc la clause attributive de juridiction au profit du tribunal de commerce de Nanterre est applicable,
La demande formulée sur le fondement des articles L. 442-6 et L. 420-7 du code de commerce n'étant qu'à titre subsidiaire, ces dispositions n'ont pas à faire échec ni à la compétence de droit commun, ni à la clause attributive de compétence,
En tout état de cause, les dispositions relatives à la compétence exclusive des juridictions désignées par décret ne sont pas d'ordre public et ne peuvent rendre inapplicable une clause attributive de juridiction,
L'exception d'incompétence est soulevée à titre purement dilatoire, et doit être rejetée.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
1/ Sur la recevabilité de l'exception d'incompétence :
Attendu qu'en matière de procédure orale, [...] les prétentions des parties peuvent être formulées oralement en cours d'audience, et qu'il en est ainsi notamment des exceptions de procédure, qui peuvent valablement être soulevées oralement avant toute référence aux prétentions sur le fond formulées par écrit,
Attendu que lors de l'audience du 9 novembre 2010, Chep a soulevé avant tout débat au fond l'exception d'incompétence qu'elle invoque,
Attendu que le tribunal dira recevable cette exception.
2/ Sur le mérite :
Sur le fondement juridique des demandes formulées par les requérants,
Attendu que dans leur assignation et dans leurs premières conclusions, les requérants se sont fondés essentiellement sur les articles L. 442-6 et L. 420-2 du code de commerce, et n'ont modifié leur fondement juridique qu'après avoir été informés de l'exception d'incompétence soulevée par Chep,
Attendu que les reproches justifiant leurs demandes sont exactement les mêmes, et surtout que les griefs invoqués sont précisément des actes et comportements prohibés par les articles [minute page 6] L. 442-6 et L. 420-2 du code de commerce à savoir rupture de relations commerciales établies, abus de dépendance économique,
Attendu que le changement de fondement juridique au principal en responsabilité contractuelle au vu des articles 1134 et 1147 du code civil ne s'impose pas au juge et qu'il est de sa compétence d'analyser les faits invoqués pour procéder si nécessaire à leur requalification,
Attendu que le tribunal jugera que la demande des requérants porte sur des actes et comportements expressément sanctionnés par les articles L. 442-6 et L. 420-2 du code de commerce, et que c'est au regard de l'application desdits articles qu'il statuera sur sa compétence,
Sur le caractère impératif de la compétence exclusive attribuée aux juridictions spécialisées,
Attendu qu'une clause attributive de juridiction ne saurait faire échec à une disposition législative attribuant à une juridiction déterminée le contentieux de l'application de différents articles du code de commerce en matière économique, disposition expressément instituée dans l'objectif d'un renforcement de l'expertise des juridictions compétentes pour appliquer ces textes,
Attendu qu'il appartient au juge de se déclarer incompétent s'il est saisi d'une demande dont l'objet est clairement de la compétence d'une autre juridiction, spécialisée en vertu d'un texte législatif, pour répondre à un impératif de bonne justice,
Attendu qu'une clause attributive de juridiction lui attribuant compétence en application d'un simple accord entre deux ou plusieurs parties contractantes, lequel répond à un intérêt particulier, ne peut primer sur une disposition d'intérêt général,
Attendu en conséquence que le tribunal se déclarera incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire rendu en premier ressort
Dit l'exception d'incompétence recevable,
Se déclare incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris.
Droits, moyens et dépens réservés.
Liquide les dépens du Greffe à la somme de 135,24 €uros, dont TVA 22,16 €uros.
Délibéré par Mme RELLIER, M. PARETTE, M. ADAMOFF
Dit que le présent jugement est mis à disposition au greffe de ce Tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées verbalement lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du CPC.
La minute du jugement est signée par Mme RELLIER, Président du délibéré et Mlle Monique FARJOUNEL, Greffier.
Mme RELLIER, Juge Rapporteur.