T. COM. NANTERRE (2e ch.), 2 juillet 2009
CERCLAB - DOCUMENT N° 4305
T. COM. NANTERRE (2e ch.), 2 juillet 2009 : RG n° 2009F01168
Publication : Lexbase
Extrait : « Attendu qu'il est constant que les conditions de paiement entre SPILAN et CARREFOUR étaient de 90 jours fin de mois le 10, Attendu que le Contrat 2007 et l'accord commercial 2006 versés aux débats comportent la mention manuscrite « paiement par BOR » soit par billet à ordre,
Attendu que par un courrier en date du 21 décembre 2007 versé aux débats, CARREFOUR a informé SPILAN que le paiement par virement remplaçait le paiement par billet à ordre à compter du 31 décembre 2007,
Attendu que le Contrat ainsi que l'accord commercial stipulent que CARREFOUR peut « modifier les modalités de paiement à condition d'en informer le Fournisseur et d'avoir obtenu préalablement son accord », Attendu qu'un tel accord de la part de SPILAN n'est pas produit, Attendu que la dénonciation par SPILAN d'une infraction aux dispositions contractuelles est justifiée ».
TRIBUNAL DE COMMERCE DE NANTERRE
DEUXIÈME CHAMBRE
JUGEMENT DU 2 JUILLET 2009
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 2009F01168.
DEMANDEUR :
SAP SPILAN
[adresse], comparant par Maître TREHET & VICHATZKY [adresse] et par SCP NATAF ET FAJGENBAUM [adresse]
DÉFENDEURS :
SAS CARREFOUR HYPERMARCHES
[adresse], comparant par Maître OLTRAMARE Alain, FOURCAULT Richard, GANTELME Denis, MAHL Bertrand [adresse] et par Maîtres Xavier CLEDAT CLIFFORD CHANCE EUROPE LLP et BOERINGER
SAS CARREFOUR FRANCE venant aux droits de CARREFOUR HYPERMARCHES FRANCE
[adresse], comparant par Maître OLTRAMARE Alain, FOURCAULT Richard, GANTELME Denis, MAHL Bertrand [adresse] et par Maîtres Xavier CLEDAT CLIFFORD CHANCE EUROPE LLP et BOERINGER
SA CARREFOUR
[adresse], comparant par Maître OLTRAMARE Alain, FOURCAULT Richard, GANTELME Denis, MAHL Bertrand [adresse] et par Maîtres Xavier CLEDAT CLIFFORD CHANCE EUROPE LLP et BOERINGER
LE TRIBUNAL AYANT LE 15 MAI 2009 ORDONNÉ LA CLÔTURE DES DÉBATS POUR LE JUGEMENT ÊTRE PRONONCÉ LE 2 juillet 2009, ET CE JOUR, APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LES FAITS
La société SPILAN SAS fondée en 1982 a pour activité la création, la fabrication et le commerce de gros d'articles d'habillement notamment vers la grande distribution sous des marques de distributeur MDD. SPILAN réalise avec la grande distribution un chiffre d'affaires d'environ 10 millions d'€, son chiffre d'affaires total ayant été de 18.200.000 € en 2004, 22.000.000 € en 2005 et 2006. Selon SPILAN, dès sa création, elle a eu pour client la société CARREFOUR HYPERMARCHES SAS, ci-après CARREFOUR. En sus des produits MDD, SPILAN a fourni CARREFOUR en 2005 et en 2006 avec des produits nouveaux à base de fibre de bambou vendus sous sa propre marque « Bambou » et déclare que son chiffre d'affaires a été de 945.181 € en 2005 et 199.000 € en 2006 pour ces produits. Ces derniers produits n'ayant pas rencontré le succès attendu, leur commercialisation par CARREFOUR a été interrompue en 2006 et des difficultés sont apparues dans les relations entre les parties.
[minute page 2] SPILAN a réalisé avec CARREFOUR un chiffre d'affaires global de 2.294.028 € en 2004, 2.658.954 € en 2005, 2.481.866 € en 2006 et de 1.873.060 € en 2007 et 1.836.000 € en 2008.
La relation commerciale entre CARREFOUR et SPILAN était formalisée par plusieurs contrats, notamment par une succession de « Contrats de fourniture de produits contrôlés » ci-après le Contrat, pour les produits MDD. Pour les produits sous marque propre du fournisseur, les parties étaient liées par un « Accord Commercial ». CARJREFOUR et SPILAN étaient aussi liées par un « Contrat de service d'aide à la gestion des comptes clients » ci-après le Contrat de service.
CARREFOUR et SPILAN se sont réunis le 29 juin 2007 pour s'entretenir du futur de leur relation commerciale au vu du changement de stratégie de CARREFOUR dans le domaine du textile. CARREFOUR a adressé à SPILAN un courrier RAR en date du 6 septembre 2007 lui annonçant la rupture de leurs relations commerciales à compter du 6 mars 2009, soit avec un préavis de 18 mois que SPILAN a contesté comme étant insuffisant par courrier RAR du 15 octobre 2007 Après plusieurs échanges de courriers, les parties se sont réunies le 7 février 2008, sans parvenir à un accord.
LA PROCÉDURE
C'est dans ces circonstances que, par acte d'huissier du 13 mars 2009, délivré à personne, SPILAN assigne à bref délai CARREFOUR et les sociétés CARREFOUR FRANCE SAS et CARREFOUR SA, ci-après CARREFOUR et AUTRES devant ce Tribunal, lui demandant de :
Vu l'article 442-6-1 du code de commerce,
Vu l'article 1382 du code civil
dire SPILAN recevable et bien fondée en l'intégralité de ses demandes et y faire droit,
dire que CARREFOUR a rompu brutalement les relations commerciales qu'elle entretenait avec SPILAN en ne respectant pas une durée de préavis suffisante, dont la durée n'aurait pu, s'agissant de produits fournis sous marque de distributeur, être inférieure à six ans, et a, en conséquence, engagé sa responsabilité civile à l'égard de la requérante,
dire qu'en modifiant unilatéralement ses conditions de paiement et cherchant à détourner SPILAN de ses partenaires bancaires de façon abusive, CARREFOUR a engagé sa responsabilité civile à l'égard de la requérante.
En conséquence,
Condamner conjointement et solidairement les sociétés CARREFOUR HYPERMARCHES, CARREFOUR FRANCE et CARREFOUR qui sont visées à l'assignation :
à payer à SPILAN la somme de 6.249.546 € (six millions deux cent quarante neuf mille cinq cent quarante six euros) HT à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie,
à payer à la société SPILAN la somme de 1.000.000 € (un million d'euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de la rupture brutale et sans préavis suffisant de la relation commerciale,
à payer à la société SPILAN la somme de 1.200.000 € (un million deux cent mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice du potentiel de marge perdue et dédommagement des investissements spécifiques réalisés sur la zone Asie,
à payer à la société SPILAN la somme de 1.600.000 € (un million six cent mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier consécutif à la stratégie [minute page 3] d'étranglement pouvant entraîner la défaillance d'une entreprise dans la période de crise actuelle,
à payer à la société SPILAN la somme de 50.000 € (cinquante mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonner la publication du jugement à intervenir, par extraits ou en entier au choix de la société SPILAN, dans dix journaux ou revues au choix de la requérante pour un coût global de 300.000 € (trois cent mille euros) HT mais aux frais avancés des défenderesses,
Ordonner la publication en entier du jugement à intervenir sur la page d'accueil du site Internet de chacune des défenderesses pendant une durée de six mois à compter de la signification du jugement à intervenir,
Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions, nonobstant appel et sans constitution de garantie,
Condamner, sous la même solidarité, les défenderesses aux entiers dépens de l'instance.
CARREFOUR dépose des conclusions à l'audience du 3 avril 2009 et des conclusions récapitulatives à l'audience du 15 mai 2009, demandant au tribunal de :
Vu l'article L. 442-6-1 du code de commerce,
1 - Sur la demande de dommages et intérêts de Spilan du fait de la prétendue rupture des relations commerciales établies
* Dire que Carrefour Hypermarchés n'a commis aucune faute à l'occasion de la rupture de ses relations commerciales avec la société Spilan,
* Dire, subsidiairement, que Spilan ne justifie pas de la réalité de son prétendu préjudice,
* La débouter en conséquence de ses demandes d'indemnisation fondées sur une prétendue rupture brutale de leurs relations commerciales.
2. Sur la demande de dommages et intérêts au titre d'une prétendue « stratégie d'étranglement pouvant entraîner la défaillance d'une entreprise dans la période de crise actuelle »
* Dire que Carrefour Hypermarchés n'a commis aucune faute en mettant un terme au paiement par billet à ordre,
* Dire qu'en tout état de cause cette situation n'a créé aucun préjudice à l'encontre de Spilan.
3. En conséquence,
* Débouter la société Spilan de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
* Condamner la société Spilan à verser aux défenderesses la somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens.
4. En tout état de cause,
* Mettre hors de cause la société Carrefour SA qui n'a aucun lien juridique de quelque nature que ce soit avec la société Spilan.
SPILAN dépose des conclusions n° 2 en réplique et des conclusions récapitulatives en réplique à l'audience du 15 mai 2009, réitérant les demandes de son assignation et y ajoutant :
A titre liminaire,
débouter la société CARREFOUR SA de sa demande de mise hors de cause,
Débouter les sociétés CARREFOUR HYPERMARCHÉS, CARREFOUR FRANCE et CARREFOUR de l'ensemble de leurs moyens, fins et conclusions.
Les parties ont déclaré à l'audience du 15 mai 2009 que leurs dernières conclusions étaient récapitulatives au sens de l'article 753 du CPC.
[minute page 4] À l'audience du 15 mai 2009, le tribunal a clos les débats et mis le jugement en délibéré pour être prononcé le 2 juillet 2009.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA DISCUSSION
SUR LA MISE EN CAUSE DE CARREFOUR SA :
CARREFOUR et AUTRES exposent que :
CARREFOUR SA mise en cause par SPILAN est une société holding sans activité commerciale sans lien avec SPILAN et doit être mise hors de cause. Elle n'est pas partie aux contrats avec SPILAN. SPILAN n'allègue aucune faute spécifique qui pourrait être reprochée directement à CARREFOUR SA, ni aucun préjudice en résultant.
SPILAN répond que CARREFOUR SA joue un rôle déterminant dans la stratégie commerciale du groupe. Les propositions de financement de CARREFOUR du 1er avril 2008 et du 12 janvier 2009 émanent des Services financiers aux fournisseurs qui sont situés au siège de CARREFOUR SA à [ville L.]. CARREFOUR SA est détenteur de la marque TEX qui est la MDD des produits fournis par SPILAN
Sur ce, le tribunal,
Attendu que le litige porte sur la rupture de relations commerciales entre des sociétés du groupe CARREFOUR et SPILAN,
Attendu que les propositions de financement invoquées par SPILAN ont été émises par CARREFOUR France et non par CARREFOUR SA,
Attendu que SPILAN ne rapporte aucun autre élément démontrant l'existence de relations commerciales entre CARREFOUR SA et SPILAN,
En conséquence, la mise en cause de CARREFOUR SA par SPILAN est mal fondée et la demande de CARREFOUR à ce titre est justifiée,
Le tribunal mettra CARREFOUR SA hors de cause.
SUR LA DEMANDE PRINCIPALE :
Sur la rupture des relations commerciales :
SPILAN expose que :
Dès 1980, SPILAN a fourni des produits et un service complet à CARREFOUR notamment via Euromarché qui a été absorbée ultérieurement par CARREFOUR. CARREFOUR établit elle-même la preuve de l'ancienneté de la relation depuis 1980 en produisant l'annexe 7 du contrat signé pour l'année 2008. SPILAN a produit des pièces établissant que la relation existait déjà en 1989.
SPILAN réalisait de manière suivie une partie substantielle de son chiffre d'affaires avec CARREFOUR, ce qui l'a incitée à investir, notamment dans ses unités de production en Asie.
Jusqu'en 2007, CARREFOUR présentait toujours SPILAN comme son fournisseur privilégié et réalisait sur les produits SPILAN une marge supérieure à celle d'un détaillant en appliquant [minute page 5] un coefficient multiplicateur de 2,55, De façon très surprenante, CARREFOUR a demandé le 12 avril 2007 la communication des coordonnées de tous ses sites de production, courrier auquel SPILAN ne pouvait répondre, ces informations étant confidentielles. Et en juin 2007, SPILAN a été surpris d'apprendre que CARREFOUR avait conclu un partenariat exclusif avec BCBG M. A. dont les produits textiles ont été distribués à partir d'octobre 2007,
Considérant l'ancienneté et l'importance de la relation (plus de 25 ans) entre SPILAN et CARREFOUR, la rupture par CARREFOUR annoncée par le courrier du 6 septembre 2007 est brutale et le préavis de 18 mois insuffisant. Cette rupture a surpris SPILAN et l'a fortement déstabilisée. Le délai de préavis était insuffisant pour lui permettre de se réorganiser. Les conditions légales de mise en œuvre de la responsabilité prévue par l'article L.442-6 sont réunies.
Les cycles d'approvisionnement et de production dans l'industrie saisonnière de la mode correspondent à des périodes de 9 mois. Compte tenu de la date de la rupture, le préavis accordé par CARREFOUR ne pouvait concerner que 2 cycles hiver 2008/2009 et printemps/été 2009, les commandes de la saison été 2008 ayant été reçues avant la lettre du 6 septembre 2007 Au surplus, à ce jour, CARREFOUR n'a passé aucune commande à SPILAN pour la saison printemps/été 2009 à date normale c'est-à-dire au plus tard en juillet 2008 et seule la collection hiver 2008/2009 a été livrée. Les tentatives de passer une commande en février 2009 pour la saison printemps-été 2009 ne sont qu'une ultime manœuvre de la part de CARREFOUR. Ce qui se résume à un préavis d'une demi-année de chiffre d'affaires. La durée de la relation justifie d'un préavis de 3 ans.
De plus, l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce dispose que lorsque la relation porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double.
En l'espèce SPILAN a toujours fourni des produits sous la marque TEX de CARREFOUR, ce qu'elle justifie depuis 1989/1990, et sollicite en conséquence une réparation à hauteur de 6 ans de marge brute.
CARREFOUR et AUTRES répondent que :
Elle ne trouve pas trace dans ses archives et SPILAN n'apporte pas la preuve d'une relation commerciale remontant à 1980 alors qu'elle n'a été constituée qu'en 1982. La relation entre CARREFOUR et SPILAN remonte seulement à 1999 (soit 8 ans) quand le premier contrat MDD a été conclu.
La jurisprudence dans de nombreux cas d'espèce révèle que des préavis d'un an ou moins sont suffisants. Très rares sont les décisions admettant un préavis de 24 mois et rarissimes sont les décisions admettant un préavis de 36 mois.
Ce qui doit être pris en compte dans la fixation d'un préavis, c'est, en plus de l'ancienneté de la relation, les caractéristiques concrètes de celle-ci pour mesurer, au cas par cas, si le préavis permet au fournisseur de « pallier les inconvénients » de la rupture dans ce délai.
Les caractéristiques de cette relation ne justifient pas un préavis supérieur à 18 mois. En effet SPILAN n'est pas dépendante de CARREFOUR notamment parce qu'elle est présente sur plusieurs marchés (MDD, marques SPILAN et Bambou), elle ne fournit aucun produit spécifique à CARJREFOUR et faisant fabriquer ses produits par des sous-traitants en Asie, elle ne dispose pas de ses propres moyens de production et peut s'adapter facilement au niveau des commandes. La part de CARREFOUR se situait entre 10 et 13 % des ventes totales de SPILAN. Dans les cas exceptionnels où la jurisprudence a admis un préavis supérieur à 18 mois, c'est que la relation commerciale ne permettait pas de retrouver un volume comparable [minute page 6] dans un délai raisonnable. SPILAN ne produit aucun élément prouvant une impossibilité de remplacer CARREFOUR.
Les produits MDD justifiant les dispositions de l'article L. 442-6 V° du code du commerce sont ceux fabriqués ou emballés spécialement pour un distributeur selon un cahier des charges précis cela n'est pas le cas des produits fournis par SPILAN qui devaient seulement répondre à des contrôles qualité contractuels.
SPILAN n'était liée par aucune exclusivité en faveur de CARREFOUR et ne prouve aucun lien de dépendance avec CARREFOUR en sa qualité de fournisseur de MDD. SPILAN était fournisseur de produits MDD depuis 8 ans seulement, le premier contrat ayant été conclu en 1999. Seule cette durée doit être prise en compte pour les produits MDD.
SPILAN ne démontre pas en quoi les investissements qu'elle allègue, notamment l'ouverture d'une représentation en Asie, auraient été imposés ni encouragés par CARREFOUR et ni seraient spécifiques à CARREFOUR.
CARREFOUR n'avait aucun engagement contractuel de maintien du chiffre d'affaires d'une année sur l'autre. SPILAN ne dispose d'aucun droit à réclamer une réparation sur ce fondement. La baisse toute relative du chiffre d'affaires s'explique d'une part par la tendance à la baisse du chiffre d'affaires de CARREFOUR en textile féminin (-20% entre 2006 et 2008), d'autre part par la fin de l'opération « bambou » en 2006 SPILAN a alors refusé de redéployer son chiffre d'affaires en produits de Marque Nationale et s'est cantonné aux seuls produits MDD, d'où la baisse des ventes en 2007.
SPILAN soutient qu'en accordant un préavis de 18 mois, CARREFOUR n'aurait garanti que des commandes correspondant à deux saisons. En fait la seule question qui compte est de savoir si en 18 mois, SPILAN a bénéficié du temps nécessaire pour se réorganiser et trouver de nouveaux débouchés, Au regard des caractéristiques de la relation commerciale entre les parties et de l'activité de SPILAN, cette dernière avait le temps de pallier les inconvénients résultant de la perte d'un client. En fixant un préavis de 18 mois, CARREFOUR s'est engagé à assurer sur cette période un niveau de chiffre d'affaires et c'est ce qui a été réalisé.
Sur ce, le tribunal
Sur le caractère établi de la relation commerciale
Attendu qu'il est constant que les relations commerciales entre CARREFOUR et SPILAN sont établies depuis plusieurs années, qu'il ressort des faits ci-dessus que cette dernière a réalisé entre 12 et 13 % de son chiffre d'affaires avec CARREFOUR en 2004, 2005 et 2006,
Attendu que SPILAN soutient que dès 1980, elle fournissait CARREFOUR, ce que CARREFOUR conteste en citant l'année 1999 comme étant le début de leurs relations contractuelles
Mais attendu que CARREFOUR produit des pièces, notamment un message électronique écrit par elle et adressé à SPILAN en date du 11 août 2005, indiquant « étant partenaire avec vous depuis 25 ans », l'annexe 7 du Contrat pour l'année 2008 qui précise que le début des relations commerciales de SPILAN avec CARREFOUR date de 1980,
Attendu au surplus que SPILAN produit des pièces notamment des bons de retour, une fiche produit, émanant de CARREFOUR et remontant jusqu'à 1989,
Attendu que lors de l'opération « bambou », par un courrier adressé à CARREFOUR le 17 mai 2005, SPILAN lui a indiqué notamment qu'elle était « référencé chez CARREFOUR [minute page 7] depuis 1980, soit 25 ans de partenariat en marque Spilan et Tex », que ce courrier n'a pas été contesté par CARREFOUR,
Qu'en conséquence, le tribunal retiendra que les relations commerciales entre les parties sont établies depuis 1980,
Attendu que s'agissant de la fourniture de produits MDD, CARREFOUR soutient que celle-ci n'est intervenue qu'à partir de 1999,
Attendu que les pièces produites par SPILAN, notamment les accords commerciaux des années 1994 à 1999, étant acquis que ces accords ne concernent pas les produits MDD, ne démontrent pas que SPILAN ait fourni des produits MDD avant 1999,
Qu'en conséquence, le tribunal retiendra que SPILAN fournit CARREFOUR en produits MDD seul objet du litige, depuis 1999,
Le tribunal dira que les relations commerciales entre SPILAN et CARREFOUR sont établies à compter de 1980 et pour les produits MDD, à compter de 1999,
Sur la brutalité de la rupture et le préavis
Attendu qu'il est constant que SPILAN a été informée de la « cessation de nos relations commerciales » avec une période de préavis de 18 mois, par un courrier de CARREFOUR en date du 6 septembre 2007, la fin du préavis étant fixée au 6 mars 2009,
Attendu que cette information ne constituait pas une surprise totale, SPILAN reconnaissant elle-même d'avoir été informée en juin 2007 du nouveau partenariat exclusif de CARREFOUR avec BCBG M. A.,
Attendu que SPILAN soutient d'une part que CARREFOUR n'a pas respecté ce préavis et d'autre part que la durée de ce préavis est insuffisante au regard de l'ancienneté de la relation, du caractère saisonnier des ventes et des délais nécessaires entre choix des collections et livraison à CARREFOUR, des investissements réalisés et de la nature des produits, en l'espèce MDD
Attendu que selon CARREFOUR, les ventes de SPILAN se sont établies à 1.873.060 € en 2007 et 1.836.000 € en 2008, ces montants n'étant pas contestés par SPILAN,
Attendu que SPILAN reproche à CARREFOUR une baisse des ventes entre 2006 et 2007 mais que cette baisse est explicable par l'arrêt des ventes des produits « bambou »,
Attendu qu'après cet arrêt, les échanges entre les parties dont témoignent les correspondances produites, n'ont pu aboutir à un accord pour remplacer les produits « bambou » par d'autres produits de marque nationale SPILAN,
Attendu que les reproches adressés à CARREFOUR sur la baisse des ventes ne sont ainsi pas justifiés,
Attendu que SPILAN reproche à CARREFOUR des passations de commande tardives en 2008, soit en avril au lieu de janvier-février pour livraison en septembre-octobre de la collection Hiver 2008/2009,
Mais attendu que les échanges entre les parties font état de difficultés dans l'interprétation des contrats, sans que la mauvaise foi de l'une ou l'autre partie soit démontrée,
[minute page 8] Attendu qu'au vu de ce qui précède, les commandes tardives alléguées n'ont pas eu d'impact sur le chiffre d'affaires réalisé par SPILAN en 2008,
Attendu qu'aucune vente de SPILAN à CARREFOUR en 2009 n'a été enregistrée par les parties, avant que la période de préavis fixée par CARREFOUR ne soit terminée le 6 mars 2009,
Attendu que compte tenu des délais de production selon les données produites par SPILAN et non contestées par CARREFOUR, cette dernière aurait dû normalement passer des commandes pour la collection Eté 2009 en juillet-août 2008 pour livraison en février-mars-avril 2009, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce,
Attendu que CARREFOUR ayant souhaité passer des commandes en février 2009 pour la collection d'Eté 2009, que c'est à juste titre que SPILAN a refusé ces commandes, le délai de livraison requis ne pouvant être tenu,
Attendu au surplus que la date retenue par CARREFOUR pour la fin du préavis intervenait au milieu des livraisons de la collection d'Eté 2009,
Qu'en conséquence, le tribunal retiendra que, compte tenu des spécificités des livraisons saisonnières de SPILAN, le préavis devait inclure la livraison de la collection complète d'Eté 2009, que cette dernière période du préavis n'a pas été respectée par CARREFOUR,
Attendu que SPILAN soutient que la période de préavis de 18 mois est insuffisante,
Mais attendu que SPILAN fait entièrement sous-traiter sa production, que le chiffre d'affaires réalisé avec CARREFOUR correspond à 10-13 % du chiffre d'affaires global de SPILAN, que SPILAN ne démontre pas l'existence d'une relation de dépendance économique,
Attendu qu'au regard des investissements réalisés, SPILAN ne démontre pas qu'elle ait créé une filiale en Asie à la demande de CARREFOUR et pour les besoins de son activité avec cette dernière, que ces investissements ont été réalisés à l'initiative de SPILAN,
S'agissant du caractère saisonnier de son activité, attendu que SPILAN a pu livrer les collections Hiver 2007/2008, Eté 2008 et Hiver 2008/2009 pendant le préavis,
Attendu qu'aucun cahier des charges des produits MDD n'est inclus dans les contrats, hormis des procédures qualité qu'il est d'usage d'appliquer dans le domaine du textile,
Attendu qu'au regard de l'ensemble des éléments sus exposés, considérant l'ancienneté de la relation commerciale établie notamment sur les produits MDD depuis 1999, les usages de la profession et le caractère MDD des produits,
Le tribunal dira que la rupture de la relation est brutale, que le préavis accordé par CARREFOUR est insuffisant et qu'une indemnité est due à SPILAN correspondant à la livraison de la collection d'Eté 2009,
Sur l'évaluation des préjudices,
SPILAN expose que :
Jusqu'à 2006, le chiffre d'affaires réalisé par SPILAN avec CARREFOUR était en moyenne de 2.625.000 €, sur les 3 années précédant la rupture, la marge brute moyenne de SPILAN a été de 1.041.591 €. SPILAN sollicite le paiement de 6.249.546 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence de respect d'un préavis suffisant et en sa qualité de fournisseur sous marque de distributeur,
En deuxième lieu SPILAN sollicite la réparation d'un préjudice moral, l'absence d'un réel préavis et le contexte dans laquelle elle intervient porte atteinte à l'image à la réputation de [minute page 9] SPILAN et les multiples pressions subies par SPILAN de la part de CARREFOUR l'ont contrainte à mobiliser son personnel pour satisfaire CARREFOUR. Ce préjudice supplémentaire est évalué à 1.000.000 €.
Suite aux encouragements et promesses de CARREFOUR sur l’Asie, SPILAN a mis en place des structures afin de répondre aux exigences de CARREFOUR en matière de délais et de qualité. La création de SPILAN HKG Ltd a coûté 164.002 €. Le potentiel de marge perdue et les investissements spécifiques réalisés répondant à la demande de CARREFOUR sont évalués à 1.200.000 €.
En troisième lieu, l'encours de trésorerie de SPILAN est actuellement de plus de 2.000.000 €, ce qui est parfaitement intolérable, la situation de SPILAN est fragilisée et l'empêche d'ouvrir de lettre de crédit pour lui permettre d'honorer des commandes d'autres clients. A ce titre, SPILAN est fondée à demander la somme de 1.600.000 €.
Afin de restaurer son image dans le milieu professionnel, SPILAN demande la publication du jugement à intervenir dans 10 journaux et revues et sur les pages d'accueil des défenderesses.
CARREFOUR et AUTRES répondent que :
Les dommages et intérêts pour rupture brutale de relations commerciales établies ne peuvent avoir pour objet que la réparation du seul préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture, ou correspondant au délai nécessaire au redéploiement. SPILAN ne démontre pas que la brutalité de la rupture invoquée lui ait causé un préjudice, SPILAN ne fournit pas d'éléments permettant de justifier que sa marge brute est de 40 %. Selon les liasses fiscales produites, sa marge brute globale évolue entre 15 % et 24 %.
Elles n'ont jamais donné la moindre publicité à la rupture, il n'est pas démontré qu'elle soit connue des acteurs du marché. Aucun préjudice d'image n'est démontré.
Sur ce, le tribunal,
Attendu que vu ce qui précède, l'indemnité due à SPILAN au titre de la brutalité de la rupture des relations commerciales correspond à la livraison de la collection d'Eté 2009,
Attendu que la marge brute estimée à partir du montant des ventes moins le coût des marchandises vendues est de 40%
Attendu que les facturations de la collection d'Eté sont plus modestes que celles des autres saisons,
Qu'en conséquence, compte tenu des éléments en sa possession, usant de son pouvoir d'appréciation, le tribunal jugera que l'indemnité est de 200.000 €,
Et condamnera solidairement CARREFOUR ET AUTRES à payer à SPILAN la somme de 200.000 € à titre de dommages et intérêts
Attendu que SPILAN ne démontre pas l'existence d'un préjudice d'image ni ne justifie de la nécessité des publications,
Le tribunal la déboutera de ces chefs de demande.
Sur les conditions de paiement
SPILAN expose que :
En sus de son éviction brutale, CARREFOUR lui a imposé une modification unilatérale de ses conditions et modes de paiement contractuels.
Jusqu'à la fin de 2007, CARREFOUR réglait SPILAN par des billets à ordre (BOR) à 90 jours fin de mois le 10 retournés dans un délai de 30 jours et que SPILAN pouvait escompter pour financer la production de l'année suivante.
Début 2008, CARREFOUR lui a imposé sans aucune concertation et en infraction aux dispositions contractuelles, un règlement par virement à échéance, au motif que CARREFOUR n’émettait plus de BOR depuis le 1er janvier 2008. Ceci est d'autant plus [minute page 10] incompréhensible que CARREFOUR a confirmé par courrier RAR du 25 mars 2008 que le contrat du 20 décembre 2006 était toujours en vigueur alors que celui-ci stipulait le paiement par BOR. En réponse aux protestations de SPILAN, CARREFOUR lui a proposé le 1er avril 2008 un financement à des taux prohibitifs et a maintenu son refus de revenir au paiement par BOR.
Ceci a causé un grave déséquilibre financier dans sa gestion.
En sus CARREFOUR a demandé un report de livraison de l'hiver 2008/2009 entraînant un report du paiement qui pénalise la trésorerie de SPILAN.
Au surplus, au titre du Contrat de service, SPILAN est contrainte de verser à CARREFOUR une participation financière de 1 % payable par acomptes rétribuant uniquement la faculté de visualiser son compte.
Ceci prive SPILAN de ressources pour lui permettre notamment de réorienter ses activités afin de suppléer l'activité perdue avec CARREFOUR.
CARREFOUR et AUTRES répondent que :
Afin d'optimiser la sécurité de ses paiements et leur organisation, CARREFOUR a décidé de privilégier le paiement par virement. Dès le 1er janvier 2006, le Contrat commercial avec SPILAN ne laissait place qu'au paiement par chèque ou par virement. Le paiement par virement est expressément mentionné dans le Contrat de service du 20 décembre 2006. A titre exceptionnel CARREFOUR n'a appliqué à SPILAN ce nouveau mode de paiement qu'à partir du 31 décembre 2007.
SPILAN ne justifie pas de n'avoir pu ouvrir de lignes de crédit documentaire et a communiqué une proposition de financement bancaire, ce qui prouve qu'elle dispose de solutions. SPILAN évalue à 14.124,47 € le supplément de coût engendré depuis la fin des paiements par BOR si elle avait eu recours aux services financiers de CARREFOUR. C'est un préjudice théorique contestable qui est supérieur au coût qui aurait été engendré si SPILAN avait fait appel à son partenaire financier habituel.
SPILAN se plaint d'avoir dû régler des acomptes trimestriel de 4.250 € pour le Contrat de service, or c'est elle qui a modifié unilatéralement le contrat par une mention manuscrite d'un acompte de 1.200 € au 1 juillet 2008 et 15.800 € au 1er janvier 2009, SPILAN était parfaitement libre de souscrire ou non à ce contrat et l'a signé à plusieurs reprises, y compris en 2008, ce qui suffit à démontrer son intérêt pour les prestations en cause.
Sur ce, le Tribunal,
Attendu qu'il est constant que les conditions de paiement entre SPILAN et CARREFOUR étaient de 90 jours fin de mois le 10,
Attendu que le Contrat 2007 et l'accord commercial 2006 versés aux débats comportent la mention manuscrite « paiement par BOR » soit par billet à ordre,
Attendu que par un courrier en date du 21 décembre 2007 versé aux débats, CARREFOUR a informé SPILAN que le paiement par virement remplaçait le paiement par billet à ordre à compter du 31 décembre 2007,
Attendu que le Contrat ainsi que l'accord commercial stipulent que CARREFOUR peut « modifier les modalités de paiement à condition d'en informer le Fournisseur et d'avoir obtenu préalablement son accord »,
Attendu qu'un tel accord de la part de SPILAN n'est pas produit,
Attendu que la dénonciation par SPILAN d'une infraction aux dispositions contractuelles est justifiée,
Attendu que SPILAN demande la réparation de son préjudice à ce titre,
Attendu que SPILAN fonde son préjudice sur le supplément de coût qu'aurait occasionné le financement par CARREFOUR soit un taux de 7,35 % en remplacement de l'escompte bancaire permis par les billets à ordre soit un taux d'environ 4,6 %
[minute page 11] Attendu que dans ces conditions, le coût estimé par SPILAN est de 14.124,47 €,
Mais attendu que SPILAN n'ayant pas eu recours à ce financement, ne justifie pas d'un préjudice à ce titre,
Attendu que SPILAN produit une proposition bancaire de crédit court terme, qu'elle démontre ainsi qu'une alternative à l'escompte bancaire était à sa disposition,
Mais attendu qu'aucune information n'est donnée sur le coût de ce crédit court terme,
Qu'en conséquence, usant de son pouvoir d'appréciation, le tribunal jugera que le coût supplémentaire dû au recours à un crédit court terme a été de 5.000 €,
Le tribunal condamnera CARREFOUR ET AUTRES à payer à SPILAN la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts.
SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 700 DU CPC ET LES DÉPENS :
Attendu que pour faire reconnaître ses droits, SPILAN a dû exposer des frais irrépétibles non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge, le Tribunal condamnera CARREFOUR ET AUTRES à lui payer la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du CPC et déboutera du surplus.
Attendu que CARREFOUR ET AUTRES qui succombent, seront condamnées aux entiers dépens.
SUR LA DEMANDE D'EXÉCUTION PROVISOIRE :
Attendu que, vu les circonstances de la cause, l'exécution provisoire n'apparaît pas nécessaire, le tribunal dira qu'il n'y a donc lieu de l'ordonner
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant en premier ressort par un jugement contradictoire,
* Met hors de cause la société CARREFOUR SA,
* Condamne solidairement les sociétés CARREFOUR HYPERMARCHES SAS et CARREFOUR FRANCE SAS à payer à la société SPILAN SAS la somme de 200.000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie,
* Condamne solidairement les sociétés CARREFOUR HYPERMARCHES SAS et CARREFOUR FRANCE SAS à payer à la société SPILAN SAS la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice financier,
* Déboute la société SPILAN SAS du surplus de ses demandes,
* Condamne solidairement les sociétés CARREFOUR HYPERMARCHES SAS et CARREFOUR FRANCE SAS à payer à la société SPILAN SAS la somme de 15.000 € au titre, de l'article 700 du CPC, déboutant du surplus,
* Dit n’avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,
* [minute page 12] Condamne solidairement les sociétés CARREFOUR HYPERMARCHES SAS et CARREFOUR FRANCE SAS aux entiers dépens,
* Reçoit les parties en leurs demandes plus amples ou contraires, les dit mal fondées et les en déboute en toutes fins non conformes au présent jugement qu'elles comportent.
Liquide les dépens à recouvrer par le Greffe à la somme de 127,49 €uros, dont TVA 20,89 €uros.
Délibéré par M. LOUVET M. BRIMBAL et M. MORANCY
Prononcé à l'audience publique de la 2ème Chambre du Tribunal de Commerce de NANTERRE, le 2 juillet 2009 composée en conformité avec l'article 452 du Code de Procédure Civile.
La minute du jugement est signée par M. LOUVET. Président du délibéré et Valérie MOUSSAOUI, Greffier