CA RENNES (2e ch.), 19 avril 2013
CERCLAB - DOCUMENT N° 4443
CA RENNES (2e ch.), 19 avril 2013 : RG n° 11/01674 ; arrêt n° 166
Publication : Jurica
Extrait : « Considérant en effet que le GAEC DU X., qui ne se prévaut plus devant la cour de dispositions du code de la consommation inapplicables en l'espèce puisque la vente litigieuse est en rapport direct avec l'activité agricole exercée, et qui ne soutient plus non plus que le contrat serait affecté d'irrégularités formelles susceptibles d'affecter sa validité, admet avoir rompu unilatéralement le contrat, entendant ainsi refuser tant la livraison du matériel commandé que le paiement du solde du prix ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 19 AVRIL 2013
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 11/01674. Arrêt n° 166.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Madame Catherine LE BAIL, Président, Madame Françoise LE BRUN, Conseiller, Mme Isabelle LE POTIER, Conseiller,
GREFFIER : Madame Stéphanie LE CALVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS : A l'audience publique du 26 février 2013, Madame LE BAIL, Président, entendue en son rapport
ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement le 19 avril 2013 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats, après prorogation du délibéré,
APPELANTE :
Société H. H. SARL
Rep/assistant : la SELARL GOURVES/D'ABOVILLE & ASSOCIES, Postulant (avocats au barreau de RENNES), Rep/assistant : la SELARL LAHALLE/DERVILLERS (LEXCAP), Plaidant (avocats au barreau de RENNES)
INTIMÉE :
Groupement GAEC DU X.
Rep/assistant : la SELARL BAZILLE JEAN-JACQUES, Postulant (avocats au barreau de RENNES), Rep/assistant : l'association CHAPEL-CAROFF-CADRAN-LE LUYER, Plaidant/Postulant (avocats au barreau de BREST)
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par acte d'huissier en date du 25 mai 2009, le GAEC du X. a fait assigner la Sarl H. H. devant le Tribunal de Grande Instance de MORLAIX aux fins de la voir condamner à lui payer les sommes suivantes ;
- 19.100 euros en répétition de la somme versée par lui au mois de février 2008,
- 3.000 euros au titre de sa résistance abusive
- 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile
ainsi que sa condamnation aux dépens.
Le GAEC du X. a exposé que, pour les besoins de son activité agricole en GAEC, son représentant légal, Monsieur Y. s'était rapproché de la Sarl H. en vue de commander deux lots de matériels, respectivement destinés à la traite des bovins et à leur alimentation ; qu'un bon de commande sommaire a été signé le 9 février 2008 pour un montant de 191.000 euros sans préciser d'ailleurs s'il s'agissait d'une somme hors taxe ou TTC.
Il a soutenu que ce bon avait été signé après un démarchage intense et qu'il avait dû verser le même jour un acompte de 10 % soit un montant de 19.100 euros.
Il a indiqué que trois jours après, il avait sollicité l'annulation du projet et que, par courrier du 19 février 2008, la SARL H. avait rejeté la demande d'annulation pure et simple de la vente, et cru devoir conserver la somme de 19.100 euros et que malgré mise en demeure du 31 mars 2008, la Sarl H. avait refusé de restituer cette somme.
Il a fait valoir que le bon de commande, outre ses nombreuses irrégularités formelles, ne comportait aucune clause pénale sanctionnant la rétractation de Monsieur Y. par la conservation d'un quelconque acompte de 10 % de sorte que la Sarl H. avait ajouté aux relations contractuelles de manière unilatérale, et ce de façon contraire aux dispositions du code civil, notamment l'article 1134.
Il a ajouté que dans le droit commun des obligations, lorsque l'obligation d'une partie est devenue sans cause, l'engagement synallagmatique du contractant est devenu nul et qu'en l'espèce, dès lors que le contrat n'avait pas été exécuté dans son ensemble et que la Sarl H. n'avait fourni aucun matériel ni aucune prestation, le paiement de Monsieur Y. pour le GAEC du X. était sans cause donc nul.
Il a ajouté que le versement de la somme de 19.100 euros lui avait indéniablement causé un préjudice dans la mesure où cette somme aurait pu être affectée à d'autres effets.
La Sarl H. H. a demandé au Tribunal de :
- dire et juger que le contrat de vente du 9 février 2008 est résolu aux torts du GAEC du X.,
- en conséquence, condamner le GAEC du X. à lui verser une somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts de droit à compter de la décision à intervenir,
- débouter le GAEC du X. de toutes ses demandes,.
- dire et juger que le règlement de la somme de 20.000 euros de dommages-intérêts s'effectuera par compensation avec la somme de 19.100 euros versée le 9 février 2008 par le GAEC du X.,
- condamner le GAEC du X. en 3.000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
- condamner le GAEC du X. en 3.000 euros par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
- condamner le GAEC du X. en tous les dépens ;
La SARL H. a fait valoir que le GAEC du X. reconnaissait lui avoir commandé deux lots de matériels respectivement destinés à la traite des bovins et à leur alimentation ; qu'il avait signé un bon de commande en date du 9 février 2008 et réglé 10 % de la commande soit 19.100 euros ; qu'elle avait refusé l'annulation demandée par le GAEC du X. en précisant par courrier du 19 février 2008 que le contrat passé entre professionnels ne bénéficiait pas de la législation du démarchage à domicile.
Elle a fait observer que le GAEC du X. ne pouvait sérieusement prétendre que l'obligation d'une partie était devenue sans cause et que le contrat dont s'agit était évidemment causé puisque le GAEC du X. attendait la livraison du matériel de traite en contrepartie du paiement du prix.
Elle a invoqué les dispositions de l’article 1650 du Code Civil et soutenu que le demandeur reconnaissait expressément être responsable de la non exécution du contrat en ne payant pas le prix ; que la vente était parfaite par application des principes généraux de droit commun des contrats et que devant l'attitude fautive du GAEC du X., elle demandait la résolution du contrat en application de l’article 1184 du Code Civil.
Elle a enfin fait valoir que le montant des dommages-intérêts devait être fixé en tenant compte du temps passé à préparer le dossier à la demande du GAEC, du temps passé par la Sarl H. à faire visiter au demandeur d'autres installations identiques, du préjudice lié à la perte de bénéfices du fait de l'inexécution du contrat et de la particulière mauvaise foi du GAEC du X. qui après plusieurs mois de réflexion et sans motif légitime, annule le contrat. Elle a évalué ces dommages-intérêts à 20 000 euros.
* * *
Vu l'appel interjeté par la société H. H., du jugement prononcé le 3 décembre 2010 par le tribunal de grande instance de Morlaix qui a :
- Ordonné la résolution du contrat de vente conclu le 9 février 2008 entre la Sarl H. et le GAEC du X. aux torts partagés,
- Condamné la Sarl H. à payer au GAEC du X. la somme de 19.100 euros au titre de la restitution de l'acompte perçu ;
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;
- Dit que chaque partie supportera la charge de ses dépens qui seront recouvrés conformément aux règles régissant l'aide juridictionnelle ;
- Débouté les parties de leur demande au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Vu les dernières conclusions signifiées le 26 février 2013 par la Sarl H. H., qui demande à la cour d'infirmer le jugement, d'ordonner la résolution du contrat aux torts exclusifs du GAEC DU X., de dire que la Sarl était fondée à conserver la somme de 19.100 euros versée à titre d'acompte sur le prix de vente, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale et injustifiée du contrat par le GAEC, de condamner le GAEC à lui verser 20.000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 11 janvier 2013 par le GAEC DU X., qui demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la Sarl H. à lui verser la somme de 19 100 euros en répétition de la somme versée au mois de février 2008 et, y additant, de condamner la Sarl H. H. à lui payer 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, de débouter cette société de toutes ses prétentions, et, en toute hypothèse, de réduire, dans de considérables proportions, les sommes par elle réclamées, de condamner enfin la Sarl H. H. à lui payer 2.392 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, la condamnant enfin aux dépens ;
Vu l'ordonnance de clôture de l'instruction intervenue le 7 février 2013 ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
Considérant que la Sarl H. fait valoir que la vente était parfaite dès le 9 février 2008, et que le contrat a été rompu unilatéralement et abusivement par le GAEC trois jours après la signature du contrat ;
Considérant que le GAEC répond que le bon de commande sommaire, qui est versé aux débats, a été signé le 9 février 2008 après un démarchage intense auprès de M. Y. ; qu'il n'est pas contesté que M. Y. a voulu mettre unilatéralement un terme à l'exécution du contrat trois jours après la signature du bon de commande, mais que la difficulté tient au fait que la Sarl H., au lieu de restituer purement et simplement l'acompte versé, a entendu le conserver, alors qu'aucun disposition contractuelle ne stipule qu'un acompte de 10 % sera conservé en cas d'annulation de la commande, qu'ainsi, cette société ajoute aux dispositions contractuelles ;
Que le GAEC ajoute que le contrat n'ayant pas été exécuté dans son ensemble, la société H. n'ayant fourni aucun matériel et aucune prestation, le paiement effectué par M. Y. est devenu sans cause, donc nul ;
Sur la résolution du contrat :
Considérant qu'aux termes de l’article 1134 du code civil les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ; qu'enfin, elles doivent être exécutées de bonne foi ;
Qu'il convient de rechercher la volonté des parties au moment où elles ont contracté ;
Considérant que l'article 1184 dispose d'autre part que :
« La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où une des deux parties ne satisfera point à son engagement.
Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.
La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. »
Considérant que le bon de commande n° 21, daté du 9 février 2008, établi par la Sarl H. et signé par les deux parties, à savoir M. Y. pour le GAEC et M. H. pour la Sarl H. H., porte commande d'une installation de traite suivant devis du 29 janvier 2008 et d'une installation d'alimentation programmée suivant devis du 4 juillet 2007, pour un prix global de 191.000 euros ; que ce bon de commande porte la mention « reçu ce jour 19.100 euros », ce qui correspond aux 10 % qui devaient être versés à la commande, selon les devis ;
Considérant que les premiers juges ont pertinemment relevé qu'au vu des éléments contenus dans ce bon de commande, la vente devait être considérée comme parfaite, les parties étant dès lors définitivement liées et ne pouvant se dégager unilatéralement ;
Que c'est toutefois à tort que le tribunal a prononcé la résolution de la vente aux torts partagés en estimant que la Sarl H. n'avait, pas plus que le GAEC, respecté ses obligations, puisque bien qu'ayant eu connaissance de la volonté du GAEC de ne pas respecter son engagement, elle n'a pas sollicité l'exécution forcée du contrat, n'a jamais livré la chose vendue et a attendu que le GAEC l'assigne pour solliciter la résolution du contrat ;
Considérant en effet que le GAEC DU X., qui ne se prévaut plus devant la cour de dispositions du code de la consommation inapplicables en l'espèce puisque la vente litigieuse est en rapport direct avec l'activité agricole exercée, et qui ne soutient plus non plus que le contrat serait affecté d'irrégularités formelles susceptibles d'affecter sa validité, admet avoir rompu unilatéralement le contrat, entendant ainsi refuser tant la livraison du matériel commandé que le paiement du solde du prix ;
Considérant que la Sarl H. fait valoir à bon droit qu'elle n'a commis en l'espèce aucune faute justifiant une résolution du contrat aux torts réciproques ; qu'en effet, si elle n'a pas livré le matériel, c'est parce qu'elle était certaine que le GAEC ne respecterait pas son obligation de régler le prix ; qu'en outre, la livraison du matériel commandé aurait été impossible, puisque si le GAEC avait souhaité annuler la vente litigieuse, c'était tout simplement pour commander le même matériel à une société concurrente ;
Considérant que c'est également à tort que les premiers juges font grief à la société H. d'avoir attendu d'être assignée par le GAEC pour demander la résolution du contrat, l'action en résolution prévue par l'article 1184 alinéa 3 n'étant soumise à aucune condition de délai ;
Qu'il y a donc lieu, infirmant le jugement sur ce point, de prononcer la résolution du contrat aux torts exclusifs du GAEC DU X. ;
Sur la réparation du préjudice de la société H. H. :
Considérant que la société H. H. demande que le GAEC DU X. soit condamné à lui payer une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation des divers préjudices que lui a causé la résolution unilatérale du contrat ; qu'il fait valoir que les négociations, qui ont précédé la signature du bon de commande le 9 février 2008, ont été longues, le personnel de la Sarl n'hésitant à faire visiter au représentant du GAEC plusieurs exploitations dans lesquelles le matériel en cause était déjà installé et exploité ; que plusieurs devis ont été établis ; qu'enfin, la non exécution par le GAEC de ses engagements a privé la Sarl du bénéfice qu'elle pouvait légitimement attendre en contrepartie de ses diligences ;
Considérant que le GAEC DU X. conteste la réalité du préjudice allégué par la Sarl H. H., et reproche à cette société son inertie dans la procédure ;
Considérant qu'il n'en demeure pas moins que, ainsi qu'il a été relevé plus haut, la résolution du contrat est prononcée en raison de l'inexécution fautive de ses obligations par le GAEC DU X. ; que la Sarl H. H. fait valoir à bon droit que cette résolution, dont la responsabilité ne lui incombe aucunement, l'a privée de la rémunération qu'elle pouvait attendre légitimement des diligences qu'elle avait effectuées en vue de la conclusion du contrat, puisque la résolution du contrat la prive du bénéfice qu'elle était susceptible de réaliser dans le cadre de la vente ; que la cour dispose des éléments permettant de fixer l'indemnisation du préjudice de la Sarl H. H. à la somme de 19.100 euros ;
Sur les autres demandes :
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la Sarl H. H. l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer, que le GAEC DU X. sera en conséquence condamné à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que le GAEC DU X., qui succombe en toutes ses prétentions, supportera les dépens de première instance et d'appel ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs :
La Cour,
Déclare l'appel recevable,
Infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau,
Ordonne la résolution du contrat de vente conclu le 9 février 2008 entre la Sarl H. H. et le GAEC DU X., aux torts exclusifs du GAEC DU X.,
Condamne le GAEC DU X. à payer à la Sarl H. H. la somme de 19.100 euros à titre de dommages et intérêts,
Condamne le GAEC DU X. à payer à la Sarl H. H. la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de leurs autres demandes, plus amples ou contraires,
Condamne le GAEC DU X. aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le greffier Le Président