CASS. CRIM., 11 janvier 2012
CERCLAB - DOCUMENT N° 4745
CASS. CRIM., 11 janvier 2012 : pourvoi n° 10-88194
Publication : Legifrance
Extrait : « Vu l’article L. 450-4 du code de commerce, ensemble l’article 143 du code de procédure civile ; Attendu que seuls les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet d’une mesure d’instruction ; […] ; Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de vérifier concrètement, en se référant au procès-verbal et à l’inventaire des opérations, la régularité de ces dernières et d’ordonner, le cas échéant, la restitution des documents qu’il estimait appréhendés irrégulièrement ou en violation des droits de la défense, le juge, qui ne pouvait ordonner une mesure d’instruction sans rapport concret avec le litige comme tendant à apprécier la possibilité pour les enquêteurs de procéder autrement qu’ils ne l’avaient fait, a méconnu le principe ci-dessus énoncé ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR DE CASSATION
CHAMBRE CRIMINELLE
ARRÊT DU 11 JANVIER 2012
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° de pourvoi : 10-88194.
DEMANDEUR à la cassation : Rapporteur général de l’Autorité de la concurrence
DÉFENDEUR à la cassation : Société Valentin environnement et travaux publics
M. Louvel (président), président. SCP Baraduc et Duhamel, SCP Monod et Colin, avocat(s).
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par : - Le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence,
contre l’ordonnance n° 366 du premier président de la cour d’appel de PARIS, en date du 2 novembre 2010, qui, saisi sur la régularité des opérations de visite et de saisie de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles, a prononcé sur l’étendue du champ des investigations et la distraction de documents prétendument excédentaires et, pour le surplus, avant dire droit, a ordonné une mesure d’expertise ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 14 décembre 2011 où étaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Desgrange conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DESGRANGE, les observations de la société civile professionnelle BARADUC et DUHAMEL, de la société civile professionnelle MONOD et COLIN, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général référendaire ZIENTARA-LOGEAY ;
Vu l’ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 18 octobre 2011, prescrivant l’examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur la recevabilité du pourvoi contestée en défense :
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu qu’il résulte, d’une part, de l’article L. 450-4 du code de commerce que l’ordonnance du premier président statuant sur le déroulement des opérations de visite et saisie est susceptible d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale, d’autre part, des dispositions des articles 567 et 568 du code de procédure pénale, qu’est recevable à se pourvoir en cassation toute partie à l’instance qui a donné lieu à la décision attaquée, lorsque cette dernière contient à son égard des dispositions qui lui font grief ;
Qu’il en est ainsi du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence qui a sollicité et obtenu du juge des libertés et de la détention l’autorisation de procéder à des opérations de visite et saisie, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles, conformément à l’article L. 450-4 du code de commerce, et dont le déroulement a fait l’objet d’un recours devant le premier président de la cour d’appel ;
D’où il suit que le pourvoi du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence doit être déclaré recevable ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 16 B du livre des procédures fiscales et L. 450-4 du code de commerce, excès de pouvoir ;
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
« en ce que le magistrat « délégué par le premier président de la cour d’appel pour exercer les attributions résultant de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, modifié par l’article 164 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 », s’est prononcé sur le déroulement de visites et saisies ordonnées sur le fondement de l’article L. 450-4 du code de commerce ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
« alors qu’en statuant sur des opérations effectuées en matière de concurrence, tandis que les pouvoirs juridictionnels qu’il exerçait étaient limités aux visites domiciliaires en matière fiscale, le magistrat a excédé ses pouvoirs » ;
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu que l’ordonnance attaquée mentionne que le premier président de la cour d’appel a délégué le magistrat saisi du recours en contestation de la régularité des opérations de visite et saisie opérées dans les locaux de la société Valentin environnement et travaux publics, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles, pour exercer les attributions de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales ; qu’il résulte des énonciations de l’ordonnance que c’est sur le fondement de l’article L. 450-4 du code de commerce, relatif aux visites domiciliaires réalisées en matière de concurrence que ce magistrat a exercé ses pouvoirs ; qu’il s’agit d’un erreur purement matérielle qui ne peut donner ouverture à cassation ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 et R. 450-2 du code de commerce, 56 du code de procédure pénale, 591 et 593 du code de procédure pénale, excès de pouvoir, défaut de motifs, manque de base légale ;
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
« en ce que l’ordonnance n° 366 attaquée a ordonnée d’office une expertise avec mission confiée à l’expert d’obtenir des explications techniques sur les modalités auxquelles ont recouru les enquêteurs que ne décrirait pas leur procès-verbal, pour la saisie de documents informatiques, se faire communiquer la documentation technique d’autorités étrangères, se faire assister si nécessaire d’un sapiteur de son choix et établir un rapport ;
RAPPEL DES MOTIFS DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
« aux motifs que les parties sont contraires sur les possibilités techniques de saisie et d’impression des documents informatiques ; que la méthode recherchée devrait, selon les débats et les pièces, tout à la fois préserver l’authenticité et l’intégrité des saisies et le contenu des ordinateurs visités qui seront physiquement laissés à leur propriétaire, et garantir à l’entreprise visitée la possibilité de faire retirer, avant même leur analyse par les enquêteurs, les documents qui ne seraient sans rapport avec l’enquête ou couverts par un secret légal ; que ces considérations sommaires pourraient peut-être commander l’annulation du procès-verbal s’il n’était démontré que les méthodes des enquêteurs étaient les seules qui garantissent la sécurité et l’efficacité des opérations, le délégué du premier président se réservant de vérifier ensuite leur conformité à la loi ; que ces mêmes considérations conduiront donc à ordonner d’office une expertise, aux frais avancés de la requérante ; qu’il ressort aussi des débats que la littérature spécialisée. a attiré l’attention, alors que le présent recours était pendant, sur des modalités de saisies et d’inventaires développées par d’autres autorités de concurrence (NL, UE, USA), qui pourraient permettre de concilier les droits effectifs de la défense avec une lecture au premier degré des articles 56 du code de procédure pénale et L. 450-4 du code de commerce, en sorte que la mission de l’expert sera d’office étendue selon cette considération ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
« 1°) alors que le juge saisi d’une contestation de la régularité d’opérations de visites et saisies prescrites en application de l’article L. 450-4 du code de commerce ne peut, sauf à commettre un excès de pouvoir négatif, s’abstenir d’exercer pleinement les pouvoirs que la loi lui confère ; qu’en s’abstenant de se prononcer sur la régularité du déroulement des visites et saisies effectuées dans les locaux de la société Valentin, le délégué du premier président de la cour d’appel, qui s’est borné à ordonner une expertise pour obtenir des explications techniques sur les modalités auxquelles ont recouru les enquêteurs, a commis un excès de pouvoir négatif ;
« 2°) alors que le juge chargé de contrôler la régularité de visites et saisies effectuées en application de l’article L. 450-4 du code de commerce a uniquement le pouvoir d’apprécier les conditions de mise en œuvre des mesures que la loi permet aux enquêteurs d’utiliser ; qu’en revanche, dès lors que la saisie de documents informatiques contenant des éléments intéressant l’enquête est valable en son principe, le juge ne peut empiéter sur les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence en s’immisçant dans le mode de sélection des documents ni en dévoilant le mode de fonctionnement de son logiciel ; qu’en ordonnant une expertise pour que l’expert- obtienne des explications techniques sur les modalités auxquelles ont recouru les enquêteurs que ne décrirait pas leur procès-verbal, c’est-à-dire la façon dont ils ont recherché et trouvé des messages informatiques en lien avec l’enquête sur les ordinateurs de la société Valentin, en permettant à l’expert de se faire assister d’un sapiteur de son choix et en lui ordonnant d’établir un rapport soumis au contradictoire, le délégué du premier président a pris une mesure dont l’exécution est de nature à priver de toute efficacité les saisies pratiquées par l’Autorité de la concurrence, commettant ainsi un excès de pouvoir ;
« 3°) alors que, subsidiairement, l’irrégularité d’une partie d’un procès-verbal ou d’investigations relatées dans un procès-verbal peut uniquement justifier l’annulation des mentions irrégulières ou relatives aux investigations irrégulières ; qu’ainsi, le délégué du premier président ne pouvait juger que des considérations relatives à certaines mentions du procès-verbal relatant les visites et saisies opérées dans les locaux de la société concernée pouvaient commander l’annulation de l’ensemble du procès-verbal » ;
VISA (texte ou principe violé par la décision attaquée) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu l’article L. 450-4 du code de commerce, ensemble l’article 143 du code de procédure civile ;
CHAPEAU (énoncé du principe juridique en cause) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu que seuls les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet d’une mesure d’instruction ;
RAPPEL DE LA DÉCISION ATTAQUÉE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu qu’il résulte de la décision attaquée que, par ordonnance du 7 décembre 2009, rectifiée le 14 du même mois, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris a autorisé le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence à procéder à des opérations de visite et saisie dans les locaux de la société Valentin environnement et travaux publics, afin de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; que le 10 décembre 2009 , le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Créteil a désigné les officiers de police judiciaire pour assister aux opérations ; qu’après avoir constaté la présence dans divers ordinateurs de documents entrant dans le champ de l’autorisation, les agents compétents de l’Autorité de la concurrence ont établi un procès-verbal qui indique que les données informatiques des ordinateurs de quatre employés de la société Valentin ont été imprimées, inventoriées et placées sous scellés ;
Attendu que, pour ordonner avant dire droit une expertise, dont l’objet est notamment d’obtenir les explications techniques sur les modalités auxquelles ont recouru les enquêteurs, de fournir tous éléments permettant d’évaluer techniquement la possibilité de la saisie sélective de messages dans une messagerie électronique sans compromettre l’authenticité de ceux-ci, de décrire les possibilités de sélectionner les fichiers informatiques qui relèveraient d’un champ d’investigation précis et d’en dresser un inventaire lisible, le juge prononce par les motifs repris au moyen et énonce, notamment, que le caractère sommaire du procès-verbal dressé pourrait peut-être commander son annulation s’il n’était pas démontré « que les méthodes des enquêteurs étaient les seules qui garantissent la sécurité et l’efficacité des opérations » ; que le juge ajoute que son attention a été appelée sur des modalités de saisie et d’inventaire développées dans d’autres Etats, mieux à même de concilier les droits effectifs de la défense avec les articles 56 du code de procédure pénale et L. 450-4 du code de commerce ;
CRITIQUE DE LA COUR DE CASSATION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de vérifier concrètement, en se référant au procès-verbal et à l’inventaire des opérations, la régularité de ces dernières et d’ordonner, le cas échéant, la restitution des documents qu’il estimait appréhendés irrégulièrement ou en violation des droits de la défense, le juge, qui ne pouvait ordonner une mesure d’instruction sans rapport concret avec le litige comme tendant à apprécier la possibilité pour les enquêteurs de procéder autrement qu’ils ne l’avaient fait, a méconnu le principe ci-dessus énoncé ;
D’où il suit que la cassation est encourue ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs : CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’ordonnance n° 366 susvisée du premier président de la cour d’appel de Paris, en date du 2 novembre 2010, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la cour d’appel de Paris autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l’ordonnance annulée
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze janvier deux mille douze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.