CA BORDEAUX (1re ch. civ. sect. A), 10 avril 2014
CERCLAB - DOCUMENT N° 4772
CA BORDEAUX (1re ch. civ. sect. A), 10 avril 2014 : RG n° 12/00165
Publication : Jurica
Extrait : « En revanche, les acquéreurs invoquent à juste titre les dispositions de l'article L. 211-4 et suivants du code de la consommation, selon lesquelles le vendeur est tenu de livrer un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance. En l'espèce, le vendeur a mentionné à la fois sur le bon de commande du 5 décembre 2009 et sur la facture du 8 décembre 2009 que le véhicule était vendu avec 82.800 km, kilométrage compteur non garanti.
Cette clause, insérée dans un contrat de vente entre M. X. à l'enseigne X. Auto, professionnel de l'automobile, et deux consommateurs est de nature à interdire à ces derniers le droit de demander la résolution du contrat en cas d'inexécution par le professionnel de son obligation de délivrance. Comme telle, elle est présumée de manière irréfragable abusive, et dès lors interdite, en application des dispositions des articles L. 132-1 et de l'article R. 132-1 du code de la consommation.
Le kilométrage parcouru par un véhicule d'occasion constitue pour son acquéreur un élément d'information essentiel car il permet d'apprécier la fiabilité du véhicule acheté et sa durée de vie probable ; il présente dès lors une qualité substantielle de la chose choisie. En conséquence, M. X. a manqué à son obligation de délivrance en vendant à M. Y. et Mme Z. un véhicule d'occasion qui avait 109.200 km de plus que ce qui était indiqué dans le bon de commande.
En application des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la consommation M. Y. et Mme Z. sont fondés à rendre le bien acquis et à se faire restituer le prix. »
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A
ARRÊT DU 10 AVRIL 2014
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 12/00165. Décision déférée à la cour : jugement rendu le 16 décembre 2011 par le Tribunal d'Instance de BORDEAUX (R.G. n° 10/003987) suivant déclaration d'appel du 10 janvier 2012.
APPELANT :
X. (exerçant sous l'enseigne JP AUTO)
né le [date] à [ville], de nationalité Française, demeurant [adresse], représenté par la SCP Luc BOYREAU, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assisté de Maître Fabien DUCOS-ADER de la SELARL DUCOS-ADER / OLHAGARAY & ASSOCIÉS, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
Y.
né le [date] à [ville], de nationalité Française, demeurant [adresse]
Z.
née le [date] à [ville], de nationalité Française, demeurant [adresse]
représentés par Maître Florian BECAM de la SCP BECAM, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 912 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 février 2014 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Jean-Pierre FRANCO, conseiller, chargé du rapport, Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Brigitte ROUSSEL, président, Thierry LIPPMANN, conseiller, Jean-Pierre FRANCO, conseiller,
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
ARRÊT : - contradictoire, - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Selon bon de commande en date du 5 décembre 2009, et facture en date du 8 décembre 2009, Mme Z. et M. Y. ont acheté à M. X., garagiste à l'enseigne JP AUTO, un véhicule de marque Ford modèle Mondeo année 2003 immatriculé 209 SN 33, pour un prix de 6.000 euros, payé à concurrence de 1.000 euros grâce à la reprise de leur ancien véhicule Renault Laguna.
Soutenant que M. X. avait volontairement dissimulé le kilométrage réel du véhicule au moment de la vente, M. Y. et Mme Z. l'ont fait assigner devant le tribunal d'instance de Bordeaux par acte d’huissier en date du 29 septembre 2010 afin d'obtenir, sur le fondement des articles 1116 et 1382 du Code civil, l'annulation de la vente pour dol, la restitution du prix de vente et celle de leur ancien véhicule et le paiement de dommages-intérêts.
Par jugement en date du 16 décembre 2011, le tribunal d'instance de Bordeaux a principalement :
- déclaré nul l'acte de vente du 8 décembre 2009 en application de l'article 1116 du Code civil,
- condamné M. X. à verser à Mme Z. et à M. Y. la somme de 5.000 euros au titre de la restitution du prix de vente,
- condamné M. X. à restituer à Mme Z. et M. Y. le véhicule Renault Laguna immatriculé 4929 SN 33 ainsi que la carte grise barrée du véhicule sous astreinte de 100 euros par jour de retard,
- condamné M. X. à rembourser à Mme Z. et à M. Y. la somme totale de 439,90 euros au titre de frais divers,
- dit qu'en contrepartie Mme Z. et M. Y. devront restituer à M X. le véhicule objet du contrat de vente annulé,
- condamné M. X. à payer à Mme Z. et M. Y. la somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice ainsi que celle de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. X. de l'ensemble de ses demandes et condamné celui-ci aux dépens.
Dans des conditions de régularité non contestées, M. X. a relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe le 10 janvier 2012.
Par arrêt avant-dire droit en date du 30 juillet 2013, la cour d'appel de Bordeaux a ordonné la réouverture des débats en invitant les parties à conclure sur l'application éventuelle, à la clause de non garantie du kilométrage, des dispositions de l'article R. 132-1 du code de la consommation, concernant les clauses présumées de manière irréfragable abusives.
Vu les dernières conclusions de M. X. déposées et notifiées le 4 octobre 2013 tendant à voir réformer le jugement entrepris, dire à titre principal que M. Y. et Mme Z. sont irrecevables en leur action pour avoir accepté le 31 décembre 2009 une solution transactionnelle aux termes de laquelle ils s'engageaient à abandonner toute poursuite ; à voir rejeter les demandes à titre subsidiaire, en absence de manœuvres dolosives ; et condamner M. Y. et Mme Daddi à lui payer la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 2 octobre 2013 par M. Y. et par Mme Z., appelant incidents, tendant à voir :
- dire abusive, à titre principal, la clause de limitation de garantie du kilométrage insérée au bon de commande du 5 décembre 2009, reprise sur la facture du 8 décembre 2009,
- dire subsidiairement que l'acte de vente du véhicule Ford Mondeo est nul et de nul effet,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. X. à leur restituer la somme de 5.000 euros au titre du prix de vente, ainsi que leur véhicule Renault Laguna sous astreinte, et à leur rembourser les frais liés à la vente annulée,
- condamner M. X. à leur verser la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ainsi que celle de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu l'ordonnance de clôture intervenue le 13 février 2014 ;
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour plus ample exposé des moyens des parties, aux dernières conclusions précitées.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1 - Sur l'existence d'une transaction :
Se fondant sur les dispositions des articles 2044 et 2052 du Code civil, M. X. estime que l'action engagée à son encontre est irrecevable compte tenu de la signature d'une solution transactionnelle par les parties le 31 décembre 2009.
En l'espèce, l'acte du 31 décembre 2009 contient l'engagement suivant de M. X. : « Je soussigné JP AUTO que M. Y. m'a confié sa voiture Ford Mondeo immatriculée XX pour réparation à la charge de JP AUTO ordres de mission de M. Y. Par la suite, une fois le véhicule en état de marche, il n'y aura plus de poursuite de la part de M. Y. »
Ce document comporte la signature de M. X. et celle de M. Y., mais pas celle de Mme Z., à laquelle l'acte est donc inopposable.
En outre, ainsi que le rappelle justement M. Y. et Mme Z., il résulte de l'article 2048 du Code civil que les transactions se renferment dans leur objet, et que la renonciation qui y est faite à tous droits actions et prétentions ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu.
Or, en l'espèce, la transaction du 31 décembre 2009 ne concerne que la prise en charge par le garage de frais de réparation du véhicule, et ne contient aucune référence à un litige relatif au kilométrage. À défaut de mention expresse sur ce point, il ne peut être considéré que M. Y. ait renoncé au droit d'agir en résolution de la vente pour dol.
La demande doit donc être déclarée recevable.
2 - Sur le fond :
Selon les dispositions de l'article 1116 du Code civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas, et doit être prouvé.
Il convient toutefois de rappeler que le dol ne peut entraîner la nullité du contrat que s'il émane de la partie envers laquelle l'obligation est contractée.
M. Y. et Mme Z. soutiennent que M. X. a eu recours à leur égard à des manœuvres volontaires et dolosives, et a cherché à les induire en erreur, puisque le compteur kilométrique initial a été remplacé par un compteur plus récent, afin de pouvoir augmenter le prix de vente.
Il ressort des documents versés aux débats que le véhicule litigieux avait 192.000 km le 10 octobre 2009 lorsqu'il a été vendu par Mme B. au garage Ford.
Il s'agit là manifestement du véritable kilométrage puisque selon une facture d'entretien du 29 novembre 2005, le véhicule affichait alors au compteur 117.617 km, et 113.552 km lorsqu'il a été acquis par Mme B. le 13 octobre 2005 au garage Ford de [ville].
Toutefois, il n'est nullement établi que M. X. soit à l'origine de l'intervention sur le compteur kilométrique, puisque sur sa propre facture d'achat auprès de la société Automobiles P. (garage Ford de [ville] Nord) en date du 3 décembre 2009 est mentionné « Kilométrage : 83.000 ».
Il n'est pas davantage démontré que M. X. ait sciemment caché des renseignements qu'il aurait eus sur le kilométrage réel de la voiture, et qui auraient été de nature à dissuader M. Y. et Mme Z. d'acheter.
C'est donc à tort que le premier juge a fait droit à la demande de résolution du contrat sur le fondement du dol.
En revanche, les acquéreurs invoquent à juste titre les dispositions de l'article L. 211-4 et suivants du code de la consommation, selon lesquelles le vendeur est tenu de livrer un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance.
En l'espèce, le vendeur a mentionné à la fois sur le bon de commande du 5 décembre 2009 et sur la facture du 8 décembre 2009 que le véhicule était vendu avec 82.800 km, kilométrage compteur non garanti.
Cette clause, insérée dans un contrat de vente entre M. X. à l'enseigne X. Auto, professionnel de l'automobile, et deux consommateurs est de nature à interdire à ces derniers le droit de demander la résolution du contrat en cas d'inexécution par le professionnel de son obligation de délivrance. Comme telle, elle est présumée de manière irréfragable abusive, et dès lors interdite, en application des dispositions des articles L. 132-1 et de l'article R. 132-1 du code de la consommation.
Le kilométrage parcouru par un véhicule d'occasion constitue pour son acquéreur un élément d'information essentiel car il permet d'apprécier la fiabilité du véhicule acheté et sa durée de vie probable ; il présente dès lors une qualité substantielle de la chose choisie.
En conséquence, M. X. a manqué à son obligation de délivrance en vendant à M. Y. et Mme Z. un véhicule d'occasion qui avait 109.200 km de plus que ce qui était indiqué dans le bon de commande.
En application des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la consommation M. Y. et Mme Z. sont fondés à rendre le bien acquis et à se faire restituer le prix.
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement, en ce qu'il a déclaré l'acte de vente nul et de nul effet en application de l'article 1116 du Code civil, et de prononcer la résolution de la vente pour manquement à l'obligation de délivrance.
En revanche, la décision doit être confirmée pour le surplus, en ce qui concerne la restitution du prix et celle du véhicule Renault Laguna avec sa carte grise (étant précisé à cet égard que M. X. n'allègue nullement dans ses écritures devant la cour avoir revendu cette automobile).
C'est à juste titre qu'en application des dispositions de l'article L. 211-11 du code de la consommation, le premier juge a condamné M. X. à indemniser M. Y. et Mme Z. à concurrence de 439,90 euros au titre des frais divers occasionnés par la vente (frais d'immatriculation et de cartes grises) et à concurrence de 800 euros en réparation des désagréments perte de temps et tracas causés par le défaut de délivrance.
La condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens doit être également maintenue.
Il est équitable d'allouer à M. Y. et à Mme Z. une indemnité complémentaire de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de procédure exposée en cause d'appel.
Eu égard à la solution donnée au litige, la demande formée sur ce même fondement par M. X. ne peut prospérer et sera rejetée, en équité.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Reçoit M. X. en son appel principal, ainsi que M. Y. et Mme Z. en leur appel incident,
Infirme le jugement, en ce qu'il a déclaré nul et de nul effet l'acte de vente en date du 8 décembre 2009 portant sur le véhicule Ford Mondéo immatriculé XX, en application de l'article 1116 du Code civil,
Statuant à nouveau de ce seul chef,
Prononce la résolution de la vente en date du 8 décembre 2009, pour manquement du vendeur à son obligation de délivrance,
Confirme le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
Condamne M. X. à payer à M. Y. et à Mme Z. la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande formée sur ce fondement par M. X.,
Condamne M. X. aux dépens d'appel
Le présent arrêt a été signé par Madame Brigitte ROUSSEL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
- 6114 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Responsabilité du professionnel - Clauses limitatives et exonératoires - Droit postérieur au décret du 18 mars 2009 (R. 212-1-6° C. consom.)
- 6477 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Vente en général (9) - Obligations du vendeur - Clauses exonératoire et limitatives de responsabilité
- 6489 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Vente de véhicules automobiles - Voiture d’occasion