CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 10 décembre 2015
CERCLAB - DOCUMENT N° 5445
CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 10 décembre 2015 : RG n° 14/15168
Publication : Jurica
Extrait : « Considérant qu'ainsi il a été jugé que constitue une clause abusive la clause qui prévoit la résiliation du contrat de prêt pour une défaillance de l'emprunteur extérieure à ce contrat, une telle clause, envisagée en termes généraux et afférente à l'exécution de conventions distinctes, créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur, ainsi exposé par une décision unilatérale de l'organisme prêteur, en dehors du mécanisme de la condition résolutoire, à une aggravation soudaine des conditions de remboursement et à une modification majeure de l'économie du contrat de prêt ; Considérant qu'il convient de mettre les parties en mesure de s'expliquer sur le moyen tiré du caractère abusif de la clause susvisée, susceptible d'être relevé ; Considérant que l'affaire doit être renvoyée à la mise en état ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 6
ARRÊT DU 10 DÉCEMBRE 2015
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 14/15168 (5 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 juin 2014 -Tribunal de Grande Instance de Bobigny - R.G. n° 12/09391.
APPELANTES :
Madame X.
Née le [date] à [ville], Représentée par Maître Louis-Maurice F., avocat au barreau de PARIS, toque : C0153
Madame Y.
Née le [date] à [ville], Représentée par Maître Louis-Maurice F., avocat au barreau de PARIS, toque : C0153
INTIMÉE :
SA CRÉDIT DU NORD
RCS de LILLE XXX, Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Ali EL A., avocat au barreau de PARIS, toque : D0289
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 octobre 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Dominique LONNE, Présidente, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Marie-Paule MORACCHINI, Présidente de chambre, Mme Dominique LONNE, Présidente, Madame Caroline FEVRE, Conseillère. Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de Procédure Civile.
Greffier, lors des débats : Madame Josélita COQUIN
ARRÊT : - Contradictoire, - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Marie-Paule MORACCHINI, Présidente et par Madame Josélita COQUIN, greffier présent lors du prononcé.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par offre acceptée le 12 août 2010, le CRÉDIT DU NORD a consenti à Melle X. et Melle Y. un prêt immobilier d'un montant de 257.000 euros au taux fixe de 3,95 % l'an hors assurance, remboursable en 300 mensualités de 1.402,57 euros, et ce afin d'acquérir une maison d'habitation sise [adresse].
Par lettre recommandée avec avis de réception du 18 mai 2012, le CRÉDIT DU NORD a prononcé l'exigibilité anticipée du prêt pour fourniture de renseignements inexacts sur leur situation, en application des dispositions de l'article 9.1 des conditions générales du prêt et a mis en demeure Melle X. et Melle Y. de lui rembourser la somme de 264.441,28 euros, au titre du capital restant dû au 18 mai 2012 (247.141,38 euros) et de l'indemnité contractuelle d'exigibilité anticipée (17.299,90 euros).
Une plainte a été déposée le 1er juin 2012 par le CRÉDIT DU NORD à l'encontre de Melle X. et Y. auprès du procureur de la République de Bobigny.
Par acte d'huissier du 19 juin 2012, le CRÉDIT DU NORD a fait assigner Melles X. et Y. devant le tribunal de grande instance de Bobigny en paiement de la somme principale de 264.441.28 euros majorée des intérêts au taux de 3,95 % postérieurs au 22 mai 2012, jusqu'à parfait paiement, avec capitalisation annuelle des intérêts.
Le CRÉDIT DU NORD a obtenu le 6 juin 2012 une ordonnance l'autorisant à inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur le bien financé, en garantie de la somme de 264.441 euros.
Par jugement du 24 juin 2014, le tribunal de grande instance de Bobigny a condamné solidairement Melle X. et Melle Y. à payer au CRÉDIT DU NORD la somme de 264.441,28 euros, correspondant au capital restant dû au 18 mai 2012 (247.141,38 euros) et à l'indemnité de résiliation de 7 % sur les sommes dues prévue par l'article 9.2 des conditions générales du prêt (soit 17.299,90 euros), outre les intérêts au taux contractuel de 3,95 % l'an sur la somme de 247.141,38 euros et au taux légal sur le surplus, comme prévu par l'article 9.2 sus visé, et ce à compter du 22 mai 2012 et jusqu'à parfait paiement, ordonné la capitalisation des intérêts, condamné solidairement Melle X. et Melle Y. à payer au CRÉDIT DU NORD, outre ses dépens, la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Melle X. et Melle Y. ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 16 juillet 2014.
Dans leurs dernières conclusions, notifiées par RPVA le 14 octobre 2014, Melles X. et Y., poursuivant l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, demandent à la cour de :
- débouter le CRÉDIT DU NORD de sa demande de résiliation anticipée du contrat de prêt qui leur a été consenti et en remboursement de la somme de 264.441,28 euros majorée des dommages-intérêts et frais supplémentaires en application du contrat, compte tenu des conditions du litige et de l'absence de mauvaise foi de leur part,
- à titre infiniment subsidiaire, au cas où par impossible la cour confirmerait le jugement de condamnation au remboursement des sommes dues, leur accorder un délai de 120 mois par 120ème compte tenu de leurs ressources modérées pour rembourser la créance de la banque,
- condamner la banque à leur payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre tous les dépens d'instance et d'appel.
A l'appui de leur recours, Melle X. et Y. soutiennent essentiellement que, voulant acquérir le pavillon de leurs parents et beaux-parents et ne trouvant pas de banque pour leur prêter les fonds nécessaires, elles ont fait appel à un compatriote serbe qui se faisait fort d'obtenir, moyennant une commission, le crédit nécessaire auprès du CRÉDIT DU NORD dont il connaissait la conseillère ; que celui-ci ne leur aurait demandé que leurs papiers d'identité et leur aurait annoncé que le prêt était accordé sans qu'elles aient besoin de se rendre à l'agence bancaire ; qu'elle ont signé chez elles les demandes et contrats de prêts ; qu'elles ont une bonne maîtrise de la langue française mais n'ont aucune notion juridique et aucune connaissance permettant l'usage d'un ordinateur ; qu'elles sont incapables de fabriquer les faux reprochés ; que c'est leur compatriote serbe qui a rempli leur demande de prêt ; que la banque ne rapporte pas la preuve qu'elles sont à l'origine des documents qualifiés de faux et des renseignements dit inexacts ; qu'en outre il existe une indiscutable complicité, ou au moins une grave négligence, de la part de la banque ou de ses subordonnés ; que d'une part la demande de prêt a été acceptée en raison des relations privilégiées entre leur compatriote serbe et la conseillère de l'agence du CRÉDIT DU NORD qu'elles n'ont jamais rencontrée ; que d'autre part la banque devait prendre des renseignements élémentaires sur ses futurs clients afin de s'assurer de la réalité des documents fournis et des situations économiques déclarées par ses clients ; que le compte ouvert au CRÉDIT DU NORD a toujours fonctionné normalement depuis l'ouverture de celui-ci ; que rien ne justifie un risque accru d'impayé, la valeur de la maison étant bien supérieure au montant du prêt ; qu'elles peuvent justifier qu'elles ont les moyens financiers pour procéder au remboursement de l'emprunt ; qu’elles ne sont pas impliquées dans les agissements douteux qui sont reprochés à l'origine des faux et usage de faux.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA le 10 décembre 2014, le CRÉDIT DU NORD demande à la cour de :
- déclarer Melles X. et Y. mal fondées en leur appel,
- les débouter de toutes leurs demandes, fins et prétentions,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- condamner Melles X. et Y. à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens d'appel.
Le CRÉDIT DU NORD conclut en substance qu'il s'est prévalu de la déchéance du terme en invoquant la clause d'exigibilité immédiate prévue à l'article 9.1 des conditions générales de prêt en vertu duquel celui-ci devient immédiatement et de plein droit exigible en cas de fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur dès lors qu'ils étaient nécessaires à la prise de décision du prêteur ; qu'il était fondé à prononcer la déchéance du terme même si aucun retard dans le remboursement n'avait été enregistré dès lors qu'il est apparu que les renseignements recueillis sur la situation des emprunteurs lors de la demande de prêt étaient inexacts ; que les vérifications effectuées ont établi que les pièces fiscales et les relevés de compte qui lui ont été présentés étaient des faux ; qu'il ne sait pas quelles sont les ressources réelles des emprunteurs pour faire face au remboursement du prêt, qu'il n'aurait pas accordé sans les agissements frauduleux des emprunteurs ; qu'elles prétendent à tort n'avoir jamais rencontré leur conseiller de clientèle ; que tout conseiller de clientèle doit rencontrer ses clients pour les ouvertures de comptes ; qu'en revanche il n'a pas l'obligation de les recevoir au moment de la mise en place du prêt ; qu'en tout état de cause, Melle X. et Melle Y. ont reçu les fonds, ont reconnu avoir signé et paraphé l'offre de prêt contenant des renseignements qu'elles savaient inexacts notamment les coordonnés des employeurs et le montant des revenus déclarés ; qu'elles ont contribué à la fraude et ne peuvent pas se prévaloir de leur bonne foi ; qu'elles ont également dissimulé la véritable destination du bien financé si elles destinaient cette acquisition à la location ; qu'elles ne disposent pas des revenus qu'elles ont déclarés ; qu'en signant l'offre de prêt, elles ont accepté les conditions selon lesquelles le prêt devient immédiatement exigible en cas de fourniture de renseignements inexacts.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 06 octobre 2015.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
Considérant que pour fonder sa demande à l'encontre de Melle X. et Y., le CRÉDIT DU NORD se prévaut de l'exigibilité immédiate du prêt immobilier en application de la clause 9 stipulée dans les conditions générales annexées au contrat de prêt selon laquelle, en son paragraphe 9.1 :
« Le prêt en principal, intérêts, frais et accessoires, deviendra immédiatement et de plein droit exigible par anticipation, sans que le prêteur ait à remplir une formalité judiciaire quelconque, sauf accord écrit de sa part, dans l'un des cas suivants :
- fournitures de renseignements inexacts sur la situation de l'emprunteur dès lors que ces renseignements étaient nécessaires à la prise de décision du prêteur ; ... /
Dans ces hypothèses, la défaillance de l'emprunteur aura pour conséquence la déchéance du terme et l'exigibilité immédiate des sommes dues » ;
Considérant que l'article L. 132-1 du code de la consommation édicte que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que les clauses abusives sont réputées non écrites ;
Considérant qu'ainsi il a été jugé que constitue une clause abusive la clause qui prévoit la résiliation du contrat de prêt pour une défaillance de l'emprunteur extérieure à ce contrat, une telle clause, envisagée en termes généraux et afférente à l'exécution de conventions distinctes, créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur, ainsi exposé par une décision unilatérale de l'organisme prêteur, en dehors du mécanisme de la condition résolutoire, à une aggravation soudaine des conditions de remboursement et à une modification majeure de l'économie du contrat de prêt ;
Considérant qu'il convient de mettre les parties en mesure de s'expliquer sur le moyen tiré du caractère abusif de la clause susvisée, susceptible d'être relevé ;
Considérant que l'affaire doit être renvoyée à la mise en état ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Ordonne la réouverture des débats et le renvoi de l'affaire à la mise en état,
Invite les parties à formuler leurs observations sur le caractère abusif de la clause figurant à l'article 9.1 des conditions générale du prêt consenti par le CRÉDIT DU NORD à Melle X. et Y.,
Fixe la date des plaidoiries à l'audience rapporteur du JEUDI 17 MARS 2016 à 9heures et la date de la nouvelle clôture au MARDI 16 FEVRIER 2016 à 14 heures.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
- 5716 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Office du juge - Relevé d’office - Principe - Faculté - Loi du 3 janvier 2008
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