CA BORDEAUX (1re ch. civ. sect. A), 20 janvier 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 5456
CA BORDEAUX (1re ch. civ. sect. A), 20 janvier 2016 : RG n° 14/02924
Publication : Jurica
Extrait : « La clause ne revêtait donc pas de caractère potestatif. Au surplus l'analyse des époux X. conduirait à dire que l'assureur devrait être obligé de régler des notes d'honoraires quel que soit leur montant sans avoir pu auparavant donner son agrément ou même analyser l'étendue du risque. Juridica est donc bien fondée à opposer que le contrat d'assurance prévoyait deux possibilités au choix de l'assuré, soit le recours à un avocat partenaire avec lequel elle avait des conventions d'honoraires négociés, soit le choix d'un avocat personnel sous réserve d'un barème plafonnant les honoraires. »
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A
ARRÊT DU 20 JANVIER 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 14/02924. (Rédacteur : Catherine BRISSET, conseiller). Nature de la décision : AU FOND. Décision déférée à la cour : jugement rendu le 11 avril 2014 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (6e chambre, R.G. n° 12/08518) suivant déclaration d'appel du 19 mai 2014.
APPELANTS :
Monsieur X.
né le [date] à [ville], de nationalité Française, demeurant [adresse]
Madame Y. épouse X.
née le [date] à [ville], de nationalité Française, demeurant [adresse]
représentés par Maître D. substituant Maître Laure C., avocats au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
SA JURIDICA
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [adresse], représentée par Maître Thierry B. de la SELARL R., avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 912 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 novembre 2015 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Catherine BRISSET, conseiller, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Catherine FOURNIEL, président, Jean-Pierre FRANCO, conseiller, Catherine BRISSET, conseiller,
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Monsieur X. a souscrit le 30 mars 1983 auprès de la SA Juridica, dénommée à cette date Défense Civile, pour lui même, son conjoint et leurs enfants un contrat de protection juridique.
Invoquant à la fois des questions d'interprétation de la police d'assurance et des manquements de la société d'assurance à ses obligations, les époux X. l'ont faite assigner devant le tribunal de grande instance de Bordeaux en remboursement d'honoraires d'avocat et en paiement de dommages et intérêts.
Par jugement du 11 avril 2014, le tribunal a débouté les époux X. de toutes leurs demandes.
Il a considéré, en synthèse, que la clause selon laquelle en cas de choix de l'avocat par l'assuré, la garantie au titre de ses honoraires serait plafonnée par un barème n'était pas potestative, ne dépendait pas de la complexité de l'affaire et que l'assureur n'y avait pas renoncé. Il a par ailleurs estimé que l'assureur n'avait pas commis de faute en privilégiant initialement une voie amiable dans le litige avec monsieur E. Il a rejeté la faute de l'assureur et dit que l'ensemble des honoraires dus contractuellement avaient été réglés.
Les époux X. ont relevé appel de la décision le 19 mai 2014.
Dans leurs dernières écritures en date du 9 novembre 2015, ils concluent à l'infirmation du jugement et à la condamnation de l'intimée :
- au remboursement aux époux X. des honoraires échus et à échoir pour les procédures relatives au chemin, soit la somme de 35.180,74 euros au titre des honoraires échus au 6 novembre 2015 avec intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 2012 sur 12.553,37 euros,
- au remboursement à madame X. de la somme de 5.492,24 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation sur 2.272,40 euros,
* 15.000 euros à titre de dommages et intérêts,
* 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils demandent en outre la publication du « jugement » à intervenir dans la revue « 60 millions de consommateurs » et dans le journal « Sud ouest ».
Ils font valoir, en synthèse, que s'agissant de l'affaire du chemin le barème d'indemnisation ne peut leur être opposable au regard de la rédaction des stipulations contractuelles et du droit applicable au jour de la souscription du contrat. Ils estiment que le terme « éventuel » doit être interprété en ce que le barème ne s'appliquerait qu'en cas de procédure simple et non dans le cas d'une procédure complexe et que dans le cas contraire il s'agirait d'une clause abusive. Ils ajoutent que l'attitude de l'assureur a participé à la complexité de l'affaire. Ils considèrent qu'en l'absence pour l'assureur d'obligation de désigner un avocat, la clause appliquant le barème en cas de choix de l'avocat par l'assuré est potestative. Ils invoquent une exécution déloyale du contrat pour les obliger à faire choix d'un conseil et une renonciation de l'assureur à se prévaloir du barème. Ils s'expliquent sur les factures dont ils demandent le remboursement. S'agissant de l'affaire de la succession madame X. estime que le refus de prise en charge ne respecte pas les dispositions contractuelles dans la mesure où l'obtention du procès verbal de carence ne constitue pas une démarche amiable mais une démarche pré-contentieuse. Ils soutiennent que les fautes de la compagnie d'assurance leur ont causé un préjudice.
Dans ses dernières écritures en date du 15 octobre 2014, la SA Juridica conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation des époux X. au paiement de la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir, en synthèse, qu'elle n'a commis aucune faute de négligence dans la gestion des sinistres alors qu'elle n'avait pas d'obligation légale de désigner un avocat dès 1991 et que les époux X. eux même faisaient preuve de laxisme en ne répondant pas ou tardivement à ses courriers. Elle soutient que la notion subjective de complexité n'est en aucun cas prévue par le contrat et ne peut être retenue pour s'affranchir du barème en cas de choix de l'avocat par l'assuré. Elle s'explique sur le barème et précise qu'elle n'avait pas d'obligation de désigner un avocat spécialiste et que la clause claire et précise de plafonnement ne peut être considérée ni comme abusive, ni comme potestative. Elle ajoute qu'alors qu'elle n'y était pas tenue elle a proposé quatre conseils successifs qui ont tous été révoqués par les appelants. Elle s'explique sur les prises en charge exceptionnelles de certaines factures lesquelles ne peuvent valoir renonciation à se prévaloir du barème. Elle estime que les démarches amiables ou pré contentieuse ne font pas partie des risques garantis pour le sinistre tenant au litige successoral.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 10 novembre 2015.
Postérieurement, Juridica dans des écritures du 23 novembre 2015 a sollicité le rejet des conclusions tardives des appelants et des pièces communiquées la veille de la clôture.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la recevabilité des écritures et pièces communiquées la veille de l'ordonnance de clôture, il apparaît que ces conclusions contenaient certes une actualisation de la demande pour tenir compte de nouvelles factures d'honoraires mais non des moyens nouveaux auquel l'adversaire n'aurait pas été en mesure de répondre. Quant aux pièces communiquées, certaines étaient certes ancienne mais d'autres (nouvelle facture d'honoraire et arrêt dont les appelants entendaient se prévaloir) étaient très récentes de sorte qu'elles ne pouvaient être communiquées auparavant.
En outre, l'intimée disposait malgré tout d'un certain temps pour répondre et a pris des écritures qui étaient strictement les mêmes que celles déposées antérieurement sauf à solliciter le rejet des écritures et pièces du 9 novembre 2015. Elle n'indique pas qu'elle devrait répondre à ces nouvelles écritures. Il n'y a donc pas lieu de rejeter les conclusions et pièces du 9 novembre 2015.
Sur le fond, le débat est au premier chef celui de la prise en charge par la compagnie d'assurance des factures d'honoraires d'avocat des époux X. dans un litige ayant donné lieu à plusieurs procédures à propos d'un chemin.
Pour conclure à l'infirmation du jugement, les époux X. invoquent plusieurs moyens qu'il convient d'apprécier successivement.
Ils considèrent en premier lieu que la clause du contrat prévoyant une application éventuelle du barème doit être interprétée dans le sens qu'elle ne serait pas appliquée en cas de procédure complexe.
La clause est ainsi rédigée « la garantie n'est limitée ni par sinistre ni par année si ce n'est pas l'application éventuelle du barème mod. 70077 joint concernant les honoraires des avocats ».
Ce critère de complexité invoqué par les appelants, lequel est éminemment subjectif, n'apparaît dans aucune des stipulations contractuelles et ne relèverait pas d'une interprétation du contrat. En revanche, par application des dispositions de l'article 1161 du code civil les clauses des conventions doivent s'interpréter les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier. Or, la clause du contrat au titre du choix de l'avocat est ainsi rédigée « l'assuré peut, soit choisir lui même l'avocat chargé de ses intérêts, soit s'en remettre à nous pour cette désignation. Dans un cas comme dans l'autre nous saisissons nous même l'avocat et assumons avec lui la direction de la procédure. Lorsque l'assuré use de la faculté de choisir son avocat, nous nous réservons de ne prendre en charge les honoraires de ce dernier que dans la limite d'un barème indiqué aux conventions spéciales ou aux conditions particulières ».
Il se déduit de la confrontation de ces deux clauses que l'application éventuelle du barème dépendait non de la complexité, critère qui n'apparaît nulle part dans le contrat et dont les époux X. ne précisent pas qui aurait décidé de ce qui relevait d'une procédure complexe ou d'une procédure simple, mais de cette question du choix de l'avocat.
En deuxième lieu, les époux X. estiment que la clause prévoyant l'application du barème est purement potestative.
Tout d'abord, il apparaît que cette clause est de nature à préserver l'indispensable liberté de choix de l'avocat. Les époux X. considèrent que s'il n'y est pas associé pour l'assureur une obligation de procéder à la désignation d'un avocat il s'en déduit un caractère potestatif. Tel n'est pas le cas puisque même à les suivre dans leur analyse ils resteraient libre de choisir un avocat tout en lui présentant le barème de l'assureur. Mais en réalité le débat n'est pas là puisque l'assureur a bien désigné un avocat. C'est au moment des changements d'avocat que s'est posé le problème et les appelants considèrent que l'assureur a refusé en ces occasions de leur désigner un avocat partenaire. Il existe cependant un véritable problème de preuve.
En effet, les époux X. n'apportent que bien peu d'éléments quant à ce refus de désignation d'un avocat. Ils considèrent qu'il existe un aveu judiciaire pour l'absence de désignation d'un avocat en 2007 dans les conclusions de première instance de leur adversaire. Cependant, un tel aveu ne peut être divisé par application des dispositions de l'article 1356 du code civil. Or, si la compagnie d'assurance a effectivement indiqué qu'elle n'avait pas été en mesure de désigner un avocat c'est en précisant que les époux X., qui souhaitaient changer d'avocat, avaient sollicité la désignation d'un avocat spécialiste en droit rural alors qu'elle ne disposait pas d'un avocat partenaire en cette spécialité. Dans le cadre de la présente instance les époux X. soutiennent qu'ils n'ont jamais exigé d'avocat spécialiste en droit rural et le point ne peut être considéré comme établi. Cependant, on ne saurait davantage retenir que l'assureur admet ne pas avoir désigné d'avocat puisqu'il a uniquement admis qu'il n'avait pu en désigner un spécialiste en droit rural ce qui est différent. Il ne s'agit pas là de renverser la charge de la preuve. Les époux X. affirment en effet que leur assureur n'a pas désigné d'avocat sans produire d'éléments mais en invoquant l'aveu de leur adversaire ce qui suppose de ne pas le diviser comme ils le font.
Les époux X. soutiennent également que l'assureur a refusé de leur désigner un avocat en 2012 et produisent à ce titre trois pièces (38, 39 et 58). Les deux premières sont inopérantes puisqu'il s'agit de courriers officiels entre les avocats saisis de la présente instance et qu'il est manifeste que l'avocat de Juridica dans le cadre de ce litige n'avait pas mission d'exécuter le contrat d'assurance. Quant à la troisième pièce, il apparaît en toute hypothèse que Juridica avait désigné un avocat, conseil que les époux X. avaient décidé de révoquer ce qui était parfaitement leur droit, mais n'imposait pas à l'assureur l'obligation d'en désigner un nouveau.
La clause ne revêtait donc pas de caractère potestatif. Au surplus l'analyse des époux X. conduirait à dire que l'assureur devrait être obligé de régler des notes d'honoraires quel que soit leur montant sans avoir pu auparavant donner son agrément ou même analyser l'étendue du risque. Juridica est donc bien fondée à opposer que le contrat d'assurance prévoyait deux possibilités au choix de l'assuré, soit le recours à un avocat partenaire avec lequel elle avait des conventions d'honoraires négociés, soit le choix d'un avocat personnel sous réserve d'un barème plafonnant les honoraires.
Il ne se déduit pas davantage de la chronologie invoquée par les époux X. une mauvaise foi de l'assureur. En effet, celle-ci ne se présume pas et doit être prouvée. Or, toute l'argumentation des appelants repose sur cette notion de refus de désignation d'avocat, sans tenir compte des désignations initiales de conseils que les époux X. avaient souhaité révoquer, ce qui est légitime, mais ne peut conduire à retenir que la mauvaise foi de l'assureur serait établie et ce d'autant plus que les factures réglées épuisaient déjà le barème.
En dernier lieu, les appelants considèrent que l'intimée ne pourrait plus se prévaloir du barème d'indemnisation pour y avoir renoncé. Cependant, s'il est exact que l'assureur a réglé certaines factures d'honoraires en dehors du barème, il a toujours indiqué qu'il s'agissait d'une mesure exceptionnelle et n'a jamais pris d'engagement de régler à l'avenir l'intégralité des honoraires réclamés. Au surplus il sera constaté qu'il est demandé le remboursement de factures qui ne permettent pas toujours de déterminer précisément à quelle procédure chacune se rattache. En toute hypothèse dès lors que l'assureur peut se prévaloir du barème fixant les honoraires pour chaque type de procédure, l'assureur a d'ores et déjà exécuté son obligation.
Pour l'ensemble de ces motifs et ceux non contraires des premiers juge le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté les époux X. de leurs demandes au titre des factures d'honoraires au titre des procédures concernant le chemin.
Quant aux demandes formées par madame X. le litige est plus circonscrit. Elle invoque un litige de nature successorale et soutient qu'alors que la garantie est normalement acquise, l'assureur a refusé de régler les honoraires au titre de l'obtention du procès verbal de carence notarié.
Sur ce point, il apparaît que les démarches amiables ne sont pas garanties par le contrat. Si madame X. invoque le caractère obligatoire de cette démarche, elle n'en admet pas moins qu'il s'agit d'une démarche pré contentieuse, ce qui ne peut correspondre à l'objet du contrat.
Pour le surplus elle ne justifie pas, ainsi que l'a dit le premier juge d'une procédure de liquidation partage en cours devant une juridiction, puisque les factures produites sont relatives à un projet d'assignation dont il n'est pas même soutenu qu'elle aurait été délivrée.
Madame X. doit donc être déboutée et le jugement confirmé.
Quant aux dommages et intérêts sollicités, il convient en premier lieu d'observer que le refus de l'assureur de prendre en charge les honoraires demandés était justifié. Les époux X. invoquent également des manquements de l'assureur à ses obligations au titre de la direction du procès faisant valoir, en substance, que l'assureur a participé à la complexité du litige en étant insuffisamment diligent. Toutefois, là encore la preuve de cette carence de l'assureur n'est pas rapportée. En effet, les appelants procèdent essentiellement par affirmation alors que de son côté, l'assureur qui ne supporte pas la charge de la preuve, justifie qu'un certain nombre de ses demandes de renseignement faisaient l'objet de réponses à tout le moins tardives.
La faute de l'assureur n'est donc pas établie et il n'y a pas lieu à dommages et intérêts.
Il ne saurait donc y avoir lieu à publication de l'arrêt.
Le jugement sera ainsi confirmé en toutes ses dispositions.
L'appel étant mal fondé, les époux X. seront condamnés au paiement d'une somme que l'équité conduit à limiter à 1.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Dit n'y avoir lieu à rejet des conclusions et pièces du 9 novembre 2015,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne les époux X. à payer à la SA Juridica la somme de 1.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne les époux X. aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Madame Catherine FOURNIEL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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