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CJUE (1re ch.), 21 janvier 2015

Nature : Décision
Titre : CJUE (1re ch.), 21 janvier 2015
Pays : UE
Juridiction : Cour de Justice de l'UE (1re ch.)
Demande : C-484/13
Date : 21/01/2015
Nature de la décision : Question préjudicielle (CJUE)
Mode de publication : Juris Data
Date de la demande : 10/09/2013
Référence bibliographique : Juris-Data n° 2015-000847
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CERCLAB - DOCUMENT N° 5480

CJCE (1re ch.), 21 janvier 2015 : Affaires C-484/13, C-485/13, C-482/13 et C-487/13

Publication : Rec. ; Juris-Data n° 2015-000847

 

Extrait : « La Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une disposition nationale en vertu de laquelle le juge national saisi d’une procédure d’exécution hypothécaire est tenu de faire recalculer les sommes dues au titre d’une clause d’un contrat de prêt hypothécaire prévoyant des intérêts moratoires dont le taux est supérieur à trois fois le taux légal, afin que le montant desdits intérêts n’excède pas ce seuil, pour autant que l’application de cette disposition nationale :

- ne préjuge pas de l’appréciation par ledit juge national du caractère abusif d’une telle clause et

- ne fait pas obstacle à ce que ce juge écarte ladite clause s’il devait conclure au caractère « abusif » de celle-ci, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive.».

 

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE

PREMIÈRE CHAMBRE

ARRÊT DU 21 JANVIER 2015

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Dans les affaires jointes C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Juzgado de Primera Instancia e Instrucción de Marchena (Espagne), par décisions du 12 août 2013, parvenues à la Cour le 10 septembre 2013, dans les procédures :

Unicaja Banco SA

contre

José Hidalgo Rueda,

María del Carmen Vega Martín,

Gestión Patrimonial Hive SL,

Francisco Antonio López Reina,

Rosa María Hidalgo Vega (C‑482/13),

et

Caixabank SA

contre

Manuel María Rueda Ledesma (C‑484/13),

Rosario Mesa Mesa (C‑484/13),

José Labella Crespo (C‑485/13),

Rosario Márquez Rodríguez (C‑485/13),

Rafael Gallardo Salvat (C‑485/13),

Manuela Márquez Rodríguez (C‑485/13),

Alberto Galán Luna (C‑487/13),

Domingo Galán Luna (C‑487/13),

 

LA COUR (première chambre), composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. S. Rodin, E. Levits (rapporteur), Mme M. Berger et M. F. Biltgen, juges,

Avocat général : M. N. Wahl,

Greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,

Vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 septembre 2014,

considérant les observations présentées:

– pour Unicaja Banco SA, par Me J. Almoguera Valencia, abogado,

– pour Caixabank SA, par Mes J. Rodríguez Cárcamo et B. García Gómez, abogados,

– pour le gouvernement espagnol, par M. A. Rubio González et Mme S. Centeno Huerta, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. J. Rius, M. van Beek et G. Valero Jordana, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 octobre 2014,

rend le présent :

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Arrêt :

1. Les demandes de décisions préjudicielles portent sur l’interprétation de l’article 6 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29).

2. Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, Unicaja Banco SA (ci-après « Unicaja Banco ») à M. Hidalgo Rueda, à Mme del Carmen Vega Martín, à Gestión Patrimonial Hive SL, à M. López Reina et à Mme Hidalgo Vega, d’autre part, Caixabank SA (ci-après « Caixabank »), premièrement, à MM. Rueda Ledesma et Mesa Mesa, deuxièmement, à M. Labella Crespo, à Mme R. Márquez Rodríguez, à M. Gallardo Salvat et à Mme M. Márquez Rodríguez ainsi que, troisièmement, à MM. A. Galán Luna et D. Galán Luna au sujet du recouvrement de dettes impayées découlant de contrats de prêts hypothécaires conclus entre ces parties au principal.

 

Le cadre juridique

La directive 93/13

3. L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 prévoit :

« Les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ainsi que des dispositions ou principes des conventions internationales, dont les États membres ou la Communauté sont partis, notamment dans le domaine des transports, ne sont pas soumises aux dispositions de la présente directive. »

4. L’article 3, paragraphe 1, de cette directive est rédigé comme suit :

« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive, lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. »

5. L’article 4, paragraphe 1, de ladite directive précise :

« [...] le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend. »

6. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

7. Conformément à l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

 

Le droit espagnol

8. En droit espagnol, la protection des consommateurs contre les clauses abusives a été, tout d’abord, assurée par la loi générale 26/1984, relative à la protection des consommateurs et des usagers (Ley General 26/1984 para la Defensa de los Consumidores y Usuarios), du 19 juillet 1984 (BOE n° 176, du 24 juillet 1984, p. 21686).

9. La loi générale 26/1984 a été, ensuite, modifiée par la loi 7/1998, relative aux conditions générales des contrats (Ley 7/1998 sobre condiciones generales de la contratación), du 13 avril 1998 (BOE n° 89, du 14 avril 1998, p. 12304), qui a transposé la directive 93/13 dans le droit interne espagnol.

10. Ces dispositions ont été reprises par le décret royal législatif 1/2007, portant refonte de la loi générale relative à la protection des consommateurs et des usagers et d’autres lois complémentaires (Real Decreto Legislativo 1/2007 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley General para la Defensa de los Consumidores y Usuarios y otras leyes complementarias), du 16 novembre 2007 (BOE n° 287, du 30 novembre 2007, p. 49181).

11. Aux termes de l’article 83 du décret royal législatif 1/2007 :

« 1. Les clauses abusives sont nulles de plein droit et sont réputées non écrites.

2. La partie du contrat entachée de nullité est corrigée conformément à l’article 1258 du code civil et au principe de la bonne foi objective.

À cet effet, le juge qui déclare la nullité desdites clauses complète le contrat et dispose d’un pouvoir modérateur quant aux droits et obligations des parties, si le contrat subsiste, et quant aux conséquences de son invalidité si celle-ci cause un préjudice appréciable au consommateur et à l’usager. Le juge ne peut déclarer l’invalidité du contrat que si les clauses qui subsistent placent les parties dans une situation inéquitable à laquelle il ne peut être remédié. »

12. À la suite de l’arrêt Aziz (C‑415/11, EU:C:2013:164), la législation espagnole relative à la protection des consommateurs a été modifiée par la loi 1/2013, portant mesures destinées à renforcer la protection des débiteurs hypothécaires et relative à la restructuration de la dette et au logement locatif social (Ley de medidas para reforzar la protección a los deudores hipotecarios, reestructuración de deuda y alquiler social), du 14 mai 2013 (BOE n° 116, du 15 mai 2013, p. 36373). Cette loi modifie en particulier certaines dispositions de la loi 1/2000 relative au code de procédure civile (Ley 1/2000 de Enjuiciamiento Civil), du 7 janvier 2000 (BOE n° 7, du 8 janvier 2000, p. 575).

13. Ainsi, l’article 552, paragraphe 1, du code de procédure civile tel que modifié par l’article 7, point 1, de la loi 1/2013 dispose :

« Lorsque le tribunal estime que l’une des clauses figurant dans un titre exécutoire visé à l’article 557, paragraphe 1, peut être qualifiée d’abusive, il donne audience aux parties pour cinq jours. Celles-ci entendues, il statue dans les cinq jours suivants, conformément à l’article 561, paragraphe 1, point 3. »

14. L’article 7, paragraphe 3, de la loi 1/2013 a ajouté un point 3 à l’article 561, paragraphe 1, du code de procédure civile qui est rédigé comme suit :

« Lorsque le caractère abusif d’une ou plusieurs clauses est constaté, l’ordonnance adoptée en précise les conséquences, soit en décidant qu’il n’y a pas lieu à exécution, soit en ordonnant l’exécution sans que les clauses considérées comme abusives soient appliquées. »

15. L’article 7, paragraphe 14, de la loi 1/2013 amende l’article 695 du code de procédure civile en précisant que l’existence de clauses abusives constitue un motif d’opposition dans les termes suivants :

« 1. Dans les procédures visées au présent chapitre, l’opposition à l’exécution du défendeur à l’exécution ne sera accueillie que lorsqu’elle se fonde sur les causes suivantes :

[...]

4. le caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement de l’exécution ou permettant de déterminer le montant exigible. »

16. L’article 3, paragraphe 2, de la loi 1/2013 modifie également l’article 114 de la loi hypothécaire (Ley Hipotecaria), en y ajoutant un troisième alinéa, rédigé comme suit :

« Les intérêts de retard pour les prêts ou crédits visant à l’acquisition de la résidence principale, garantis par des hypothèques constituées sur le logement en question, ne peuvent dépasser trois fois l’intérêt légal et ne peuvent être perçus que sur le montant en principal à payer. Lesdits intérêts de retard ne peuvent en aucun cas être capitalisés, sauf dans le cas prévu à l’article 579, paragraphe 2, sous a), du code de procédure civile. »

17. Enfin, la deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013 ajoute :

« La limitation des intérêts de retard pour les hypothèques constituées sur une résidence principale, prévue à l’article 3, point 2, s’applique aux hypothèques constituées après l’entrée en vigueur de la présente loi.

Cette limitation s’applique également aux intérêts de retard prévus dans les prêts comportant une garantie hypothécaire sur une résidence principale constituée avant l’entrée en vigueur de la présente loi, lorsque ces intérêts arrivent à échéance après cette date, ainsi qu’à ceux qui, bien qu’échus à cette date, n’auraient pas été acquittés.

Dans les procédures de saisie ou de vente extrajudiciaire ouvertes mais non conclues à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, ainsi que dans celles dans lesquelles le montant pour lequel il est demandé que soit ordonnée la saisie ou la vente extrajudiciaire a déjà été fixé, le greffier ou le notaire donne au créancier demandant l’exécution un délai de dix jours pour recalculer ce montant conformément aux dispositions du point susvisé. »

 

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

18. Les affaires au principal concernent des procédures de saisie hypothécaire, introduites par Unicaja Banco et Caixabank visant à obtenir l’exécution forcée de plusieurs hypothèques constituées entre le 5 janvier 2007 et le 20 août 2010 pour des montants compris entre 47.000 euros et 249.000 euros.

19. Dans l’affaire C‑482/13, le prêt hypothécaire était soumis à un taux d’intérêt moratoire de 18 %, taux qui pouvait être majoré si, en augmentant de quatre points le taux d’intérêt révisé, on aboutissait à un taux d’intérêt supérieur, sans pouvoir toutefois dépasser le taux nominal annuel maximal de 25 %. Dans les affaires C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, les prêts hypothécaires étaient soumis à un taux d’intérêt moratoire de 22,5 %.

20. En outre, tous les contrats de prêts concernés dans les affaires au principal comportent une clause selon laquelle, en cas de manquement de l’emprunteur à ses obligations de paiement, le prêteur peut anticiper l’échéance initialement convenue et exiger le paiement de la totalité du capital dû, plus les intérêts, intérêts de retard, commissions, frais et dépens convenus.

21. Unicaja Banco et Caixabank ont introduit devant de la juridiction de renvoi, entre les 21 mars 2012 et 3 avril 2013, des demandes de saisie sur les montants dus après application des taux d’intérêts moratoires prévus par les contrats hypothécaires en cause. Dans le cadre de ces recours, cette juridiction s’est penchée sur la question du caractère « abusif » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, des clauses relatives aux taux d’intérêt de retard ainsi que de l’application de ces taux au capital dont l’échéance anticipée est déclenchée par le retard de paiement.

22. À cet égard, la juridiction de renvoi émet toutefois des doutes concernant les conséquences qu’elle doit tirer du caractère abusif desdites clauses au regard de la deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013. Ainsi, si elle devait appliquer cette disposition, il lui appartiendrait de faire recalculer les intérêts de retard conformément au troisième alinéa de cette disposition.

23. Dans ces circonstances, le Juzgado de Primera Instancia e Instrucción de Marchena a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Conformément à la directive 93/13 [...] et en particulier à son article 6, paragraphe 1, et afin de garantir la protection des consommateurs et des usagers en accord avec les principes d’équivalence et d’effectivité, lorsqu’un juge national conclut à l’existence d’une clause abusive relative à des intérêts moratoires dans des prêts hypothécaires, doit-il déclarer la nullité de la clause et son caractère non contraignant ou doit-il au contraire modérer la clause relative aux intérêts en chargeant le créancier demandant l’exécution ou le prêteur de recalculer les intérêts ?

2) La deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013 [...] ne constitue‑t‑elle qu’une claire limitation de la protection de l’intérêt du consommateur, en ce qu’elle impose implicitement aux juridictions l’obligation de modérer une clause relative à des intérêts moratoires pouvant être qualifiée d’abusive, en recalculant les intérêts stipulés et en maintenant en vigueur une disposition qui avait un caractère abusif, au lieu de déclarer la nullité de la clause et son caractère non contraignant pour le consommateur ?

3) La deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013 [...] est-elle contraire à la directive 93/13 [...] et en particulier à son article 6, paragraphe 1, en ce qu’elle empêche l’application des principes d’équivalence et d’effectivité en matière de protection du consommateur et évite l’application de la sanction constituée par la nullité et le caractère non contraignant aux clauses relatives à des intérêts moratoires pouvant être qualifiées d’abusives, stipulées dans des prêts hypothécaires conclus avant l’entrée en vigueur de la loi 1/2013 [...] ? »

24. Par ordonnance du président de la Cour du 10 octobre 2013, les affaires C‑482/13 à C‑487/13 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

25. Les affaires C‑486/13 et C‑483/13 ont été disjointes, respectivement, par les ordonnances du président de la Cour des 13 mars et 3 octobre 2014, en raison de leur radiation.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Sur les questions préjudicielles :

26. Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale en vertu de laquelle le juge national saisi d’une procédure d’exécution hypothécaire est tenu de faire recalculer les sommes dues au titre de la clause d’un contrat de prêt hypothécaire prévoyant des intérêts moratoires dont le taux est supérieur à trois fois le taux légal, par l’application d’un taux d’intérêts moratoires n’excédant pas ce seuil.

27. À cet égard, il convient de constater d’emblée que, selon la juridiction de renvoi, les clauses relatives aux intérêts moratoires des contrats de prêt hypothécaire pour l’exécution desquels elle a été saisie sont « abusives », au sens de l’article 3 de la directive 93/13.

28. Dans ce contexte, il importe de rappeler que, s’agissant des conséquences à tirer de la constatation du caractère abusif d’une disposition d’un contrat liant un consommateur à un professionnel, il découle du libellé de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 que les juges nationaux sont tenus uniquement d’écarter l’application d’une clause contractuelle abusive afin qu’elle ne produise pas d’effets contraignants à l’égard du consommateur, sans qu’ils soient habilités à réviser le contenu de celle-ci. En effet, ce contrat doit subsister, en principe, sans aucune autre modification que celle résultant de la suppression des clauses abusives, dans la mesure où, conformément aux règles du droit interne, une telle persistance du contrat est juridiquement possible (arrêts Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 65, ainsi que Asbeek Brusse et de Man Garabito, C‑488/11, EU:C:2013:341, point 57).

29. En particulier, cette disposition ne peut être interprétée comme permettant au juge national, dans le cas où il constate le caractère abusif d’une clause pénale dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de réduire le montant de la pénalité mise à la charge du consommateur au lieu d’écarter entièrement l’application de la clause en cause à l’égard de ce dernier (arrêt Asbeek Brusse et de Man Garabito, EU:C:2013:341, point 59).

30. En outre, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, qui se trouvent dans une situation d’infériorité à l’égard des professionnels, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec son vingt-quatrième considérant, de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (arrêts Banco Español de Crédito, EU:C:2012:349, point 68, ainsi que Kásler et Káslerné Rábai, C‑26/13, EU:C:2014:282, point 78).

31. De fait, s’il était loisible au juge national de réviser le contenu des clauses abusives, une telle faculté serait susceptible de porter atteinte à la réalisation de l’objectif à long terme visé à l’article 7 de la directive 93/13. En effet, cette faculté contribuerait à éliminer l’effet dissuasif exercé sur les professionnels par la pure et simple non-application à l’égard du consommateur de telles clauses abusives, dans la mesure où ceux-ci demeureraient tentés d’utiliser lesdites clauses, en sachant que, même si celles-ci devaient être invalidées, le contrat pourrait néanmoins être complété, dans la mesure nécessaire, par le juge national de sorte à garantir ainsi l’intérêt desdits professionnels (arrêts Banco Español de Crédito, EU:C:2012:349, point 69, ainsi que Kásler et Káslerné Rábai, EU:C:2014:282, point 79).

32. Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour a jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’oppose à une règle de droit national qui permet au juge national, lorsqu’il constate la nullité d’une clause abusive d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de compléter le contrat en révisant le contenu de cette clause (arrêts Banco Español de Crédito, EU:C:2012:349, point 73, ainsi que Kásler et Káslerné Rábai, EU:C:2014:282, point 77).

33. La Cour a certes également reconnu la possibilité pour le juge national de substituer à une clause abusive une disposition de droit national à caractère supplétif, à la condition que cette substitution soit conforme à l’objectif de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 et permette de restaurer un équilibre réel entre les droits et les obligations des cocontractants. Toutefois, cette possibilité est limitée aux hypothèses dans lesquelles l’invalidation de la clause abusive obligerait le juge à annuler le contrat dans son ensemble, exposant par là le consommateur à des conséquences telles que ce dernier en serait pénalisé (voir, en ce sens, Kásler et Káslerné Rábai, EU:C:2014:282, points 82 à 84).

34. Cependant, dans les affaires au principal, et sous réserve des vérifications à effectuer, à cet égard, par la juridiction de renvoi, l’annulation des clauses contractuelles en cause ne saurait avoir de conséquences négatives pour le consommateur, dans la mesure où les montants pour lesquels les procédures de saisie hypothécaire ont été engagées seront nécessairement moindres en l’absence de majoration par l’application des intérêts moratoires prévus par lesdites clauses.

35. Ces principes ayant été rappelés, il ressort des décisions de renvoi que la deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013 prescrit une modération des intérêts moratoires pour les prêts ou les crédits visant à l’acquisition d’une résidence principale et garantis par des hypothèques constituées sur le logement en question. Il y est ainsi prévu que, pour les procédures de saisie ou de vente extra-judiciaire ouvertes mais non conclues à la date d’entrée en vigueur de cette loi, à savoir le 15 mai 2013, et dans lesquelles a déjà été fixé le montant pour lequel il est demandé que soit ordonnée la saisie ou la vente extra-judiciaire, ce montant doit être recalculé par application d’un intérêt moratoire dont le taux est au plus égal au triple de celui de l’intérêt légal, dès lors que le taux des intérêts moratoires prévu par le contrat hypothécaire est supérieur à ce taux.

36. Ainsi qu’il a été souligné par le gouvernement espagnol, dans ses écritures et lors de l’audience ainsi que par M. l’avocat général aux points 38 et 39 de ses conclusions, le champ d’application de la deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013 s’étend à tout contrat de prêt hypothécaire et se distingue ainsi de celui de la directive 93/13 qui concerne uniquement les clauses abusives inclues dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur. Il s’ensuit que l’obligation de respecter le seuil correspondant au taux des intérêts moratoires équivalant à trois fois le taux d’intérêt légal, telle qu’elle a été prévue par le législateur, ne préjuge en rien de l’appréciation, par le juge, du caractère abusif d’une clause fixant les intérêts moratoires.

37. Dans ce contexte, il convient de rappeler que, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, le caractère abusif d’une clause contractuelle doit être apprécié en tenant compte de la nature des biens ou des services qui font l’objet du contrat et en se référant, à la date de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent celle‑ci. Il en découle que, dans cette perspective, doivent également être appréciées les conséquences que ladite clause peut avoir dans le cadre du droit applicable au contrat, ce qui implique un examen du système juridique national (voir ordonnance Sebestyén, C‑342/13, EU:C:2014:1857, point 29 et jurisprudence citée).

38. À cet égard, il y a lieu de rappeler, en outre, qu’une juridiction nationale, saisie d’un litige opposant exclusivement des particuliers, est tenue, lorsqu’elle applique les dispositions du droit interne, de prendre en considération l’ensemble des règles du droit national et de les interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de la directive applicable en la matière pour aboutir à une solution conforme à l’objectif poursuivi par celle-ci (arrêt Kásler et Káslerné Rábai, EU:C:2014:282, point 64).

39. Partant, il importe de considérer que, dans la mesure où la deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013 ne fait pas obstacle à ce que le juge national, confronté à une clause abusive, puisse effectuer son office en écartant ladite clause, la directive 93/13 ne s’oppose pas à l’application d’une telle disposition nationale.

40. Cela implique, en particulier, d’une part, que, lorsque le juge national est confronté à une clause d’un contrat relative à des intérêts moratoires dont le taux est inférieur à celui prévu par la deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013, la fixation de ce plafond législatif n’empêche pas ledit juge d’apprécier le caractère éventuellement abusif de cette clause, au sens de l’article 3 de la directive 93/13. Ainsi, un taux d’intérêts moratoires inférieur à trois fois le taux légal ne saurait être nécessairement considéré comme équitable au sens de cette directive.

41. D’autre part, lorsque le taux des intérêts moratoires prévu dans une clause d’un contrat de prêt hypothécaire est supérieur à celui prévu par la deuxième disposition transitoire de la loi 1/2013 et doit, conformément à cette disposition, faire l’objet d’une limitation, une telle circonstance ne doit pas faire obstacle à ce que le juge national puisse, au-delà de cette mesure de modération, tirer toutes les conséquences de l’éventuel caractère abusif au regard de la directive 93/13 de la clause qui contient ce taux, en procédant, le cas échéant, à son annulation.

42. Par conséquent, il résulte de l’ensemble de ces considérations que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une disposition nationale en vertu de laquelle le juge national saisi d’une procédure d’exécution hypothécaire est tenu de faire recalculer les sommes dues au titre d’une clause d’un contrat de prêt hypothécaire prévoyant des intérêts moratoires dont le taux est supérieur à trois fois le taux légal, afin que le montant desdits intérêts n’excède pas ce seuil, pour autant que l’application de cette disposition nationale :

– ne préjuge pas de l’appréciation par ledit juge national du caractère abusif d’une telle clause et

– ne fait pas obstacle à ce que ce juge écarte ladite clause s’il devait conclure au caractère « abusif » de celle-ci, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive.

 

Sur les dépens :

43. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par ces motifs,

la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une disposition nationale en vertu de laquelle le juge national saisi d’une procédure d’exécution hypothécaire est tenu de faire recalculer les sommes dues au titre d’une clause d’un contrat de prêt hypothécaire prévoyant des intérêts moratoires dont le taux est supérieur à trois fois le taux légal, afin que le montant desdits intérêts n’excède pas ce seuil, pour autant que l’application de cette disposition nationale :

- ne préjuge pas de l’appréciation par ledit juge national du caractère abusif d’une telle clause et

- ne fait pas obstacle à ce que ce juge écarte ladite clause s’il devait conclure au caractère « abusif » de celle-ci, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive.