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CA POITIERS (1re ch. civ.), 20 mai 2016

Nature : Décision
Titre : CA POITIERS (1re ch. civ.), 20 mai 2016
Pays : France
Juridiction : Poitiers (CA), 1re ch. civ.
Demande : 15/00050
Date : 20/05/2016
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Jurica
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CERCLAB - DOCUMENT N° 5629

CA POITIERS (1re ch. civ.), 20 mai 2016 : RG n° 15/00050

Publication : Jurica

 

Extrait : « Par courrier du 11 juillet 2013, la société MMA a versé l'indemnité immédiate à hauteur de 257.746,58 euros dont l'indemnité sur le bâtiment, déduction faite de la vétusté, exposant que l'indemnité différée serait complétée dès réception des factures justificatives, notamment par le versement de la vétusté, des honoraires de maîtrise d'œuvre et des loyers, et ce dans le délai de deux ans.

Cependant, ce délai de deux ans, qui n'est pas un délai de prescription comme l’a entendu à tort le tribunal, estimant que celle-ci avait été interrompue par l'assignation en référé puis suspendu pendant la mesure d'expertise, n'a vocation à s'appliquer qu'en cas d'accord entre l'assureur et l'assuré sur le montant des différentes indemnités. La clause n'est donc pas abusive et a pour objet d'inciter l'assuré à faire réaliser les travaux dans un délai raisonnable.

En l'espèce, en l'absence de solution amiable, l'introduction d'une procédure judiciaire à l'encontre de l'assureur conduit à priver d'effet la clause limitant l'indemnisation aux travaux réalisés dans un délai de deux ans à compter du sinistre. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE POITIERS

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 20 MAI 2016

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 15/00050. Décision déférée à la Cour : Jugement au fond du 5 décembre 2014 rendu par le Tribunal de Grande Instance des SABLES D'OLONNE.

 

APPELANTE :

Compagnie d'assurances MMA IARD

Ayant pour avocat postulant Maître Jean-Pierre L., avocat au barreau de POITIERS. Ayant pour avocat plaidant Maître Jean-Charles L., avocat au barreau de ANGERS.

 

INTIMÉE :

Madame X. épouse Y.

née le [date] à [ville], Ayant pour avocat Maître Henri B. de la SCP B.-M., avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON.

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 21 mars 2016, en audience publique, devant la Cour composée de : Monsieur Roland POTEE, Président, Madame Marie-Jeanne CONTAL, Conseiller, Madame Odile CLEMENT, Conseiller, qui a présenté son rapport, qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Jérémy MATANO,

ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, - Signé par Monsieur Roland POTEE, Président et par Monsieur Jérémy MATANO, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :

Mme Y. est assurée pour son habitation sise [adresse], auprès de la société MMA au titre d'un contrat « Domotrio ». Un incendie s'est déclaré dans l'immeuble le 21 août 2011.

La société MMA a mandaté le cabinet Union d'experts aux fins d'expertise tandis que Mme Y. se faisait assister par un expert d'assuré, le cabinet Cotebat.

Le 27 juin 2012, la MMA a adressé à Mme Y. une proposition d'indemnisation, non acceptée.

Par acte du 23 octobre 2012, Mme Y. a obtenu une expertise en référé puis après dépôt du rapport d'expertise, a assigné la MMA devant le tribunal de grande instance des Sables d'Olonne par acte du 14 août 2013, aux fins principalement d'obtenir le montant du coût de la démolition reconstruction, soit 426.757,66 euros, sous déduction des provisions versées pour un total de 257.746,58 euros, outre une indemnité mensuelle de 712 euros par mois à compter du 1er août 2013 jusqu'à l'achèvement des travaux de reconstruction, et une somme de 20.000 euros au titre du préjudice moral.

Par jugement du 5 décembre 2014, le tribunal a :

- Condamné la société MMA à garantir Mme Y. des conséquences du sinistre à hauteur des sommes de :

* 426.757,66 euros sous déduction des provisions versées, soit 169.011,08 euros ;

* 2.848 euros au titre des 4 mois de loyers du 1er août au 31 décembre 2013 ;

* 495,41 euros par mois à compter du 1er décembre 2013 et jusqu'à l'achèvement de la reconstruction ;

* 5.000 euros au titre du préjudice moral ;

- Ordonné l'exécution provisoire ;

- Condamné la MMA à verser à Mme Y. une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

 

La SA MMA Iard a régulièrement relevé appel de cette décision.

Par conclusions du 24 juillet 2015, elle demande à la cour d'infirmer totalement le jugement et de :

- Dire et juger la solution de réparation présentée par la société Socamip satisfactoire ;

- Dire et juger en conséquence que les sommes versées par MMA au titre de l'indemnité immédiate sont satisfactoires ;

- Dire et juger que sauf pour Mme Y. à justifier de travaux supplémentaires lui permettant de solliciter l'indemnité différée dans la limite de la solution de réparation, celle-ci ne saurait prétendre à aucune autre somme ;

- Débouter Mme Y. de son appel incident et de ses autres demandes de dommages et intérêts et autres compléments de loyer ;

- Condamner Mme Y. à verser à la MMA la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

 

Par conclusions du 22 février 2016, Mme Y. présente les demandes suivantes :

- confirmer le jugement sur les indemnisations sauf sur le montant des loyers à compter du 1er  décembre 2013 et sur les dommages et intérêts ;

- le réformer sur ces points et condamner la société MMA à lui verser :

* du 1er décembre 2013 au 30 septembre 2015, une indemnité de 495,41 euros par mois, soit la somme de 10.403,61 euros ;

* du 1er octobre 2015 jusqu'à l'achèvement des travaux, une indemnité de 600 euros par mois ;

- juger que la clause figurant au contrat « Domotrio » subordonnant la garantie de la valeur à neuf à la justification de la reconstruction ou du remplacement des biens sinistrés dans un délai de deux ans à compter du sinistre est abusive au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation et sera réputée non écrite ;

- condamner la MMA à lui verser une somme de 20.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice tant moral que lié à ses conditions de vie depuis 3 ans ;

- A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où l'un ou l'autre poste composant la demande de Mme Y. serait rejeté comme n'entrant pas dans la garantie contractuelle,

Condamner la MMA à lui payer une indemnité équivalente en réparation du préjudice imputable aux manquements contractuels de la société MMA à raison du retard dans le traitement du sinistre ;

- Condamner la société MMA à lui verser une somme de 20.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

 

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 2016.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

La société MMA reproche au tribunal d'avoir, tout en ayant rappelé l'article L. 121-1 du code des assurances applicable en matière d'assurance de choses, énoncé par la suite que l'assuré avait droit à la réparation intégrale de son préjudice.

L'appelante rappelle en effet à bon droit qu'en matière d'assurance de choses, l'indemnisation de l'assuré est fixée par les dispositions contractuelles.

Revenant d'ailleurs sur ces dispositions contractuelles, le tribunal, en cela non contredit par l'appelante, a dit qu'aucune de ces dispositions ne permettaient d'arbitrer entre les positions des parties, à savoir entre une solution réparatoire ou la démolition- reconstruction.

En l'espèce l'article 13.4.2 des conditions générales du contrat « Domotrio » dispose que les bâtiments sont estimés en valeur d'usage, sur la base du coût de matériaux de bonne qualité et de leur mise en œuvre selon les règles de l'art. (...) S'y ajoutent les honoraires (architecte, bureau d'études ou de contrôle) nécessaires, à dire d'expert, à la reconstruction ou réparation des biens sinistrés.

Les mêmes conditions générales définissent la valeur d'usage comme « la valeur de reconstruction ou de remplacement des biens assurés au jour du sinistre, déduction faite de la vétusté ».

Les conventions spéciales Domotrio prévoient que la garantie en cas d'incendie de bâtiment est au maximum « la valeur d'usage complétée de la valeur à neuf ».

L'indemnisation « valeur à neuf » est une indemnité supplémentaire égale à la différence entre l'estimation en valeur d'usage et celle du prix neuf au jour du sinistre, sans excéder 25 % du prix neuf ou du capital assuré, indemnité qui « ne sera réglée que sur justification de la reconstruction ou du remplacement des biens sinistrés dans un délai de deux ans à compter du sinistre ».

L'indemnisation valeur à neuf est donc versée sur justification des travaux. Elle ne signifie pas que l'assurée peut prétendre obtenir la valeur à neuf du bien sur la base de sa reconstruction comme Mme Y. le soutient à tort.

Il n'est pas contestable que les obligations de l'assureur consistent en une indemnisation de la remise en état du bien (quelle que soit la solution, travaux de reprise ou démolition- reconstruction) la moins-disante.

Il convient, pour déterminer cette solution, de se reporter aux conclusions de l'expert judiciaire, M. C.

Aux termes du rapport d'expertise, la réhabilitation telle que proposée par le devis de la société Socamip, qui s'est appuyée sur les rapports Socotec et Serba, « doit remettre la maison dans un état aussi habitable qu'avant l'incendie. Le décalage des murs de l'étage ne pourra être résorbé, il faudra le dissimuler avec un bandeau cachant l'agrafage et ce décalage ».

Les rapports Socotec et Serba décrivent les travaux de reprise. Ils n'indiquent pas que seule une démolition- reconstruction est envisageable en l'état du bien sinistré.

Les travaux de réparation sont chiffrés à 208.015,96 euros HT outre 16.641,28 euros de maîtrise d'œuvre, soit 224.657,24 euros HT. Majoré du taux de TVA réduit de 7 %, le coût de la réparation s'élève à 240.383,25 euros et au taux de 19,6 % (à actualiser à 20 %) à 268.690,06 euros TTC.

Le coût de la démolition reconstruction s'élève à 305.729,98 euros TTC.

Il existe donc une différence d'au minimum 37.039,92 euros et de plus de 65.000 euros si la TVA applicable est à taux réduit.

La comparaison des chiffres conduit à retenir l'indemnisation du coût de la réhabilitation proposée par la société Socamip, validée par l'expert, étant observé que la technicité des travaux de reprise ne peut constituer un obstacle dans la mesure où la société Socamip dispose des compétences nécessaires et reconnues par l'expert.

Deux facteurs sont invoqués par Mme Y. pour s'opposer à cette solution : l'incidence de la TVA et la notion de moins-value, soutenant que la TVA à taux normal pour la réhabilitation ne rend pas la démolition-reconstruction plus onéreuse dans la mesure où elle pourrait prétendre à une moins-value liée à la perte de valeur d'un bien sinistré, moins-value de l'ordre de 10 % selon l'expert.

La prise en compte d'une moins-value est contestée par la société MMA au motif qu'aucune disposition du contrat ne la garantit et que ne pourrait être admise qu'une comparaison avec la valeur vénale du bien au jour du sinistre mais non avec une valeur de revente future du bien.

Les garanties prévues au contrat doivent être appliquées, lesquelles ne permettent pas l'indemnisation d'une perte de valeur à la revente. La perte de valeur actuelle n'est en tout état de cause pas démontrée dans la mesure où le bien va à nouveau bénéficier de la garantie décennale et que sur le plan esthétique, l'expert ne conclut pas à l'impossibilité de réaliser l'agrafage des fissures, ajoutant que « si le bandeau est bien ancré sur la façade, sa présence constitue un décor architectural admissible qui n'est pas systématiquement présent pour cacher un vice de construction ».

Aucun élément ne s'oppose par conséquent à la mise en œuvre des travaux de reprise, le jugement devant être infirmé en ce qu'il a condamné la société MMA à verser à Mme Y. une indemnité couvrant le coût de la démolition- reconstruction du bien.

Par courrier du 11 juillet 2013, la société MMA a versé l'indemnité immédiate à hauteur de 257.746,58 euros dont l'indemnité sur le bâtiment, déduction faite de la vétusté, exposant que l'indemnité différée serait complétée dès réception des factures justificatives, notamment par le versement de la vétusté, des honoraires de maîtrise d'œuvre et des loyers, et ce dans le délai de deux ans.

Cependant, ce délai de deux ans, qui n'est pas un délai de prescription comme l’a entendu à tort le tribunal, estimant que celle-ci avait été interrompue par l'assignation en référé puis suspendu pendant la mesure d'expertise, n'a vocation à s'appliquer qu'en cas d'accord entre l'assureur et l'assuré sur le montant des différentes indemnités. La clause n'est donc pas abusive et a pour objet d'inciter l'assuré à faire réaliser les travaux dans un délai raisonnable.

En l'espèce, en l'absence de solution amiable, l'introduction d'une procédure judiciaire à l'encontre de l'assureur conduit à priver d'effet la clause limitant l'indemnisation aux travaux réalisés dans un délai de deux ans à compter du sinistre.

Dès lors, la société MMA qui a versé l'indemnité immédiate en appliquant une TVA de 7 % au coût des travaux de 208.015,96 euros et en déduisant 20 % de vétusté, sera condamnée à payer à Mme Y. l'indemnité différée dont le montant doit être calculé à partir du même coût de travaux de 208.015,96 euros HT hors maîtrise d'œuvre ( laquelle fait partie de l'indemnité différée), majorée de la TVA applicable, des postes figurant au courrier du 11 juillet 2013 (pièce 33 de l'intimée) et des loyers supportés par Mme Y. jusqu'à la réception des travaux.

Mme Y. sollicite une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice tant moral que lié à ses conditions de vie depuis le sinistre et à défaut, au motif que la SA MMA n'aurait pas rempli les obligations découlant du contrat à raison du retard dans le traitement du sinistre. L'indemnisation d'un préjudice moral ou de jouissance subi du fait du sinistre n'est pas garantie par le contrat de sorte qu'infirmant le jugement, il ne peut être fait droit à la demande de Mme Y. sur ce fondement.

Les différents courriers produits aux débats démontrent que la SA MMA a formulé des offres, a proposé la désignation d'un troisième expert, offre à laquelle MM Y. n'a pas répondu, a versé des provisions puis le solde de l'indemnité immédiate au vu du rapport d'expertise. La SA MMA n'a donc pas manqué à ses obligations contractuelles de sorte que la demande de dommages et intérêts doit être rejetée.

L'appel étant par ailleurs bien fondé, la MMA ne peut se voir reprocher une procédure abusive.

Nonobstant l'issue de l'appel, ni l'équité ni les situations économiques des parties ne justifient de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la SA MMA. Par ailleurs, Mme Y. doit supporter les honoraires de l'expert privé dont l'assistance lui a été nécessaire ainsi que des frais d'avocat et se verra allouer une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société MMA à verser à Mme Y. une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Statuant à nouveau :

Dit que l'indemnité due par la SA MMA à Mme Y. est celle consistant à la mise en œuvre de travaux de reprise selon le devis de la société Socamip validé par l'expert à un montant HT de 208.015,96 euros ;

Constate que la société MMA a versé à Mme Y. au titre de l'indemnité immédiate la somme de 257.746,58 euros ;

Condamne la SA MMA à payer à Mme Y., sur justificatifs des travaux réalisés, l'indemnité différée s'élevant à 85.992,58 euros telle qu'exprimée dans le courrier du conseil de la SA MMA du 11 juillet 2013, à parfaire dans le cas où une partie des travaux serait assujettie d'une TVA à 20 %, et augmentée des loyers supportés par Mme Y. postérieurement à l'arrêté de compte figurant au courrier précité, jusqu'à la réception des travaux ;

Déboute Mme Y. de ses plus amples demandes ;

Déboute Mme Y. de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamne la SA MMA à verser à Mme Y. une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la MMA aux dépens.

LE GREFFIER,                   LE PRÉSIDENT,