CA BORDEAUX (1re ch. civ. sect. B), 15 septembre 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 5793
CA BORDEAUX (1re ch. civ. sect. B), 15 septembre 2016 : RG n° 13/06376
Publication : Jurica
Extrait : « L'intimée soutient quant à elle qu'elle a satisfait à son devoir d'information, et fait valoir que la demande de déchéance du droit aux intérêts formée par l'appelant peut d'autant moins prospérer que l'acte authentique du 15 décembre 2003 comporte une clause selon laquelle « l'information annuelle des cautions (...) s'effectuera par lettre simple adressée par le prêteur à la caution avant le 1er mars de chaque année, la caution s'engageant expressément à aviser le prêteur, par lettre recommandée avec avis de réception au plus tard le 10 mars de la même année au cas où elle ne l'aurait pas reçue. La preuve de la bonne exécution de l'obligation d'information annuelle par le prêteur sera acquise dès lors que la caution n'aura pas adressé au prêteur dans le délai imparti la lettre recommandée avec avis de réception. »
C'est à juste titre cependant que l'appelant fait valoir que cette clause, qui revient à faire peser sur le non professionnel-emprunteur une obligation qui incombe légalement au prêteur, et à renverser la charge de la preuve, réduit à néant l'obligation d'ordre public d'information de la caution et constitue à ce titre une clause manifestement abusive qui doit être réputée non écrite en application des dispositions des articles L. 132-1 et R. 132-1-12° du code de la consommation. Le jugement, qui a débouté M. X. de ses demandes sur le fondement de cette clause qu'il a considéré comme valable, sera en conséquence infirmé. »
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION B
ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 13/06376. (Rédacteur : Madame Elisabeth FABRY, Conseiller). Nature de la décision : AU FOND.
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 26 septembre 2013 (R.G. n° 11/00608) par le Tribunal de Grande Instance de LIBOURNE suivant déclaration d'appel du 31 octobre 2013.
APPELANT :
Monsieur X.
né le [date] à [ville], de nationalité Française, demeurant [adresse], Représenté par Maître Yannick H., avocat au barreau de LIBOURNE
INTIMÉE :
LA CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D'AQUITAINE
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [adresse], Représentée par Maître Nicolas D., avocat au barreau de LIBOURNE
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 24 mai 2016 en audience publique, devant la cour composée de : Monsieur Michel BARRAILLA, Président, Madame Catherine COUDY, Conseiller, Madame Elisabeth FABRY, Conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Nathalie BELINGHERI
ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSE DU LITIGE :
Par acte authentique du 15 décembre 2003, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine a accordé à la SCI X. Immobilier représentée par son gérant M. X. un prêt de 235.000,00 euros remboursable en 144 mensualités au taux contractuel initial de 5,60 % l'an destiné à financer l'acquisition d'un immeuble situé à [ville T.]. Par acte du même jour, M. X. et Mme Y. épouse X. se sont portés cautions personnelles et solidaires de la SCI.
La SCI X. Immobilier a fait l'objet d'une liquidation judiciaire selon jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 7 novembre 2007. La procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif le 16 décembre 2009.
Les époux X. ont été mis en demeure d'honorer leurs engagements par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 mars 2011 avant d'être assignés en paiement par le Crédit Agricole devant le tribunal de grande instance de Libourne par exploit d'huissier en date des 16 et 19 mai 2011.
Par jugement contradictoire en date du 26 septembre 2013, le tribunal de grande instance de Libourne a notamment :
- dit et jugé que le Crédit Agricole ne pouvait se prévaloir du cautionnement souscrit par Mme Y. épouse X. en raison du caractère disproportionné de son engagement,
- débouté Mme Y. épouse X. de ses autres demandes,
- condamné M. X., dans la limite de son engagement de caution, à payer au Crédit Agricole la somme de 28.150,18 euros arrêtée au 29 janvier 2013, avec intérêts au taux contractuel de 5,60 % sur la somme de 28.054,21 euros et capitalisation des intérêts,
- condamné M. X. au paiement d'une somme de 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire.
M. X. a relevé appel du jugement le 31 octobre 2013.
Dans ses dernières conclusions, remises et notifiées le 29 janvier 2014, il demande à la cour de :
- réformer le jugement en tous points ;
- dire et juger que sa dette, en qualité de caution personnelle ne s'élève pas à la somme sollicitée par le Crédit Agricole, et qu'il est désormais créditeur vis à vis de la banque et bien fondé à obtenir restitution de l'indu
- dire et juger que le Crédit Agricole doit être déchu de tout droit à intérêt contractuel faute de rapporter la preuve qu'il lui a adressé les lettres d'information annuelles et notamment les lettres LR/AR
- dire et juger que le Crédit Agricole doit être déchu de tout droit à intérêt contractuel car les copies des trois lettres d'information annuelles produites par la banque ne rappellent pas la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle ci est exercée, alors que l'engagement est à durée indéterminée
- dire et juger que la clause de l'acte de caution du 15 décembre 2003, page 9, stipulant qu'il aurait dû informer la banque par LR/AR avant le 10 mars de chaque année s'il n'avait pas reçu l'information annuelle qui lui était due avant le 1er mars de la même année est une clause abusive, de manière irréfragable, au sens de l'article R. 132-1-12° du code de la consommation et qu'elle ne saurait être invoquée pour réduire à néant les dispositions d'ordre public des articles L. 313-22 du code monétaire et financier, et L. 341-1 du code de la consommation
- à titre principal
- dire et juger qu'en conséquence, toutes les sommes versées au titre de l'intérêt contractuel jusqu'à février 2008, soit 48.103,06 euros, sont présumées avoir été affectées au remboursement du principal dont le montant impayé était dès lors de 172.192,03 euros au moment de l'assignation
- condamner le Crédit Agricole à lui restituer l'indu, soit 65.011,03 euros avec anatocisme depuis le 19 octobre 2012, sauf à parfaire les comptes entre les parties
- subsidiairement, dire et juger que le Crédit Agricole doit être déchu de son droit à intérêt contractuel, sauf entre le 8 mars 2007 et le 15 janvier 2009
- dire et juger qu'en conséquence, toutes les sommes versées au titre de l'intérêt contractuel en dehors de cette période, soit 38.570,92 euros, sont présumées avoir été affectées au remboursement du principal dont le montant impayé était dès lors de 172.192,03 euros au moment de l'assignation
- condamner le Crédit Agricole à lui restituer l'indu, soit 47.027,66 euros avec anatocisme depuis le 19 octobre 2012, sauf à parfaire les comptes entre les parties
- débouter le Crédit Agricole de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
-dire et juger que chacune des parties sera pour ses frais des dépens engagés.
Par arrêt avant-dire-droit en date du 9 juillet 2015, cette cour a :
- ordonné la réouverture des débats
- ordonné la production par le Crédit Agricole d'un décompte précis des sommes dont elle réclame le paiement en principal, intérêts et frais, en fournissant le détail du taux des intérêts et des frais, ainsi que des paiements venant en déduction de sa créance
- renvoyé l'affaire à la mise en état
- réservé les dépens.
La cour a relevé que le décompte produit par le Crédit Agricole faisait état d'une créance en principal de 28.054,21 euros au 29 janvier 2013, mais qu'aucune précision n'était fournie sur le mode de calcul de cette somme, et en particulier sur le point de savoir si elle tenait compte de la déduction de la somme de 189.100,00 euros remise à la banque sur le prix de la vente immobilière du 25 octobre 2012. Elle a considéré qu'avant de se prononcer sur la question du défaut d'information annuelle de la caution et ses conséquences sur le montant des sommes dues par cette dernière, il importait de connaître avec précision le détail des sommes dont la banque réclamait le montant.
L'appelant n'a pas re-conclu.
Dans ses dernières conclusions, remises et notifiées le 9 mai 2016, le Crédit Agricole demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
- condamné M. X., dans la limite de son engagement de caution, à lui payer le solde du prêt consenti le 15 décembre 2005 à la SCI X. Immobilier avec capitalisation des intérêts par année entière,
- condamné M. X. à lui payer une indemnité de 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens
à titre reconventíonnel
- réformer le jugement en ce qu'il a condamné M. X. au paiement de la somme de 28.150,18 euros arrêtée au 29 janvier 2013 au titre du solde du prêt consenti à la SCI X. Immobilier
en conséquence
- condamner M. X. à lui payer la somme de 64.413,77 euros au titre du solde dudit prêt arrêté au 23 juillet 2015 ventilée de la manière suivante :
* capital : 52.053,78 euros (241.153,78 euros 189.100 euros),
* intérêts dus : 11.859,99 euros
* article 700 : 500 euros
- y ajoutant,
- condamner M. X. au paiement d'une indemnité de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de 1'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Nicolas D. conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 mai 2016.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
SUR LA DEMANDE PRINCIPALE :
Sur la déchéance du droit aux intérêts :
Aux termes des dispositions de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, applicable au contrat litigieux, « les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette. »
L'appelant soutient qu'il n'a pas reçu les lettres d'information annuelle, de sorte que la banque est déchue du droit aux intérêts.
L'intimée soutient quant à elle qu'elle a satisfait à son devoir d'information, et fait valoir que la demande de déchéance du droit aux intérêts formée par l'appelant peut d'autant moins prospérer que l'acte authentique du 15 décembre 2003 comporte une clause selon laquelle « l'information annuelle des cautions (...) s'effectuera par lettre simple adressée par le prêteur à la caution avant le 1er mars de chaque année, la caution s'engageant expressément à aviser le prêteur, par lettre recommandée avec avis de réception au plus tard le 10 mars de la même année au cas où elle ne l'aurait pas reçue. La preuve de la bonne exécution de l'obligation d'information annuelle par le prêteur sera acquise dès lors que la caution n'aura pas adressé au prêteur dans le délai imparti la lettre recommandée avec avis de réception. »
C'est à juste titre cependant que l'appelant fait valoir que cette clause, qui revient à faire peser sur le non professionnel-emprunteur une obligation qui incombe légalement au prêteur, et à renverser la charge de la preuve, réduit à néant l'obligation d'ordre public d'information de la caution et constitue à ce titre une clause manifestement abusive qui doit être réputée non écrite en application des dispositions des articles L. 132-1 et R. 132-1-12° du code de la consommation. Le jugement, qui a débouté M. X. de ses demandes sur le fondement de cette clause qu'il a considéré comme valable, sera en conséquence infirmé.
Pour justifier du respect de l'information de l'appelant, la banque produit aux débats :
- cinq procès-verbaux de constat datés des 8 mars 2005, 10 mars 2006, 23 mars 2007 et 26 février 2009, 24 février 2010 confirmant l'envoi de courriers d'information à cautions (42.561 en 2005, 42.246 en 2007, 81.724 en 2009, 52.908 en 2010) dont l'huissier a prélevé une dizaine dont le contenu s'est révélé conforme ;
- des lettres d'information datées des 8 mars 2007, 15 janvier 2008 et 15 janvier 2009, adressées respectivement à Mme Y. et à M. X.
Le nom de l'appelant ne figurant pas parmi les courriers vérifiés par l'huissier, les procès-verbaux produits ne permettent pas de démontrer de manière certaine qu'il a été destinataire de l'information pour les années concernées. En revanche, les copies des trois courriers établis au nom de M. X., en tous points conformes aux dispositions de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier (la faculté de rétractation ouverte à tout moment y étant rappelée en bas du courrier), constituent la preuve de l'envoi à l'appelant de l'information annuelle pour les années 2007, 2008 et 2009.
En conséquence, la banque sera déchue des intérêts échus entre le 10 mars 2005 et le 8 mars 2007 et à compter du 15 janvier 2009.
Sur les sommes dues :
L'intimée, conformément à la demande de la cour, produit aux débats divers décomptes sur la base desquelles elle sollicite la condamnation de l'appelant à lui payer la somme de 64.413,77 euros correspondant au capital pour 52.053,78 euros (241.153,78 euros [moins] 189.100 euros provenant de la vente de l'immeuble le 25 octobre 2012) outre les intérêts du 28 novembre 2012 au 23 juillet 2015 pour 11.859,99 euros et 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Compte tenu de la déchéance partielle du droit aux intérêts prononcée à l'encontre de la banque, toutes les sommes versées au titre des intérêts contractuels en dehors de la période du 8 mars 2007 au 15 janvier 2009, soit 38.570,92 euros selon le calcul effectué par l'appelant non critiqué par l'intimée, sont présumées avoir été affectées au remboursement du principal dont le montant impayé était, à la date de l'assignation, de 172.292,03 euros. En conséquence, déduction faite du prix de vente de l'immeuble (189.100 euros) et des intérêts indûment versés, le Crédit Agricole a bénéficié d'un trop-perçu de 47.027,66 euros qu'il sera condamné à rembourser à l'appelant. Conformément à la demande formulée par ce dernier, les intérêts échus annuellement de cette somme depuis le 19 octobre 2012 produiront eux-mêmes intérêts par application des dispositions de l'article 1154 du code civil.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les sommes exposées par elle dans le cadre de la procédure d'appel et non comprises dans les dépens. Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Les circonstances de l'espèce justifient par ailleurs que chaque partie conserve la charge de ses propres dépens d'appel.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Libourne date du 26 septembre 2013 en ce qu'il a condamné M. X., dans la limite de son engagement de caution, à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine la somme de 28.150,18 euros arrêtée au 29 janvier 2013, avec intérêts au taux contractuel de 5,60 % sur la somme de 28.054,21 euros et capitalisation des intérêts
Statuant à nouveau sur ce point,
Déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine de sa demande en paiement
Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine à payer à M. X. la somme de 47.027,66 euros, les intérêts échus annuellement de cette somme depuis le 19 octobre 2012 produisant eux-mêmes intérêts
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d'appel
Dit que chaque partie conservera à sa charge ses dépens exposés dans le cadre de la procédure d'appel.
Ainsi jugé et mis à disposition au greffe les jour, mois et an susdits et signé par Madame Catherine Coudy, Conseiller, en remplacement de Monsieur Michel Barrailla, Président légitimement empêché, et par Madame Nathalie Belingheri, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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