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6166 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Présentation - Application dans l’espace

Nature : Synthèse
Titre : 6166 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Présentation - Application dans l’espace
Pays : France
Rédacteurs : Xavier HENRY
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CERCLAB - SYNTHÈSE DE JURISPRUDENCE - DOCUMENT N° 6166 (14 octobre 2023)

PROTECTION CONTRE LES DÉSÉQUILIBRES SIGNIFICATIFS DANS LE CODE DE COMMERCE (ART. L. 442-1-I-2° C. COM.)

PRÉSENTATION GÉNÉRALE - APPLICATION DANS L’ESPACE

Auteur : Xavier HENRY (tous droits réservés © 2023)

 

Présentation. La multiplication des relations internationales rend nécessaire la détermination de la loi applicable, problème distinct de celui de la détermination de la juridiction compétente, même si le choix de celle-ci peut exercer une influence (V. ci-dessous et Cerclab n° 6226). Les solutions ne sont pas identiques selon que l’action est intentée par le ministre (A) ou un contractant (B), la comparaison avec d’autres textes pouvant être intéressante (C).

Appréciation du caractère contractuel ou extra-contractuel de l’action. La CEPC a rappelé que la question de savoir si la sanction imposée relève de la matière contractuelle ou extra-contractuelle au sens des règlements « Rome I » et « Rome II » doit, en vertu d’une jurisprudence européenne constante, faire l’objet d’une interprétation autonome fondée sur le système et les objectifs de ces règlements, quelles que soient les conceptions nationales (avis citant CJCE, 14 octobre 1976, aff. 29/76, Eurocontrol ; adde Règlement « Rome II », cons. 11), ce qui implique que la qualification retenue en droit français pour la mise en œuvre de [l’ancien] art. L. 442-6 C. com. [L. 442-1] n’est pas forcément la même que celle retenue pour la mise en œuvre des règles européennes de conflit de lois et de juridictions et qu’il ne peut être exclu que certaines obligations relèvent de la matière contractuelle tandis que d’autres relèveraient de la matière extracontractuelle. CEPC (avis), 17 avril 2015 : avis n° 15-08 ; Cerclab n° 6591

A. ACTION DU MINISTRE

Rejet de la nature administrative de l’action. Selon la CEPC, dans la mesure où l’action portée devant les juridictions civiles par le ministre de l’économie a un objet civil, il est permis de penser qu’une telle action ne relève pas de la matière administrative, de sorte que les règlements Rome I et II sont applicables. CEPC (avis), 17 avril 2015 : avis n° 15-08 ; Cerclab n° 6591.

Influence de la nature délictuelle de l’action : inefficacité des clauses relatives à la loi applicable. Le ministre (comme les autres autorités habilitées par l’art. L. 442-4-I, anciennement L. 442-6-III C. com.) est tiers au contrat et agit dans le cadre d’une action autonome, de nature délictuelle. Il ne peut dès lors être lié par la clause déterminant la loi applicable au contrat.

* En ce sens pour la CEPC : la clause de choix de loi prévue au contrat n’est pas applicable à un contentieux initié par le ministre tiers au contrat litigieux à l’encontre de l’un des contractants. CEPC (avis), 16 septembre 2013 : avis n° 13-10 ; Cerclab n° 6586 (contrats conclus entre des hôteliers et des centrales de réservation en ligne).

* En ce sens pour les juges du fond : si les parties ont en l’espèce adopté une clause désignant la loi anglaise, le ministre, tiers au contrat, ne peut être considéré comme ayant librement consenti à cette clause et la clause des contrats désignant la loi anglaise lui est donc manifestement inopposable. CA Paris (pôle 5 ch. 4), 21 juin 2017 : RG n° 15/18784 ; Cerclab n° 6938 (visa de l’art. 4.1 qui dispose « sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent »), pourvoi rejeté par Cass. com., 8 juillet 2020 : pourvoi n° 17-31536 ; arrêt n° 314 ; Cerclab n° 8520 (problème non examiné). § La loi française est applicable au litige entre le ministre et une société luxembourgeoise (Amazon services europe - ASE) exploitant une place de marché sur internet, concernant les clauses contenues dans les contrats conclus avec des vendeurs français, tant sur le terrain de la compétence au titre d'une action délictuelle en raison du lieu du dommage, que sur celui d'application territoriale de la loi de police de l’anc. art. L. 442-6 [L. 442-1], et, dès lors, la clause attributive de compétence des contrats conclus par ASE avec les vendeurs tiers est inopposable à l'action du Ministre. T. com. Paris (1re ch.), 2 septembre 2019 : RG n° 2017050625 ; Cerclab n° 8250 (pour les arguments, V. not. : 1/ le lieu du dommage est principalement, voire essentiellement, le territoire national car les vendeurs tiers domiciliés en France sont les victimes des clauses incriminées et il importe peu qu'en l'espèce les vendeurs tiers français soient une très grosse minorité ou une petite majorité des cocontractants d'ASE ; 2/ en ce qui concerne la compétence au titre de la loi de police économique, d'application territoriale, le lieu de rattachement est à plusieurs titres la France puisque la résidence d'une grande partie des vendeurs tiers est en France, comme le lieu d'exécution de la prestation et surtout la réalisation de l'atteinte à la concurrence se produit sur le marché national, celui des vendeurs tiers, des autres places de marché et des consommateurs ; la place de marché d'ASE doit dès lors être considérée comme faisant partie du marché français de la grande distribution).

Application du Règlement Rome II. * CEPC. Selon la CEPC, l’action introduite par le ministre de l’Economie à l’encontre d’une partie au contrat relève de la matière extra-contractuelle au sens des règlements européens, de sorte qu’il convient de préciser la loi applicable en pareil cas en se référant au Règlement Rome II. S’agissant du droit des pratiques restrictives de concurrence, la CEPC estime qu’il convient « très probablement » d’appliquer, conformément à l’article 6 § 1, la loi française, « pays où les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l’être ». CEPC (avis), 16 septembre 2013 : précité.

La CEPC considère comme « nettement plus improbable » une analyse rangeantces pratiques dans les actes « affect(ant) exclusivement les intérêts d’un concurrent déterminé », solution qui impliquerait dans ce cas, conformément à l’article 4 § 1, l’application de la loi du lieu de survenance du dommage. CEPC (avis), 16 septembre 2013 : précité. § En tout état de cause, selon la CEPC, la désignation d’une loi étrangère par une juridiction française permettrait à celle-ci de préserver l’application des lois de police du for, en l’occurrence la loi française, conformément à l’art. 16 du règlement.

Pour l’avis récapitulatif final : les stipulations contractuelles relatives au choix de loi et à la désignation de juridiction sont privées d’efficacité dans le cas où l’action est intentée par le ministre de l’Economie, ainsi que [l’ancien] art. L. 442-6-III C. com. [L. 442-4] lui en reconnaît la possibilité pour l’ensemble des règles du droit des pratiques restrictives énoncées dans cet article ; son action pourra être exercée devant une juridiction française et le droit français de la concurrence sera applicable, soit en tant que loi désignée par la règle de conflit, soit en tant que loi de police. CEPC (avis), 16 septembre 2013 : précité.

* Juges du fond. L’action du ministre n’étant pas une action indemnitaire fondée sur un manquement aux obligations contractuelles, mais une action publique fondée sur le comportement fautif d'une des parties à la relation commerciale ayant consisté à violer une disposition légale (en imposant à l'autre partie des clauses affectées de nullité) et, par ailleurs, le comportement reproché à ces parties ne pouvant être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles, telles qu'elles peuvent être déterminées compte tenu de l'objet du contrat, mais comme la violation de règles d'ordre public, l'objet de la procédure ne relève donc pas de la « matière contractuelle », mais de la « matière délictuelle », d'où il découle que le règlement Rome II du 11 juillet 2007 s'applique. CA Paris (pôle 5 ch. 4), 21 juin 2017 : RG n° 15/18784 ; Cerclab n° 6938 (centrale de réservation d’hôtels par internet), sur appel de T. com. Paris (13e ch. sect. 1), 7 mai 2015 : RG n° J2015000040 ; Juris-Data n° 2015-031872 ; Dnd, pourvoi rejeté par Cass. com., 8 juillet 2020 : pourvoi n° 17-31536 ; arrêt n° 314 ; Cerclab n° 8520 (résumé ci-dessous). § La loi française est applicable à l’action du Ministre concernant les clauses d’« accords d'hébergement », relatifs à des prestations hôtelières rendues en France par les hôteliers français « partenaires » au bénéfice d'une clientèle nationale et internationale, pour lesquels il ne demandait que la cessation de pratiques contraires à l'ordre public économique, assimilées à des délits civils sur le territoire national, et l'imposition d'une amende civile, ce dont il résultait que son action se rattachait exclusivement à son action répressive visant à rétablir l'ordre économique en France. T. com. Paris, 24 mars 2015 : RG n° 2014027403 ; Dnd (site de réservation par internet), contredit rejeté par CA Paris (pôle 1 ch. 1), 15 septembre 2015 : RG n° 15/07435 ; Cerclab n° 5312 (arrêt se limitant explicitement à la compétence des juridictions françaises).

Lois de police. Après avoir relevé que le régime spécifique commun aux délits civils prévus par l’anc. art. L. 442-6 C. com. se caractérise par l’intervention, prévue au III de cet article, du ministre chargé de l’économie pour la défense de l’ordre public, et souligné que les instruments juridiques dont celui-ci dispose, notamment pour demander le prononcé de sanctions civiles, illustrent l’importance que les pouvoirs publics accordent à ces dispositions, la cour d’appel a exactement retenu que l’art. L. 442-6, I-2° et II, d) C. com. prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d’une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et qui s’avèrent donc indispensables pour l’organisation économique et sociale de la France, ce dont elle a déduit, à bon droit, qu’elles constituent des lois de police dont l’application, conformément tant à l’art. 9 du règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles qu’à l’article 16 du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, s’impose au juge saisi, sans qu’il soit besoin de rechercher la règle de conflit de lois conduisant à la détermination de la loi applicable. Cass. com., 8 juillet 2020 : pourvoi n° 17-31536 ; arrêt n° 314 ; Cerclab n° 8520 (point n° 11 ; arrêt écartant la position du moyen soutenant que ces textes n’ont pas pour objet de défendre un intérêt public du pays, mais uniquement d’organiser des intérêts catégoriels). § Pour l’arrêt d’appel : à titre surabondant, à supposer même que la règle de conflit aboutisse à la désignation d'une loi étrangère, à partir du moment où l'action du ministre est portée devant une juridiction française, les lois de police s'appliquent, selon l'art.16 du règlement Rome II qui dispose : « Les dispositions du présent règlement ne portent pas atteinte à l'application des dispositions de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable à l'obligation non contractuelle ». Les lois de police sont définies à l'article 9 § 1 du règlement Rome I (sur les obligations contractuelles) comme des « disposition(s) impérative(s) dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociales ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement ». Tel est le cas des anciens art. L. 442-6-I-2° [L. 442-1-I-2°] et L. 442-6-II, d) C. com. qui prévoient des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d'une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et s'avèrent donc indispensable pour l'organisation économique et sociale. CA Paris (pôle 5 ch. 4), 21 juin 2017 : précité (le régime spécifique commun à ces délits civils prévu au III, caractérisé par l'intervention du ministre de l'économie pour la défense de l'ordre public, et les instruments juridiques dont celui-ci dispose, notamment demander le prononcé de sanctions civiles, illustrent l'importance que les pouvoirs publics accordent à ces dispositions).

Ayant relevé que les hôtels signataires des contrats litigieux et victimes des pratiques alléguées étaient situés sur le territoire français, la cour d’appel a caractérisé un lien de rattachement de l’action du ministre au regard de l’objectif de préservation de l’organisation économique poursuivi par les lois de police en cause. Cass. com., 8 juillet 2020 : préc. ; Cerclab n° 8520 (point n° 12), rejetant le pourvoi contre CA Paris (pôle 5 ch. 4), 21 juin 2017 : préc. ; Cerclab n° 6938.

B. ACTION D’UN CONTRACTANT

Validité de principe des clauses. Les clauses de choix de loi sont licites en principe à partir du moment où elles concernent un véritable contrat international, c’est-à-dire un contrat comportant un élément d’extranéité. CEPC (avis), 16 septembre 2013 : avis n° 13-10 ; Cerclab n° 6586 (contrats conclus entre deshôteliers et des centrales de réservation en ligne) - CEPC (avis), 10 mars 2010 : avis n° 10-06 ; Cepc 10100303 ; Cerclab n° 4284.

Sur les limites à la validité de ces clauses, V. Cerclab n° 6226.

Désignation de la loi applicable : ancien art. L. 442-6-I-2° C. com. [L. 442-1-I-2°] * Avis du 16 septembre 2013. Selon la CEPC, la combinaison d’une clause de désignation d’une loi étrangère et d’une clause donnant compétence à une juridiction étrangère peut permettre, le cas échéant et sous certaines conditions, d’évincer l’application du droit des pratiques restrictives de concurrence dans le cas où ces dispositions sont invoquées par un contractant. CEPC (avis), 16 septembre 2013 : avis n° 13-10 ; Cerclab n° 6586 (contrats conclus entre des hôteliers et des centrales de réservation en ligne). Pour arriver à cette position globale, la CEPC a été conduite à examiner toutes les hypothèses envisageables compte tenu du droit en vigueur à la date de l’avis.

1/ Si l’action est considérée comme étant de nature contractuelle, le règlement « Rome I » n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles admet, en son article 3, la liberté des parties de choisir la loi applicable à leur contrat.

Cette liberté peut être réduite si le droit français de la concurrence s’impose, à titre de loi de police. Selon la CEPC, si la qualification de loi de police n’est pas discutée pour les pratiques anticoncurrentielles, elle est plus dicutée pour le droit français des pratiques restrictives de concurrence. Pour elle, cependant la qualification de loi de police est justifiée dès lors que ces dispositions visent à assurer un meilleur équilibre des relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs et par là-même, une meilleure égalité des conditions de concurrence sur le marché et où, en outre, une « action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence » a été reconnue pour leur mise en oeuvre au ministre de l’économie par [l’ancien] art. L. 442-6 III du Code de commerce [L. 442-4-I]. Par ailleurs, toujours au regard de l’objectif d’assurer une meilleure égalité des conditions de concurrence sur le marché français, ces dispositions sont applicables, à partir d’un rattachement territorial, dès lors que les produits ou services contractuels sont destinés au marché français ou ont vocation à être distribués en France. CEPC (avis), 16 septembre 2013 : précité

Néanmoins, l’impact réel de la qualification de loi de police doit s’inscrire dans le cadre de l’art. 9 du règlement Rome I qui impose une distinction : si le règlement ne peut porter atteinte à l’application des lois de police du juge saisi, ce dernier a la faculté, non l’obligation, de respecter « les lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées dans la mesure où lesdites lois de police rendent l’exécution du contrat illégale ». CEPC (avis), 16 septembre 2013 : précité. § Il en résulte que la désignation d’une juridiction étrangère rend incertaine l’application effective du droit des pratiques restrictives de concurrence (cf. la conclusion finale précitée).

2/ Si l’action est considérée comme étant de nature extra-contractuelle, l’applicabilité du droit français de la concurrence dépend du règlement « Rome II » n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations extra-contractuelles.

- Selon la CEPC, au regard des travaux préparatoires du règlement comme de la finalité du droit des pratiques restrictives de concurrence, ces actions devraient relever de l’art. 6 § 1, qui désigne la loi du « pays où les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l’être ». Pour le cas soumis à l’avis, concernant des contrats conclus entre des hôteliers et des centrales de réservation en ligne et dans la mesure où les prestations d’hébergement sont exécutées en France, cet État est bien le lieu où les intérêts des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l’être, de sorte que le droit français des pratiques restrictives est applicable. CEPC (avis), 16 septembre 2013 : précité. § Selon l’art. 6 § 4, il ne peut être dérogé à ce choix, ce qui exclut l’application des clauses contractuelles désignant une loi spécifique. § Enfin, l’avis rappelle la nécessité de prendre en compte les dispositions de l’article 17 du règlement.

- Même si elle la juge plus improbable, la CEPC examine aussi la situation au cas où le droit des pratiques restrictives de concurrence serait analysé comme concernant des actes « affect(ant) exclusivement les intérêts d’un concurrent déterminé ». Dans ce cas, la loi applicable relève, conformément au renvoi effectué par l’article 6 § 2, de la règle de conflit générale énoncée par l’article 4 § 1, ce qui revient à accorder une compétence de principe à la loi du lieu où le dommage survient. § Par exception, l’application de la loi du lieu du dommage peut être écartée si le fait dommageable présente un lien manifestement plus étroit avec un autre État, lien qui « pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question ». § La CEPC considère que dans cette analyse, les dispositions du droit français des pratiques restrictives de concurrence seraient évincées au profit de la loi étrangère choisie par les parties au contrat, à la condition toutefois que ce choix résulte d’« un accord librement négocié », ainsi que l’exige l’article 14 § 1 b, les règles de l’art. 16 sur le respect de la loi du for n’étant d’aucun secours (cf. ci-dessus).

* Avis du 17 avril 2015. Dans le cadre d’une question relative à la primauté des conditions générales d’achat sur les conditions générales de vente dans des contrats de distribution internationale, la CEPC a présenté son argumentation de façon différente. CEPC (avis), 17 avril 2015 : avis n° 15-08 ; Cerclab n° 6591.

1/ Si l’action est considérée comme étant de nature contractuelle, le règlement Rome I est applicable. La loi française est applicable si les parties l’ont choisie (art. 3) ou si le distributeur est établi en France (art. 4 § 1 f).

Si c’est une loi étrangère qui est applicable, la question se pose de savoir si les dispositions de [l’ancien] art. L. 442-6 C. com. [L. 442-1] constituent une loi de police. L’avis estime la question très débattue et non encore tranchée, examine les deux solutions, et considère que cette qualification pourrait être retenue si le plafonnement des délais de paiement et l’interdiction du déséquilibre significatif ont pour fonction d’assurer un meilleur équilibre des relations commerciales et une meilleure égalité des conditions de concurrence entre les fournisseurs, dès lors qu’il ne s’agit plus dans ce cas des seuls intérêts privés mais des intérêts collectifs de la profession et du marché.

Si la qualification de loi de police est retenue, l’avis examine ensuite son champ d’application, selon que le rattachement est personnel (établissement en France du créancier de l’obligation, en principe le fournisseur) ou territorial (destination des produits ou services contractuels au marché français ou sur leur vocation à être distribués en France). L’avis estime que le droit positif est plutôt en faveur de la seconde solution : dans ce cas, les dispositions de la loi LME s’appliqueraient dès lors que les produits ou services contractuels seraient vendus en France pour y être distribués.

2/ Si l’action est considérée comme étant de nature extra-contractuelle, le règlement Rome II est applicable.

La loi française peut être applicable au titre de l’art. 6 § 1, qui désigne la loi du « pays où les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l’être ». Selon l’avis, si le client est établi en France, on peut penser que c’est en France que les relations de concurrence entre les fournisseurs se nouent ; si les produits sont revendus en France, la France est également le lieu où les intérêts des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l’être. En revanche, si l’art. 6 § 2, concernant les actes de concurrence déloyale affectant « exclusivement les intérêts d’un concurrent déterminé », est applicable, on revient à la règle de conflit générale énoncée par l’article 4, dont le § 1 confère une compétence de principe à la loi du lieu où le préjudice est directement subi (par opposition, notamment, au lieu où sont subies ses conséquences financières).

Enfin, si la règle de conflit a désigné une loi étrangère, la loi française du distributeur peut néanmoins être prise en compte voire s’appliquer dans deux hypothèses : l’art. 17 (selon l’avis, dans les relations commerciales, il est permis de penser que ce texte permet de prendre en compte les règles de comportement imposées au distributeur établi en France par la loi LME pour en évaluer le caractère fautif, quand bien même ses conséquences civiles relèveraient d’une autre loi) et lorsque c’est le juge français qui est saisi de l’action, l’art. 16 lui permettant de faire respecter les lois de police française.

Loi de police (non). L’art. 9.2 du règlement (CE) n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) énonce que « les dispositions [du règlement] ne pourront porter atteinte à l'application des lois de police du juge saisi » ; « une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un État membre pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement » ; en droit, il ne s'évince pas des termes généraux de l'art. 1171 C. civ., la vocation de ce texte à protéger spécialement les intérêts publics de l'Etat sur un champ d'application déterminé, de sorte que cette disposition ne peut être qualifiée de loi de police au sens de l'article 9.1 du règlement (CE) n°593/2008 du 17 juin 2008 et il en est de même des termes généraux de l'anc. art. L. 442-6-I-2° C. com. qui ne peut être qualifié de loi de police, sauf lorsque, en vertu des prérogatives que l'art. L. 442-4 du C. com. leur réserve, le ministère public, le ministre chargé de l'économie ou le président de l'Autorité de la concurrence caractérisent une pratique commerciale restrictive déterminée susceptible de porter atteinte à l'ordre public économique de l'État qu'il leur appartient de défendre. CA Paris (pôle 5 ch. 11), 20 janvier 2023 : RG n° 22/13154 ; Cerclab n° 10061 (action en responsabilité de la titulaire d’un compte Instagram en raison de détournement de contenus et de rupture de son compte ; points n° 21 à 26), confirmant TJ Paris (JME), 7 juillet 2022 : Dnd.

Désignation de la loi applicable : art. L. 442-1-I-2° C. com. - ancien art. L. 442-6-I-2° C. com. V. par exemple : application admise par les deux parties de la loi française quant à l'action en responsabilité délictuelle diligentée par l’agence française contre la compagnie aérienne chinoise. CA Paris (pôle 5 ch. 5), 13 février 2020 : RG n° 16/15098 ; Cerclab n° 8355 (contrat de commercialisation des voyages aériens d’une compagnie chinoise par une agence française de compagnie ; N.B. l’arrêt refuse par ailleurs de considérer que le statut d’agent commercial des art. L. 134-1 s. C. com. est une loi de police et application de la loi de Hong-Kong), sur appel de T. com. Lyon, 22 janvier 2015 : RG n° 2012J1217 ; Dnd

Désignation de la loi applicable : ancien art. L. 442-6-I-5° C. com. [L. 442-1-II]. Rappr. à propos de la sanction des ruptures unilatérales brutales (ancien art. L. 442-6-I-5° C. com.) : le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement une relation commerciale établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur et la loi applicable à cette responsabilité est celle de l'État du lieu où le fait dommageable s'est produit. Cass. com., 21 octobre 2008 : pourvoi n° 07-12336 ; Lettre distrib. 2008/12 ; Contr. conc. consom. 2009/1, comm. 8, p. 18, note N. Mathey.

V. pour les juges du fond : l'ancien art. L. 442-6-I-5° [L. 442-1-II] s'impose à une société française, que son partenaire soit lui-même français ou étranger, lorsque son application est recherchée devant une juridiction française à propos d'un litige ayant pour objet la rupture de relations commerciales établies résultant pour l'essentiel de l'exécution d'un contrat de distribution que les parties ont entendu soumettre au droit français et se trouvant par-là aussi rattaché à l'ordre juridique français. CA Douai (2e ch. sect. 1), 28 janvier 2010 : RG n° 08/04397 ; arrêt n° 48/10 ; Cerclab n° 3627, sur appel de T. com. Roubaix-Tourcoing, 12 mars 2008 : RG n° 00/02609 ; Dnd, pourvoi rejeté par Cass. com., 6 septembre 2011 : pourvoi n° 10-11975 ; Cerclab n° 3297. § La rupture brutale d'une relation commerciale établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur ; la loi applicable à cette responsabilité est celle de l'État du lieu où le fait dommageable s'est produit ; ce lieu s'entend aussi bien du lieu du fait générateur du dommage que de celui du lieu de réalisation de ce dernier. CA Paris (pôle 5 ch. 5), 2 juillet 2015 : RG n° 14/06503 ; Cerclab n° 5268 (fabricant espagnol de machines d'étiquetage industriel vendues à un distributeur toulousain), sur appel de T. com. Bordeaux (7e ch.), 21 février 2014 : RG n° 2012F1382 ; Dnd. § En cas de délit complexe, il y a lieu de rechercher le pays présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable ; en l’espèce, le fait dommageable consiste en la rupture de la relation existante concernant la vente de machines ; dès lors que ces ventes intervenaient dans le cadre d'un accord d'exclusivité de distribution au bénéfice sur le territoire français, que les commandes étaient émises en France, que les machines étaient livrées et installées en France et qu’elles faisaient l'objet d'un service après-vente assuré en France par le fabricant, il s'en déduit que c'est avec la France que la relation contractuelle présentait les liens les plus étroits. CA Paris (pôle 5 ch. 5), 2 juillet 2015 : RG n° 14/06503 ; Cerclab n° 5268 (application de la loi française).

V. dans le même sens, mais par une application discutable de la Convention de Rome, concernant les actions contractuelles : CA Paris (pôle 5 ch. 5), 14 février 2013 : RG n° 11/03588 ; Cerclab n° 4244 (à l'occasion d'un contrat de distribution, la prestation caractéristique du contrat étant la distribution du produit, c’est la loi du distributeur français de produits laitiers qui doit s’appliquer ; N.B. la décision est également contestable puisque la Cour raisonne au préalable sur l’art. 4 de la convention, avant de constater que les conditions générales du distributeur mentionnaient la loi française), sur appel de T. com. Créteil, 18 janvier 2011 : RG n° 2009F00710 ; Dnd.

Désignation de la loi applicable : ventes internationales de marchandises. Pour un exposé des règles applicables, V. CEPC (avis), 17 avril 2015 : avis n° 15-08 ; Cerclab n° 6591 (application de la Convention de Vienne, pour les relations des parties, à l’exclusion des rapports avec les tiers ; pour la validité du contrat ou de ses clauses, il faut appliquer la lex contractus, qui relève de la convention de la Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable à la vente internationale d’objets mobiliers corporels dont le règlement « Rome I » préserve l’application dans les Etats membres qui l’ont ratifiée et qui, à défaut de choix, décigne la loi du pays de résidence habituelle du vendeur, sauf motif d’ordre public).

C. AUTRES TEXTES

Délais de paiement. Rappr. pour l’application des sanctions administratives en cas de retard de paiement (loi n° 2014-628 du 18 juin 2014) : selon la CEPC, on peut penser, en l’état du droit positif, que les sanctions administratives qui viennent assortir le dépassement des délais impératifs de paiement pourront être mises en œuvre dans les rapports entre un vendeur français et un acheteur étranger malgré la soumission du contrat à la loi interne d’un Etat étranger, notamment lorsque l’ensemble de la relation commerciale se déroule en France. CEPC (avis), 10 février 2016 : avis n° 16-1 ; Cerclab n° 6593. § En revanche, en présence d’une clause attributive de juridiction désignant une juridiction étrangère et d’une clause d’electio juris désignant une loi étrangère, le juge étranger saisi d’une action de nature civile garde les mains très libres pour refuser de tirer les conséquences civiles de la violation du droit français. Il ne pourrait en aller différemment que si - en dépit de l’établissement à l’étranger de l’acheteur - l’ensemble de la relation commerciale se déroulait en France. ». Même avis.

Pour arriver à cette conclusion, la CEPC s’est interrogée sur la nature de ces sanctions, en envisageant toutes les hypothèses.

1/ Pour commencer, la CEPC expose que, si ces sanctions sont considérées comme de nature administrative, leur applicabilité échapperait aux règles européennes de conflits de lois et devrait être tranchée comme pour les sanctions pénales. L’avis précise toutefois que les sanctions administratives n’ont vocation à s’appliquer que si l’obligation litigieuse est soumise au droit français, ce qui dépend du point de savoir si l’obligation est de nature contractuelle ou délictuelle. La qualification contractuelle ou extra-contractuelle dépend de l’objet de l’action (avis citant T. com. Paris 7 mai 2015, Expedia, RG n° 2015000040, relevant que l’ancien art. L. 442-6 du commerce [L. 442-1] entend réprimer aussi bien des comportements délictuels de marché que des clauses contraires à l’ordre public, ce qui relève de la matière extra-contractuelle dans le premier cas, de la matière contractuelle dans le second). L’avis relève que la nature extra-contractuelle a été affirmée à plusieurs reprises pour l’ancien art. L. 442-6-I-5° C. com. [L. 442-1-II], mais précise que pour la mise en œuvre des règlements relatifs aux conflits de lois, il convient toutefois de privilégier une interprétation autonome, non dépendante de conceptions nationales, fondée sur le système et les objectifs des règlements et en vertu desquels la qualification contractuelle pourrait l’emporter (CJCE, 8 mars 1988, Arcado, aff. 9/87, à propos de la rupture d’un contrat d’agence commerciale ; V. également CJUE, 13 mars 2014, Brogsitter, aff. C-548/12), puisque, s’agissant des délais de paiement, le fait d’imposer de façon illicite des délais dépassant le plafond légal a vocation à être accepté dans le contrat.

2/ Si l’obligation est de nature contractuelle, c’est le règlement Rome « I » (règlement n° 593/2008 Conseil du 17 juin 2008) qui s’applique à la détermination du droit applicable, sauf pour les ventes qui relèvent encore en France de la convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d’objets mobiliers corporels. Dans les deux cas, les parties peuvent valablement déterminer la loi applicable au contrat. Il ne pourrait en aller différemment, en vertu de l’article 3 § 3 du règlement « Rome I », que si l’ensemble de la relation commerciale se déroulait matériellement en France (DGCCRF Avis n° 09-06 ; Rapport annuel CEPC 2009-2010, p. 57).

L’avis ajoute cependant que l’ancien art. L. 441-6 C. com. pourrait toutefois s’imposer à titre de loi de police. Selon la CEPC, cette qualification est discutée pour les pratiques restrictives de concurrence et, sous l’empire du règlement « Rome I », cette qualification est désormais soumise à la vérification de « l’intérêt public » promu par la loi de police, ce qui devrait pouvoir se déduire chaque fois que des sanctions punitives (amende) sont encourues. Dans les rapports entre Etats membres de l’Union européenne, l’avis estime que cette analyse est compatible avec la directive n° 2000/35/CE du 29 juin 2000 concernant la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales (refondue par la directive 2011/7/UE du 16 février 2011) qui est d’harmonisation minimale.

Enfin, la CEPC estime, qu’à supposer que le plafonnement des délais de paiement puisse s’analyser comme une loi de police applicable dans les rapports entre un vendeur français et un acheteur étranger, deux circonstances sont toutefois de nature à en compromettre l’application en présence d’un contrat soumis à la loi et aux juridictions du pays (membre de l’UE) de l’acheteur : d’une part, la convention de Vienne du 11 avril 1980 ; d’autre part, la directive 2011/7/UE (vérification de la finalité de l’accroissement de protection).

3/ Si l’obligation est de nature extra-contractuelle, il convient de se référer au règlement « Rome II » (règlements 864/2007 du 11 juillet 2007). Selon la CEPC, l’art. 6 § 1, interprété strictement, ne permet guère d’appliquer la loi française aux délais de paiement pratiqués par l’acheteur étranger de produits ou services destinés au marché étranger. La solution contraire pourrait être admise dans une interprétation large prenant en compte les répercussions sur l’amont de la filière. Dans tous les autres cas (article 6 § 2 renvoyant à l’article 4), le choix par les parties d’une loi étrangère (article 14 du règlement) devrait produire tous ses effets, sauf dans l’hypothèse où l’ensemble de la relation commerciale se déroule en France (article 14 § 2) et sous réserve de l’intervention des lois de police du for (article 16).

Textes sanctionnés pénalement. Selon la CEPC, lorsque l’inobservation des dispositions est sanctionnée pénalement, il convient d’appliquer l’art. 113-2 C. pén. aux termes duquel « La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République », ce qui rend indifférente la nationalité de l’auteur de l’infraction. Dans les relations entre un fournisseur établi à l’étranger et un client français, l’avis en déduit que les dispositions de la loi LME dont l’inobservation est sanctionnée pénalement s’appliquent lorsque l’acte matériel de l’infraction réside dans l’achat et que l’acheteur est établi en France. CEPC (avis), 17 avril 2015 : avis n° 15-08 ; Cerclab n° 6591 (selon l’avis, même lorsque les éléments constitutifs de l’infraction sont localisés à l’étranger, les faits peuvent tomber sous le coup de la loi pénale française si leurs effets se produisent en France, situation illustrée par la formalisation du contrat de distribution par l’ancien art. L. 441-7 C. com. pour lequel la DGCCRF a posé que « tout contrat qui a un effet sur la revente de produits ou la fourniture de services en France entre dans les dispositions de l’article »).