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CA PARIS (pôle 5 ch. 10), 7 novembre 2016

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 10), 7 novembre 2016
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 10
Demande : 15/10249
Date : 7/11/2016
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 27/05/2015
Référence bibliographique : Juris-Data n° 2016-027891
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CERCLAB - DOCUMENT N° 6494

CA PARIS (pôle 5 ch. 10), 7 novembre 2016 : RG n° 15/10249

Publication : Jurica

 

Extrait : « Or, ainsi que le soutient la société Agco, l'abandon réciproque de l'exclusivité conformément aux dispositions contractuelles ayant lié les parties constitue l'aménagement contractuel de l'exécution du préavis en cas de rupture du contrat et n'a pas pour effet de déroger aux dispositions impératives de l'article 442-6-I-5° du code de commerce et n'est donc pas assimilable à une rupture brutale des relations commerciales. Cette clause acceptée par les parties lors de la signature du contrat de concession ne crée pas un déséquilibre significatif entre les parties dès lors que chacune d'elle en a tiré bénéfice.

En outre, la société N. ne justifie pas avoir perdu 72 % des avantages tarifaires dont elle bénéficiait et est mal fondée à reprocher à la société Agco la perte d'une remise de 1,5 % accordée aux distributeurs exclusifs alors qu'elle avait signé un accord de distribution avec la société Kubota et n'était donc plus concessionnaire exclusif.

Il convient de souligner qu'en l'espèce, la suppression de l'exclusivité a facilité la reconversion de la société N. qui indique avoir conclu le 10 mars 2014 un contrat de distribution avec la société Kubota, fabricant de matériel agricole sans produire ledit contrat ni justifier de la diminution de marge alléguée et de la réorganisation totale de son modèle économique à laquelle elle prétend avoir dû faire face ni de la désorganisation de sa force de vente, l'absence de retour à une situation équivalente n'établissant pas en elle-même une absence de reconversion. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 10

ARRÊT DU 7 NOVEMBRE 2016

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 15/10249 (5 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 mars 2015 - Tribunal de Commerce de MARSEILLE - RG n° 2014F01231.

 

APPELANTE :

SARL N. ET FILS.

ayant son siège social [adresse], N° SIRET : N° XX, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Anne G.-B. de la SCP G. B., avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111, Représenté par Maître Stéphane D. avocat au barreau de MONTPELLIER

 

INTIMÉE :

SAS AGCO DISTRIBUTION

ayant son siège social [adresse], N° SIRET : XX, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Frédérique E., avocat au barreau de PARIS, toque : K0065, Représentée par Maître Jean L., avocat au barreau de PARIS, toque : R004

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 septembre 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère, et Mme Christine SIMON-ROSSENTHAL, Conseillère chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur Edouard LOOS, Président, Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère, Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Conseillère, rédacteur, qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de procédure civile,

Greffier, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN

ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Monsieur Edouard LOOS, Président et par Mme Cyrielle BURBAN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS ET PROCÉDURE :

La SARL N. a été concessionnaire de la marque Fendt commercialisée par la société Agco Distribution SAS (ci-après dénommée Agco) pour l'Aveyron. Le 1er janvier 2007, les parties ont conclu un contrat de concession agricole pour la marque Fendt pour une durée indéterminée complété par un accord du 25 juin 2010.

Le 2 juillet 2013, Agco a adressé une lettre de résiliation à N. devant prendre effet au 6 juillet 2015 au terme d'un préavis de deux ans rappelant qu'aux termes de l'article 10 du contrat, les parties n'étaient plus tenues de leur obligation d'exclusivité de marque 6 mois après la notification de la résiliation.

Par courrier du 10 septembre 2013, le conseil de N. a invoqué auprès d'Agco l'insuffisance du préavis proposé notamment en raison de la possible perte du bénéfice de l'exclusivité territoriale et invité cette dernière à renoncer purement et simplement à sa décision de résiliation ou à respecter un véritable préavis d'une durée suffisante, emportant maintien de l'exclusivité.

Le 17 janvier 2014, Agco a informé N. qu'à compter du 7 janvier 2014, la société Altima, représenterait également la marque Fendt. La société N. a, par contrat du 10 mars 2014, accepté la commercialisation des produits de la marque Kubota.

Par exploit en date du 20 février 2014, la SARL N. et Fils a assigné la société Agco distribution SAS devant le tribunal de commerce de Marseille aux fins de voir constater l'existence entre les parties d'un contrat à durée déterminée, d'une relation commerciale établie depuis 47 ans et le caractère fautif, brutal et abusif de la rupture par Agco de ce contrat à durée déterminée et de cette relation commerciale établie et, en conséquence, de paiement de la somme de 2.250.429 euros en réparation des préjudices subis et de celle de 7.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 24 mars 2015, le tribunal a constaté le maintien de l'existence entre les parties d'un contrat à durée indéterminée, jugé que le préavis de 24 mois était raisonnable et suffisant compte tenu de l'ancienneté de la relation et que la rupture n'avait été ni brutale ni partielle. Il a, en conséquence, débouté la société N. et Fils de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Agco Distribution une indemnité de procédure de 3.000 euros.

La société N. a relevé appel de ce jugement le 27 mai 2015.

 

Par conclusions notifiées le 10 novembre 2015, elle demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1147 du code civil, 442-6 du code de commerce et 699 et 700 du code de procédure civile de constater l'existence entre les parties d'une relation commerciale établie pendant 49 ans qui n'a pas été maintenue à ses conditions antérieures durant le préavis ; qu'aucune circonstance particulière ne justifiait une telle modification de ladite relation commerciale établie durant le préavis et le caractère brutal de la rupture par Agco de cette relation commerciale établie et qu'il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Elle prie la cour de débouter l'intimée de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 1.793.814 euros en réparation des préjudices subis et celle de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel et de première instance, dont distraction au profit de la SCP G. B..

 

Par conclusions notifiées le 30 août 2016, la société Agco Distribution SAS demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Elle prie la cour de constater qu'elle a fait bénéficier la société N. d'un préavis de 24 mois à la suite de la rupture de la relation commerciale entre les parties et que ce préavis est raisonnable et suffisant et, en conséquence, de débouter la société N. de l'ensemble de ses demandes de dommages et intérêts à ce titre ; de juger qu'il n'y a pas eu de rupture partielle de la relation commerciale et, en conséquence, de débouter la société N. de l'ensemble de ses demandes de dommages et intérêts relatifs à une prétendue absence de « préavis utile »

A titre subsidiaire, elle prie la cour de constater que le préjudice dont se prévaut la société N. n'a « aucun sens » et de nommer tel expert-comptable qu'il plaira à la cour avec une mission classique afin de déterminer contradictoirement le préjudice de la société N. résultant d'une éventualité d'une rupture brutale ou partielle de la relation commerciale entre les parties.

Elle sollicite la condamnation de la société N. à lui payer une indemnité de procédure de 10.000 euros ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de Maître E.

La clôture de l'instruction est intervenue par ordonnance du 12 septembre 2016.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE,

Le tribunal a débouté la société N. de sa demande d'indemnisation en estimant que le préavis était raisonnable et suffisant compte tenu de l'ancienneté de la relation ayant existé entre les parties afin de faciliter la reconversion de la société N. de sorte que la rupture n'avait été ni brutale ni partielle.

 

Sur la durée des relations commerciales entre les parties :

Si la notion de relation commerciale établie doit être appréciée comme étant économique ce qui permet de la retenir nonobstant la conclusion entre les parties de plusieurs conventions successives, elle suppose que les parties qui l'invoquent soient identiques entre elles ou qu'une transmission des droits encadrant cette relation commerciale entre deux parties s'étant succédées soit justifiée.

En l'espèce, la société N. justifie par les attestations, des factures et un document de formation de la société Fendt à laquelle a assisté M. N. que ce dernier vendait des engins agricoles de la marque Fendt depuis 1966. Cependant, si les pièces produites aux débats par les parties et notamment le contrat de concession établissent le début des relations entre les parties au 1er janvier 2007, l'attestation du comptable de la société N. qui est invoquée par la société Agco elle-même indique que la société N. a débuté la distribution de la marque Fendt à compter du 1er octobre 1988.

C'est donc cette date qui sera retenue par la cour de sorte qu'au jour de la rupture des relations commerciales, les relations commerciales étaient établies entre les parties depuis 24 ans et 9 mois.

Le 2 juillet 2013, Agco a adressé une lettre de résiliation à N. devant prendre effet au 6 juillet 2015 au terme d'un préavis de deux ans. La durée de préavis de deux ans dont la durée n'est pas contestée par la société N. est donc suffisante.

 

Sur la rupture des relations commerciales :

La société N. soutient que la résiliation dont Agco a pris l'initiative est brutale au motif qu'elle a été privée de 18 derniers mois du préavis puisque la relation commerciale n'a pas été maintenue aux conditions antérieures en raison de la suppression de l'exclusivité territoriale et de la considérable réduction des avantages tarifaires à hauteur de 72 %, ce qui a entraîné une modification substantielle du contrat et qui ne lui a pas laissé le temps suffisant de correctement et véritablement organiser sa reconversion, ayant dû accepter la commercialisation de produits d'une marque qui ne constitue pas une véritable reconversion et alors qu'il n'existait aucune faute du concessionnaire ni aucune difficulté économique grave que pouvait rencontrer le concédant et cela, en contravention avec les exigences de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce.

Elle fait valoir qu'elle a connu une importante baisse de son activité et soutient que la quasi-concomitance entre la résiliation de N. et l'investiture du nouveau concessionnaire a entraîné un départ massif de ses salariés qui étaient dédiés à Fendt vers le nouveau concessionnaire alors qu'elle a consacré entre 15 à 20.000 euros à la formation de ces derniers.

Elle soutient que la suppression de l'exclusivité constitue un déséquilibre significatif au motif qu'elle ne pouvait pas refuser une telle modification contractuelle en cours de préavis dont seule Agco a en réalité profité.

La finalité du préavis est d'accorder le temps nécessaire au partenaire évincé pour préparer le redéploiement de son activité, organiser sa reconversion, trouver un autre partenaire ou fournisseur équivalent ou une solution de remplacement.

Aux termes de son courrier de résiliation du 2 juillet 2013, la société Agco a rappelé à la société N. qu'aux termes de l'article 10 du contrat, les parties n'étaient plus tenues de leur obligation d'exclusivité 6 mois après la notification de la résiliation ; elle a agréé un nouveau concessionnaire La société N. a conclu un nouveau contrat de distribution avec la société Kubota.

 

L'article 10 du contrat de concession dispose qu'à l'expiration des dix premiers mois de préavis et en dérogation aux dispositions de l'article 2 du contrat, le concessionnaire et le concédant ne seront plus tenus à leur obligation d'exclusivité. Le concessionnaire ayant le droit de vendre du matériel agricole d'autres marques et le concédant ayant le droit d'implanter d'autres concessionnaires ou distributeurs sur le territoire jusqu'alors concédé.

La société N. invoque la rupture brutale des relations économiques en raison de la perte à son profit du bénéfice de l'exclusivité territoriale et de la suppression des conditions tarifaires ; l'octroi d'un préavis supposant le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures.

Or, ainsi que le soutient la société Agco, l'abandon réciproque de l'exclusivité conformément aux dispositions contractuelles ayant lié les parties constitue l'aménagement contractuel de l'exécution du préavis en cas de rupture du contrat et n'a pas pour effet de déroger aux dispositions impératives de l'article 442-6-I-5° du code de commerce et n'est donc pas assimilable à une rupture brutale des relations commerciales. Cette clause acceptée par les parties lors de la signature du contrat de concession ne crée pas un déséquilibre significatif entre les parties dès lors que chacune d'elle en a tiré bénéfice.

En outre, la société N. ne justifie pas avoir perdu 72 % des avantages tarifaires dont elle bénéficiait et est mal fondée à reprocher à la société Agco la perte d'une remise de 1,5 % accordée aux distributeurs exclusifs alors qu'elle avait signé un accord de distribution avec la société Kubota et n'était donc plus concessionnaire exclusif.

Il convient de souligner qu'en l'espèce, la suppression de l'exclusivité a facilité la reconversion de la société N. qui indique avoir conclu le 10 mars 2014 un contrat de distribution avec la société Kubota, fabricant de matériel agricole sans produire ledit contrat ni justifier de la diminution de marge alléguée et de la réorganisation totale de son modèle économique à laquelle elle prétend avoir dû faire face ni de la désorganisation de sa force de vente, l'absence de retour à une situation équivalente n'établissant pas en elle-même une absence de reconversion.

Le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu'il a débouté la société N. de sa demande d'indemnisation.

La décision déférée sera également confirmée sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile.

La société N. succombant en son appel sera condamnée aux dépens de la présente procédure et déboutée de sa demande d'indemnité de procédure. Elle sera condamnée, sur ce même fondement, à payer à la société Agco la somme de 2.000 euros.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Marseille le 24 mars 2015 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNE La société N. aux dépens d'appel avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

DEBOUTE La société N. de sa demande d'indemnité de procédure ;

CONDAMNE la société N. à payer à la SAS Agco Distribution la somme de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER                   LE PRÉSIDENT

C. BURBAN                                     E. LOOS