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CA PARIS (pôle 4 ch. 1), 2 décembre 2016

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 4 ch. 1), 2 décembre 2016
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 4 ch. 1
Demande : 15/08410
Date : 2/12/2016
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Jurica
Décision antérieure : CASS. CIV. 3e, 29 mars 2018
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 6565

CA PARIS (pôle 4 ch. 1), 2 décembre 2016 : RG n° 15/08410 

Publication : Jurica

 

Extrait : « La vente sera annulée en raison, non seulement de ses modalités singulières de signature, de son prix dérisoire, des clauses abusives et déséquilibrées imposées à une personne en état de faiblesse, de l'absence d'aléa véritable pouvant constituer une contrepartie ou cause valable à la vente en viager du bien litigieux, dans la mesure où la rente majorée de 20 % n'atteint qu'une somme approximative de 600 euros au départ de la crédirentière alors que ledit bien, une fois libéré d'occupation, pourrait être donné en location pour un loyer mensuel de 1.600 euros environ, selon les barèmes en usage dans le 11ème arrondissement de Paris, mais, surtout, en raison de l'altération des facultés mentales de la venderesse au moment de la vente… ».

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 4 CHAMBRE 1

ARRÊT DU 2 DÉCEMBRE 2012

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 15/08410 (11 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 avril 2015 - Tribunal de Grande Instance de PARIS 01 - R.G. n° 13/11905.

 

APPELANTS :

Madame X.

née le [date] à [ville], demeurant [adresse], Représentée par Maître Alain F. de la SCP SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044, Assistée sur l'audience par Maître Pierre-Igor L. de l'AARPI KLEM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E2039

Monsieur X.

né le [date] à [ville], demeurant [adresse], Représenté par Maître Alain F. de la SCP SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044, Assisté sur l'audience par Maître Pierre-Igor L. de l'AARPI KLEM AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E2039

 

INTIMÉS :

Madame Y. épouse Z.

née le [date] à [ville], demeurant [adresse], Représentée et assistée sur l'audience par Maître Roland P., avocat au barreau de PARIS, toque : D0161

Monsieur W.

né le [date] à [ville], demeurant [adresse], Représenté et assistée sur l'audience par Maître Barthélemy L., avocat au barreau de PARIS, toque : E0435

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 octobre 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Dominique DOS REIS, Présidente de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Dominique DOS REIS, Présidente, Madame Christine BARBEROT, Conseillère, Monsieur Fabrice VERT, Conseiller, qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Monsieur Christophe DECAIX

ARRÊT : CONTRADICTOIRE - rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Dominique DOS REIS, Présidente, et par Monsieur Christophe DECAIX, greffier auquel la minute de la décision à été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Suivant acte authentique reçu par M. W., notaire à Paris, le 31 octobre 2001, Mme X., alors âgée de 63 ans, a vendu à Mme Y. épouse Z., un appartement situé [adresse], moyennant un paiement comptant (bouquet) de 25.154,09 euros et une rente annuelle et viagère indexée de 5.488,16 euros, la crédirentière se réservant un droit d'usage et d'habitation jusqu'à sa soixante quinzième année, soit jusqu'au 28 octobre 2013, et devant assumer le paiement des charges de copropriété, y compris celles afférentes aux grosses réparations. Il était convenu qu'au jour de la libération des lieux par Mme X., la rente serait majorée de 20 %.

Suivant acte extra-judiciaire du 25 janvier 2008, Mme X. a assigné Mme Y. en annulation de cette vente puis s'est désistée de cette instance un mois plus tard.

Elle a introduit, selon acte extra-judiciaire du 18 juin 2013, de concert avec son fils M. X., tant contre Mme Y. que contre M. W., une nouvelle instance en annulation, subsidiairement, en résolution de vente, sollicitant, en outre, l'allocation de dommages-intérêts.

L'huissier instrumentaire en charge de la délivrance des assignations a alors signalé à Mme X. que Mme Y. logeait chez le notaire W. ainsi qu'il l'avait constaté lors de la délivrance de l'assignation au domicile de ce dernier, l'interphone du logement où il a rencontré Mme Y. étant au nom de « W. ».

 

Par jugement du 14 avril 2015, le tribunal de grande instance de Paris a :

- dit irrecevable la demande en nullité et de résolution de vente formée par les consorts X. en raison du défaut de publication de l'assignation,

- dit leurs demandes de dommages-intérêts irrecevables comme prescrites à l'encontre de M. W.,

- ordonné l'expulsion de Mme X. des biens vendus,

- rejeté la demande reconventionnelle de Mme Y. tendant à se voir dispensée du paiement de la rente à compter du 28 octobre 2013 jusqu'à la libération complète des lieux,

- accueilli la demande reconventionnelle de Mme Y. tendant à se voir dispensée de la majoration contractuelle de 20 % du montant de la rente viagère depuis le 28 octobre 2013 et jusqu'à libération complète des lieux,

- condamné Mme X. à payer à Mme Y. la somme de 7.037,78 euros au titre des charges de copropriété dues au 17 février 2014, avec intérêts au taux conventionnel sur la somme de 6.737,64 euros à compter de la sommation de payer du 22 novembre 2013 et, pour le surplus, à compter des conclusions de Mme Y. du 30 septembre 2014,

- rejeté la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formée par Mme Y.,

- condamné in solidum les consorts X. à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, les sommes de 3.000 euros à Mme Y. et de 1.000 euros à M. W.,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné in solidum les consorts X. aux dépens.

 

Mme X. et M. X. ont relevé appel de ce jugement dont ils poursuivent l'infirmation, demandant à la Cour, par dernières conclusions signifiées le 13 septembre 2016, de :

- dire recevables leurs demandes à l'encontre de Mme Y. et de M. W.,

- dire que la vente du 30 octobre 2001 est nulle et de nul effet et ordonner les restitutions qui en découlent de part et d'autre,

- condamner Mme Y. à réparer leur entier préjudice,

- condamner Mme Y. à verser à Mme X. les sommes de 10.000 euros en réparation de son préjudice patrimonial et de 60.000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner la même à verser à M. X. la somme de 12.300 euros en réparation du préjudice patrimonial qu'il a subi et celle de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner Mme Y. à leur verser à chacun une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- subsidiairement, au cas où la nullité de la vente ne serait pas prononcée,

- dire que Mme Y. a gravement manqué à ses obligations contractuelles,

- prononcer la résolution de la vente,

- condamner Mme Y. à verser à Mme X. les sommes de 10.000 euros en réparation de son préjudice patrimonial et de 60.000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner la même à verser à M. X. la somme de 12.300 euros en réparation du préjudice patrimonial qu'il a subi et celle de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner Mme Y. à leur verser à chacun une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire que M. W. avait l'interdiction d'instrumenter l'acte de vente, qu'en sa qualité de rédacteur d'acte unique, il a gravement manqué à son obligation de conseil et d'information envers Mme X.,

- le condamner à verser à Mme X. les sommes de 10.000 euros en réparation de son préjudice patrimonial et de 60.000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner le même à verser à M. X. la somme de 12.300 euros en réparation du préjudice patrimonial qu'il a subi et celle de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner Mme Y. à leur verser à chacun une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter M. W. de toutes prétentions contraires,

- subsidiairement, au cas où le vente ne serait pas annulée, condamner M. W. à payer :

- à Mme X., les sommes de 415.000 euros en réparation de son préjudice patrimonial et de 60.000 euros en réparation de son préjudice moral,

- à M. X., les sommes de 12.300 euros en réparation de son préjudice patrimonial et de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner M. W. à payer à chacun d'eux une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens.

 

Mme Y. prie la Cour, par dernières conclusions signifiées le 26 octobre 2016, de :

- dire M. X. irrecevable à agir pour défaut de qualité et d'intérêt né et actuel,

- le débouter de ses demandes, qu'elles soient conjointes avec sa mère ou individuelles,

- à défaut, dire ses demandes irrecevables comme prescrites, à défaut, mal fondées,

- subsidiairement, in limine litis sur les prescriptions, vu les dispositions des articles 414-1, 414-2, 2224, 1674 et 1676 du code civil, 122 du code de procédure civile, dire que l'action en justice et les demandes de Mme Y. sont atteintes et éteintes par l'effet de la prescription quinquennale, soit au 31 octobre 2006, soit au 31 octobre 2003 s'il était fait application de l'article 1676 du code civil,

- à titre infiniment subsidiaire, au fond, vu l'article 1964 du code civil sur les contrats aléatoires, les articles 1968 et suivants du même code sur le contrat de rente viagère, vu les articles 1583 et 1134 du code civil, la loi du 2 janvier 1970, article 6-1 et le décret du 20 juillet 1972, article 72, s'agissant de l'activité d'agent immobilier, dire Mme X. mal fondée en ses demandes, à quelques fins qu'elles tendent, l'en débouter,

- dire bon et valide le contrat de rente viagère conclu entre les parties le 31 octobre 2001,

- débouter Mme X. de sa demande subsidiaire tendant à la résiliation, pour inexécution, du contrat de vente,

- en conséquence, confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a fait droit à ses demandes reconventionnelles et, notamment, dire que le paiement de la majoration de la rente égale à 20 % sera suspendu, avec date d'effet le 28 octobre 2013, jusqu'à la libération complète et effective des lieux par Mme X., et, ajoutant à la condamnation relative aux charges de copropriété, condamner cette dernière à lui payer la somme complémentaire de 18.561,14 euros au titre desdites charges et des impôts locaux, compte arrêté à fin septembre 2016, avec intérêts au taux conventionnel, calculé au taux légal majoré de 3 % sur les sommes respectives de 2.205,10 euros et de 16.355,70 euros à compter de la date respective de signification par le RPVA de ses demandes de paiement,

- rejeter toutes demandes des appelants,

- condamner Mme X. à lui payer une somme de 8.000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive et M. X. une autre somme de 3.000 euros sur le même fondement,

- dire que ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du jugement,

- ajoutant au jugement, condamner in solidum Mme X. et M. X. à lui payer une somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

- vu l'ordonnance du 12 mai 2014 du juge de la mise en état, dire qu'elle continuera à verser la rente mensuelle entre les mains de la Caisse des dépôts et consignations jusqu'à complète libération des lieux par Mme X.,

- dire que la Caisse des dépôts et consignations, séquestre judiciaire, devra se libérer entre ses mains, sur production d'une copie conforme du jugement et du présent arrêt, à concurrence des créances et sommes qui lui reviendront en application de ces décisions, le reliquat, s'il y en a un, revenant à Mme X.

 

M. W. prie la Cour, par dernières conclusions signifiées le 21 septembre 2015, de :

- dire Mme X. et M. X. irrecevables en leurs demandes à défaut de publication de la demande en nullité de vente,

- dire les demandes de Mme X. irrecevables comme prescrites,

- subsidiairement, dire les prétentions de M. X. mal fondées et les rejeter,

- dans tous les cas, condamner in solidum les consorts X. au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE :

LA COUR

Mme X. et M. X. font valoir, au soutien de leur appel, que M. X. a intérêt à agir en sa qualité de fils de Mme X., tenu en cette qualité d'une obligation alimentaire vis-à-vis de sa mère qui se trouverait à la rue si la vente n'était pas annulée, que leurs demandes ne sont prescrites ni à l'égard de la débirentière ni à l'égard du notaire dès lors que la vente est affectée de nullité absolue en considération des circonstances de sa conclusion, notamment, de l'altération des facultés mentales de la venderesse, du défaut de prix sérieux, des liens de concubinage unissant Mme Y. et M. W. qui n'ont été révélés que par la délivrance des assignations les concernant à une seule et même adresse, cette découverte constituant, en tout état de cause, le point de départ de leur action en nullité et dommages-intérêts ;

Mme Y. réplique que la prescription quinquennale écoulée à compter de la signature de l'acte authentique fait obstacle à toute action en nullité d'une vente conclue en 2001, que Mme X. ne rapporte pas la preuve de son insanité d'esprit lors de la signature de cette vente précédée d'un mandat consenti à un agent immobilier et d'une lettre du 30 août 2001 énonçant précisément les modalités de la cession sous rente viagère, que ses rapports avec le notaire M. W. se limitent à des relations d'affaires, que Mme X. s'est désistée d'une présente instance introduite en 2008, ce qui prouve qu'elle était en état d'agir avant 2009 ; elle conteste la minoration de la valeur du bien vendu à l'acte de vente ainsi que l'ampleur des travaux de rénovation réalisés dans cet appartement et estime que la rente viagère a été évaluée à un juste montant eu égard au droit d'usage et d'habitation que la crédirentière s'est réservé pendant douze années ;

M. W. soutient d'abord que les demandes en dommages-intérêts qui sont dirigées contre lui sont prescrites car relevant du délai décennal applicable aux actions extra-contractuelles, ensuite, dénie toute responsabilité de sa part, au motif qu'il n'était pas partie à l'acte qu'il recevait, n'était tenu d'aucune obligation de conseil envers Mme X. et n'avait pas à s'immiscer dans la négociation relative au prix de cession ;

 

Sur la recevabilité des demandes au regard de l'obligation à publication de l'assignation :

Les appelants justifiant avoir publié l'assignation introductive d'instance au service de la publicité foncière (pièce 36 de leur communication), les demandes tendant à l'annulation et, subsidiairement, à la résolution de la vente, sont recevables ;

 

Sur la recevabilité des demandes de M. X. :

Il est constant que M. X. n'est pas partie à l'acte de vente contesté et que l'obligation alimentaire qui lui incombe en sa qualité de descendant ne l'investit d'aucune qualité ou intérêt à agir, soit pour s'associer aux demandes de Mme X., soit pour présenter des demandes en son nom personnel ;

Il sera donc dit irrecevable en ses demandes ;

 

Sur la recevabilité des demandes de nullité de la vente au regard de la prescription extinctive :

Mme X. soutient que la nullité de la vente procédant de l'absence de plusieurs éléments essentiels à sa validité, tels le défaut de prix sérieux, le défaut de consentement valide, la collusion frauduleuse entre le notaire instrumentaire et la débirentière, la nullité encourue est absolue, d'où il suit que le délai d'action était trentenaire avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 juin portant réforme des prescriptions ;

Les intimés répliquent qu'aucun des cas d'ouverture de la nullité absolue n'est caractérisé, que seule la prescription quinquennale peut trouver à s'appliquer, que la vente ayant été reçue le 31 octobre 2011, l'action en nullité et, subsidiairement, en résolution de vente, est prescrite ;

Il apparaît des pièces produites que :

- les conditions de la vente sont gravement défavorables à Mme X. qui a cédé en 2001 son appartement pour un prix identique à son prix d'achat de 950.000 F. en 1998, soit 144.827 euros, ayant acquis des «'réserves'» inhabitables dans lesquelles elle avait fait réaliser d'importants travaux d'aménagement depuis son acquisition selon les justificatifs produits aux débats (devis, factures, annonce immobilière), alors que, selon les prix du marché immobilier à l'époque de la vente, ce bien avait une valeur d'environ 350.000 euros, que surtout, la jouissance qu'elle se réservait de ce bien était limitée à douze années à l'issue desquelles elle libérerait les lieux,

- l'acte ne mentionne ni la valeur réelle du bien objet de la vente ni celle du droit d'usage et d'habitation limité à douze années, ni le montant de la rente réévaluée, et ne permettait pas à la crédirentière, en l'absence de ces éléments essentiels, de comprendre à quoi elle s'engageait réellement,

- contrairement à l'usage en la matière, la crédirentière devait supporter la totalité des charges de copropriété, incluant celles relatives aux grosses réparations (ces charges totalisent à ce jour la somme de 33.179,27 euros), de la sorte que le montant de la rente effectivement perçue, diminuée de ces charges, s'établit à la somme de 293,96 euros par mois,

- le notaire, désigné dans un écrit sous seing privé du 30 août 2001 comme devant recevoir la vente était M. W., lequel s'est révélé être le concubin de Mme Y. avec laquelle il partage un appartement acquis en indivision, [...],

- la vente viagère était dépourvue d'aléa dans la mesure où le montant des arrérages, même réévalués après le départ de Mme X., était largement inférieur au revenu locatif qu'aurait pu produire le bien dont s'agit, ce défaut d'aléa s'assimilant à un défaut de cause,

- Mme X. se trouvait, lorsqu'elle a consenti à la vente, sous l'empire de troubles dépressifs et cognitifs permanents, selon les certificats médicaux produits aux débats, présentait une grave addiction à l'alcool, venait de suivre une première cure de désintoxication en 1993, consommait, de plus, somnifères, psychotropes, ces addictions et troubles qui l'avaient rendue aboulique et influençable, étant attestés par de nombreux certificats médicaux, délivrés notamment par les docteurs U. et Q. qui relatent l'état confusionnel, les pertes de repères, les graves troubles cognitifs, une démence dépressive, un syndrome confusionnel iatrogène du fait d'un traitement médicamenteux complexe et mal supporté, dont souffrait leur patiente entre les années 1993 et 2009, et il apparaît qu'elle n'est revenue à une meilleure santé et n'a retrouvé sa pleine et entière lucidité qu'ensuite d'une cure de désintoxication suivie à la clinique psychiatrique A. de [ville] en 2009,

- la réalité de cet état de faiblesse est encore établie par la lettre manuscrite du 30 août 2001 écrite en présence de M. H., gérant de biens, relation d'affaires du notaire W. qui avait instrumenté certaines de ses acquisitions, lettre par laquelle Mme X. s'engage manuscritement à vendre son bien « aux clients de ce matin » (Mme Y.) et à choisir M. W. comme notaire rédacteur unique de l'acte de vente, lettre émaillée de graves fautes et erreurs de termes révélant l'état de confusion de son auteur, qui, bien que rédactrice aux Éditions B., écrivait « l'occasion » au lieu de « location » et « intaxée » au lieu de « indexée » ;

Bien que les intimés ne reconnaissent être unis que par des liens d'amitié développés à la suite d'une rencontre à Douai, ville dans laquelle Mme Y. exerçait les fonctions de magistrat et où M. W. suivait des études de droit, il n'en est pas moins avéré qu'ils demeurent ensemble dans un appartement acheté en indivision, leurs dénégations sur la teneur de leur relation manquant de toute crédibilité ;

La réunion de ces éléments conduit à considérer que la nullité absolue de l'acte est encourue,

- en première part, en raison des circonstances illicites et immorales de sa conclusion confrontant une personne affaiblie par la maladie et un acquéreur mettant à profit cet état, avec l'aide d'un agent immobilier et de son concubin notaire, pour spolier la première de son bien,

- en deuxième part, en raison de l'absence de prix sérieux pour un appartement de 70 m² dans le 11ème arrondissement parisien qui, acquis en l'état de réserve à aménager trois années auparavant venait d'être complètement aménagé et rénové pour l'habitation,

- en troisième part, en raison de l'abus de faiblesse commis sur une crédirentière affaiblie par une grave dépression,

- en quatrième part, en raison du complet déséquilibre des prestations imposées à la crédirentière, contrainte par le mécanisme des clauses contractuelles à quitter son logement à l'âge de 75 ans, en contrepartie d'une rente trop modeste pour lui permettre de subsister décemment,

- en cinquième part et surtout, en raison de la collusion entre le notaire rédacteur de l'acte, M. W., et Mme Y. épouse Z., sa concubine, élément dissimulé à Mme X. qui a été de la sorte privée du devoir de conseil et de mise en garde qui incombent à un notaire impartial et objectif ;

L'intérêt général, se trouvant atteint par cette concertation frauduleuse, et ces manœuvres condamnables contraires à l'ordre public, à la sécurité contractuelle et à la probité, commande, par conséquent, de retenir l'application de la prescription prévue par la loi en cas de nullité absolue ;

Le délai d'action pour agir en nullité absolue d'une convention, avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 juin 2008 portant réforme du régime des prescriptions, expirait trente années après la signature de la vente, soit le 31 octobre 2031 ; en application de cette loi qui a réduit le délai d'action en nullité à cinq ans à compter de son entrée en vigueur, Mme X. pouvait introduire son action dans le délai de cinq années à compter du 19 juin 2008, soit jusqu'au 19 juin 2013 : de ce fait, l'assignation introductive d'instance ayant été délivrée le 18 juin 2013, cette action est recevable et le jugement sera infirmé en ce qu'il l'a dite irrecevable ;

En tout état de cause, l'action en nullité relative d'une vente pour vice du consentement pouvant être introduite dans le délai de cinq années de la découverte du vice l'entachant, le point de départ de ce délai devrait être fixé à la date à laquelle l'étude d'huissier C., chargée de la délivrance des assignations, a indiqué à Mme X. que Mme Y. et M. W. demeuraient ensemble à la même adresse, soit [adresse], dans un appartement acquis en indivision, ce qui lui a permis de découvrir la connivence existant entre l'agent immobilier, la débirentière et le notaire, ainsi que les manœuvres spoliatrices déployées à son détriment ;

A cet égard, l'engagement d'une première procédure en 2008 est indifférent, car, à cette date, Mme X. n'avait pas connaissance de cette collusion entre la débirentière et le notaire instrumentaire ;

En conséquence, l'action en nullité de vente, non prescrite, sera déclarée recevable ;

 

Sur la recevabilité de l'action en dommages-intérêts engagée contre M. W. :

L'action engagée contre le notaire M. W., reposant sur un fondement extra-contractuel, n'est pas prescrite, car le délai d'action de dix années n'a commencé à courir qu'au mois de juin 2013, soit à compter de la découverte des liens de concubinage et d'affaires liant Mme Y. à M. W., qui sont également associés du Groupement Forestier D. depuis le 26 décembre 2014, ces découvertes révélant le dommage subi ;

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a dit irrecevables les demandes de Mme X. tendant à voir condamner M. W. au paiement de dommages-intérêts ;

 

Sur la nullité de la vente :

La vente sera annulée en raison, non seulement de ses modalités singulières de signature, de son prix dérisoire, des clauses abusives et déséquilibrées imposées à une personne en état de faiblesse, de l'absence d'aléa véritable pouvant constituer une contrepartie ou cause valable à la vente en viager du bien litigieux, dans la mesure où la rente majorée de 20 % n'atteint qu'une somme approximative de 600 euros au départ de la crédirentière alors que ledit bien, une fois libéré d'occupation, pourrait être donné en location pour un loyer mensuel de 1.600 euros environ, selon les barèmes en usage dans le 11ème arrondissement de Paris, mais, surtout, en raison de l'altération des facultés mentales de la venderesse au moment de la vente, clairement établie par l'attestation du docteur Q. en date du 1er décembre 2015, lequel, après avoir précisément décrit les troubles cognitifs de Mme X. qu'il suivait depuis 1993, relate :

« La symptomatologie sus-décrite était présente et constante au mois au cours du second semestre de l'année 2001, témoignant de l'existence d'un trouble cognitif permanent chez Mme X. à la date du 31 octobre 2001 » ;

La réalité de ces troubles n'est pas démentie par l'exercice, dans le même temps, par Mme X. d'activités professionnelles requérant une certaine lucidité d'esprit, eu égard au clivage opéré par les personnes dépressives ou sujettes à des addictions entre leur vie privée et leur vie publique ou professionnelle ;

Ensuite de l'annulation de la vente, les parties devront être remises en tel état que si la vente n'avait pas existé, de sorte que Mme X. devra restituer à Mme Y. les sommes perçues, tant à titre de « bouquet », soit 25.154,09 euros, qu'à titre d'arrérages ou de charges de copropriété avancées pour son compte, soit les sommes de 7.037,38 euros au titre des charges de copropriété dues au 17 février 2014, avec intérêts au taux légal sur la somme de 6.737,64 euros à compter de la sommation de payer du 22 novembre 2013 et, pour le surplus, à compter des conclusions du 30 septembre 2014, et de 18.561,14 euros au titre desdites charges et des impôts locaux, compte arrêté à fin septembre 2016, avec intérêts au taux légal sur les sommes respectives de 2.205,10 euros et de 16.355,70 euros à compter de la date respective de signification des demandes de paiement ;

 

Sur les demandes de dommages-intérêts :

Il n'y a lieu de statuer que sur les demandes formées par Mme X., celles de M. X. ayant été jugées irrecevables ;

Il apparaît que les circonstances de la vente, telles qu'elles viennent retracées, ont causé à Mme X. un préjudice moral grave et important, dès lors qu'elle se trouve depuis plusieurs années menacée d'être expulsée tout en ne percevant qu'une rente dérisoire dont Mme Y. a au surplus obtenu qu'elle fût, en dépit de son caractère alimentaire, consignée à la Caisse des dépôts et consignations, que la tentative d'expulsion engagée par Mme Y. n'a échoué qu'ensuite de l'ordonnance de refus du juge de la mise en état en date du 12 mai 2014, alors que la débirentière avait fait délivrer à Mme X., personne affaiblie âgée de 75 ans, une sommation de libérer les lieux et de payer les charges de copropriété et avait introduit un incident à l'effet de voir ordonner son expulsion ; ces agissements brutaux et prématurés, déployés avant que le litige ait trouvé une issue judiciaire, ont causé à Mme X. une anxiété douloureuse permanente et justifient la condamnation de Mme Y. au paiement de la somme de 40.000 euros de dommages-intérêts ;

Quant au notaire W., il a, par sa complaisance coupable envers les intérêts de sa concubine, instrumenté un acte en complète défaveur de la crédirentière, étant ainsi également à l'origine du préjudice moral causé à cette dernière, menacée dans ses conditions de logement et de subsistance en dépit de son âge et de sa maladie, de sorte qu'il sera tenu in solidum avec Mme Y. du paiement de la somme allouée à Mme X. à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;

Mme X. a encore subi un préjudice patrimonial en raison de l'immobilisation indue de son bien depuis la vente de 2001, qui ne lui a pas permis de faire fructifier le seul actif constituant son patrimoine pendant toutes ces années et, pour les mêmes motifs que ce-dessus, Mme Y. et M. W. dont la concertation frauduleuse est à l'origine de cette perte de chance, seront condamnés in solidum à régler à Mme X. une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

La compensation sera ordonnée entre les dettes et créances réciproques des parties telles qu'elles sont énoncées au présent arrêt ;

Mme Y. et M. W. seront pareillement déboutés de leurs demandes de dommages-intérêts eu égard à la solution apportée au litige ; quant aux sommes consignées à la Caisse des dépôts et consignations, elles seront libérées entre les mains de Mme Y. à concurrence du reliquat des sommes qui lui seraient éventuellement dues après compensation ;

En équité, Mme Y. et M. W. seront condamnés in solidum à régler à Mme X. la somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Ces derniers seront déboutés de leurs demandes sur ce même fondement ;

Le présent arrêt devra être publié au Servie de la Publicité Foncière compétent aux frais de Mme Y. épouse Z.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement dont appel,

Statuant à nouveau,

Dit les demandes recevables au regard des exigences du décret du 4 janvier 1955,

Dit les demandes de M. X. irrecevables pour défaut de qualité et d'intérêt à agir,

Dit les demandes de Mme X. présentées à l'encontre de Mme Y. et de M. W. recevables au regard de la prescription extinctive applicable,

Dit nulle la vente conclue le 31 octobre 2001 entre :

- d'une part, Mme X., née à [ville] le [date], demeurant à [adresse],

- d'autre part, Mme Y. épouse Z., née le [date] à [ville], demeurant [adresse],

et portant sur les lot n° 204 (deux réserves et une pièce), 103 (réserve) et 4 (une cave)de la copropriété de l'immeuble sis [...], cadastré section […],

Ordonne la remise des parties en l'état antérieur à la vente,

En conséquence, dit que Mme X. devra restituer à Mme Y. les sommes perçues tant à titre de « bouquet », soit 25.154,09 euros qu'à titre d'arrérages ou de charges de copropriété et impositions avancées pour son compte, soit les sommes de :

- 7.037,38 euros au titre des charges de copropriété dues au 17 février 2014, avec intérêts au taux légal sur la somme de 6.737,64 euros à compter de la sommation de payer du 22 novembre 2013 et, pour le surplus, à compter des conclusions du 30 septembre 2014,

- 18.561,14 euros au titre des charges arrêtées au 30 septembre 2016 et des impôts locaux, avec intérêts au taux légal sur les sommes respectives de 2.205,10 euros et de 16.355,70 euros à compter de la date respective de signification des demandes de paiement,

Condamne Mme Y. et M. W. in solidum à payer à Mme X. les sommes de 40.000 euros en réparation de son préjudice moral et de 10.000 euros en réparation de son préjudice financier,

Ordonne compensation entre les dettes et créances réciproques des parties telles qu'énoncées au présent arrêt,

Dit que les sommes consignées à la Caisse des dépôts et consignations seront libérées entre les mains de Mme Y. à concurrence du reliquat des sommes qui lui seraient éventuellement dues après compensation,

Ordonne la publication du présent arrêt au Service de la Publicité Foncière compétent, aux frais de Mme Y. épouse Z.,

Condamne in solidum Mme Y. et M. W. à payer à Mme X. la somme de 12.000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel,

Rejette toute autre demande,

Condamne in solidum Mme Y. et M. W. aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier,                           La Présidente,