CJUE (5e ch.), 26 octobre 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 6577
CJUE (5e ch.), 26 octobre 2016 : Affaire C‑568/14 à C‑570/14
Publication : Site Curia
Extrait : « L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas au juge saisi d’une action individuelle d’un consommateur tendant à faire constater le caractère abusif d’une clause d’un contrat le liant à un professionnel d’adopter d’office, aussi longtemps qu’il l’estime utile, des mesures provisoires dans l’attente d’un jugement définitif concernant une action collective en cours dont la solution est susceptible d’être retenue pour l’action individuelle, lorsque de telles mesures sont nécessaires pour garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir sur l’existence des droits invoqués par le consommateur sur le fondement de la directive 93/13. ».
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
CINQUIÈME CHAMBRE
ORDONNANCE DU 26 OCTOBRE 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Dans les affaires jointes C‑568/14 à C‑570/14, ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona (tribunal de commerce n° 3 de Barcelone, Espagne), par décisions, respectivement, des 1er décembre, 27 novembre et 1er décembre 2014, parvenues à la Cour le 9 décembre 2014, dans les procédures
Ismael Fernández Oliva
contre
Caixabank SA (C‑568/14),
Jordi Carné Hidalgo,
Anna Aracil Gracia
contre
Catalunya Banc SA (C-569/14),
et
Nuria Robirosa Carrera,
César Romera Navales
contre
Banco Popular Español SA (C-570/14),
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, M. A. Tizzano (rapporteur), vice-président de la Cour, Mme M. Berger, MM. A. Borg Barthet et F. Biltgen, juges,
Avocat général : M. M. Wathelet,
Greffier : M. A. Calot Escobar,
considérant les observations présentées :
- pour M. Fernández Oliva, par Me F. Bertrán Santamaría, procurador et Me J. Andreu Blake, abogado,
- pour Caixabank SA, par Me R. Feixo Bergada, procurador et Me Ó. Quiroga Sardi, abogado,
- pour Catalunya Banc SA, par Me I. Fernández de Senespleda, abogado,
- pour Banco Popular Español SA, par Mes C. Fernández Vicién, N. Iglesias, I. Moreno-Tapia Rivas, J. Torrecilla, J. Capell et J. Piñeiro, abogados,
- pour le gouvernement espagnol, par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,
- pour la Commission européenne, par MM. J. Baquero Cruz et D. Roussanov, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Ordonnance
1. Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2. Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, dans l’affaire C-568/14, M. Ismael Fernández Oliva à Caixabank SA, dans l’affaire C-569/14, M. Jordi Carné Hidalgo et Mme Anna Aracil Gracia à Catalunya Banc SA et, dans l’affaire C-570/14, Mme Nuria Robirosa Carrera et M. César Romera Navales à Banco Popular Español SA au sujet de la validité de clauses sur le taux d’intérêt rémunératoire figurant dans des contrats de prêt hypothécaire conclus respectivement entre ces parties.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 est libellé comme suit :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
4. L’article 7, paragraphe 1, de cette directive énonce :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le droit espagnol
5. L’article 721 de la Ley 1/2000 de enjuiciamiento civil (code de procédure civile), du 7 janvier (BOE n° 7, du 8 janvier 2000, p. 575), dispose :
« 1. Sous sa responsabilité, toute partie, au principal ou à la demande reconventionnelle, peut demander au tribunal qu’il adopte les mesures conservatoires, conformément aux dispositions du présent titre, qu’il considère nécessaires afin d’assurer l’effectivité de la protection juridictionnelle qui pourrait être octroyée dans une éventuelle décision faisant droit à ses prétentions.
2. Les mesures conservatoires prévues dans le présent titre ne peuvent en aucun cas être accordées d’office par le tribunal, sans préjudice des règles relatives aux procédures spéciales. Le tribunal ne peut pas imposer des mesures conservatoires plus strictes que les mesures demandées. »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
6. Dans l’affaire C-568/14, la demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Fernández Oliva à Caixabank au sujet de la validité d’une clause « plancher » contenue dans un contrat de prêt hypothécaire souscrit entre ces parties le 6 juin 2006.
7. La demande concernant l’affaire C-569/14 trouve son origine dans un litige opposant M. Carné Hidalgo et Mme Aracil Gracia à Catalunya Banc également au sujet de la validité d’une clause « plancher » figurant dans le contrat de subrogation d’un prêt hypothécaire conclu entre ces parties le 21 juin 2005.
8. De même, la demande relative à l’affaire C-570/14 a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant Mme Robirosa Carrera et M. Romera Navales à Banco Popular Español au sujet de la validité d’une clause « plancher » incluse dans un contrat de prêt hypothécaire souscrit entre ces parties le 21 juin 2005.
9. Les requérants au principal ont introduit ces recours individuels en invoquant le caractère abusif, au sens de la directive 93/13, des clauses « plancher » en cause, en ce que celles-ci garantissent aux établissements financiers que, indépendamment de la fluctuation des taux du marché, les taux d’intérêt minimal des contrats de prêt hypothécaire souscrits ne peuvent en aucun cas être inférieurs à une valeur prédéterminée.
10. Dans le cadre desdits recours individuels, les établissements financiers, parties défenderesses au principal, ont indiqué qu’un recours collectif ayant le même objet était pendant devant le Juzgado de lo Mercantil n° 11 de Madrid (tribunal de commerce n° 11 de Madrid, Espagne). Par conséquent, en invoquant l’article 43 du code de procédure civile, ils ont demandé la suspension des procédures en cause au principal dans l’attente d’un jugement définitif mettant fin à la procédure collective.
11. Dans les litiges qui ont donné lieu aux affaires C‑569/14 et C‑570/14, une telle demande ayant été rejetée par ordonnances du Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona (tribunal de commerce n° 3 de Barcelone, Espagne), Catalunya Banc et Banco Popular Español ont attaqué ces ordonnances devant la même juridiction, soulevant l’exception de litispendance sur le fondement de l’article 421 du code de procédure civile et demandant non pas la suspension, mais le classement des procédures en cause, au motif que les requérants au principal étaient liés par l’issue du recours collectif en cours.
12. Dans ce contexte, analysant les différentes demandes des établissements financiers concernés, la juridiction de renvoi relève que la suspension ou le classement même des actions individuelles, dans l’hypothèse d’une action collective parallèle en cours, est susceptible de porter préjudice aux intérêts des consommateurs en cause, car les requérants qui ont introduit des recours individuels ne peuvent plus obtenir de réponses spécifiques à leurs demandes, mais deviennent tributaires du résultat de cette action collective, bien qu’ils aient décidé de ne pas y participer.
13. À cet égard, après avoir relevé qu’une demande de décision préjudicielle concernant précisément la compatibilité de l’article 43 du code de procédure civile avec l’article 7 de la directive 93/13 a déjà été déférée à la Cour par le Juzgado de lo Mercantil n° 9 de Barcelona (tribunal de commerce n° 9 de Barcelone, Espagne), la juridiction de renvoi constate, toutefois, que, en vertu de cet article 43 du code de procédure civile, elle ne peut pas suspendre d’office, dans de telles circonstances, les procédures au principal. Dès lors, elle émet d’autres doutes sur la compatibilité dudit article 43 avec le système de protection des consommateurs établi à l’article 7 de la directive 93/13.
14. Les doutes émis par la juridiction de renvoi portent également sur la conformité de l’article 721, paragraphe 2, du code de procédure civile à la directive 93/13, dans la mesure où cette disposition de droit national lui interdit d’adopter d’office des mesures provisoires visant à atténuer les effets négatifs pour les consommateurs, requérants au principal, d’une durée excessive des procédures en cause, dans l’attente d’un jugement définitif concernant l’action collective parallèle en cours, dont la solution est susceptible d’être retenue pour les actions individuelles.
15. Dans ces circonstances, le Juzgado de lo Mercantil n° 3 de Barcelona (tribunal de commerce n° 3 de Barcelone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 43 du [code de procédure civile], qui empêche le juge d’informer les parties de la possibilité de suspendre la procédure civile lorsqu’une autre juridiction a saisi la Cour d’une question préjudicielle, constitue-t-il clairement une limitation des dispositions de l’article 7 de la directive 93/13 sur l’obligation qui incombe aux États membres de veiller à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel ?
2) L’article 721, paragraphe 2, du [code de procédure civile], qui empêche le juge d’adopter ou de suggérer d’office l’adoption de mesures provisoires dans les recours individuels dans lesquels est invoquée la nullité d’une condition générale en raison de son caractère abusif, constitue‑t‑il clairement une limitation des dispositions de l’article 7 de la directive 93/13 sur l’obligation qui incombe aux États membres de veiller à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel ?
3) Les mesures provisoires pouvant être adoptées, d’office ou à la demande d’une partie, dans le cadre d’une procédure de recours individuel, doivent-elles produire leurs effets jusqu’à ce qu’il soit statué définitivement sur le recours individuel ou bien sur le recours collectif parallèle au recours individuel, afin d’assurer l’existence des moyens appropriés et efficaces prévus à l’article 7 de la directive susmentionnée ?
Demandons à la Cour d’accorder le traitement accéléré à la présente demande conformément à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure. »
16. Par décision du président de la Cour du 21 janvier 2015, les affaires C‑568/14, C-569/14 et C-570/14 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.
17. Par ordonnance du président de la Cour du 12 février 2015, Fernández Oliva e.a. (C‑568/14 à C‑570/14, EU:C:2015:100), les demandes de la juridiction de renvoi tendant à ce que ces affaires soient soumises à la procédure accélérée prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de celle‑ci ont été rejetées.
18 Enfin, à la suite du prononcé de l’arrêt du 14 avril 2016, Sales Sinués et Drame Ba (C‑381/14 et C‑385/14, EU:C:2016:252), la juridiction de renvoi a informé la Cour qu’elle souhaitait retirer sa première question préjudicielle. Dans cet arrêt, en se prononçant sur la relation entre les actions individuelles et les actions collectives parallèles tendant à faire constater le caractère abusif de clauses contractuelles analogues, la Cour a jugé que la directive 93/13 s’oppose à une réglementation nationale, telle que la réglementation espagnole en cause au principal, qui impose au juge saisi d’une action individuelle d’un consommateur de suspendre automatiquement une telle action dans l’attente d’un jugement définitif concernant une action collective en cours, sans que la pertinence d’une telle suspension, du point de vue de la protection du consommateur qui a saisi le juge à titre individuel, puisse être prise en considération et sans que ce consommateur puisse décider de se désolidariser de ladite action collective.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur les questions préjudicielles
19. En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué, lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.
20. Il y a lieu de faire application de cet article dans la présente affaire.
21. Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas au juge saisi d’une action individuelle d’un consommateur tendant à faire constater le caractère abusif d’une clause d’un contrat le liant à un professionnel d’adopter d’office des mesures provisoires dans l’attente d’un jugement définitif concernant une action collective en cours, dont la solution est susceptible d’être retenue pour l’action individuelle.
22. À cet égard, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante, le juge national, saisi d’un litige régi par le droit de l’Union, doit pouvoir accorder des mesures provisoires afin de garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir sur l’existence des droits invoqués sur le fondement du droit de l’Union (voir arrêts du 19 juin 1990, Factortame e.a., C‑213/89, EU:C:1990:257, point 21 ; du 11 janvier 2001, Siples, C‑226/99, EU:C:2001:14, point 19, ainsi que du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, EU:C:2007:163, point 67).
23. S’agissant de la protection juridictionnelle des droits conférés aux consommateurs par la directive 93/13 contre l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec les professionnels, il ressort d’une jurisprudence constante que l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, aux termes duquel les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, constitue une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 2013, Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, points 44 et 45, ainsi que du 17 juillet 2014, Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, points 22 et 23).
24. Dans ce contexte, la Cour a précisé que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de ladite directive et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (voir arrêts du 14 mars 2013, Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 46, et du 30 avril 2014, Barclays Bank, C‑280/13, EU:C:2014:279, point 34).
25. En ce qui concerne les conséquences à tirer de la constatation d’office du caractère abusif d’une clause contractuelle, la Cour a déjà jugé que, si la directive 93/13 ne vise pas à harmoniser les sanctions applicables dans de telles circonstances, son article 7, paragraphe 1, oblige néanmoins les États membres à veiller à ce que des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (arrêts du 26 avril 2012, Invitel, C‑472/10, EU:C:2012:242, point 35, ainsi que du 14 avril 2016, Sales Sinués et Drame Ba, C‑381/14 et C‑385/14, EU:C:2016:252, point 31).
26. S’agissant de l’exigence de protection provisoire des consommateurs lors des litiges relatifs à de telles clauses, la Cour a dit pour droit, en se fondant notamment sur la jurisprudence découlant de l’arrêt du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163), que cette directive s’oppose à une réglementation nationale qui, tout en ne prévoyant pas, dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire, des motifs d’opposition tirés du caractère abusif des clauses constituant le fondement du titre exécutoire, ne permet pas au juge du fond, compétent pour apprécier le caractère abusif de ces clauses, d’adopter des mesures provisoires, dont, notamment, la suspension de la procédure d’exécution, lorsque leur octroi est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale (voir arrêt du 14 mars 2013, Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 64).
27. De même, la Cour a jugé que ladite directive s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet au juge de l’exécution, dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire, ni d’apprécier, que ce soit d’office ou à la demande du consommateur, le caractère abusif d’une clause qui est contenue dans le contrat duquel résulte la dette réclamée et qui fonde le titre exécutoire, ni d’adopter des mesures provisoires, dont notamment la suspension de l’exécution, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision finale du juge saisi de la procédure au fond correspondante (ordonnance du 14 novembre 2013, Banco Popular Español et Banco de Valencia, C‑537/12 et C‑116/13, EU:C:2013:759, point 60).
28. Or, l’ensemble de cette jurisprudence permet de déduire clairement la réponse à fournir aux deuxième et troisième questions posées, en ce qu’elles portent, en substance, sur la compatibilité avec le système de protection des consommateurs établi par la directive 93/13 de l’impossibilité pour un juge national, saisi d’une action individuelle d’un consommateur dans le même contexte procédural que celui de l’arrêt du 14 avril 2016, Sales Sinués et Drame Ba, (C‑381/14 et C‑385/14, EU:C:2016:252), d’adopter d’office des mesures provisoires visant à garantir la pleine efficacité de sa décision finale, dans l’attente d’un jugement définitif concernant une action collective en cours dont la solution est susceptible d’être retenue pour cette action individuelle.
29. À cet égard, il y a lieu de constater que, en l’absence d’harmonisation des moyens procéduraux réglant l’adoption de telles mesures provisoires ainsi que les relations entre les actions individuelles et les actions collectives visées par la directive 93/13, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre d’établir de telles règles, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir arrêt du 14 avril 2016, Sales Sinués et Drame Ba, C‑381/14 et C‑385/14, EU:C:2016:252, point 32 ainsi que jurisprudence citée).
30. D’une part, s’agissant du principe d’équivalence, il n’apparaît pas, eu égard aux indications qui ressortent des décisions de renvoi, que l’article 721, paragraphe 2, du code de procédure civile ferait l’objet d’une application différente dans les litiges relatifs à des droits fondés sur le droit national et dans ceux relatifs à des droits fondés sur le droit de l’Union.
31. D’autre part, pour ce qui est du principe d’effectivité, la Cour a déjà jugé que chacun des cas dans lesquels se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités devant les diverses instances nationales (arrêt du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C‑49/14, EU:C:2016:98, point 43 et jurisprudence citée).
32. En l’occurrence, il importe de constater que l’article 721, paragraphe 2, du code de procédure civile interdit au juge national d’accorder d’office des mesures provisoires, et cela même si les conditions de fond requises en droit interne pour leur octroi sont bien remplies. Il en découle que, dans le cadre d’une action individuelle introduite pour contester le caractère abusif d’une clause contractuelle et dont le résultat demeure lié à la solution d’une action collective en cours, conformément aux principes affirmés dans l’arrêt du 14 avril 2016, Sales Sinués et Drame Ba, (C‑381/14 et C‑385/14, EU:C:2016:252), le consommateur ne saurait bénéficier d’une protection temporaire pour atténuer les effets négatifs d’une durée excessive de la procédure juridictionnelle que dans l’hypothèse où il a expressément formulé une demande d’adoption de mesures provisoires.
33. Il importe, néanmoins, de relever que, compte tenu du déroulement et des complexités de la procédure nationale en cause au principal notamment en ce qui concerne les relations entre les actions individuelles et les actions collectives parallèles, il existe un risque non négligeable que le consommateur concerné ne formule pas une telle demande, et cela bien que les conditions de fond requises en droit interne pour l’octroi de mesures provisoires soient éventuellement satisfaites, parce qu’il ignore ou ne perçoit pas l’étendue de ses droits.
34. Il convient ainsi de constater qu’un tel régime procédural, en ce qu’il institue une impossibilité pour un juge saisi d’une action individuelle visant à faire constater le caractère abusif d’une clause contractuelle d’octroyer d’office des mesures provisoires, dont notamment la suspension de l’application de cette clause, aussi longtemps qu’il l’estime utile dans l’attente d’un jugement définitif concernant une action collective parallèle en cours, même si l’octroi de telles mesures s’avère nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir sur l’existence des droits invoqués sur le fondement de la directive 93/13, est de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par cette directive (voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, EU:C:2007:163, points 67 et 77, ainsi que du 14 mars 2013, Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 59).
35. En effet, sans la possibilité accordée au juge saisi d’octroyer d’office des mesures provisoires, dans les cas où, comme dans les affaires au principal, un consommateur n’a pas expressément demandé, dans le cadre d’une action individuelle, de telles mesures pour suspendre l’application d’une clause « plancher » dans l’attente d’un jugement définitif concernant une action collective parallèle en cours, ce juge ne saurait éviter que ce consommateur paye, au cours d’une procédure juridictionnelle dont la durée peut être considérable, des mensualités d’un montant plus élevé que celui effectivement dû si la clause concernée devait être écartée. Cela vaut d’autant plus lorsqu’il y a un risque réel et immédiat que la capacité de paiement dudit consommateur soit entretemps compromise et que les établissements financiers engagent des procédures d’exécution hypothécaires afin d’obtenir par la saisie du logement du consommateur et de sa famille le paiement de sommes éventuellement indues.
36. Compte tenu de ces caractéristiques, il y a lieu de relever que le système procédural en cause au principal n’est pas conforme au principe d’effectivité, en ce que la protection accordée au consommateur dans les actions individuelles dont le résultat est lié à la solution accueillie dans une action collective en cours se révèle incomplète et insuffisante, et ne constitue un moyen ni adéquat ni efficace pour faire cesser l’utilisation d’une clause contractuelle, telle que celle contestée dans l’affaire au principal, contrairement à ce que prévoit l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2014, Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 43).
37. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu, dès lors, de répondre aux deuxième et troisième questions que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas au juge saisi d’une action individuelle d’un consommateur tendant à faire constater le caractère abusif d’une clause d’un contrat le liant à un professionnel d’adopter d’office, aussi longtemps qu’il l’estime utile, des mesures provisoires dans l’attente d’un jugement définitif concernant une action collective en cours dont la solution est susceptible d’être retenue pour l’action individuelle, lorsque de telles mesures sont nécessaires pour garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir sur l’existence des droits invoqués par le consommateur sur le fondement de la directive 93/13.
Sur les dépens
38. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui ne permet pas au juge saisi d’une action individuelle d’un consommateur tendant à faire constater le caractère abusif d’une clause d’un contrat le liant à un professionnel d’adopter d’office, aussi longtemps qu’il l’estime utile, des mesures provisoires dans l’attente d’un jugement définitif concernant une action collective en cours dont la solution est susceptible d’être retenue pour l’action individuelle, lorsque de telles mesures sont nécessaires pour garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir sur l’existence des droits invoqués par le consommateur sur le fondement de la directive 93/13.
Signatures
- 5710 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Recevabilité - Obstacles au contrôle du juge - Autorité de la chose jugée
- 5768 - Code de la consommation - Régime de la protection - Association de consommateurs - Conditions - Obstacles au contrôle - Autorité de chose jugée