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CJUE (1re ch.), 14 avril 2016

Nature : Décision
Titre : CJUE (1re ch.), 14 avril 2016
Pays : UE
Juridiction : Cour de Justice de l'UE (1re ch.)
Demande : C-381/14
Date : 14/04/2016
Nature de la décision : Question préjudicielle (CJUE)
Mode de publication : Site Curia (CJUE)
Date de la demande : 11/08/2014
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CERCLAB - DOCUMENT N° 6595

CJUE (1re ch.), 14 avril 2016 : Affaire C-381/14 et C-385/14

Publication : Site Curia

 

Extrait : « L’article 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui impose au juge national saisi d’une action individuelle d’un consommateur tendant à faire constater le caractère abusif d’une clause d’un contrat le liant à un professionnel de suspendre automatiquement une telle action dans l’attente d’un jugement définitif dans une action collective en cours, introduite par une association de consommateurs sur le fondement du deuxième paragraphe de cet article, afin de faire cesser l’usage, dans des contrats de même type, de clauses analogues à celle visée par ladite action individuelle, sans que la pertinence d’une telle suspension du point de vue de la protection du consommateur qui a saisi le juge à titre individuel puisse être prise en considération et sans que ce consommateur puisse décider de se désolidariser de l’action collective ».

 

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE

PREMIÈRE CHAMBRE

ARRÊT DU 14 AVRIL 2016

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Dans les affaires jointes C‑381/14 et C‑385/14, ayant pour objet des demandes de décisions préjudicielles au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Juzgado de lo Mercantil n° 9 de Barcelona (tribunal de commerce n° 9 de Barcelone, Espagne), par décisions du 27 juin 2014, parvenues à la Cour les 11 et 12 août 2014, dans les procédures

Jorge Sales Sinués

contre

Caixabank SA (C‑381/14),

et

Youssouf Drame Ba

contre

Catalunya Caixa SA (Catalunya Banc SA) (C‑385/14),

 

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de chambre, MM. F. Biltgen, A. Borg Barthet, E. Levits (rapporteur) et S. Rodin, juges,

Avocat général : M. M. Szpunar,

Greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 septembre 2015,

considérant les observations présentées:

- pour M. Sales Sinués, par Maîtres D. Cirera Mora et F. Pertínez Vílchez, abogados,

- pour Caixabank SA, par M. J. Fontquerni Bas, conseil, assisté de Maître A. Ferreres Comella, abogado,

- pour Catalunya Caixa SA, par Mes J.M. Rodríguez Cárcamo et I. Fernández de Senespleda, abogados,

- pour le gouvernement espagnol, par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,

- pour la Commission européenne, par MM. J. Baquero Cruz et M. van Beek, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 janvier 2015,

rend le présent

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Arrêt

1. Les demandes de décisions préjudicielles portent sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29).

2. Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, M. Sales Sinués à Caixabank SA et, d’autre part, M. Drame Ba à Catalunya Caixa SA au sujet de la nullité de clauses contractuelles figurant dans des contrats de prêt hypothécaire.

 

Le cadre juridique

La directive 93/13

3. L’article 3 de la directive 93/13 est rédigé comme suit :

« 1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

[...] »

4. L’article 4, paragraphe 1, de ladite directive précise :

« Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend. »

5. L’article 6, paragraphe 1, de la même directive dispose :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

6 En vertu de l’article 7 de la directive 93/13 :

« 1. Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses.

[...] »

Le droit espagnol

7. L’article 43 du code de procédure civile (Ley de enjuiciamiento civil), du 7 janvier 2000 (BOE n° 7, du 8 janvier 2000, p. 575), dispose :

« [L]orsque, pour statuer sur l’objet du litige, il est nécessaire de trancher une question qui constitue elle-même l’objet principal d’une autre procédure pendante devant le même tribunal ou un autre tribunal, si la jonction d’affaires est impossible, le tribunal peut décider par voie d’ordonnance, à la demande des deux parties ou de l’une d’entre elles, après avoir entendu la partie adverse, de suspendre l’affaire au stade de son avancement jusqu’à ce que la procédure portant sur la question préjudicielle soit close. »

8. L’article 221 du code de procédure civile, relatif aux effets des jugements prononcés dans le cadre de procédure intentées par des associations de consommateurs et d’utilisateurs, est rédigé comme suit :

« [...]

1a. S’il est conclu à une condamnation pécuniaire, à une obligation de faire ou de ne pas faire ou de donner une chose particulière ou générale, le jugement accueillant la demande désigne individuellement les consommateurs et utilisateurs devant être considérés comme bénéficiaires de la condamnation conformément aux lois sur leur protection.

Lorsque la désignation individuelle est impossible, le jugement prévoit les données, caractéristiques et conditions nécessaires pour pouvoir exiger le paiement et, le cas échéant, demander l’exécution ou intervenir dans celle-ci, si l’association requérante en fait la demande.

2a. Si la déclaration du caractère illicite ou contraire à la loi d’une activité ou d’un comportement donnés est à l’origine de la condamnation ou du jugement principal ou unique, le jugement indique si, conformément à la législation relative à la protection des consommateurs et des utilisateurs, la déclaration doit produire des effets procéduraux qui ne se limitent pas aux personnes ayant été parties à la procédure en cause.

3a. Si des consommateurs ou utilisateurs déterminés ont participé à la procédure, le jugement doit se prononcer expressément sur leurs conclusions.

[...] »

9. En vertu de l’article 222 du code de procédure civile :

« 1. L’autorité de la chose jugée attachée aux jugements définitifs, qu’ils accueillent ou rejettent la demande, exclut, conformément à la loi, toute procédure ultérieure dont l’objet serait identique à celui de la procédure dans laquelle celle-ci est intervenue.

2. L’autorité de la chose jugée s’attache aux conclusions formulées dans la demande principale et dans la demande reconventionnelle ainsi qu’aux points visés à l’article 408, paragraphes 1 et 2, de la présente loi.

Sont considérés comme nouveaux et différents par rapport au fondement des conclusions précitées les faits qui sont postérieurs à l’expiration du délai de présentation des mémoires dans la procédure au cours de laquelle ces conclusions ont été formulées.

3. L’autorité de la chose jugée s’étend aux parties à la procédure dans laquelle elle intervient ainsi qu’à leurs héritiers et ayants droit, et aux personnes qui, sans être parties à la procédure, sont titulaires des droits qui fondent la légitimation active des parties conformément aux dispositions de l’article 11 de la présente loi.

[...]

4. Ce qui est passé en force de chose jugée dans le jugement définitif clôturant une procédure s’impose au tribunal saisi d’une procédure ultérieure si elle apparaît, dans cette dernière procédure, comme un antécédent logique de son objet quel qu’il soit, dès lors que les parties aux deux procédures sont les mêmes ou que l’autorité de la chose jugée s’étend à eux par disposition légale. »

10. La juridiction de renvoi interprète ces dispositions procédurales comme lui imposant une obligation de suspendre les procédures dont elle est saisie, et dans lesquelles est exercée une action individuelle en nullité d’une clause abusive engagée par un consommateur, en attendant qu’un jugement définitif soit rendu dans une procédure engagée par une association dûment habilitée à introduire une action collective visant la cessation de l’usage d’une clause analogue.

 

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

11. M. Sales Sinués a, le 20 octobre 2005, conclu un contrat de novation de prêt hypothécaire auprès de Caixabank SA. La clause « plancher » qui y est contenue consiste en un taux nominal annuel minimum de 2,85 %, le seuil plafond de ce taux étant fixé à 12 %. M. Drame Ba a, le 7 février 2005, conclu un contrat de prêt hypothécaire auprès de Catalunya Caixa SA. La clause « plancher » correspond, dans ce contrat, à un taux de 3,75 %, le seuil plafond étant limité à 12 %.

12. Indépendamment de la fluctuation des taux du marché, les taux d’intérêt des contrats des requérants au principal ne peuvent être inférieurs au pourcentage stipulé par la clause « plancher ».

13. MM. Sales Sinués et Drame Ba, estimant que les clauses « plancher » leur ont été imposées par les établissements bancaires et qu’elles créent un déséquilibre à leur détriment, ont introduit, individuellement, devant la juridiction de renvoi, un recours en nullité de ces clauses.

14. Préalablement auxdits recours, une association de consommateurs, l’Adicae (Asociación de Usarios de Bancos Cajas y Seguros), a introduit contre 72 établissements bancaires une action collective visant, notamment, à faire cesser l’usage des clauses « plancher » dans les contrats de prêt.

15. Se fondant sur l’article 43 du code de procédure civile, les parties défenderesses au principal demandent la suspension des procédures en cause dans l’attente d’un jugement définitif mettant fin à la procédure collective, ce à quoi s’opposent MM. Sales Sinués et Drame Ba.

16. La juridiction de renvoi considère que, dans les circonstances des espèces au principal, l’article 43 du code de procédure civile lui imposerait de suspendre les actions individuelles dont elle est saisie jusqu’à ce que l’action collective ait abouti à un jugement définitif, un tel effet suspensif entraînant une soumission nécessaire de l’action individuelle à l’action collective, en ce qui concerne tant le déroulement de la procédure que son résultat.

17. Elle souligne, en outre, que la participation à l’action collective est liée à différentes contraintes, le justiciable concerné devant, d’une part, renoncer éventuellement au tribunal compétent de son domicile, la possibilité de formuler des observations à titre individuel au soutien de l’action collective étant, d’autre part, limitée dans le temps.

18. Dans ces circonstances, le Juzgado de lo Mercantil n° 9 de Barcelona (tribunal de commerce n° 9 de Barcelone, Espagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Peut-on considérer [que l’ordre juridique espagnol prévoit] un moyen ou un mécanisme efficace au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ?

2) Dans quelle mesure cet effet suspensif constitue-t-il un obstacle pour le consommateur et, donc, une infraction à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 pour dénoncer la nullité de ces clauses abusives figurant dans son contrat ?

3) Le fait que le consommateur ne puisse se désolidariser de l’action collective constitue-t-il une infraction à l’article 7, paragraphe 3, de la directive 93/13 ?

4) Ou l’effet suspensif de l’article 43 du code de procédure civile est-il au contraire conforme à l’article 7 de la directive 93/13 en ce sens que les droits du consommateur sont pleinement sauvegardés par cette action collective, l’ordre juridique espagnol prévoyant d’autres mécanismes procéduraux tout aussi efficaces pour la protection de ses droits, et par un principe de sécurité juridique ? »

19 Par ordonnance du président de la Cour du 9 septembre 2014, les affaires C‑381/14 et C‑385/14 ont été jointes aux fins des procédures écrites et orales ainsi que de l’arrêt.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Sur les questions préjudicielles

20. Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui impose au juge saisi d’une action individuelle d’un consommateur tendant à faire constater le caractère abusif d’une clause d’un contrat le liant à un professionnel de suspendre automatiquement une telle action dans l’attente d’un jugement définitif concernant une action collective en cours, introduite par une association de consommateurs sur le fondement du deuxième paragraphe de cet article, afin, notamment, de faire cesser l’usage, dans des contrats du même type, de clauses analogues à celle visée par ladite action individuelle.

21. Afin de répondre à ces questions, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, les États membres prévoient des moyens adéquats et efficaces pour faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus entre les professionnels et les consommateurs. Parallèlement au droit subjectif du consommateur de saisir un juge pour examiner le caractère abusif d’une clause d’un contrat dont il est partie, le mécanisme prévu à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 93/13 permet aux États membres d’instaurer un contrôle des clauses abusives contenues dans des contrats-types moyennant des actions en cessation initiées dans l’intérêt public par des associations de protection des consommateurs.

22. S’agissant, d’une part, de l’action individuelle d’un consommateur, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information (voir arrêt Pereničová et Perenič, C‑453/10, EU:C:2012:144, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

23. Afin d’assurer cette protection, la situation d’inégalité existant entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat (arrêt Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, EU:C:2009:615, point 31).

24. Dans ce contexte, le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle en tenant compte, ainsi que le requiert l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, de la nature des biens ou des services qui font l’objet du contrat et en se référant, à la date de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses de ce contrat, ou d’un contrat dont il dépend (voir, en ce sens, arrêt Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, EU:C:2009:615, point 32).

25. Toutefois, si le juge national devait conclure au caractère abusif d’une clause, le droit à une protection effective du consommateur englobe la faculté de renoncer à faire valoir ses droits, de telle sorte que le juge national doit tenir compte, le cas échéant, de la volonté exprimée par le consommateur lorsque, conscient du caractère non contraignant d’une clause abusive, ce dernier indique néanmoins qu’il s’oppose à ce qu’elle soit écartée, donnant ainsi un consentement libre et éclairé à la clause en question (voir arrêt Banif Plus Bank, C‑472/11, EU:C:2013:88, point 35).

26. S’agissant, d’autre part, des actions introduites par les personnes ou les organisations ayant un intérêt légitime à protéger les consommateurs visées à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 93/13, il convient de souligner que ces dernières ne se trouvent pas dans une telle situation d’infériorité par rapport au professionnel (arrêt Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León, C‑413/12, EU:C:2013:800, point 49).

27. En effet, sans nier l’importance du rôle essentiel qu’elles doivent pouvoir jouer pour atteindre un niveau élevé de protection des consommateurs au sein de l’Union européenne, il convient, néanmoins, de constater qu’une action en cessation opposant une telle association à un professionnel n’est pas caractérisée par le déséquilibre qui existe dans le cadre d’un recours individuel impliquant un consommateur et son cocontractant professionnel (voir arrêt Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León, C‑413/12, EU:C:2013:800, point 50).

28. Une telle approche différenciée est, en outre, confirmée par les dispositions de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 98/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 mai 1998, relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs (JO L 166, p. 51), et de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs (JO L 110, p. 30), qui lui a succédé, selon lesquelles ce sont les juridictions de l’État membre du lieu de l’établissement ou du domicile du défendeur qui sont compétentes pour connaître des actions en cessation introduites par les associations de protection des consommateurs d’autres États membres, en cas d’infraction intracommunautaire à la législation de l’Union relative à la protection des consommateurs (arrêt Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León, C‑413/12, EU:C:2013:800, point 51).

29. Il y a lieu d’ajouter que la nature préventive et l’objectif dissuasif des actions en cessation, ainsi que leur indépendance à l’égard de tout conflit individuel concret, impliquent que de telles actions puissent être exercées alors même que les clauses dont l’interdiction est réclamée n’auraient pas été utilisées dans des contrats déterminés (arrêt Invitel, C‑472/10, EU:C:2012:242, point 37).

30. Partant, les actions individuelles et collectives ont, dans le cadre de la directive 93/13, des objets et des effets juridiques différents, de sorte que la relation de caractère procédural entre le déroulement de l’une et de l’autre ne saurait répondre qu’à des exigences de nature procédurale ayant trait, notamment, à la bonne administration de la justice et visant à la nécessité d’éviter des décisions judiciaires contradictoires, sans pour autant que l’articulation de ces différentes actions conduise à un affaiblissement de la protection des consommateurs, telle qu’elle est prévue par la directive 93/13.

31. En effet, si cette directive ne vise pas à harmoniser les sanctions applicables dans l’hypothèse d’une reconnaissance du caractère abusif d’une clause dans le cadre desdites actions, son article 7, paragraphe 1, oblige néanmoins les États membres à veiller à ce que des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (arrêt Invitel, C‑472/10, EU:C:2012:242, point 35).

32. Dans ce contexte, il convient néanmoins de relever que, en l’absence d’harmonisation des moyens procéduraux réglant les relations entre les actions collectives et les actions individuelles prévues par la directive 93/13, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre d’établir de telles règles, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, par analogie, arrêt Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León, C‑413/12, EU:C:2013:800, point 30 et jurisprudence citée).

33. S’agissant, d’une part, du principe d’équivalence, il n’apparaît pas, eu égard aux indications qui ressortent des décisions de renvoi, que l’article 43 du code de procédure civile ferait l’objet d’une application différente dans les litiges relatifs à des droits fondés sur le droit national et dans ceux relatifs à des droits fondés sur le droit de l’Union.

34. Pour ce qui est, d’autre part, du principe d’effectivité, la Cour a déjà jugé que chacun des cas dans lesquels se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération les principes qui sont le fondement du système juridictionnel national, tels que la sécurité juridique et l’autorité des décisions de justice (voir, en ce sens, arrêt BBVA, C‑8/14, EU:C:2015:731, point 26 et jurisprudence citée).

35. En l’occurrence, il importe de constater que, ainsi qu’il ressort de l’interprétation fournie par la juridiction de renvoi dans des circonstances telles que celles de l’espèce, celle-ci est tenue, en vertu de l’article 43 du code de procédure civile, de suspendre l’action individuelle dont elle est saisie, jusqu’au prononcé d’un jugement définitif dans l’action collective dont la solution est susceptible d’être retenue pour l’action individuelle et, de ce fait, le consommateur ne peut plus se prévaloir de manière individuelle des droits reconnus par la directive 93/13, en se désolidarisant de cette action collective.

36. Or, une telle situation est de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par cette directive eu égard aux différences d’objet et de nature des mécanismes de protection des consommateurs concrétisés par ces actions telles qu’elles ressortent des points 21 à 29 du présent arrêt.

37. En effet, d’une part, le consommateur est obligatoirement lié au résultat de l’action collective, même s’il a décidé de ne pas participer à celle-ci, et l’obligation qui incombe au juge national en vertu de l’article 43 du code de procédure civile empêche ainsi ce dernier de procéder à sa propre analyse des circonstances de l’espèce dont il est saisi. En particulier, ne seront déterminantes aux fins de la résolution du litige individuel ni la question de la négociation individuelle de la clause dont le caractère abusif est allégué ni même la nature des biens ou des services qui font l’objet du contrat en cause.

38. D’autre part, le consommateur est tributaire, en application de l’article 43 du code de procédure civile tel qu’interprété par la juridiction de renvoi, du délai d’adoption d’une décision judiciaire relative à l’action collective, sans que le juge national puisse apprécier de ce point de vue la pertinence de la suspension de l’action individuelle dans l’attente du prononcé d’un jugement définitif dans l’action collective.

39. Une telle règle nationale se révèle donc incomplète et insuffisante et ne constitue un moyen ni adéquat ni efficace pour faire cesser l’utilisation des clauses abusives, contrairement à ce qu’exige l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13.

40. Il en va ainsi d’autant plus que, en droit interne, s’il souhaite prendre part à l’action collective, le consommateur est soumis, ainsi qu’il résulte de la décision de renvoi, à des contraintes liées à la détermination de la juridiction compétente et aux moyens susceptibles d’être invoqués. En outre, il perd nécessairement les droits qui lui seraient reconnus dans le cadre d’une action individuelle, à savoir une prise en considération de l’ensemble des circonstances qui caractérisent sa cause, ainsi que la possibilité de renoncer à la non-application d’une clause abusive, a fortiori s’il ne peut se désolidariser de l’action collective.

41. Dans ce contexte, il importe d’ailleurs de souligner que la nécessité de garantir la cohérence entre les décisions de justice ne saurait justifier une telle carence d’effectivité, dès lors que, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général au point 72 de ses conclusions, la différence de nature entre le contrôle judiciaire exercé dans le cadre d’une action collective et celui exercé dans le cadre d’une action individuelle devrait, en principe, prévenir le risque de décisions de justice contradictoires.

42. En outre, s’agissant de la nécessité d’éviter l’engorgement des tribunaux, l’exercice effectif des droits subjectifs reconnus par la directive 93/13 aux consommateurs ne saurait être remis en cause par des considérations liées à l’organisation judiciaire d’un État membre.

43. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 7 de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui impose au juge national saisi d’une action individuelle d’un consommateur tendant à faire constater le caractère abusif d’une clause d’un contrat le liant à un professionnel de suspendre automatiquement une telle action dans l’attente d’un jugement définitif dans une action collective en cours, introduite par une association de consommateurs sur le fondement du deuxième paragraphe de cet article, afin de faire cesser l’usage, dans des contrats de même type, de clauses analogues à celle visée par ladite action individuelle, sans que la pertinence d’une telle suspension du point de vue de la protection du consommateur qui a saisi le juge à titre individuel puisse être prise en considération et sans que ce consommateur puisse décider de se désolidariser de l’action collective.

 

Sur les dépens

44. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui impose au juge national saisi d’une action individuelle d’un consommateur tendant à faire constater le caractère abusif d’une clause d’un contrat le liant à un professionnel de suspendre automatiquement une telle action dans l’attente d’un jugement définitif dans une action collective en cours, introduite par une association de consommateurs sur le fondement du deuxième paragraphe de cet article, afin de faire cesser l’usage, dans des contrats de même type, de clauses analogues à celle visée par ladite action individuelle, sans que la pertinence d’une telle suspension du point de vue de la protection du consommateur qui a saisi le juge à titre individuel puisse être prise en considération et sans que ce consommateur puisse décider de se désolidariser de l’action collective.

Signatures