TGI METZ (1re ch. civ.), 21 décembre 1995
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 669
TGI METZ (1re ch. civ.), 21 décembre 1995 : RG n° 3648/93
(sur appel CA Metz (ch. civ.), 18 février 1997 : RG n° 718/96)
Extrait : « Le dernier moyen invoqué, tiré du caractère abusif de certaines clauses du contrat afférentes, l'une au caractère indicatif et non impératif des délais de livraison stipulés et l'autre au sort des arrhes, est inopérant, car l'annulation éventuelle de ces clauses serait sans incidence sur la solution du litige ci-dessus exposée, la circonstance du retard de livraison n'étant pas retenue et le sort des arrhes concernant un autre domaine des relations contractuelles indifférent en l'espèce ».
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE METZ
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 21 DÉCEMBRE 1995
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 3648/93
I – PARTIES :
DEMANDEURS :
- Monsieur X.
demeurant [adresse]
- Madame X. née Y.
demeurant [adresse]
représentés par Maître BAGOUDOU, avocat à METZ
DÉFENDERESSE :
La SA WEIGERDING
dont le siège social est [adresse] représentée par son représentant légal, représentée par Maître FIEGEL, avocat à METZ
APPELÉE EN GARANTIE :
La SA ESCARMOR - TENAND
dont le siège social est [adresse], prise en la personne de ses représentants légaux, représentée par Maîtres COSSALTER et DENYS-DUVAL avocats postulants à METZ et Maîtres JOSEPH et BUTHIER avocats plaidants à THIONVILLE
II - COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats : Monsieur SCHNEIDER, Juge Rapporteur sans opposition des avocats, Assisté de Madame ARZ, Greffier Divisionnaire, [minute page 2], À l'audience Publique du 9 novembre 1995 à l'issue de laquelle la date du délibéré a été indiquée
Lors du délibéré : Président : Monsieur SCHNEIDER, Vice-Président - Assesseur : Madame THOMAS, Juge - Assesseur : Monsieur d'ERSU, Juge.
Prononcé À l'audience publique du 21 décembre 1995 par Monsieur SCHNEIDER, Vice-Président, assisté de Madame ARZ, Greffier Divisionnaire, qui a signé avec lui.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
III - PROCÉDURE :
EXPOSE
Le 31 mai 1991, Monsieur et Madame X. ont passé commande auprès de la société WEIGERDING de diverses fournitures de menuiserie, parmi lesquelles un escalier au prix HT de 24.200 francs, pour un total TTC de 105.000 francs.
Ils ont versé à la commande des arrhes à hauteur de 30.000 francs.
Le versement du solde a été prévu pour septembre 1991, sous réserve d'acceptation du prêt.
Un devis a spécifié les caractéristiques de l'escalier.
Exposant que l'escalier ne leur a été livré que le 28 avril 1992 et qu'il ne correspond pas à celui décrit sur le bon de commande, les époux X. ont, par acte délivré le17 septembre1992, assigné la société WEIGERDING en résolution de la vente et en paiement de diverses sommes.
A la demande de la société WEIGERDING, une expertise a, par jugement du 11 août 1993, été ordonnée, aux fins de voir déterminer si l'escalier litigieux est conforme à la commande, si non, de décrire les différences, dire si elles constituent des malfaçons ou non-façons et chiffrer la mise en conformité avec les prescriptions du bon de commande ainsi que la moins-value résultant de la non-conformité.
L'expert a déposé son rapport définitif le 15 novembre 1993.
Dans le dernier état de leurs écritures, les époux X. demandent au Tribunal :
- [minute page 3] de faire droit à leur demande en résolution de la vente
- en conséquence, de condamner, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la société WEIGERDING à leur payer les sommes de :
* 26.000 francs, majorée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 13 mai 1992, correspondant au prix de l'escalier
* 26.000 francs X 2, soit 52.000 francs, par application de l'article 1590 du Code Civil
* 5.000 francs à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive
* 4.000 francs HT par application de l'article 700 du NCPC.
Ils font valoir :
- que le rapport d'expertise confirme la non-conformité de la livraison avec la commande alors que l'article 1604 du Code Civil impose une obligation de délivrance d'une chose conforme,
- que la société WEIGERDING a manqué à son obligation de délivrance dans le délai stipulé et que les sanctions prévues aux articles 1610 (résolution de la vente) et 1611 (condamnation à des dommages et intérêts) du Code Civil doivent trouver application,
- que les conditions générales de vente comportent des clauses abusives, parmi lesquelles celle figurant à l'article 3-1 qui prévoit que la date de livraison n'a qu'un caractère purement indicatif et que ces clauses doivent être considérées comme nulles et non avenues.
La société WEIGERDING conclut au débouté des demandes et sollicite reconventionnellement la condamnation des époux X. à liai payer, avec exécution provisoire :
- le solde du prix de vente, soit la somme de 75.000 francs, majorée des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 1994, date de notification de la demande reconventionnelle,
- 10.000 francs par application de l'article 700 du NCPC.
Elle réplique :
- que la non-conformité n'affecte que l'esthétique de l'escalier et n'a qu'un caractère minime,
- [minute page 4] qu'il n'est pas démontré que l'aspect esthétique était une condition substantielle et déterminante de l'acquisition de ce modèle,
- que les modifications ont été effectuées dans le cadre contractuel de l'article 2 des conditions générales de vente qui stipule que l'entrepreneur se réserve la faculté d'apporter toutes modifications jugées nécessaires,
- que le moyen tiré de la tardiveté de la livraison n'est qu'un grief de circonstance, les époux X. n'ayant pas usé de leur faculté d'annulation de commande prévue à l'article 3.4 du contrat,
- que la réclamation au titre de l'article 1590 du Code Civil est infondée, cet article s'appliquant à la promesse de vente et non à l'hypothèse d'une vente parfaite dès l'origine.
Par acte délivré le 25 mai 1994, la société WEIGERDING a appelé la société ESCARMOR-TENAND en garantie et sollicite également sa condamnation à lui verser une somme de 5.930 francs TTC par application de l'article 700 du NCPC.
Elle expose avoir sous-traité la commande des époux X. à cette société, laquelle était tenue d'une obligation de résultat tenant à la conformité de la chose par rapport à la commande.
La société ESCARMOR-TENAND conclut au débouté de l'appel en garantie et sollicite la condamnation de la société WEIGERDING à lui verser une somme de 5.000 francs par application de l'article 700 du NCPC.
Elle soutient :
- que, n'ayant pas le droit de fabriquer un modèle d'escalier appartenant à une société concurrente, elle a adressé son propre plan de fabrication à la société WEIGERDING, qui ne l'a jamais contesté avant la mise en fabrication,
- que, n'ayant aucun lien contractuel avec les époux X., il ne peut lui être reproché de n'avoir pas soumis ses plans à leur approbation, ce qui ressortait de la mission contractuelle de la société WEIGERDING,
- subsidiairement, que la demande principale est disproportionnée par rapport aux termes réels du litige tels qu'ils ressortent d'une tentative de transaction et qui n'a échoué que pour une question de montant, la société. WEIGERDING proposant une réaction de prix de 3.000 francs et les époux X. réclamant 10.000 francs.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 octobre 1995.
[minute page 5]
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Sur l'action principale :
Sur la demande de résolution de la vente de l'escalier et ses conséquences :
Par application des règles qui régissent le contrat de vente, le vendeur a l'obligation de délivrer une chose conforme à celle convenue.
Corollairement, l'acquéreur ne peut être tenu d'accepter une chose différente de celle qu'il a commandée.
En l'espèce, l'escalier livré est différent de celui commandé en ce qu'il présente, selon le rapport d'expertise, un aspect esthétique sensiblement modifié dans la forme et les dimensions, tout en se révélant adapté à l'emplacement auquel il est destiné et de bonne facture technique.
En écrivant le 24 juin 1992 à la société WEIGERDING qu'ils étaient prêts à conserver l'escalier livré, bien que non conforme à la demande, moyennement une réfaction de prix de 10.000 francs, les époux X. ont ainsi signifié que les caractéristiques d'ordre purement esthétique attachées au modèle initialement choisi ne figurent pas au rang des obligations impératives de leur vendeur en matière de délivrance conforme.
En conséquence, et à défaut dans le contrat de clause expresse de résolution visant cette hypothèse, le prononcé de la résolution de la vente de l'escalier n'apparaît pas justifié de ce chef, l'inexécution partielle pouvant être suffisamment réparée par l'allocation de dommages et intérêts, en application des principes découlant de l'article 1184 du Code Civil.
Le deuxième moyen de résolution de la vente tiré du non-respect des délais de livraison ne peut être apprécié correctement, la date de livraison de septembre 1991 stipulée sur le bon de commande ayant été assortie d'une condition, l'obtention d'un prêt.
Aucun élément n'est fourni, permettant au Tribunal d'apprécier l'incidence éventuelle de cette condition sur le retard apporté à la livraison, la société WEIGERDING affirmant que les époux X. ne l'ont pas informée du sort de la demande de prêt et les acheteurs ne répondant pas sur ce point.
Le retard de livraison ne provenant pas de façon certaine du fait du vendeur, le moyen tiré de. l'article 1610 du Code Civil sera rejeté.
[minute page 6] Le dernier moyen invoqué, tiré du caractère abusif de certaines clauses du contrat afférentes, l'une au caractère indicatif et non impératif des délais de livraison stipulés et l'autre au sort des arrhes, est inopérant, car l'annulation éventuelle de ces clauses serait sans incidence sur la solution du litige ci-dessus exposée, la circonstance du retard de livraison n'étant pas retenue et le sort des arrhes concernant un autre domaine des relations contractuelles indifférent en l'espèce.
Compte tenu de la différence d'aspect sensible existant entre l'escalier commandé et celui livré, les dommages et intérêts seront arbitrés à la somme de 7.000 francs, à mi-chemin entre les prétentions des deux parties à ce titre.
De nature indemnitaire, cette somme portera intérêt à compter du présent jugement, en application de l'article 1153-1 du Code civil.
Aucune somme ne sera en revanche accordée aux demandeurs en réparation du préjudice qu'ils disent avoir subi en raison d'une résistance abusive de la société WEIGERDING, au vu du fait qu'eux-mêmes se sont abstenus de verser le solde du prix de leur commande globale, soit 75.000 francs, pour un incident minime au regard du reste des prestations fournies, envenimant ainsi les relations contractuelles.
La somme réclamée sur le fondement de l'article 1590 du Code Civil n'est pas justifiée, cet article prévoyant le sort des arrhes en cas d'usage par un cocontractant de sa faculté de dédit, qui n'a en l'espèce pas été utilisée par la société venderesse.
- Sur la demande reconventionnelle en paiement :
En exécution du contrat, les époux X. sont redevables à la société WEIGERDING à compter de la livraison de la commande d'un solde de 75.000 francs.
Ils ne contestent pas que la livraison soit intervenue, ni qu'ils ne se soient pas libérés de cette somme.
En conséquence, la demande reconventionnelle en paiement du solde sera accueillie et la somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure telle qu'elle résulte de la signification des conclusions, le 17 mai 1994, portant demande en paiement.
- Sur l'exécution provisoire :
Compatible avec la nature de l'affaire et nécessaire pour garantir un prompt règlement du litige, l'exécution provisoire des demandes principale et reconventionnelle sera accordée.
[minute page 7]
- Sur l'application de l'article 700 du NCPC et les dépens :
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des parties leurs frais irrépétibles.
Les demandes au titre de l'article 700 du NCPC seront donc rejetées.
Les demandes principale et reconventionnelle étant accueillies, les dépens de l'instance principale seront partagés par moitié entre les parties.
- Sur l'appel en garantie :
- Sur la demande de garantie :
La société ESCARMOR affirme, sans en justifier puisqu'elle ne verse aucune pièce, avoir transmis ses plans de fabrication à la société WEIGERDING puis avoir procédé à la mise en fabrication de l'escalier à défaut de toute réserve de sa cocontractante.
La société WEIGERDING n'infirme ni ne confirme avoir été destinataire des plans de la société ESCARMOR, et affirme lui avoir transmis le devis accepté par les époux X. mentionnant toutes les caractéristiques techniques de l'escalier.
La société ESCARMOR reconnaît implicitement avoir reçu ce devis quand elle explique qu'elle ne s'y est pas conformée volontairement afin de ne pas effectuer la contrefaçon d'un modèle dessiné par un concurrent.
A défaut pour la société ESCARMOR de démontrer qu'elle a informé la société WEIGERDING des modifications envisagées et qu'elle a reçu son aval, même implicite, en ce sens, le sous-traitant doit être considéré comme ayant manqué à son obligation de délivrance d'une chose conforme par rapport à la commande.
En conséquence, la société ESCARMOR sera tenue de garantir la société WEIGERDING des sommes mises à sa charge dans le cadre de l'instance principale.
- Sur l'application de l'article 700 du NCPC et les dépens :
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société WEIGERDING partie de ses frais irrépétibles.
La société ESCARMOR sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 3.000 francs en application de l'article 700 du NCPC.
Partie perdante, la société ESCARMOR sera condamnée aux dépens de l'appel en garantie.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 8] PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,
- Sur l'instance principale
Dit n'y avoir lieu à résolution de la vente ;
Condamne la société WEIGERDING à payer à Monsieur et Madame X. la somme de SEPT MILLE FRANCS (7.000 francs) assortie des intérêts au taux légal à compter du présent jugement à titre de dommages et intérêts en réparation de l'inexécution partielle du contrat ;
Condamne Monsieur et Madame X. à payer à la société WEIGERDING la somme de SOIXANTE QUINZE MILLE FRANCS (75.000 francs) assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 1994 ;
Ordonne l'exécution provisoire des décisions ci-dessus ;
Déboute Monsieur et Madame X. du surplus de leurs demandes en paiement ;
Déboute les parties de leur demande respective au titre de l'article 700 du NCPC ;
Condamne les parties aux dépens de l'instance principale, y inclus les frais d'expertise, chacune pour moitié ;
- Sur l'appel en garantie
Condamne la société ESCARMOR TENAND à garantir la société WEIGERDING de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre dans le cadre de l'instance principale ;
Condamne la société ESCARMOR TENAND à payer à la société WEIGERDING la somme de TROIS MILLE FRANCS (3.000 francs) TTC au titre de l'article 700 du NCPC ;
Condamne la société ESCARMOR TENAND aux dépens de l'appel en garantie ;
Jugement prononcé publiquement et signé par Monsieur SCHNEIDER, Vice-Président et par Madame ARZ, Greffier Divisionnaire.
- 5986 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Contrôle judiciaire - Ordre logique des sanctions - Lien de la clause avec le litige : clauses abusives
- 6477 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Vente en général (9) - Obligations du vendeur - Clauses exonératoire et limitatives de responsabilité