CA LYON (1re ch. civ. B), 30 mai 2017
CERCLAB - DOCUMENT N° 6897
CA LYON (1re ch. civ. B), 30 mai 2017 : RG n° 17/00081
Publication : Jurica
Extrait : « Dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu'accessoire du droit d'action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis.
En l'espèce M. Y. et Mme X. ont assigné la société WINDMÖLLER FLOORING PRODUCTS GmbH, fabricante du parquet litigieux, sur un fondement contractuel en se prévalant d'une action directe contre le vendeur du parquet de sorte que la clause compromissoire contenue dans le contrat initial leur est opposable. Il importe peu qu'ils ne l'aient pas acceptée. Les sociétés WITEX FLOORING PRODUCTS GmbH et DIVERSOL ayant contracté dans le cadre de leur activité professionnelle, les dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives ne trouvent pas à s'appliquer.
La clause compromissoire, convenue entre professionnels, n'est pas manifestement inapplicable dès lors que le litige est lié au contrat contenant ladite clause. Elle ne saurait être considérée comme manifestement nulle dès lors qu'elle figure dans divers documents scellant l'accord des parties de sorte qu'elle ne saurait être considérée comme n'ayant pas été acceptée et que seule une analyse préalable du droit applicable au contrat permettrait d'écarter son caractère contractuel. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE B
ARRÊT DU 30 MAI 2017
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 17/00081. Décision du Juge de la mise en état de ROANNE du 19 octobre 2016 : R.G. n° 15/01168.
APPELANTE :
La Société de droit allemand WINDMOLLER FLOORING PRODUCTS GmbH, venant aux droits de la société WITEX GmbH
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés pour les besoins des présentes audit siège, Représentée par la SELARL L. & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, Assistée de la SELARL W. & Partenaires, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Mme X.
Représentée par Maître Christine A., avocat au barreau de ROANNE (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2017/XX du [date] accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)
M. Y.
Représenté par Maître Christine A., avocat au barreau de ROANNE (bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2017/YY du [date] accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)
Date de clôture de l'instruction : 27 mars 2017
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 3 avril 2017
Date de mise à disposition : 30 mai 2017
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré : - Françoise CARRIER, président, - Marie-Pierre GUIGUE, conseiller, - Michel FICAGNA, conseiller, assistés pendant les débats de Leïla KASMI, greffier placé. A l'audience, Françoise CARRIER a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, Signé par Françoise CARRIER, président, et par Leïla KASMI, greffier placé, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DE L'AFFAIRE :
En juin 2011, M. Y. et Mme X. ont acquis auprès de la société DIVERSOL 100 m² de parquet pour un prix de 4.286,44 euros qu'ils ont posé eux-mêmes dans leur maison d'habitation.
Dès le mois de septembre 2011, ils ont constaté que le parquet se gondolait et se rayait facilement.
Ils ont obtenu l'instauration d'une expertise au contradictoire de la société DIVERSOL suivant ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de ROANNE du 21 février 2013.
Sur la sollicitation de l'expert désigné, la société de droit allemand WITEX FLOORING PRODUCTS GmbH, en sa qualité de fabricant du revêtement litigieux, a été mise en cause et la mesure d'expertise lui a été déclarée commune et opposable par ordonnance du 30 avril 2014.
Par jugement du 29 mai 2013, la société DIVERSOL a été placée en liquidation judiciaire.
Le rapport d'expertise a été déposé en novembre 2014.
Par acte du 4 décembre 2015, M. Y. et Mme X. ont fait assigner la société WINDMÖLLER FLOORING PRODUCTS GmBh venant aux droits de la société WITEX FLOORING PRODUCTS GmBh aux fins d'obtenir réparation de leur préjudice pour défaut de délivrance d'un produit conforme.
Par conclusions d'incident, la société WINDMÖLLER FLOORING PRODUCTS GmBh a soulevé l'exception d'incompétence matérielle et territoriale du tribunal de grande instance de ROANNE et sollicité la condamnation de M. Y. et Mme X. à lui payer la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par ordonnance du 19 octobre 2016, le juge de la mise en état a rejeté les exceptions d'incompétence soulevées par la société WINDMÖLLER FLOORING PRODUCTS GmbH et condamné cette dernière aux dépens de l'incident.
Par acte du 4 janvier 2017, la société WINDMÖLLER FLOORING PRODUCTS GmbH a interjeté appel de cette ordonnance.
Au terme de conclusions notifiées le 16 mars 2017, elle demande à la cour de réformer l'ordonnance déférée et de :
- déclarer le tribunal de grande instance de ROANNE incompétent matériellement pour trancher le présent litige et inviter M. Y. et Mme X. à mieux se pourvoir devant le London Court of International Arbitration (LCIA), 70 Fleet St., London EC4Y 1EU, Royaume-Uni,
- subsidiairement, déclarer territorialement incompétent le tribunal de grande instance de ROANNE et inviter M. Y. et Mme X. à mieux se pourvoir devant le tribunal de grande instance de Detmold, Allemagne (Landgericht Detmold, Paulinenstraße 446, 32756 Detmold),
- en tout état de cause, condamner M. Y. et Mme X. à lui payer la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance avec faculté de distraction au profit de Maître L.
Elle fait valoir :
- que M. Y. et Mme X. invoquent le bénéfice d'une action directe contre elle et sont donc liés par la clause compromissoire contenue par les conditions internationales de vente applicables aux clients non-résidents en Allemagne dans le cadre du contrat conclu avec la société DIVERSOL,
- qu'il importe peu que M. Y. et Mme X. ne soient pas des professionnels, la clause ayant été convenue entre professionnels,
- que la nullité de l'article 2061 du code civil ne vaut que pour les arbitrages internes,
- qu'en toute hypothèse, en l'absence de nullité manifeste de la clause compromissoire, l'incompétence doit être retenue puisque l'arbitre est le seul compétent pour statuer sur sa compétence puisque seule la nullité manifeste de la clause compromissoire permet de faire exception à cette règle et que le simple doute quant à l'applicabilité de cette clause ou la présence d'un tiers au contrat ne rendent pas la clause manifestement inapplicable,
- qu'en l'absence de nullité manifeste de la clause compromissoire, il n'y a pas lieu de s'interroger sur l'absence d'acceptation des conditions de vente par le co-contractant,
- que conformément au Règlement Rome I, le contrat conclu avec la société DIVERSOL est de droit allemand dès lors que sa résidence habituelle est en Allemagne et qu'il n'existe pas de liens manifestement plus étroits avec la France dans ce contrat du fait de la seule livraison sur le territoire français,
- que conformément au droit allemand, les conditions générales de vente et notamment la clause compromissoire, font partie intégrante du contrat puisque l'utilisateur y a fait explicitement référence, et que la société DIVERSOL a eu la possibilité d'en prendre connaissance et les a tacitement acceptées lors de la réception sans opposition de la marchandise,
- que la clause compromissoire litigieuse ne peut être annulée sur le fondement des dispositions du code de la consommation dès lors que les sociétés DIVERSOL et WINDERMÖLLER FLOORING PRODUCTS GmbH ne sont pas des consommateurs et qu'en tout état de cause, cette question relève de la compétence de l'arbitre,
- qu'à titre subsidiaire, seules les juridictions allemandes sont territorialement compétentes conformément à l'article 2 du Règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000,
- que l'article 5.1 du Règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000 rendant compétentes les juridictions du lieu de livraison des marchandises n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce dès lors que M. Y. et Mme X. ne peuvent agir contre elle en non-conformité en l'absence de défaillance dans l'exécution de son contrat à l'égard de la société DIVERSOL, le défaut de conseil imputable à cette dernière étant seul à l'origine du dommage invoqué, d'après le rapport d'expertise,
- qu'en toute hypothèse, il ressort des conditions générales de vente que le lieu d'exécution des obligations résultant du contrat conclu avec la société DIVERSOL est l'Allemagne, et plus précisément AUGUSTDORF,
- que l'article 5.2 du Règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000 n'a pas lieu à s'appliquer aux motifs qu'il ne concerne que les actions délictuelles ou quasi-délictuelles et que l'action directe exercée par M. Y. et Mme X. est de nature contractuelle, ce qui exclut toute action sur un autre fondement,
- que l'article 16 de ce même règlement ne saurait être invoqué dès lors qu'il implique l'existence d'un contrat de consommation au sens de l'article 15, et qu'il n'est pas démontré que son activité est dirigée vers la France.
Au terme de conclusions notifiées le 2 mars 2017, M. Y. et Mme X. demandent à la cour de confirmer l'ordonnance déférée, de débouter la société WINDMÖLLER FLOORING PRODUCTS GmbH de ses demandes et de la condamner à payer à M. Y. qui ne bénéficie que d'une aide juridictionnelle partielle la somme de 1.200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir :
- que l'exception d'incompétence au regard de la clause compromissoire est un moyen nouveau qui n'a pas été soulevé au cours de l'instance de référé aux fins d'expertise,
- que les juridictions françaises peuvent statuer sur leur compétence dès lors que cette clause est inapplicable conformément à l'article 2061 du code civil puisqu'il n'est pas démontré qu'elle ait été acceptée par la société DIVERSOL, expressément ou tacitement, qu'ils ne l'ont pas acceptée et qu'ils n'ont pas contracté en qualité de professionnels,
- que cet article trouve à s'appliquer, la loi applicable étant la loi française puisque le litige a un lien plus étroit avec la France, conformément à l'article 4.3 du Règlement Rome I du 17 juin 2008, du fait de la nationalité et de la résidence françaises des acheteurs et du revendeur, ainsi que de la livraison du parquet en France,
- que l'article 2061 du code civil ne faisant aucune distinction, il n'y a pas lieu de distinguer entre arbitrage interne et arbitrage international,
- que le juge français est territorialement compétent, que l'action qu'ils exercent soit de nature contractuelle ou délictuelle, puisque le parquet a été livré en France, que le dommage a été subi en France, à leur domicile, qu'ils ont la qualité de consommateur, n'ayant pas contracté en qualité de professionnels avec la société DIVERSOL, et que la société WINDMÖLLER FLOORING PRODUCTS GmbH dirige son activité commerciale vers la France.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Aucune disposition légale n'édicte l'irrecevabilité des moyens nouveaux soulevés en cause d'appel de sorte que la société WINDMÖLLER FLOORING PRODUCTS GmbH est fondée à invoquer la cause compromissoire au soutien de son exception d'incompétence.
Les conditions internationales de vente applicables aux clients non-résidents en Allemagne de la société WITEX FLOORING PRODUCTS GmbH aux droits de laquelle se trouve la société WINDMÖLLER FLOORING PRODUCTS GmbH stipulent au paragraphe IX.4 que tous les litiges, contractuels et extracontractuels résultant ou en relation avec les contrats pour lesquels l'application des présentes conditions internationales de vente est prévue seront résolus suivant le règlement d'arbitrage de la London Court of International Arbitration (LCIA) à l'exclusion de tout recours aux juridictions ordinaires.
La confirmation de commande adressée à la société DIVERSOL rappelle que les parties sont liées par les conditions internationales de vente applicable aux clients non-résidents en Allemagne qui ont été remises au client et non par les conditions d'achat contraires ou dérogatoires du client.
Selon l'article 1448 du code de procédure civile, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable. Le simple doute sur l'applicabilité de la clause ne saurait permettre aux juges de la déclarer manifestement inapplicable.
Dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu'accessoire du droit d'action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis.
En l'espèce M. Y. et Mme X. ont assigné la société WINDMÖLLER FLOORING PRODUCTS GmbH, fabricante du parquet litigieux, sur un fondement contractuel en se prévalant d'une action directe contre le vendeur du parquet de sorte que la clause compromissoire contenue dans le contrat initial leur est opposable. Il importe peu qu'ils ne l'aient pas acceptée.
Les sociétés WITEX FLOORING PRODUCTS GmbH et DIVERSOL ayant contracté dans le cadre de leur activité professionnelle, les dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives ne trouvent pas à s'appliquer.
La clause compromissoire, convenue entre professionnels, n'est pas manifestement inapplicable dès lors que le litige est lié au contrat contenant ladite clause.
Elle ne saurait être considérée comme manifestement nulle dès lors qu'elle figure dans divers documents scellant l'accord des parties de sorte qu'elle ne saurait être considérée comme n'ayant pas été acceptée et que seule une analyse préalable du droit applicable au contrat permettrait d'écarter son caractère contractuel.
Il convient en conséquence de déclarer le tribunal de grande instance de ROANNE incompétent et de renvoyer M. Y. et Mme X. à mieux se pourvoir conformément à l'article 96 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
RÉFORME l'ordonnance déférée ;
Statuant à nouveau,
DÉCLARE le tribunal de grande instance de ROANNE incompétent ;
RENVOIE M. Y. et Mme X. à mieux se pourvoir ;
DIT n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. Y. et Mme X. aux dépens ;
AUTORISE Me L. à recouvrer directement à leur encontre les dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
- 5853 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de consommateur - Particulier personne physique - Consommateur tiers au contrat
- 6146 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Clauses sur l’accès au juge - Clause compromissoire (arbitrage)