CA PARIS (pôle 2 ch. 2), 21 septembre 2017
CERCLAB - DOCUMENT N° 7045
CA PARIS (pôle 2 ch. 2), 21 septembre 2017 : RG n° 15/25098
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « La SNCF Mobilités a conclu avec le diocèse de Bruges un contrat intitulé « Contrat d'affrètement train de pèlerinage » selon acte sous seing privé signé les 27 et 30 janvier 2010. Ce contrat portait sur la mise à disposition d'un TGV permettant le transport de personnes et de matériels pour un trajet Tourcoing-Lourdes, aller et retour, les 17 et 22 mai 2010. En raison de ce lien contractuel, la SNCF est bien fondée à appeler le diocèse de Bruges en garantie au titre de la responsabilité contractuelle, soit en application de l'article 1147 devenu 1217 et 1231-1 du code civil, la qualité de préposé de M. Y. devant être appréciée pour l'application de la garantie du diocèse de Bruges prévue à ce contrat et non pour fonder sa responsabilité sur les dispositions de l'article 1384 du code civil. »
2/ « Ces clauses contractuelles ont vocation à s'appliquer à M. Y. qui avait été investi par le diocèse de Bruges, organisateur du pèlerinage, d'un rôle d'accompagnateur et qui, à ce titre, avait la qualité de préposé du diocèse. Or, il a déjà été dit qu'en cherchant à monter dans un train qui quittait son stationnement à quai alors que la procédure de démarrage avait été entamée, M. Y. n'a pas respecté les consignes de sécurité applicables à toute personne se trouvant sur le quai de la gare. Il s'ensuit que les clauses 8.1 et 8.2 ont vocation à s'appliquer aux dommages corporels subis par M. Y. dès lors que ce dernier, préposé du diocèse, a bien subi des dommages corporels à l'occasion de l'exécution du contrat d'affrètement.
Les dispositions du code de la consommation sur les clauses abusives (articles L. 212-1, R. 132-1 et suivants) ont vocation à s'appliquer, un diocèse n'étant pas un professionnel dans le domaine, sans lien avec son activité, du transport ferroviaire. Dès lors que la clause 8.2 met à la charge du client seul l'ensemble des dommages corporels causés, du fait ou à l'occasion du contrat d'affrètement, aux pèlerins, aux préposés du client, aux agents de la SNCF et aux tiers, soit à toute personne, et qu'elle n'exclut pas de cette charge les dommages résultant d'une inexécution par la SNCF de ses propres obligations, notamment celle d'assurer la sécurité du transport, elle crée au détriment du client consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Cette clause exonératoire de responsabilité est abusive et doit être réputée non écrite.
En revanche, la clause 8.1 doit trouver application dès lors qu'elle ne prévoit pas une responsabilité générale du client mais seulement dans les cas précis de défaut de respect par lui-même ou par son personnel des prescriptions légales et réglementaires concernant la police et la sécurité des chemins de fer, des engagements visés à l'article 7 du présent contrat, des dispositions du présent contrat ainsi que de toutes les consignes données par les responsables de la SNCF et que cette responsabilité pour faute ne crée pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Par ailleurs, la clause 8.1 ne contredit pas la portée de l'obligation essentielle souscrite par le SNCF, soit la mise à disposition d'un moyen de transport ferroviaire pour effectuer un trajet entre Tourcoing et Lourdes, aller et retour, aux dates convenues. Elle n'est pas non plus contraire aux dispositions de l'article 6 du règlement n° 1371/2007 du 23 octobre 2007 qui prévoient que les obligations envers les voyageurs résultant du présent règlement ne peuvent pas faire l'objet d'une limitation ou d'une exonération, notamment par une dérogation ou une clause restrictive figurant dans le contrat de transport, dès lors qu'elle ne constitue ni une limitation des droits des voyageurs, ni une exonération de responsabilité au profit de la SNCF, mais impose au client -ou son préposé- ayant commis une faute, d'indemniser la SNCF ayant subi un préjudice du fait de cette faute. Au demeurant, force est de constater que ce règlement n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce, M. Y. n'ayant pas la qualité de voyageur au moment de l'accident.
Dans ces conditions, le diocèse de Bruges doit garantir la SNCF du préjudice financier qu'elle subi à la suite du comportement fautif de son préposé, M. Y. »
3/ « Dès lors que la faute de M. Y. est à l'origine du dommage et que le contrat ne prévoit pas de limitation à la garantie, la SNCF est bien fondée à solliciter la garantie par le diocèse de Bruges à hauteur de l'entier préjudice ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 2 CHAMBRE 2
ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE 2017
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 15/25098 (11 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 novembre 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - R.G. n° 13/12901.
APPELANTES :
Société AG INSURANCE
agissant en la personne de son représentant légal, Société AXA BELGIUM, agissant en la personne de son représentant légal, Représentée par Maître Christophe P. de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K148, Ayant pour avocat plaidant Maître Jean-Baptiste P.-G., avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
LE DIOCÈSE DE BRUGES
prise en la personne de son représentant légal, Représentée par Maître Patricia H. de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056, Assistée de Maître Myriam F. substituant Maître B. Jonathan, avocat au barreau de PARIS, toque : L 007
SNCF MOBILITÉS
prise en la personne de son représentant légal, Représentée par Maître Vincent R. de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010, Assistée de Maître Florence G. substituant Maître Michel B., avocat au barreau de PARIS, toque R 77
Madame X. veuve Y.
Née le [date] à [ville]
Monsieur N. Y. agissant tant en son nom personnel qu’au nom de ses deux enfants mineurs, A. né le [date] et Ax. née le [date]
Né le [date] à [ville]
Monsieur P. Y. agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses deux enfants mineurs, E. né le [date], et Es. née le [date]
Né le [date] à [ville]
Mademoiselle E. Y.
Née le [date]
Monsieur L. Y.
Né le [date] à [ville]
Représentés et assistés de Maître Micheline S.-G., avocat au barreau de PARIS, toque : D0684
COMPOSITION DE LA COUR : Madame Isabelle CHESNOT, conseillère, ayant préalablement été entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 juin 2017, en audience publique, devant la cour composée de : Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre, Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère, Madame Isabelle CHESNOT, conseillère, qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Denise FINSAC
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente et par Madame Fatima-Zohra AMARA, greffière présente lors du prononcé.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Dans le cadre de l'organisation d'un pèlerinage à Lourdes, M. Z., agissant en qualité de représentant du diocèse de Bruges, a signé avec la SNCF un contrat d'affrètement portant sur un train TGV reliant Tourcoing à Lourdes le 17 mai 2010.
La train arrivé à la gare de Lourdes à 18 h 40 est demeuré à quai pour repartir à 19 h 44.
Au moment où la rame se mettait en mouvement, M. Y. qui accompagnait le groupe de pèlerins a constaté que deux planches en bois étaient restées dans le train, s'est mis à courir et a tenté de monter dans la voiture, lorsqu'il a été déséquilibré par la vitesse prise par le train et a chuté entre le train et le quai. Les blessures subies ont entraîné son décès.
Une enquête préliminaire a été diligentée par les services de police. L'affaire a été classée sans suite par le parquet de Tarbes.
Par exploit d'huissier du 1er août 2013, Mme J. X. veuve Y., M. P. Y. et M. N. Y., ces derniers agissant tant en leurs noms propres qu'en leurs qualités de représentant légal de leurs enfants mineurs, ont fait citer la SNCF devant le tribunal de grande instance de Paris, au visa de l'article 1384 du code civil, aux fins d'indemnisation de leurs préjudices financier, moral et d'affection.
La SNCF a appelé en intervention forcée le diocèse de Bruges et ses deux assureurs, les sociétés Axa Belgium et AG Insurance.
Par jugement du 12 novembre 2015, le tribunal de grande instance de Paris a :
- Déclaré la SCNF responsable à hauteur de 80 % des préjudices subis par Mme J. X. veuve Y., ses enfants et petits-enfants, consécutivement à l'accident mortel de M. G. Y.,
- condamné la SCNF à payer à Mme J. X. veuve Y. la somme de 24.000 euros, à M. P. Y. et M. N. Y. à chacun la somme de 9.600 euros et à M. P. Y. en sa qualité de représentant légal de ses enfants mineurs, L., E. et Es. la somme de 14.400 euros (4.800 euros x 3), et pour Melle E. Y. la somme de 4.800 euros, à M. N. Y. en sa qualité de représentant légal de ses enfants mineurs, A. et Ax. la somme de 9.600 euros (4.800 euros x 2), en réparation de leur préjudice moral et d'affection,
- condamné la SNCF à payer à Mme J. X. veuve Y., à M. P. Y. et à M. N. Y. la somme de 1.000 euros à chacun au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné in solidum le diocèse de Bruges et les sociétés Axa Belgium et AG Insurance à relever et garantir la SNCF de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre,
- condamné in solidum le diocèse de Bruges et les sociétés Axa Belgium et AG Insurance à payer à la SNCF la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraire,
- condamné in solidum le diocèse de Bruges, les sociétés Axa Belgium et AG Insurance aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par les avocats qui en auront fait la demande,
- ordonné l'exécution provisoire.
Les sociétés Axa Belgium et AG Insurance ont fait appel de ce jugement par déclaration du 10 décembre 2015.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 août 2016, les appelantes sollicitent de la cour qu'elle infirme le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
A titre principal :
- Déboute la SCNF de son recours en garantie contre le diocèse de Bruges,
- prononce, en conséquence, leur mise hors de cause,
A titre subsidiaire,
- les dise bien fondées à refuser leur garantie au diocèse de Bruges et à opposer ce refus à la SNCF,
- déboute en conséquence la SNCF de l'ensemble de ses demandes en tant que dirigées à leur encontre,
A titre très subsidiaire,
- dise que la part de responsabilité de la SNCF dans le décès de M. Y. doit être limitée à 30 %,
En toute hypothèse,
- condamne la SNCF à leur verser la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne la SNCF enfin aux entiers dépens qui seront recouvrés par la Selarl Recamier, représentée par Me B.-C., conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Selon conclusions n° 3 notifiées par voie électronique le 16 septembre 2016, l'établissement public SNCF Mobilités demande à la cour de :
- Déclarer SNCF Mobilités venant aux droits de la Société Nationale des Chemins de Fer Français recevable et bien fondé en ses écritures et son appel incident,
Y faisant droit :
- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu la SNCF responsable de l'accident survenu à M. Y. à hauteur de 80 % en tenant compte d'une faute certaine de la victime considérée comme non-imprévisible et non-irrésistible,
- dire et juger au contraire que le comportement et les fautes commises par M. Y. étaient imprévisibles et irrésistibles pour la SNCF et, en conséquence, exonératoires de toute responsabilité,
- débouter en conséquence les consorts Y. de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à l'égard de la SNCF Mobilités,
Subsidiairement,
- reformer le jugement entrepris sur le quantum du partage de responsabilité et dire et juger que le comportement et les fautes de M. Y. ont contribué au moins pour moitié à la réalisation du dommage dont il a été victime,
A titre infiniment subsidiaire,
- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé un partage de responsabilité à hauteur de 80% à la charge de la SNCF Mobilités venant aux droits de la SNCF,
En toute hypothèse,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné le diocèse de Bruges et ses assureurs les sociétés AXA Belgium et AG Insurance à garantir la SNCF Mobilités venant aux droits de la SNCF,
- débouter le diocèse de Bruges de ses demandes et de son appel incident,
- confirmer enfin le jugement entrepris en ce qu'il a condamné le diocèse de Bruges, les sociétés AXA Belgium et AG Insurance à relever et garantir la SNCF de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné in solidum le diocèse de Bruges, les sociétés AXA Belgium et AG Insurance à payer à la SNCF la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum le diocèse de Bruges, les sociétés AXA Belgium et AG Insurance à payer à la SNCF Mobilités la somme de 4.000 euros, en cause d'appel, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Selon conclusions notifiées par voie électronique le 6 mai 2016, le diocèse de Bruges prie la cour, outre divers dire et juger qui ne sont que la reprise de ses moyens, de bien vouloir infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
A titre principal,
- Débouter la SNCF de l'intégralité de ses demandes dirigées à son encontre,
- prononcer sa mise hors de cause,
Subsidiairement si, par extraordinaire, la cour devait retenir sa responsabilité,
- dire et juger que les sociétés AXA Belgium et AG Insurance lui doivent leur entière garantie,
En conséquence,
- condamner les sociétés AXA Belgium et AG Insurance à le relever et garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,
En tout état de cause,
- condamner la SNCF ou qui mieux le devra à lui payer la somme de 8.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SNCF ou qui mieux le devra aux entiers dépens dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de la SELARL 2H Avocats en la personne de Maître Patricia H. et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Enfin, par conclusions n° 2 notifiées par voie électronique le 1er juillet 2016, Mme J. X. veuve Y., M. P. Y. agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses deux enfants mineurs, E. et Es., Mme E. Y., M. L. Y. et M. N. Y. agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses deux enfants mineurs, A. et Ax. demandent à la cour, au visa de l'article 1384 alinéa 1er du code civil, de :
- Confirmer le jugement rendu le 12 novembre 2015 en ce qu'il a :
- déclaré la SNCF responsable à hauteur de 80 % des préjudices subis consécutivement à l'accident mortel de M. G. Y.,
- condamné la SNCF à payer à Mme J. X. veuve Y. la somme de 24.000 euros, à M.M. P. Y. et N. Y. chacun la somme de 9.600 euros, à Lucas, E., Es., E., A. et Axel Y., petits-enfants de la victime, la somme de 4.800 euros pour chacun d'eux ;
- condamné la SNCF à payer à Mme Y. et à M.M. P. Y. et N. Y. chacun la somme de 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Y ajoutant,
- condamner les société AXA Belgium et AG Insurance ou tout autre succombant à payer à Mme veuve Y., à M.M. N. Y. et P. Y., à Mme E. Y., et à M. L. Y. chacun la somme de 1.200 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les sociétés AXA Belgium et AG Insurance ou tout autre succombant aux entiers dépens d'instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 juin 2017.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la responsabilité de la SNCF :
Les consorts Y. font valoir que les premiers juges ont justement retenu la responsabilité de la SNCF sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er du code civil, le comportement imprudent de la victime n'ayant pas présenté les caractéristiques d'une force majeure, seule susceptible d'exonérer la SNCF, gardienne du train, de sa responsabilité. Ils admettent que la faute d'imprudence de M. Y. est de nature à entraîner une proportion de responsabilité laissée à la charge de la victime à hauteur de 20 % mais considèrent qu'elle ne saurait être supérieure.
La SNCF rappelle que l'accident survenu à M. Y. n'est pas intervenu dans le cadre d'un contrat de transport et approuve les premiers juges en ce qu'ils ont retenu une faute indéniable de la victime qui ayant la responsabilité des bagages, avait eu plus d'une heure pour les décharger, a tenté de remonter dans un train qui ne prenait plus de voyageurs alors que la procédure de départ avait été enclenchée, a couru sur le quai et s'est agrippée au train. Elle affirme qu'un tel comportement, imprévisible car particulièrement imprudent et risqué mais aussi irrésistible, en l'absence de moyens tant humains que techniques susceptibles de l'empêcher, constitue pour elle un cas de force majeure et ajoute aussi que M. Y. a commis une faute volontaire qui a été la cause exclusive du dommage, de sorte qu'elle doit être exonérée de toute responsabilité.
Les sociétés AXA Belgium et AG Insurance soutiennent, dès lors qu'elles y ont intérêt en leur qualité d'assureur du diocèse de Bruges mis en cause par la SNCF, qu'aux termes du contrat d'affrètement qui à l'égard des pèlerins et des accompagnateurs doit s'analyser comme un contrat de transport, cette dernière était tenue d'une obligation de sécurité de résultat. A titre très subsidiaire, les appelantes contestent le partage de responsabilité opéré par le tribunal de grande instance en considérant que du fait de la faute particulièrement grave de la victime, la responsabilité de la SNCF ne peut excéder 30 %.
La cour constate que les premiers juges ont fait une exacte appréciation des faits et une juste application de la loi en relevant que la responsabilité de la SNCF dans l'accident survenu à M. Y. est régie par les dispositions de l'article 1384 du code civil, dès lors que ce dernier était descendu du train à l'arrivée à destination et que, se trouvant sur le quai de la gare, il a tenté de remonter dans le train qui repartait après être resté immobilisé pendant une heure, qu'il a commis une faute d'imprudence en tentant de remonter dans le train alors qu'en l'absence de preuve contraire, la procédure de démarrage du train, comprenant le déclenchement d'un coup de sifflet, avait eu lieu, que toutefois cette faute ne constitue pas une force majeure, en l'absence d'imprévisibilité et d'irrésistibilité de ce genre de comportement auquel le transporteur ferroviaire est fréquemment confronté.
En conséquence, le train ayant été l'instrument du dommage, la SNCF ne peut échapper à sa responsabilité en plaidant que la faute de M. Y. est la cause exclusive de l'accident et échoue à s'en exonérer, en sa qualité de gardienne du train, par la démonstration d'une force majeure.
Au demeurant, il est constant que M. Y. a commis une faute d'imprudence en courant et en s'agrippant à un élément du train, tentant ainsi de monter et d'attraper les planches s'y trouvant, alors que la procédure de démarrage avait commencé et que le train prenait de la vitesse.
Toutefois, il n'aurait pas agi ainsi si les portes du train avaient été toutes fermées et n'aurait pas persisté dans sa tentative s'il avait été arrêté par une intervention sonore (coup de sifflet ou cri) d'un agent de la SNCF. Or, s'il importe peu dans le cadre du présent litige de savoir si la SNCF avait l'obligation ou non de fermer les portes, il est suffisamment établi par les procès-verbaux d'audition des témoins, d'une part qu'une porte du TGV était bien restée ouverte, permettant à M. Y. de constater qu'il y avait oublié deux planches en bois et lui donnant l'occasion de tenter de les récupérer, et d'autre part, que le comportement de M. Y. n'a pas été vu par un agent d'escale.
Ainsi, au vu des éléments de la cause et des pièces produites aux débats, la décision déférée qui a retenu que l'imprudence fautive de la victime a contribué à la réalisation du dommage et qui a exonéré partiellement la SNCF de sa responsabilité, à hauteur de 20 %, doit être confirmée.
Sur l'indemnisation des préjudices :
Les montants retenus par les premiers juges au titre de l'indemnisation des préjudices moraux et d'affection subis par chacun des consorts Y. ne sont pas contestés devant la cour.
Sur l'appel en garantie du diocèse de Bruges :
La cour constate que la régularité de l'assignation délivrée à la demande de la SNCF, devenue SNCF Mobilités, n'est plus discutée en cause d'appel.
La SNCF demande la confirmation du jugement, le tribunal ayant parfaitement jugé que le diocèse de Bruges lui doit sa garantie en sa qualité de commettant de M. Y. qui a agi dans le cadre de ses fonctions. Elle demande l'application de l'article 8.1 des conditions générales du contrat et souligne que la clause 8.2 vise le risque généré par les pèlerins physiquement en difficulté qui nécessitent des soins spécifiques, que par dérogation au droit commun, le diocèse s'engage à fournir l'accompagnement et l'encadrement nécessaires à ces voyageurs et que le transporteur n'est responsable que de la sécurité du convoi. Elle considère que le règlement européen du 23 octobre 2007 n'a pas vocation à s'appliquer, M. Y. n'étant plus voyageur ferroviaire au moment de l'accident.
Le diocèse de Bruges soutient que la SNCF ne peut rechercher sa responsabilité sur le fondement de l'article 1384 du code civil dès lors qu'un contrat d'affrètement a été signé entre eux, qu'au demeurant, cette disposition du code civil ne peut s'appliquer qu'en cas de dommage causé par un préposé à autrui, et non à lui-même. Elle affirme que le contrat avait pour obligation essentielle de transporter les pèlerins sains et saufs et les clauses 8-1 et 8-2 figurant aux conditions générales du contrat et prévoyant la garantie de la SNCF par le diocèse de Bruges en cas de dommages corporels causés du fait ou à l'occasion du contrat du contrat doivent être réputées non écrites car créant un déséquilibre entre un professionnel et un consommateur.
Les sociétés Axa Belgium et AG Insurance font valoir que la responsabilité du diocèse de Bruges ne peut être recherchée que sur le terrain contractuel, qu'en tout état de cause, les conditions de la responsabilité délictuelle édictée à l'article 1384 alinéa 5 du code civil ne sont pas réunies. Elle soutiennent que les clauses 8-1 et 8-2 doivent être déclarées abusives du fait d'un déséquilibre significatif entre les droits et obligations incombant à chacune des parties, sans cause dès lors qu'elles vident l'obligation de sécurité pesant sur la SNCF de tout objet ou encore contraire à l'article 6 du règlement n°1371/2007 du 23 octobre 2007 portant sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires qui prévoit que les obligations envers les voyageurs résultant du présent règlement ne peuvent pas faire l'objet d'une limitation ou d'une exonération, notamment par une dérogation ou une clause restrictive figurant dans le contrat de transport. Elles opposent aussi aux demandes formées par la SNCF à leur encontre la faute lourde que celle-ci a commise en laissant une porte ouverte alors que le TGV était en marche, précisant que les clauses 8.1 et 8.2 doivent être interprétées strictement et par conséquent, ne peuvent pas s'appliquer quand la responsabilité de la SNCF est aussi en cause.
La SNCF Mobilités a conclu avec le diocèse de Bruges un contrat intitulé « Contrat d'affrètement train de pèlerinage » selon acte sous seing privé signé les 27 et 30 janvier 2010. Ce contrat portait sur la mise à disposition d'un TGV permettant le transport de personnes et de matériels pour un trajet Tourcoing-Lourdes, aller et retour, les 17 et 22 mai 2010.
En raison de ce lien contractuel, la SNCF est bien fondée à appeler le diocèse de Bruges en garantie au titre de la responsabilité contractuelle, soit en application de l'article 1147 devenu 1217 et 1231-1 du code civil, la qualité de préposé de M. Y. devant être appréciée pour l'application de la garantie du diocèse de Bruges prévue à ce contrat et non pour fonder sa responsabilité sur les dispositions de l'article 1384 du code civil.
Par ailleurs, la cour constate que le diocèse de Bruges ne conteste pas que l'accident subi par M. Y. est intervenu à l'occasion de l'exécution du contrat d'affrètement.
Aux termes des conditions générales du contrat figurant au verso et expressément approuvées par le diocèse de Bruges,
- selon l'article 8.1 : Le client s'engage à respecter les prescriptions légales et réglementaires concernant la police et la sécurité des chemins de fer, ainsi que les engagements visés à l'article 7 du présent contrat. Il doit veiller à ce que son personnel et toute personne se rendant à sa demande dans les emprises de la SNCF aient connaissance et observent strictement les dispositions du présent contrat, ainsi que toutes les consignes qui leur seront données par les responsables de la SNCF.
Tout accident ou dommage quelconque provoqué par l'inobservation des dispositions ci-dessus entraîne la responsabilité du client qui s'engage à indemniser la SNCF et ses agents du préjudice subi par eux.
- selon l'article 8.2 : Le client supporte les conséquences pécuniaires des dommages corporels de toute nature qui pourraient être causés du fait ou à l'occasion du contrat d'affrètement aux pèlerins y compris les malades, aux préposés du client, y compris les personnes bénévoles, aux agents de la SNCF et aux tiers.
Ces clauses contractuelles ont vocation à s'appliquer à M. Y. qui avait été investi par le diocèse de Bruges, organisateur du pèlerinage, d'un rôle d'accompagnateur et qui, à ce titre, avait la qualité de préposé du diocèse.
Or, il a déjà été dit qu'en cherchant à monter dans un train qui quittait son stationnement à quai alors que la procédure de démarrage avait été entamée, M. Y. n'a pas respecté les consignes de sécurité applicables à toute personne se trouvant sur le quai de la gare.
Il s'ensuit que les clauses 8.1 et 8.2 ont vocation à s'appliquer aux dommages corporels subis par M. Y. dès lors que ce dernier, préposé du diocèse, a bien subi des dommages corporels à l'occasion de l'exécution du contrat d'affrètement.
Les dispositions du code de la consommation sur les clauses abusives (articles L. 212-1, R. 132-1 et suivants) ont vocation à s'appliquer, un diocèse n'étant pas un professionnel dans le domaine, sans lien avec son activité, du transport ferroviaire.
Dès lors que la clause 8.2 met à la charge du client seul l'ensemble des dommages corporels causés, du fait ou à l'occasion du contrat d'affrètement, aux pèlerins, aux préposés du client, aux agents de la SNCF et aux tiers, soit à toute personne, et qu'elle n'exclut pas de cette charge les dommages résultant d'une inexécution par la SNCF de ses propres obligations, notamment celle d'assurer la sécurité du transport, elle crée au détriment du client consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Cette clause exonératoire de responsabilité est abusive et doit être réputée non écrite.
En revanche, la clause 8.1 doit trouver application dès lors qu'elle ne prévoit pas une responsabilité générale du client mais seulement dans les cas précis de défaut de respect par lui-même ou par son personnel des prescriptions légales et réglementaires concernant la police et la sécurité des chemins de fer, des engagements visés à l'article 7 du présent contrat, des dispositions du présent contrat ainsi que de toutes les consignes données par les responsables de la SNCF et que cette responsabilité pour faute ne crée pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Par ailleurs, la clause 8.1 ne contredit pas la portée de l'obligation essentielle souscrite par le SNCF, soit la mise à disposition d'un moyen de transport ferroviaire pour effectuer un trajet entre Tourcoing et Lourdes, aller et retour, aux dates convenues. Elle n'est pas non plus contraire aux dispositions de l'article 6 du règlement n° 1371/2007 du 23 octobre 2007 qui prévoient que les obligations envers les voyageurs résultant du présent règlement ne peuvent pas faire l'objet d'une limitation ou d'une exonération, notamment par une dérogation ou une clause restrictive figurant dans le contrat de transport, dès lors qu'elle ne constitue ni une limitation des droits des voyageurs, ni une exonération de responsabilité au profit de la SNCF, mais impose au client -ou son préposé- ayant commis une faute, d'indemniser la SNCF ayant subi un préjudice du fait de cette faute. Au demeurant, force est de constater que ce règlement n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce, M. Y. n'ayant pas la qualité de voyageur au moment de l'accident.
Dans ces conditions, le diocèse de Bruges doit garantir la SNCF du préjudice financier qu'elle subit à la suite du comportement fautif de son préposé, M. Y.
Dès lors que la faute de M. Y. est à l'origine du dommage et que le contrat ne prévoit pas de limitation à la garantie, la SNCF est bien fondée à solliciter la garantie par le diocèse de Bruges à hauteur de l'entier préjudice.
Sur les garanties par les assureurs :
Les sociétés Axa Belgium et AG Insurance font valoir que le diocèse de Bruges et la SNCF ne se fondent que sur le contrat d'assurance de responsabilité civile garantissant les pèlerins et le diocèse des dommages qu'ils pourraient causer à des tiers, que toutefois cette police n'a pas vocation à être mobilisée dès lors que l'assuré n'est pas le diocèse mais le service des pèlerinages diocésains de Flandres, qu'aux termes des conditions générales du contrat d'assurance, les engagements contractuels de l'assuré qui engage sa responsabilité civile contractuelle ou extra-contractuelle au-delà des dispositions légales ne sont pas couvertes par la police ce qui est le cas des engagements pris dans l'article 8 du contrat d'affrètement, que la police a pour objet de garantir une responsabilité et non l'exécution d'une obligation contractuelle, qu'enfin, en contrepartie du paiement de l'indemnité d'assurance par la société Axa Belgium, les consorts Y. ont reconnu qu'elle s'était déchargée de toute obligation pouvant découler de l'accident, de sorte qu'ils ont renoncé à toutes actions à l'encontre des sociétés d'assurance et que cette renonciation est opposable à la SNCF, subrogée dans les droits des victimes.
La SNCF soutient que le diocèse de Bruges a bien souscrit un contrat d'assurance garantissant les membres du pèlerinage pour tout accident qui surviendrait pendant ce pèlerinage, que ce contrat couvre la responsabilité civile extra-contractuelle du preneur d'assurance et des « personnes autorisées par lui à monter dans les trains et voitures », qu'ainsi, le dommage corporel subi par M. Y. ainsi que les dommages subis par ses proches doivent être pris en charge par l'assurance, compte-tenu de la faute commise engageant la responsabilité du diocèse.
Le diocèse de Bruges ne développe aucun moyen à l'appui de son appel en garantie.
Le contrat d'assurance dont le diocèse de Bruges demande application, garantissant la responsabilité civile des chefs d'entreprise et portant le numéro XXF, a été conclu par les sociétés Winterthur et AG d'une part et par l’« Œuvre diocésaine des pèlerinages. Pèlerinages des Flandres » selon traduction libre que la cour considère comme valable en l'absence de contestation d'autre part. Il doit être constaté que le signataire du contrat d'assurance est M. Z., pris en sa qualité de secrétaire de l'œuvre diocésaine, et que celui-ci a aussi signé le contrat d'affrètement en représentation du diocèse de Bruges. Cependant, cette seule circonstance ne permet pas d'affirmer que le contrat d'assurance conclu par l’« Oeuvre diocésaine des pèlerinages. Pèlerinages des Flandres » avait notamment pour objet de garantir la responsabilité du diocèse de Bruges qui, doté de la personnalité morale au moyen d'une association diocésaine, n'est pas la même personne juridique que l’« Oeuvre diocésaine des pèlerinages. Pèlerinages des Flandres ».
Par ailleurs, si les conditions particulières du contrat d'affrètement prévoient bien l'obligation pour le client de souscrire une police responsabilité civile selon contrat mis à disposition par la SNCF ou selon autre contrat d'assurance, force est de constater qu'il n'est pas fait expressément mention de la souscription par le diocèse de Bruges d'une telle police auprès des sociétés Winterthur et AG Insurance et que le diocèse, demandeur à la garantie, ne justifie pas avoir, ainsi que demandé aux termes du contrat, adressé à l'établissement SNCF Mobilités une attestation d'assurance visant le contrat XXF.
Dans ces conditions, à défaut de preuve qu'il était couvert par le contrat d'assurance XXF dont il se prévaut, le diocèse de Bruges n'est pas fondé à solliciter la garantie des sociétés Axa Belgium venant aux droits de la société Winterthur et AG Insurance.
Le jugement déféré qui a dit que les sociétés Axa Belgium et AG Insurance doivent garantir la SNCF in solidum avec le diocèse de Bruges doit être infirmé de ce chef.
Sur les autres demandes :
La SNCF Mobilités et le diocèse de Bruges qui succombent supporteront les dépens.
Il serait inéquitable de laisser à la charge des consorts Y. et des sociétés appelantes les frais irrépétibles engagés pour la présente procédure.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, par décision contradictoire,
Confirme le jugement déféré sauf sur les condamnations des sociétés Axa Belgium et AG Insurance in solidum avec le diocèse de Bruges à garantir la SNCF de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre, à payer à la SNCF la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec distraction ;
En conséquence, statuant à nouveau sur ces points,
Rejette les demandes en garantie formées par le diocèse de Bruges à l'encontre des sociétés Axa Belgium et AG Insurance ;
Y ajoutant,
Condamne le diocèse de Bruges à verser à la SNCF Mobilités, aux société Axa Belgium et AG Insurance ensemble et à Mme Y. et à M.M. P. Y. et N. Y. ensemble, la somme de 2.000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne le diocèse de Bruges aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la SELARL Recamier, représentée par Me B.-C. en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
- 6114 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Responsabilité du professionnel - Clauses limitatives et exonératoires - Droit postérieur au décret du 18 mars 2009 (R. 212-1-6° C. consom.)
- 6979 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Droit postérieur à la loi n° 2017-203 du 21 février 2017
- 7141 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Affrètement