CASS. CIV. 1re, 8 novembre 2017
CERCLAB - DOCUMENT N° 7258
CASS. CIV. 1re, 8 novembre 2017 : pourvoi n° 16-18859 ; arrêt n° 1168
Publication : Legifrance ; Bull. civ.
Extrait : « Vu l’article L. 2224-12-1 du code général des collectivités territoriales, créé par la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, ensemble l’article 2 du code civil ; Attendu qu’aux termes du premier de ces textes, toute fourniture d’eau potable, quel qu’en soit le bénéficiaire, fait l’objet d’une facturation au tarif applicable à la catégorie d’usagers correspondante ; que les collectivités mentionnées à l’article L. 2224-12 sont tenues de mettre fin, avant le 1er janvier 2008, à toute disposition ou stipulation contraire ; […] ; Qu’en statuant ainsi, alors que la loi nouvelle enjoint expressément aux communes de mettre fin, à compter du 1er janvier 2008, aux stipulations contraires à l’obligation de facturation de la fourniture d’eau qu’elle édicte, de sorte qu’elle s’applique aux effets futurs des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR DE CASSATION
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 8 NOVEMBRE 2017
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° de pourvoi : 16-18859. Arrêt n° 1168.
DEMANDEUR à la cassation : Société Suez eau France
DÉFENDEUR à la cassation : M. X et Mme Y.
Mme Batut (président), président. SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Richard, avocat(s).
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
VISA (texte ou principe violé par la décision attaquée) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu l’article L. 2224-12-1 du code général des collectivités territoriales, créé par la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, ensemble l’article 2 du code civil ;
CHAPEAU (énoncé du principe juridique en cause) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu qu’aux termes du premier de ces textes, toute fourniture d’eau potable, quel qu’en soit le bénéficiaire, fait l’objet d’une facturation au tarif applicable à la catégorie d’usagers correspondante ; que les collectivités mentionnées à l’article L. 2224-12 sont tenues de mettre fin, avant le 1er janvier 2008, à toute disposition ou stipulation contraire ;
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, que, suivant acte du 16 septembre 2006, M. X. et Mme Y. ont fait l’acquisition d’une maison d’habitation située sur le territoire de la commune du Barroux (la commune) ; que, soutenant que les stipulations de la convention du 1er février 1932, aux termes de laquelle la commune avait accordé à leurs auteurs un droit d’eau, étaient devenues caduques par l’effet d’une délibération du Syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux du 31 octobre 2013, prise en application de l’article L. 2224-12-1 du code général des collectivités territoriales, la société Lyonnaise des eaux France, désormais dénommée Suez eau France, délégataire du service public de distribution d’eau potable, a saisi la juridiction de proximité aux fins d’obtenir le paiement d’un solde de factures impayées ;
RAPPEL DE LA DÉCISION ATTAQUÉE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu que, pour rejeter sa demande, le jugement énonce que, si l’article L. 2224-12-1 du code général des collectivités territoriales prévoit que toute fourniture d’eau potable fait l’objet d’une facturation, la loi nouvelle ne s’applique pas aux conditions d’un acte juridique conclu antérieurement et que, même si elle est d’ordre public, cette loi ne peut frapper de nullité les actes définitivement conclus avant sa promulgation ;
CRITIQUE DE LA COUR DE CASSATION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Qu’en statuant ainsi, alors que la loi nouvelle enjoint expressément aux communes de mettre fin, à compter du 1er janvier 2008, aux stipulations contraires à l’obligation de facturation de la fourniture d’eau qu’elle édicte, de sorte qu’elle s’applique aux effets futurs des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen : CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il rejette la demande de renvoi devant le juge d’instance formée par M. X. et Mme Y. en application de l’article 847-4 du code de procédure civile, le jugement rendu le 19 avril 2016, entre les parties, par la juridiction de proximité d’Orange ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d’instance d’Avignon ;
Condamne M. X. et Mme Y. aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille dix-sept.
ANNEXE : MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Suez eau France
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Il est fait grief au jugement attaqué d’AVOIR débouté la société LYONNAISE DES EAUX FRANCE de l’ensemble de ses demandes ;
RAPPEL DES MOTIFS DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
AUX MOTIFS QU’» Aux termes de l’article 1134 du Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou les pour les causes que la loi autorise. Au surplus, si l’article L. 2224-12-1 du Code général des collectivités territoriales prévoit que toute fourniture d’eau potable fait l’objet d’une facturation, la loi nouvelle ne s’applique pas, sauf rétroactivité expressément stipulée par le législateur (ce qui n’est pas le cas en l’espèce) aux conditions d’un acte juridique conclu antérieurement et dont les clauses étaient valables au regard de la législation en vigueur lors de la conclusion du contrat et cette loi, même si elle est d’ordre public, ne peut frapper de nullité les actes définitivement conclus avant sa promulgation. Il résulte de ce qui précède que la délibération prise par le SMERRV est dénuée de tout effet. De plus, la convention en date du 1er février 1932 prévoit des concessions de la part des deux parties et ne peut être considérée comme une fourniture d’eau à titre gratuit dans la mesure où une facturation est possible au-delà de 500 litres par 24 heures. Par ailleurs, la Commune du Barroux ou la SAS LYONNAISE DES EAUX n’ont jamais sollicité la résiliation de la convention ou tenté une renégociation conventionnelle ou judiciaire. Au demeurant, l’éventuelle résiliation ou révocation de la convention en date du 1er février 1932 entraînerait la révocation de la cession des droits des ayants-droit au fuyant de la source au profit de la Commune du Barroux. Il convient, en conséquence, de débouter la SAS LYONNAISE DES EAUX de sa demande en paiement des factures à hauteur de 11.179,89 euros. Il parait inéquitable de laisser à la charge des requis l’intégralité des sommes avancées par eux et non comprises dans les dépens ; dès lors il leur sera allouée la somme de 1.000 euros en vertu de l’article 700 du Code de procédure civile. La partie succombante doit supporter les dépens. » ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
1. ALORS QU’une loi nouvelle s’applique immédiatement aux effets futurs des contrats en cours lorsque la loi comporte des dispositions expresses en ce sens ; que l’article L. 2224-12-1 du Code général des collectivités territoriales dispose que « Toute fourniture d’eau potable, quel qu’en soit le bénéficiaire, fait l’objet d’une facturation au tarif applicable à la catégorie d’usagers correspondante », et précise que « Les collectivités mentionnées à l’article L. 2224-12 sont tenues de mettre fin, avant le 1er janvier 2008, à toute disposition ou stipulation contraire » ; que, par une délibération du 31 octobre 2013 prise en application de l’article L. 2224-12-1 du Code général des collectivités territoriales, le Syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux a décidé que tous les accords ou conventions prévoyant un quelconque droit d’eau ou un volume exempt de facturation ne sauraient produire d’effet ; qu’en l’espèce, alors qu’elle était saisie par la société LYONNAISE DES EAUX FRANCE d’une demande de paiement de factures d’eau correspondant à des consommations au titre de la période de juillet 2013 à juillet 2015, la juridiction de proximité d’Orange a refusé de constater la caducité du droit d’eau bénéficiant à Monsieur X. et Madame Y. en vertu d’un contrat du 1er février 1932, aux motifs, en premier lieu, que sauf rétroactivité expressément prévue par le législateur, la loi nouvelle ne s’applique pas aux actes juridiques conclus antérieurement et que l’article L. 2224-12-1 du Code général des collectivités territoriales ne prévoyait aucune application rétroactive, en deuxième lieu, que la loi, même d’ordre public, ne peut frapper de nullité les actes définitivement conclus avant sa promulgation et, en troisième lieu, que la délibération prise par le Syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux était dénuée de tout effet ; qu’en statuant ainsi, cependant que l’article L. 2224-12-1 du Code général des collectivités territoriales prévoit expressément l’application immédiate de la nouvelle règle de tarification de la fourniture d’eau aux contrats en cours, et que le Syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux avait mis fin aux stipulations contraires à cette nouvelle règle de tarification, ce dont il résultait que le droit d’eau prévu par le contrat du 1er février 1932 était devenu caduc pour l’avenir, la juridiction de proximité s’est déterminée par des motifs erronés et a violé, par refus d’application, l’article L. 2224-12-1 du Code général des collectivités territoriales, ensemble les articles 2 et 1134 du Code civil et la délibération du SMERRV du 31 octobre 2013 ;
2. ALORS QU’en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, sous réserve des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, le juge administratif est en principe seul compétent pour statuer, le cas échéant par voie de question préjudicielle, sur toute contestation de la légalité d’un acte administratif soulevée à l’occasion d’un litige relevant à titre principal de l’autorité judiciaire ; que, toutefois, les tribunaux de l’ordre judiciaire statuant en matière civile peuvent, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d’un acte administratif, déclarer cet acte administratif illégal lorsqu’il apparaît manifestement, au vu d’une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ; qu’en l’espèce, la juridiction de proximité a jugé que la délibération du 31 octobre 2013 prise par le Syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux était dénuée de tout effet ; qu’en appréciant ainsi la légalité de la délibération du Syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux, cependant qu’en principe, le juge judiciaire civil n’est pas compétent pour statuer sur la légalité d’un acte administratif, et sans indiquer les motifs de l’illégalité de la délibération ni rechercher s’il résultait manifestement d’une jurisprudence établie qu’elle pouvait elle-même déclarer illégale la délibération du Syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux, la juridiction de proximité a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III ;
3. ALORS QUE l’article L. 2224-12-1 du Code général des collectivités territoriales dispose que « Toute fourniture d’eau potable, quel qu’en soit le bénéficiaire, fait l’objet d’une facturation au tarif applicable à la catégorie d’usagers correspondante », et précise que « Les collectivités mentionnées à l’article L. 2224-12 sont tenues de mettre fin, avant le 1er janvier 2008, à toute disposition ou stipulation contraire » ; qu’en déboutant la société LYONNAISE DES EAUX FRANCE de ses demandes aux motifs que le contrat du 1er février 1932 n’accordait pas une fourniture d’eau à titre gratuit dès lors qu’il prévoyait des concessions de la part des deux parties et qu’une facturation de l’eau était possible au-delà de 500 litres par jour, cependant que l’article L. 2224-12-1 du Code général des collectivités territoriales impose la suppression, non seulement de tous les droits d’eau prévoyant une fourniture gratuite d’eau, mais plus généralement de toutes les modalités particulières de facturation de la fourniture d’eau qui diffèrent du tarif applicable à chaque catégorie d’usagers défini par la collectivité en charge du service public, la juridiction de proximité a statué par des motifs impropres à écarter l’application de l’article L. 2224-12-1 du Code général des collectivités territoriales, violant ainsi ce dernier texte ;
4. ALORS QUE pour débouter la société LYONNAISE DES EAUX FRANCE de ses demandes, la juridiction de proximité a jugé que ni la commune du Barroux ni la société LYONNAISE DES EAUX FRANCE n’avaient sollicité la résiliation de la convention du 1er février 1932 accordant un droit d’eau, ou tenté une renégociation ; qu’en se déterminant ainsi, cependant, d’une part, que l’article L. 2224-12-1 du Code général des collectivités territoriales a habilité les collectivités responsables des services publics de l’eau à mettre fin à toute disposition ou stipulation contraire avec la nouvelle règle tarifaire qu’il pose et, d’autre part, que le Syndicat mixte des eaux de la région Rhône-Ventoux, établissement public chargé du service public de distribution d’eau potable sur le territoire de la commune du Barroux, a mis fin, par sa délibération du 31 octobre 2013, à toutes les stipulations prévoyant des droits d’eau ou accordant des volumes exempts de factures, en ce compris la convention du 1er février 1932, la juridiction de proximité a statué par des motifs impropres à exclure l’application de l’article L. 2224-12-1 du Code général des collectivités territoriales, violant ainsi ce texte.