CA MONTPELLIER (2e ch.), 4 mai 2010
CERCLAB - DOCUMENT N° 7371
CA MONTPELLIER (2e ch.), 4 mai 2010 : RG n° 09/03691
Cassé par Cass. com., 28 juin 2011 : pourvoi n° 10-20457
Publication : Jurica
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 4 MAI 2010
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 09/03691. Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 AVRIL 2009, TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER : RG n° 08/13102.
APPELANTE :
SARL CAPLAU, exerçant sous l'enseigne A. T.
immatriculée au RCS de BEZIERS sous le n° XXX, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités au siège social, représentée par la SCP CAPDEVILA - VEDEL-SALLES, avoués à la Cour, assistée de Me LAURENT (SCP SCHEUER / VERNHET), avocats au barreau de MONTPELLIER
INTIMÉE :
SNC FRANCE BOISSONS LANGUEDOC
immatriculée au RCS de SETE sous le n° YYY, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités au siège social, représentée par la SCP GARRIGUE - GARRIGUE, avoués à la Cour, assistée de Maître Jean-Louis FOURGOUX, avocat au barreau de PARIS
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 29 mars 2010
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 1er AVRIL 2010, en audience publique, Monsieur Hervé CHASSERY Conseiller, ayant fait le rapport prescrit par l’article 785 du Code de Procédure Civile, devant la Cour composée de : Monsieur Daniel BACHASSON, Président, Monsieur Hervé CHASSERY, Conseiller, Madame Noële-France DEBUISSY, Conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SABATON
ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile ; - signé par Monsieur Daniel BACHASSON, Président, et par Madame Sylvie SABATON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La SARL CAPLAU qui exploite au [adresse], une brasserie à l'enseigne A. T., a signé le 19 avril 2004 avec la SNC FRANCE BOISSONS LANGUEDOC un contrat d'achat exclusif de boissons pour 5 ans bénéficiant en même temps d'une subvention commerciale de 35.000 euros TTC.
Par avenant du 15 mars 2005, une nouvelle subvention commerciale lui a été accordée à hauteur de 8.000 euros TTC.
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S'estimant victime de discrimination tarifaire de la part de son fournisseur et par rapport à ses concurrents directs, elle a le 22 janvier 2008 saisi le Président du Tribunal de Commerce de Montpellier pour voir condamner la SNC FRANCE BOISSONS LANGUEDOC à lui communiquer ses conditions générales de vente et ses barèmes tarifaires.
Elle invoquait l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce alors en vigueur relatif aux pratiques discriminatoires de prix.
Mais par ordonnance du 21 février 2008 rendue en matière de référé elle a été déboutée de ses demandes.
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Par acte du 23 octobre 2008 elle a fait assigner la SNC FRANCE BOISSONS LANGUEDOC devant le Tribunal de Commerce de Montpellier pour entendre dire que celle-ci n'avait pas exécuté ses obligations contractuelles et pour voir désigner un expert afin de comparer ses prix à ceux de ses concurrents, en chiffrer les conséquences financières pour elle et donner son avis sur ses éventuels préjudices, pour aussi obtenir une provision de 30.000 euros.
Par jugement du 20 avril 2009, la juridiction saisie
- a dit que la loi de Modernisation de l'Economie du 4 août 2008 avait supprimé l'incrimination de discrimination tarifaire avec rétroactivité ;
- a constaté que l'article 4 du contrat liant les parties stipulait que le client acceptait les conditions de vente du fournisseur et que les commandes et livraisons aux nouveaux prix et conditions générales de vente valaient acceptation expresse du revendeur ;
- a dit qu'aucune mesure d'instruction ne pouvait être ordonnée pour suppléer la carence de la société CAPLAU dans l'administration de la preuve,
- et a ainsi rejeté toutes les demandes de cette société.
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La SARL CAPLAU a interjeté appel de cette décision le 26 mai 2009.
Elle invoque une faute contractuelle de la part de la société FRANCE BOISSONS LANGUEDOC en ne pratiquant pas des prix concurrentiels à son égard alors que cette obligation ressortait des termes clairs et précis du contrat.
Le seul constat de différences tarifaires entre clients voisins servis par le même fournisseur suffit à caractériser la faute dit-elle. Elle en donne plusieurs exemples avant de dire que rien ne justifie cette différence de tarifs.
Les avantages financiers dont elle a bénéficié de la part de FRANCE BOISSONS LANGUEDOC ont eu pour contrepartie l'exclusivité qu'elle a souscrite à son bénéfice.
A cela ne doit pas s'ajouter une différence de tarification avec ses concurrents.
La société FRANCE BOISSONS LANGUEDOC lui a d'ailleurs adressé un courrier le 3 juillet 2008 pour renégocier les prix des boissons, preuve selon elle qu'ils n'étaient pas concurrentiels.
Elle dit avoir subi un préjudice résultant de la différence entre prix pratiqués et prix qui auraient dû être facturés.
Elle n'a pas voulu répercuter la différence de prix sur ses clients et a donc diminué sa marge et donc sa capacité à investir, ceci la laissant dans la dépendance économique de son fournisseur.
Elle fait observer qu'elle n'a fondé sa demande que sur le non-respect du contrat et nie la portée de la loi du 4 août 2008 invoquée par son adversaire et retenue par le tribunal.
De plus, elle s'estime en droit de réclamer une expertise parce qu'elle ne cherche pas par là une preuve qu'elle ne détiendrait pas mais pour mesurer le préjudice découlant des manquements avérés de sa contractante.
Elle réclame réformation du jugement attaqué, demande qu'il soit dit que FRANCE BOISSONS LANGUEDOC n'a pas respecté ses engagements contractuels, réclame une expertise pour chiffrer ses préjudices ainsi qu'une provision de 30.000 euros et 6.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
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La SNC FRANCE BOISSONS LANGUEDOC considère que la SARL CAPLAU maquille en faute contractuelle la différence tarifaire dont elle se plaint en réalité pour dire qu'il en découle un préjudice qui doit être indemnisé.
L'incrimination de discrimination tarifaire a été abrogée par la loi du 4 août 2008. L'abrogation de cette pratique restrictive de concurrence entraîne l'irrecevabilité des demandes fondées sur cette incrimination y compris, selon la jurisprudence applicable en de telles circonstances, pour des faits antérieurs à cette abrogation.
L'appelante a modifié le fondement juridique de sa demande pour échapper à la législation nouvelle. Si l'article 4 du contrat liant les parties indique que le prix proposé par le fournisseur résulte de la libre concurrence, il n'instaure pas une obligation contractuelle de garantie de prix et de compétitivité au profit du distributeur.
L'intimée fait encore observer que l'appelante tronque l'article 4 dans lequel il est dit que « les parties déclarent avoir eu connaissance et accepté les prix et conditions générales de vente de l'entreprise fournisseur » et que « les commandes et livraisons aux nouveaux prix et conditions de vente valent acceptation expresse du revendeur ».
Contractuellement parlant, un distributeur libre de sa politique tarifaire ne peut exiger un quelconque engagement de compétitivité de son fournisseur affirme-t-elle.
La SNC FRANCE BOISSONS LANGUEDOC considère que le tribunal a très opportunément fondé son refus d'ordonner une expertise sur l’article 146 alinéa 2 du code de procédure civile.
Elle ajoute que l'appelante oublie volontairement de présenter le contexte des relations juridiques spécifiques existant entre les parties et les aides financières dont elle a bénéficié depuis l'an 2000.
Elle-même peut aider ses clientes de différentes manières : contre-caution du brasseur, aide au développement, mise à disposition de matériel spécifique aux débits de boissons... Ce sont des avantages pour ses clients qui, en contre-partie, prennent des engagements d'approvisionnements exclusifs. Les tarifs et remises tiennent compte des avantages consentis.
Elle rappelle la contre-caution donnée par la société BBB dont elle est l'émanation, en mars 2000.
La société CAPLAU a aussi été placée en redressement judiciaire le 12 décembre 2001 et a obtenu un plan de continuation. C'est elle qui l'a soutenue par des mesures économiques et financières dont n'ont pas eu besoin les autres brasseries voisines se fournissant chez elle.
Elle réclame ainsi confirmation du jugement attaqué et 15.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
L'argumentation extrêmement laborieuse de la société CAPLAU pour tenter de démontrer une faute contractuelle de la part de la société FRANCE BOISSONS LANGUEDOC n'a d'égal que la mauvaise volonté avec laquelle elle s'applique à n'invoquer que partie de l'article 4 du contrat pour tenter de lui faire dire l'inverse de ce qu'il exprime réellement.
Il suffit simplement de lire cet article en son entier pour comprendre que le prix du produit vendu, dans l'absolu, résulte de la libre concurrence (puisqu'il faut bien une référence pour l'établir) et que le client accepte ce prix de son fournisseur, une procédure étant instaurée en cas de modification de prix et de refus du client de l'accepter. La SARL CAPLAU a contractuellement accepté toutes ces modalités.
Il est bien évident que le fournisseur module le prix ainsi défini en fonction des relations spécifiques qu'il entretient avec chaque client. Or, en l'espèce, ainsi qu'elle le dit elle-même, la SARL CAPLAU est un très gros client de FRANCE BOISSONS LANGUEDOC (qui sait ce qu'elle peut perdre en marge en payant plus cher mais ce qui est compensé par un important débit de produits) et est redevable à son fournisseur d'une aide économique, commerciale et financière prouvée qui lui a permis de traverser les difficultés liées à une procédure collective.
Le contrat « de bière » souscrit par la SARL CAPLAU est un contrat type, tels que ceux proposés en général aux débitants de boissons avec ses contraintes mais aussi ses avantages.
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Aucune faute contractuelle n'apparaît avoir été commise par la SNC FRANCE BOISSONS LANGUEDOC au regard des dispositions de ce contrat et notamment de son article 4.
Le tribunal a parfaitement analysé la situation en n'omettant pas de rappeler le soutien apporté à la société CAPLAU par son fournisseur en contre cautionnant un prêt de 750.000 F qui lui avait été accordé, en lui donnant une impulsion commerciale par enseigne exclusive et en lui versant des « subventions commerciales » qui devaient se poursuivre par un contrat de prêt que la cliente a finalement refusé de signer.
C'est bien la société CAPLAU qui fait, à tout le moins, une lecture totalement erronée de l'article 4 du contrat d'achat exclusif de boissons signé le 19 avril 2004.
Elle a été déboutée de ses demandes par les premiers juges. La décision attaquée doit être confirmée.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, elle versera la somme de 5.000 euros à l'intimée.
Succombant elle sera condamnée aux dépens, ce qui la prive du bénéfice de l’article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
- reçoit en la forme l'appel interjeté ;
- le dit mal fondé ;
- en conséquence, confirme en toutes ses dispositions le jugement attaqué ;
- condamne la société CAPLAU à verser à la SNC FRANCE BOISSONS LANGUEDOC la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
- la déclare irrecevable en sa demande à ce titre ;
- la condamne aux dépens d'appel qui seront distraits en application de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT