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CA COLMAR (2e ch. civ. sect. A), 8 février 2018

Nature : Décision
Titre : CA COLMAR (2e ch. civ. sect. A), 8 février 2018
Pays : France
Juridiction : Colmar (CA), 2e ch. civ. sect. A
Demande : 16/02271
Décision : 92/2018
Date : 8/02/2018
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 4/05/2016
Numéro de la décision : 92
Référence bibliographique : Juris-Data n° 2018-002439
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CERCLAB - DOCUMENT N° 7424

CA COLMAR (2e ch. civ. sect. A), 8 février 2018 : RG n° 16/02271 ; arrêt n° 92/2018 

Publication : Jurica

 

Extrait : « La recommandation n° 82-03 émise par la commission des clauses abusives, applicables aux contrats d'installation de cuisine, indique qu'il appartient au professionnel qui dispose des compétences voulues d'effectuer, avant conclusion définitive du contrat, une étude technique permettant d'apprécier l'influence des caractéristiques de l'immeuble où l'installation de la cuisine doit avoir lieu, ainsi que le coût de cette installation. Il en résulte que la charge de la preuve du respect de cette obligation incombe au vendeur professionnel, qui doit mettre le consommateur en mesure de donner un consentement éclairé sur son engagement.

En l'espèce, la société Image n'a pas suffisamment attiré l'attention de M. et Mme Y. sur le fait que les documents précontractuels, en particulier une esquisse colorée non cotée établie sur la base des explications de M. et Mme Y., un bon de commande du 15 octobre 2012 illisible et incompréhensible, signé pendant la foire d'automne de Luxexpo, pouvaient, en l'absence de tout plan technique ou d'orientation, être modifiés selon les constatations effectuées sur place et les métrés relevés par le technicien. Il s'avère en effet qu'au moment de la prise des métrés intervenue le 5 décembre 2012, la société Image a dû modifier le bon de commande initial à quatre reprises, faisant évoluer le prix de près de 30 %, changeant la marque de l'électroménager pour pouvoir l'intégrer sous plan, mais aussi la dimension des meubles, de sorte que M. et Mme Y. n'étaient plus en mesure de savoir à quoi ils s'engageaient.

Le non-respect avéré de l'article L. 111-1 du code de la consommation est suffisamment grave pour constituer un dol par réticence ayant vicié le consentement de M. et Mme Y. et entraînant la nullité du contrat par application de l'article 1116 du code civil, applicable en la cause. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE SECTION A

ARRÊT DU 8 FÉVRIER 2018

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 2 A 16/02271. Arrêt n° 92/2018. Décision déférée à la Cour : jugement du 31 décembre 2015 du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de MULHOUSE.

 

APPELANTE et défenderesse :

La SARL IMAGE anciennement dénommée SARL DISTRIFRANCE

prise en la personne de son représentant légal, ayant son siège social [adresse], représentée par Maître H., substituant Maître H., avocats à la Cour

 

INTIMÉE et demanderesse :

Madame X. veuve Y

tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritière de Monsieur Y., décédé le 19 décembre 2015, demeurant [adresse], représentée par Maître S., avocat à la Cour

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 21 décembre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de : Monsieur Bernard POLLET, Président, Monsieur Emmanuel ROBIN, Conseiller, Madame Stéphanie ARNOLD, Conseiller, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Dominique DONATH, faisant fonction

ARRÊT : Contradictoire, - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par Monsieur Bernard POLLET, Président et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS ET PROCÉDURE :

A la foire d'automne de Luxexpo, M. et Mme Y. ont signé, le 15 octobre 2012 un bon de commande et un devis pour la fourniture et la pose d'une cuisine, modèle Adriana, pour un prix total de 38.826,94 euros TTC, avec la société SARL Distri France, devenue la SARL Image.

Ce bon de commande du 15 octobre 2012 comportait une partie électroménager pour un prix de 3.718 euros TTC et contenait un récapitulatif des meubles et de l’électroménager.

Les conditions particulières faisaient référence à un prix TTC ferme et définitif, hors pose et livraison, de 30.700 euros et prévoyaient le versement d'un montant de 350 euros TTC à régler à l'entreprise de livraison, ainsi que 600 euros à payer au service technique lors du contrôle.

Un dessin colorisé, sans cotes, a été établi et a été remis à M. et Mme Y.

M et Mme Y. ont versé un montant de 15.000 euros le 18 octobre 2012 à titre d'acompte.

Après passage de son service technique au domicile des époux Y., la SARL Image leur a adressé le 28 novembre 2012 le bon de commande et le devis, ainsi qu’un plan détaillé de l'implantation de la cuisine.

Quatre autres bons de commande modificatifs de la commande initiale portant sur le prix, les éléments d'implantation, les dimensions des meubles et la marque des appareils électroménager, ont été adressés à M. et Mme Y., entraînant un surcoût de 8.181,82 euros, précision faite que le plan de travail en granit n'était pas compris dans le prix, ce qui sera confirmé par le marbrier.

M. et Mme Y. se sont estimés bien fondés à refuser de signer ces bons de commande et ont saisi le tribunal de grande instance de Mulhouse en annulation de la vente.

* * *

Par jugement, du 31 décembre 2015, le tribunal de grande instance de Mulhouse a

- prononcé l'annulation du contrat de vente d'un ensemble de meubles de cuisine signé entre M. et Mme Y., et la SARL Distri France, le 15 octobre 2012,

- condamné la SARL Image, anciennement dénommée SARL Distri France, à payer à M. et Mme Y. la somme de 15.000 euros en remboursement de l'acompte versé, avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2013,

- rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par M. et Mme Y.,

- condamné la SARL Image à payer à M. et Mme Y. la somme de 1.800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande de la SARL Image présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Le tribunal a considéré que le plan portant la mention « bon pour implantation » du 15 octobre 2012, était un plan coupe sommaire et incomplet, sans cotes, qui ne permettait pas de procéder à l'implantation d'une cuisine ; il a estimé que le dessin colorisé n'était pas contractuel et, surtout, que le bon de commande comportait, notamment, sur le feuillet plan technique, une clause sur l'engagement de la responsabilité du client, qui n'avait été ni acceptée ni signée par M. et Mme Y.

Dès lors que la commande portait sur trois éléments incomplets et sommaires, elle ne pouvait, selon le tribunal, traduire le consentement des acheteurs, d'autant que la SARL Image prévoyait qu'un technicien devait passer pour les mesures.

Le tribunal a relevé que le devis définitif du 4 décembre 2012 était très différent de celui d'octobre 2012 et constaté qu'il n'était pas démontré que ces changements avaient été demandés par M. et Mme Y., au contraire.

Il a constaté encore que l'information sur le prix final était peu précise.

Le tribunal a retenu de l'ensemble de ces éléments que la SARL Image avait manqué à l'obligation précontractuelle d'information mise à sa charge par l'article L. 111-1 du code de la consommation.

* * *

La SARL Image a interjeté appel à l'encontre de ce jugement le 4 mai 2016.

Aux termes de ses dernières écritures en date du 29 novembre 2016, elle demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter les consorts Y. de l'ensemble de leurs demandes, de lui donner acte qu'elle entend exécuter le contrat et de condamner les consorts Y. à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens.

Sur l'appel incident des époux Y., elle conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté leur demande de dommages et intérêts.

Elle indique que M. et Mme Y. sont à l'origine des changements opérés y compris au titre de l'électroménager, ce qui explique les modifications tarifaires, et elle estime que la preuve de ce que l'implantation initiale, établie par elle sur la base des métrés fournis par les clients, n'était pas réalisable, n'est pas rapportée.

* * *

Par conclusions récapitulatives du 16 novembre 2016, Mme Y., venant également aux droits de M. Y., décédé le 19 décembre 2015, en sa qualité d'héritière, demande à la cour de

- déclarer l'appel interjeté irrecevable et mal fondé,

- débouter la SARL Image de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé l'annulation de la vente,

- condamner la SARL Image au remboursement de la somme de 15.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2013 et à payer à M. et Mme Y. la somme de 1.800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Sur appel incident, elle demande que le jugement soit infirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts et que la cour condamne la SARL Image à lui payer la somme de 2.000 euros au titre du préjudice moral subi, outre une somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de première instance et d'appel.

* * *

Par ordonnance du 11 octobre 2017, la clôture de l'instruction de l'affaire a été ordonnée.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

L'obligation précontractuelle de renseignement mise à la charge de tout professionnel à l'égard de son client profane est renforcée par le droit de la consommation.

En effet, l'article L. 111-1 du code de la consommation impose au vendeur professionnel de biens, avant la conclusion du contrat, de mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien.

En matière de meubles destinés à être posés et installés par les soins d'un professionnel, le consommateur doit, avant la conclusion du contrat, afin de pouvoir s'engager en pleine connaissance de cause, être informé avec précision des caractéristiques des biens et de leur implantation, et ce, non seulement par la définition détaillée des articles vendus telle qu'elle figure sur le bon de commande, mais également par le plan d'implantation, qui fait corps avec ce bon de commande.

La recommandation n° 82-03 émise par la commission des clauses abusives, applicables aux contrats d'installation de cuisine, indique qu'il appartient au professionnel qui dispose des compétences voulues d'effectuer, avant conclusion définitive du contrat, une étude technique permettant d'apprécier l'influence des caractéristiques de l'immeuble où l'installation de la cuisine doit avoir lieu, ainsi que le coût de cette installation.

Il en résulte que la charge de la preuve du respect de cette obligation incombe au vendeur professionnel, qui doit mettre le consommateur en mesure de donner un consentement éclairé sur son engagement.

En l'espèce, la société Image n'a pas suffisamment attiré l'attention de M. et Mme Y. sur le fait que les documents précontractuels, en particulier une esquisse colorée non cotée établie sur la base des explications de M. et Mme Y., un bon de commande du 15 octobre 2012 illisible et incompréhensible, signé pendant la foire d'automne de Luxexpo, pouvaient, en l'absence de tout plan technique ou d'orientation, être modifiés selon les constatations effectuées sur place et les métrés relevés par le technicien.

Il s'avère en effet qu'au moment de la prise des métrés intervenue le 5 décembre 2012, la société Image a dû modifier le bon de commande initial à quatre reprises, faisant évoluer le prix de près de 30 %, changeant la marque de l'électroménager pour pouvoir l'intégrer sous plan, mais aussi la dimension des meubles, de sorte que M. et Mme Y. n'étaient plus en mesure de savoir à quoi ils s'engageaient.

Le non-respect avéré de l'article L. 111-1 du code de la consommation est suffisamment grave pour constituer un dol par réticence ayant vicié le consentement de M. et Mme Y. et entraînant la nullité du contrat par application de l'article 1116 du code civil, applicable en la cause.

Par conséquent, par substitution de motifs, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a ordonné l'annulation du contrat de vente du 15 octobre 2012, condamné la SARL Distri France, devenue la SARL Image, à rembourser l'acompte versé, soit 15.000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2013.

En revanche, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de M. et Mme Y.

En effet, l'attitude de la SARL Distri France, devenue SARL Image, qui, sur la base de documents imprécis, a obtenu la signature du bon de commande et le versement de presque la moitié du prix de l'installation de la cuisine, dans des conditions encourant la nullité du contrat, mais aussi a insisté de manière inadmissible auprès de M. et Mme Y., personnes âgées, pour obtenir la signature de quatre bons de commande modificatifs, a entraîné, pour eux, un préjudice moral qu'elle doit réparer. Un montant de 2.000 euros est par conséquent alloué à Mme Y. à titre de dommage et intérêts.

Le tribunal a accordé, à bon droit, à M. et Mme Y. une somme de 1.800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; l'équité justifie d'allouer à Mme Y. une indemnité de 2.000 euros, sur ce même fondement, à hauteur d'appel.

La SARL Image, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique,

CONFIRME le jugement rendu le 31 décembre 2015 par le tribunal de grande instance de Mulhouse, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de M. et Mme Y. en dommages et intérêts ;

Statuant à nouveau sur ce dernier point,

CONDAMNE la SARL Image à payer à Mme X., veuve Y., la somme de 2.000 euros (deux mille euros) en réparation de son préjudice moral ;

Ajoutant au jugement déféré,

CONDAMNE la SARL Image à payer à Mme X., veuve Y., la somme de 2.000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SARL Image aux dépens d'appel.

LE GREFFIER                    LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE