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CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 14 février 2018

Nature : Décision
Titre : CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 14 février 2018
Pays : France
Juridiction : Colmar (CA), 1re ch. civ. sect. A
Demande : 16/00725
Date : 14/02/2018
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 11/02/2016
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CERCLAB - DOCUMENT N° 7467

CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 14 février 2018 : RG n° 16/00725 

Publication : Jurica

 

Extrait (argument des parties) : « la nullité de la clause monétaire, alors soumise à la prescription trentenaire, est encourue en l'absence d'indexation en relation directe avec l'objet de la convention, ce qui n'est pas le cas du franc suisse, ainsi que du caractère abusif de cette clause qui impose unilatéralement aux époux Y. un règlement des échéances en francs suisses, qui constituent donc un instrument de paiement, ces modalités de règlement ayant généré un déséquilibre significatif résultant d'une augmentation constante des mensualités et de la clause d'indexation ».

Extrait (motifs) : « Vu l'article 189 bis, ancien, devenu L. 110-4 du code de commerce, ensemble l'article 2262 du code civil, Sur cette question, si l'action des époux Y., fondée sur l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, visant à la nullité de la clause monétaire comme fixant la créance en monnaie étrangère, ce qui relèverait d'une indexation déguisée, relève, ainsi que l'a analysé le premier juge, d'une action en nullité absolue, il n'en reste pas moins que, s'agissant d'une action en nullité d'un acte passé entre un commerçant et un non-commerçant, celle-ci relève de l'application des dispositions précitées du code de commerce, prévoyant un délai de prescription de dix ans antérieurement à l'application de la loi du 17 juin 2008. Eu égard à la date de conclusion du contrat, l'action en nullité doit donc être jugée prescrite. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A

ARRÊT DU 14 FÉVRIER 2018

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 1 A 16/00725. Décision déférée à la Cour : 24 novembre 2015 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MULHOUSE.

 

APPELANTE - INTIMÉE INCIDEMMENT :

CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL MULHOUSE EUROPE

prise en la personne de son représentant légal, Représentée par Maître E. A., avocat à la Cour

 

INTIMÉS - APPELANTES INCIDEMMENT :

Madame X. épouse Y.

[minute page 2] Représentés par Maître Katja MAKOWSKI, avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître MONOD, avocat à STRASBOURG

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 6 décembre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de : Mme J., Conseillère faisant fonction de Présidente, M. ROUBLOT, Conseiller, entendu en son rapport, Mme I., Conseillère, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme K.

ARRÊT : - Contradictoire - rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par Mme F. J., conseillère faisant fonction de présidente et Mme Christiane MUNCH-SCHEBACHER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par offre acceptée le 20 décembre 1998 par Mme X., épouse Y., et le 28 décembre 1998 par M. Y., la caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe a consenti aux époux Y. un prêt en devises d'un montant de 273.000 francs suisses, remboursable in fine, avec paiement trimestriel des intérêts au taux nominal annuel indexé de 3,2 % en vue d'un investissement immobilier.

Par assignation en date du 5 juin 2013, les époux Y. ont attrait la caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe devant le tribunal de grande instance de Mulhouse aux fins, notamment, de voir reconnue sa responsabilité pour manquement à son obligation de mise en garde, subsidiairement voir déclarer nulle la clause d'indexation, et encore plus subsidiairement voir déclarer nul le prêt, la caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe ayant retenu sciemment des informations à leur détriment, ainsi qu'à la condamnation de la banque au paiement de diverses sommes à titre de remboursement et d'indemnisation des emprunteurs.

Par jugement avant dire droit rendu le 24 novembre 2015, le tribunal de grande instance de Mulhouse a :

- révoqué l'ordonnance de clôture du 26 mars 2015,

- donné acte aux époux Y. de ce qu'ils ont produit un bordereau de communication de pièces,

[minute page 3]

- déclaré l'action en responsabilité contractuelle de la caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe prescrite,

- déclaré l'action en nullité de la clause monétaire recevable,

- déclaré la clause monétaire nulle,

- dit que le taux d'intérêts contractuellement fixé serait remplacé par le taux d'intérêt légal,

- avant-dire droit, sur le compte entre les parties :

* enjoint à la caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe de produire un tableau d'amortissement actualisé,

* réservé les dépens et le surplus des demandes,

* ordonné l'exécution provisoire sur ce qui précède.

Le premier juge a notamment considéré que :

- l'action en responsabilité intentée contre la caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe par les époux Y. était prescrite, comme étant soumise à la prescription décennale alors en vigueur, courant à compter de l'inexécution de l'obligation de mise en garde invoquée qui s'était révélée lors de la signature du contrat, soit le 28 décembre 1998 ;

- l'action en nullité de la clause de « paiement », s'agissant d'une clause monétaire, était soumise à la prescription trentenaire de droit commun alors en vigueur, et se trouvait recevable ;

- ladite clause monétaire était frappée d'une nullité absolue comme stipulée en monnaie étrangère dans un contrat interne, la caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe s'étant réservé le droit d'imposer de manière unilatérale aux époux Y. de payer les échéances en francs suisses, cette monnaie devant donc passer comme instrument de paiement et non unité de compte.

 

La caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe a fait appel de ce jugement par déclaration en date du 11 février 2016.

Dans ses dernières conclusions en date du 12 octobre 2017, elle sollicite l'infirmation de la décision entreprise et à titre principal de déclarer les époux Y. irrecevables en leurs demandes, subsidiairement les en débouter, et à titre infiniment subsidiaire, dire et juger que la nullité de l'obligation de rembourser en monnaie étrangère est sans effet sur la convention d'intérêts.

Elle demande en outre la condamnation des intimés aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement d'une indemnité de procédure d'un montant de 5.000 euros.

Elle sollicite enfin le rejet de leur appel incident.

A l'appui de ses prétentions, elle soutient notamment que :

- la prescription de l'action en responsabilité était acquise en 2008, même en appliquant les règles transitoires, et à défaut notamment pour les époux Y. de justifier d'un report du point de départ de la prescription en prouvant qu'ils n'ont mesuré que tardivement la portée de leur engagement ;

- [minute page 4] l'action en nullité de la clause monétaire, acte mixte, était soumise à une prescription décennale, ce que les intimés ne contestent pas, mais sans apporter la preuve d'une prise de conscience tardive de la portée de cette clause ou d'un vice du consentement à cet égard, susceptible de reporter le point de départ de la prescription ;

- les dispositions de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier prohibant la stipulation du paiement en monnaie étrangère dans un contrat interne ne s'appliquent pas lorsque l'un des cocontractants exerce la profession de banquier, sauf à créer un déséquilibre entre les droits et obligations des parties, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, les emprunteurs étant avertis du risque d'un changement de parité, qui se rattache du reste à l'objet même du contrat, insusceptible de relever d'une clause abusive ;

- si la stipulation d'un paiement en monnaie étrangère est susceptible d'être nulle, les emprunteurs n'étaient ni ne pouvaient être en l'espèce obligés de régler leurs échéances en monnaie étrangère jusqu'à apurement du prêt, sous réserve d'accord sur les taux d'intérêts en cas de modification ;

- à supposer l'action en responsabilité non prescrite, aucun manquement de la banque à son obligation de mise en garde n'est caractérisé, s'agissant d'une opération courante, avec un risque inhérent uniquement à l'évolution des taux de change, et non aux modalités de variation des taux d'intérêt qui ne sont pas propres à ce type de crédit, et ce alors même que le prêt restait convertible en francs français et que les clauses correspondantes étaient claires et précises ;

- aucune nullité du contrat de prêt n'est encourue, car outre la prescription de cette action, aucune réticence dolosive n'est caractérisée par les appelants incidents qui ont été avertis des conséquences du changement de parité entre devises, et n'ont de leur fait pas souhaité rencontrer la banque.

 

Dans leurs dernières écritures déposées le 31 août 2017, les époux Y. concluent à l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il déclare prescrite leur action en responsabilité contre la caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe, et la condamnation de cette dernière à leur payer la somme de 84.577 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de mise en garde.

Ils sollicitent la confirmation du jugement pour le surplus et la condamnation de la caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe aux dépens et à leur payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils font notamment valoir que :

- leur action en responsabilité contre la caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe n'est pas prescrite, le délai ayant commencé à courir à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le dommage s'étant par ailleurs révélé aux époux Y. durant l'année 2010 ;

- le choix de la banque et des conditions financières du prêt leur ont été imposés sans discussion, alors même que le devoir d'information était renforcé par une obligation de mise en garde du fait de la complexité de l'opération, impliquant un risque de fluctuation de change, quand bien même l'encadrement législatif de ce type de prêt n'est qu'ultérieur ; aucune information ni mise en garde n'a par ailleurs été délivrée pendant l'exécution du contrat, malgré un impact sur le capital lui-même et en l'absence de possibilité réelle de régler les échéances en monnaie nationale ;

- la nullité de la clause monétaire, alors soumise à la prescription trentenaire, est encourue en [minute page 5] l'absence d'indexation en relation directe avec l'objet de la convention, ce qui n'est pas le cas du franc suisse, ainsi que du caractère abusif de cette clause qui impose unilatéralement aux époux Y. un règlement des échéances en francs suisses, qui constituent donc un instrument de paiement, ces modalités de règlement ayant généré un déséquilibre significatif résultant d'une augmentation constante des mensualités et de la clause d'indexation ;

- la nullité du prêt entier est encourue du fait de cette clause espèce étrangère. Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.

 

La clôture de la procédure a été prononcée le 22 novembre 2017 et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 6 décembre 2017, puis mise en délibéré à la date du 14 février 2018, par mise à disposition au greffe.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur l'action en responsabilité contractuelle des époux Y. envers la caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe :

Vu l'article 189 bis, ancien, devenu L. 110-4 du code de commerce,

Il résulte de ces dispositions que la présente action, laquelle relève des actions personnelles ou mobilières entre commerçant et non-commerçant, était soumise, sous l'empire des anciennes dispositions susvisées, soit avant la loi du 17 juin 2008, à une prescription de dix ans, et que depuis l'entrée en vigueur de cette loi s'applique un délai de prescription de cinq ans.

Le droit transitoire prévoit que les prescriptions dont le délai avait été réduit à 5 ans et qui auraient normalement expiré plus de 5 ans après l'entrée en vigueur de la loi, soit le 19 juin 2008, devaient toutes expirer le 19 juin 2013, sous réserve cependant que le délai total ne dépasse pas 10 ans à compter du point de départ sous l'empire de l'ancienne loi.

Ces dispositions sont applicables en l'espèce s'agissant d'une action engagée contre un établissement de crédit, lequel doit être considéré comme un commerçant en tant qu'établissement pratiquant habituellement des opérations de banque et exerçant ainsi une activité commerciale, quel que soit son statut. Or, le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité engagée contre un établissement de crédit pour manquement à son devoir de mise en garde court à compter de l'octroi du prêt, le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifestant dès l'octroi des crédits.

L'offre de prêt litigieuse ayant été acceptée le 28 décembre 1998, il en résulte que la prescription de l'action était acquise à la date du 28 décembre 2008.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré prescrite l'action en responsabilité intentée par les époux Y. envers la caisse de Crédit mutuel Mulhouse Europe.

 

Sur l'action en nullité de la clause monétaire :

Vu l'article 189 bis, ancien, devenu L. 110-4 du code de commerce, ensemble l'article 2262 du code civil,

[minute page 6]  Sur cette question, si l'action des époux Y., fondée sur l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, visant à la nullité de la clause monétaire comme fixant la créance en monnaie étrangère, ce qui relèverait d'une indexation déguisée, relève, ainsi que l'a analysé le premier juge, d'une action en nullité absolue, il n'en reste pas moins que, s'agissant d'une action en nullité d'un acte passé entre un commerçant et un non-commerçant, celle-ci relève de l'application des dispositions précitées du code de commerce, prévoyant un délai de prescription de dix ans antérieurement à l'application de la loi du 17 juin 2008. Eu égard à la date de conclusion du contrat, l'action en nullité doit donc être jugée prescrite.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point, il y a lieu, statuant à nouveau, de déclarer la demande des époux Y. prescrite.

 

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Les époux Y. succombant à l'instance seront tenus, in solidum, des dépens.

L'équité commande par ailleurs de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré prescrite l'action en responsabilité intentée par M. Y. et Mme X., épouse Y. ;

Infirme le jugement entrepris pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

Déclare prescrite l'action de M. Y. et Mme X., épouse Y. en nullité de la clause de paiement du contrat de prêt n° XX accepté par les emprunteurs les 20 et 28 décembre 1998 ;

Condamne M. Y. et Mme X., épouse Y. aux dépens ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier :                          La Conseillère :