CA AIX-EN-PROVENCE (1re ch. A), 12 juin 2018
CERCLAB - DOCUMENT N° 7595
CA AIX-EN-PROVENCE (1re ch. A), 12 juin 2018 : RG n° 16/18005 ; arrêt n° 2018/388
Publication : Jurica
Extrait : « Attendu que l'avocat doit assurer la pleine efficacité de l'acte qu'il dresse selon les prévisions des parties qui en l'espèce sont claires pour énoncer une destination tous commerces et que même si des activités agricoles peuvent avoir un caractère commercial (pépiniériste, horticulteur) l'effectivité d'un bail « tous commerces » ne saurait se réduire à un champ d'application aussi limité ; que pour rédiger un acte efficace, il aurait donc dû vérifier si cette affectation était possible au regard des règles et des contraintes de l'urbanisme et ce d'autant que le POS avait changé en 1980 ; Que le fait qu'il établisse un bail prenant la suite de précédents baux établis avec exactement le même objet ne le dispensait pas de recherches et conseils sur cette question de la commercialité, laquelle est une question de droit qui constitue de surcroît, l'essence même de l'acte qu'il est chargé de dresser, et à défaut de laquelle l'acte est dépourvu d'efficacité ;
Attendu que la faute de Maître X. est donc ainsi caractérisée ; qu’il ne peut enfin être prétendu que les parties lui auraient donné décharge dans l'acte, dès lors qu'il lui est justement opposé qu'il s'agit d'une clause abusive, réputée non écrite en application de l'article L. 132-1 du code de la consommation et qu'elle ne saurait donc permettre d'écarter sa responsabilité ».
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
PREMIÈRE CHAMBRE A
ARRÊT DU 12 JUIN 2018
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 16/18005. Arrêt n° 2018/388. N° Portalis DBVB-V-B7A-7LHE. ARRÊT AU FOND. Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 1er septembre 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 14/09942.
APPELANTE :
Madame X.
née le [date] à [ville], de nationalité Française, demeurant [adresse], représentée et assistée par Maître Emmanuel B., avocat au barreau de NICE, plaidant
INTIMÉS :
Monsieur J.-J. Y.
né le [date] à [ville], demeurant [adresse], représenté par Maître Sylvie M., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Maître Mathilde K.-D., avocat au barreau de Draguignan, plaidant
Madame J. Y.
née le [date] à [ville], demeurant [adresse], représentée par Maître Sylvie M., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée par Maître Mathilde K.-D., avocat au barreau de Draguignan, plaidant
Monsieur R. Y.
né le [date] à [ville], demeurant [adresse], représenté par Maître Sylvie M., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Maître Mathilde K.-D., avocat au barreau de Draguignan, plaidant
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 16 avril 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame DAMPFHOFFER, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de : Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Danielle DEMONT, Conseiller, Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 juin 2018
ARRÊT : Contradictoire, Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 juin 2018, Signé par Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller, faisant fonction de Président, et Madame Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ :
Vu le jugement, contradictoire, rendu par le tribunal de grande instance de Draguignan le 1er septembre 2016 ayant déclaré la demande recevable, ayant condamné Maître X. à verser à Mme J. Y., à M. J.-J. Y. et M. R. Y. la somme de 40.112,25 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision, ayant condamné Maître X. à verser aux consorts Y. la somme de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, à supporter les dépens, et ayant ordonné l'exécution provisoire.
Vu l'appel interjeté par Maître X. le 6 octobre 2016.
Vu les conclusions de l'appelante en date du 26 mars 2018, demandant de :
- vu l'article 1147 du Code civil,
- réformer la décision,
- à titre principal, déclarer l'action irrecevable comme prescrite,
- à titre subsidiaire, dire qu'elle n'a pas commis de faute et n'encourt pas de responsabilités dans le cadre de l'élaboration du bail commercial du 5 janvier 1993,
- rejeter les demandes des consorts Y.,
- condamner les consorts Y. à restituer les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire, soit 42.112,25 euros,
- à titre reconventionnel, condamner les consorts Y. à lui verser la somme de 20.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, celle de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi qu'à supporter les dépens.
Vu les conclusions de J. Y., J.-J. Y., R. Y., du 15 février 2018, demandant de :
- confirmer le jugement, en ce qu'il a déclaré les demandes recevables et retenu la responsabilité de Maître X.,
- statuant à nouveau, dire que Maître X. a commis une faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle et la condamner à leur payer la somme de 113.375,25 ans en réparation de leur préjudice, la somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu l'ordonnance de clôture du 3 avril 2018.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Motifs :
Attendu que la recevabilité de l'appel n'est pas contestée ; que rien au dossier ne conduit la cour à le faire d'office.
Attendu que l'appel sera donc déclaré recevable.
Attendu que par acte du 5 janvier 1993, Ma. Y. et J. Y. ont donné à bail commercial un terrain de 7.000 m² avec hangar à monsieur et madame Z., le bail ayant été rédigé par Maître X. en concours avec Maître W., suite à l'achat par Monsieur et Madame Z. du droit au bail commercial appartenant à la société SCR, titulaire d'un bail précédemment conclu avec les époux Y., cette société ayant été mise en procédure collective et la cession du droit au bail ayant été faite par le liquidateur par un acte du 5 janvier 1993 suite à une ordonnance du juge commissaire l'ayant autorisée du 2 décembre 1992 ;
Attendu que le 29 janvier 2006, les consorts Y. ont donné congé avec offre de renouvellement au locataire au prix de 14.400 euros hors taxe annuel ; qu'il s'en est suivi un litige entre les parties et ayant donné lieu à un arrêt de la cour d'appel en date du 27 mai 2014, aux termes duquel il a été jugé que le bail était résolu, les bailleurs ayant manqué à leur obligation de délivrance en donnant en location commerciale un bien qui ne permettait pas l'exploitation d'un commerce, l'arrêt retenant à cet égard que la situation des lieux loués au regard du plan d'occupation des sols ne permettait pas l'exercice d'une activité commerciale et condamnant les consorts Y. à payer à monsieur et madame Z. la somme de 38.112,25 euros correspondant au montant du droit au bail.
Attendu que c'est dans ces conditions que les consorts Y. ont recherché la responsabilité contractuelle de leur avocat en qualité de rédacteur d'acte.
Attendu que le jugement attaqué a retenu :
- sur la prescription de 5 années applicable, que le point de départ ne peut se situer qu'au jour où le titulaire du droit a connu les faits lui permettant d'exercer l'action et que le dommage résultant d'une condamnation ne se manifeste qu'à compter de cette condamnation qui établit le dommage avec certitude ;
- sur le fond, que l'avocat est tenu d'une obligation de résultat et qu'il lui incombe donc de démontrer qu'il a bien rempli sa mission, ce qu'il ne le fait pas dès lors qu'il était chargé de rédiger un bail commercial, et qu'à défaut de commercialité possible, l'acte est dépourvu d'efficacité ; que les demandeurs produisent une copie du plan d'occupation des sols démontrant que le bail commercial n'était pas possible ; que cette faute a entraîné la condamnation des bailleurs à restituer le montant du droit au bail ; qu’en revanche, le non-paiement des loyers par le locataire n'est pas lié au manquement de l'avocat.
Attendu qu'au soutien de son appel, Maître X. conclut, en premier lieu, à l'irrecevabilité des demandes comme prescrites ; qu'elle rappelle que le bail commercial est en date du 5 janvier 1993 et que son intervention remonte à cette date, qu'il existe en toute hypothèse un délai butoir de 20 années qui court à compter de l'acte litigieux et que toute action est donc prescrite à compter du 5 janvier 2013 ; que le point de départ ne peut, ainsi que le prétendent les intimés, se situer à la date du 27 mai 2014, mais à la date à laquelle les locataires ont soulevé dans leur assignation du 27 janvier 2009 la nullité du bail compte tenu de l'impossibilité d'exploiter une activité commerciale dans les lieux ; que c'est donc à cette date que les époux Y. étaient en mesure de savoir que le bail commercial est remis en question et qu'il était potentiellement inefficace par la demande de requalification qui le visait.
Attendu sur la prescription que la preuve en incombe à celui qui s'en prévaut, en l'espèce, à l'appelante ;
Attendu que par ailleurs le point de départ du délai de 5 ans de l'article 2224 du Code Civil se situe au jour de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'en l'espèce, il se situe, en l'absence de tous autres éléments versés aux débats relativement aux procédures menées, à la date de l'arrêt de la cour d'appel du 27 mai 2014 ayant infirmé le jugement déféré et ayant considéré que le bien donné à bail ne permettait pas l'exploitation d'un commerce.
Que par ailleurs, les dispositions de l'article 2232 du Code Civil qui prévoient que le report du point de départ ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription au-delà de 20 ans à compter du jour de la naissance du droit ne sont plus utilement invoqués, la naissance du droit qui constitue le point de départ de ce délai se situant également au jour de l'arrêt précité de la cour.
Attendu que le jugement sera de ce chef confirmé.
Attendu, sur le fond, que l'appelante fait valoir que les consorts Y. ne rapportent pas la preuve qu'au jour de la rédaction du bail commercial, le plan d'occupation des sols interdisait toute activité commerciale à cet endroit, que bien au contraire, les lieux sont situés dans un secteur mixte de constructions individuelles diffuses et hangars sur terrain plat ; qu'en toute hypothèse, il n'y a pas de lien de causalité dès lors que les consorts Y. avaient déjà loué dès 1978 les mêmes lieux à des fins commerciales, qu'ils avaient accepté que le locataire initial vende son fonds de commerce à la société SCR en transférant le bail commercial ; que la situation dans laquelle les époux Y. se trouvaient existait donc depuis longtemps et avait été instaurée par eux-mêmes, les consorts Z. étant titulaires d'un bail commercial pour l'avoir acquis du liquidateur de la société SCR de sorte que le bail commercial ne résulte pas de son intervention mais de l'acquisition intervenue dans le cadre de la liquidation judiciaire à laquelle l'avocat est totalement étranger.
Attendu qu'il résulte des pièces versées que le bail rédigé par l'avocat mentionne en son article 14 que « les locaux présentement loués sont exclusivement destinés à l'activité commerciale de tous commerces » ; que par ailleurs la confrontation entre les éléments relatifs à la situation des lieux loués et au plan d'occupation des sols permet de retenir que ceux-ci sont situés dans une zone où les activités liées aux besoins de l'exploitation agricole ou complémentaire à une exploitation agricole, seules, sont permises ;
Attendu que l'avocat doit assurer la pleine efficacité de l'acte qu'il dresse selon les prévisions des parties qui en l'espèce sont claires pour énoncer une destination tous commerces et que même si des activités agricoles peuvent avoir un caractère commercial (pépiniériste, horticulteur) l'effectivité d'un bail « tous commerces » ne saurait se réduire à un champ d'application aussi limité ; que pour rédiger un acte efficace, il aurait donc dû vérifier si cette affectation était possible au regard des règles et des contraintes de l'urbanisme et ce d'autant que le POS avait changé en 1980 ;
Que le fait qu'il établisse un bail prenant la suite de précédents baux établis avec exactement le même objet ne le dispensait pas de recherches et conseils sur cette question de la commercialité, laquelle est une question de droit qui constitue de surcroît, l'essence même de l'acte qu'il est chargé de dresser, et à défaut de laquelle l'acte est dépourvu d'efficacité ;
Attendu que la faute de Maître X. est donc ainsi caractérisée ; qu’il ne peut enfin être prétendu que les parties lui auraient donné décharge dans l'acte, dès lors qu'il lui est justement opposé qu'il s'agit d'une clause abusive, réputée non écrite en application de l'article L. 132-1 du code de la consommation et qu'elle ne saurait donc permettre d'écarter sa responsabilité
Attendu qu'au titre du dommage généré par cette faute, les consorts Y. font état de 2 types de préjudice, d'une part, leur condamnation à payer le prix du droit au bail et d'autre part, la perte de chance de percevoir un loyer commercial car selon eux, si le bail avait été efficace ils auraient perçu à la date du renouvellement, soit à compter du 1er février 2007, un loyer commercial de 900 euros par mois alors que M et Mme Z. ont pu se maintenir dans les lieux sans bourse délier jusqu'au 11 septembre 2015, somme dont il convient cependant de déduire l'indemnité d'occupation fixée à 191 euros ; qu'ils rappellent, sur l'exigence du lien de causalité entre le préjudice et la faute, qu'ils ont été condamnés par la cour d'appel à verser à leurs locataires le montant du droit au bail qu'ils avaient acquitté en 1993 la décision étant de ce chef motivée par le manquement du bailleur à l'obligation de délivrance, lequel n'a pu leur être reproché que parce que le contrat était affecté d'une cause de nullité ;
Or, attendu que le recours à un avocat tendait précisément à éviter toute cause d'inefficacité à l'acte, et si les bailleurs ont été condamnés envers leurs locataires ainsi que ci-dessus rappelé, il demeure que M et Mme Z. étaient, de toutes façons, titulaires à leur égard d'un bail « tous commerces » par suite à la fois de l'ordonnance du juge commissaire qui avait autorisé la cession dès le 2 décembre 1992 et de la cession du 5 janvier 1993 passée entre le liquidateur de la société SCR et M et Mme Z., à laquelle les bailleurs avaient consenti sans qu'il soit allégué l'existence d'un lien entre cette cession ainsi autorisée et l'acte établi par Maître X.
Attendu, dès lors, qu’il ne peut être considéré que la faute de l'avocat est en relation de causalité avec le préjudice invoqué par les consorts Y. lesquels se trouvaient, en toute hypothèse, liés par l'engagement résultant de leur accord à la cession du droit au bail « tous commerces » passée dans le cadre de la procédure collective de sorte qu'ils auraient été dans la même situation sans la conclusion du nouveau bail rédigé par l'avocat.
Attendu, par suite, qu'en l'absence de lien causal prouvé entre la faute et le préjudice, les demandes d'indemnisation des consorts Y. seront rejetées et que le jugement sera réformé de ce chef.
Attendu que le présent arrêt constituant un titre pour l'appelante, il n'y a pas lieu de condamner les consorts Y. à restituer les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement soit 42.112,25 euros.
Attendu compte tenu de la faute retenue contre l'appelante, que celle-ci est mal fondée en sa demande à titre de dommages et intérêts.
Vu les articles 696 et suivants du code de procédure civile, et la succombance respective des parties ;
Attendu que l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Reçoit l'appel,
Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré l'action recevable comme non prescrite,
Réforme le jugement en ses autres dispositions et statuant à nouveau :
Dit que Maître X. a commis une faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle en rédigeant le bail commercial du 5 janvier 1993 mais dit qu'il n'y a pas de lien de causalité entre cette faute et le préjudice invoqué, et en conséquence, rejette les demandes des consorts Y. tendant à voir Maître X. condamner à leur payer la somme de 113.375,25 euros,
Rejette les demandes de plus amples des parties,
Condamne d'une part, Maître X. et d'autre part, ensemble les consorts Y. à supporter par moitié chacun les dépens de la procédure de première instance et d'appel avec distraction en application de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
- 5851 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de consommateur - Particulier personne physique - Absence de lien avec la profession
- 6114 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Responsabilité du professionnel - Clauses limitatives et exonératoires - Droit postérieur au décret du 18 mars 2009 (R. 212-1-6° C. consom.)
- 6387 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Avocat