CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 23 mai 2018
CERCLAB - DOCUMENT N° 7519
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 23 mai 2018 : RG n° 16/05258
Publication : Jurica
Extrait (arguments de l’appelant) : « Elle soutient être en situation de dépendance à l'égard de la société Fruitport et que leur relation contractuelle est déséquilibrée significativement en sa défaveur, en raison de son obligation contractuelle de vendre exclusivement à la société Fruitport l'intégralité de sa production au prix fixé unilatéralement par cette dernière. Elle en déduit qu'au regard de ces circonstances, celle-ci ne peut rompre sans avertissement écrit ni préavis leur relation commerciale. »
Extrait (motifs) : « A titre liminaire, il convient de relever que la société V. ne tire aucune conséquence et ne formule aucune demande relative au caractère significativement déséquilibré de la relation commerciale entre les parties qu'elle invoque. Il ne sera donc pas répondu sur ce point. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 23 MAI 2018
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 16/05258 (11 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 janvier 2016 - Tribunal de Commerce de BORDEAUX – R.G. n° 2014F01315.
APPELANTE :
SARL V. ET FILS LES VERGERS DU THIL, dont l'enseigne est LES VERGERS DU THIL
Ayant son siège social : [adresse], N° SIRET : XXX (AGEN), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Matthieu B. G. de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, Ayant pour avocat plaidant : Maître Wladimir B. de la SELARL DE S. & B., avocat au barreau de BORDEAUX, toque : 890
INTIMÉE :
SARL FRUIT PORT
Ayant son siège social : [adresse], N° SIRET : YYY (AGEN), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Bruno R. de la SCP R. - B.- M., avocat au barreau de PARIS, toque : L0050, Ayant pour avocat plaidant : Maître Sébastien B. de la SCP C. & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 avril 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Laure COMTE, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Irène LUC, Présidente de chambre, Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère, Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée, rédacteur, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Irène LUC, président et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Star Fruits, titulaire d'une licence d'exploitation de la marque Pink Lady et membre de l'association Pink Lady europe, conclut, d'une part, des contrats de culture avec différents producteurs leur conférant le droit de culture des variétés de pommes Cripps Pink, Rosy Glow et Pink Rose et, d'autre part, des contrats de distribution et donc de mise en commercialisation des pommes sous la marque Pink Lady avec des sociétés qualifiées de « metteurs en marché ».
Dans ce contexte, le 22 septembre 2006, la société V. et Fils Les Vergers du Thil, ci-après la société V., agissant en qualité de « station de conditionnement » et ayant pour rôle de conserver, trier et conditionner les pommes livrées par les producteurs agréés par la société Star Fruits, et la société Fruitport, ayant qualité de « metteur en marché », ont conclu un « contrat de conditionnement de pommes sous la marque PINK LADY » aux termes duquel la société V. s'est obligée à conditionner et à céder l'intégralité de ses récoltes de pommes de variété Cripps Pink, Rosy Glow et/ou Pink Rose à la société Fruitport, seule habilitée à les commercialiser auprès de ses clients sous la marque Pink Lady.
Ce contrat a été conclu pour une durée de douze mois, et prévoyait que la résiliation de la convention ou son renouvellement, au terme de chaque période de douze mois, serait notifié à la station de conditionnement par le metteur en marché par lettre recommandée avec accusé de réception. Le contrat de 2006 entre les deux sociétés a ainsi été reconduit annuellement jusqu'en 2013.
Au mois de mai 2014, la société Fruitport a interrompu ses commandes auprès de la société V., après que cette dernière ait conditionné et livré 27,430 tonnes de pommes Pink Lady entre les 14 et 25 avril 2014.
Alléguant une perte commerciale en raison d'une rupture brutale de leurs relations commerciales, la société V. a, par exploit du 6 novembre 2014, assigné la société Fruitport devant le tribunal de commerce de Bordeaux.
Par jugement du 15 janvier 2016, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- débouté la société V. et Fils les Vergers du Thil de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société Fruitport de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts,
- condamné la société V. et Fils les Vergers du Thil à verser à la société Fruitport la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société V. et Fils les Vergers du Thil aux dépens de l'instance.
La société V. a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 26 février 2016.
La procédure devant la cour a été clôturée le 20 mars 2018.
LA COUR
Vu les conclusions du 28 février 2018 par lesquelles la société V., appelante, invite la cour, au visa des articles L. 442-6-I-2° et 5°, D. 442-3 du code de commerce et 1134 ancien du code civil, à :
- réformer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Fruitport de sa demande reconventionnelle,
et, en conséquence,
- dire que la société Fruitport a brutalement rompu, sans aucun préavis ni même aucun avertissement écrit, ses relations commerciales établies avec elle,
subsidiairement,
- dire que la société Fruitport a unilatéralement résilié le contrat la liant à elle sans respecter la procédure contractuelle de mise en demeure préalable et sans, en tout état de cause, en avoir le pouvoir, celui-ci étant réservé à l'association Pink Lady europe ou à la société Star Fruits,
en conséquence,
- condamner la société Fruitport à lui payer la somme principale de 597.990 euros (447.990 + 150.000) à titre de dommages et intérêts,
- dire que la condamnation ci-dessus portera intérêts de retard sur la somme de 447.990 euros au taux supplétif de l'article L. 441-6 du code de commerce (taux BCE + 10 points), à compter de la mise en demeure du 16 juillet 2014, et qu'elle portera intérêts de retard au même taux sur la somme de 150.000 euros à compter de la communication, valant sommation, de ses conclusions de première instance du 20 avril 2015,
- ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil,
- débouter la société Fruitport de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Fruitport à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris-Versailles ;
Vu les conclusions du 2 février 2018 par lesquelles la société Fruitport, intimée ayant formé appel incident, demande à la cour, au visa de l'article L 442-6-I-5° du code de commerce, de :
- déclarer la société V. mal fondée en son appel,
à titre principal,
- confirmer la décision du tribunal de commerce de Bordeaux du 15 janvier 2016 en ce qu'elle a débouté la société V. de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à lui payer la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la réformer pour le surplus et, ce faisant, faire droit à son appel incident et à sa demande reconventionnelle,
- condamner la société V. à lui payer la somme de 7.000 euros HT à titre de dommages et intérêts,
à titre subsidiaire,
- dire qu'elle n'a aucunement, ni même partiellement, rompu les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société V.,
- débouter en conséquence la société V. de l'intégralité de ses demandes,
à titre très subsidiaire, et dans l'hypothèse où la cour considèrerait qu'elle a pris l'initiative de la rupture,
- dire que la société V. a manqué à ses obligations envers elle,
en conséquence, et faisant application des dispositions de l'article L. 442-6-I-5° in fine,
- débouter la société V. de l'ensemble de ses demandes,
à titre infiniment subsidiaire,
- dire que la société V. ne démontre nullement le préjudice qu'elle allègue,
- la débouter en conséquence de l'ensemble de ses demandes,
en tout état de cause,
- condamner la société V. à lui payer la somme supplémentaire de 15.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies :
La société V. fait valoir que :
- pendant la période de commercialisation des pommes Pink Lady de la récolte 2013, entre les mois de mars et juin s'agissant des récoltes précédentes, la société Fruitport a cessé à compter de la fin du mois d'avril 2014, d'acquérir des pommes auprès d'elle, étant par ailleurs empêchée contractuellement d'écouler ses stocks importants auprès de tiers,
- elle a obtenu son agrément ISF Food le 19 mars 2014, soit antérieurement à la première commande de la société Fruitport,
- les demandes pressantes d'informations de la société Fruitport quant aux volumes et à la qualité de ses stocks sont suspectes,
- elle y a, en tout état de cause, répondu avec diligence,
- les années précédentes, la société Fruitport passait des commandes à un rythme soutenu, sans s'inquiéter de telles considérations, à charge pour elle de répondre à ces commandes au mieux de ses capacités d'approvisionnement, de conditionnement et d'organisation,
- elle n'a sollicité qu'un seul délai supplémentaire de deux jours pour la livraison de la commande passée le 14 mai 2014 pour le 17 mai, qui n'a finalement pas été confirmée,
- ses très courtes et très ponctuelles périodes d'indisponibilité ne justifient pas que la société Fruitport cesse, définitivement, sans préavis et sans la moindre notification écrite, toute commande après d'elle.
Elle explique que l'obligation, pour l'auteur de la rupture, de notifier ladite rupture par écrit de manière explicite et dépourvue d'ambiguïté constitue une règle de fond impérative et non une simple règle de forme et que même si l'inexécution grave, fautive et avérée de ses obligations par la victime de la rupture peut justifier l'absence de préavis, cette obligation légale de notifier la rupture par écrit demeure, et que la rupture sans avertissement écrit est nécessairement brutale.
Elle soutient être en situation de dépendance à l'égard de la société Fruitport et que leur relation contractuelle est déséquilibrée significativement en sa défaveur, en raison de son obligation contractuelle de vendre exclusivement à la société Fruitport l'intégralité de sa production au prix fixé unilatéralement par cette dernière. Elle en déduit qu'au regard de ces circonstances, celle-ci ne peut rompre sans avertissement écrit ni préavis leur relation commerciale.
Elle relève que le contrat prévoit que la société Fruitport est tenue de contrôler les produits qu'elle lui fournit avant de les livrer à ses propres clients, tel que le contrat le prévoit ainsi que son annexe 1. Elle souligne qu'elle ne peut donc être responsable des litiges qui ont opposé la société Fruitport avec ses clients, ce d'autant que l'objet des litiges n'est pas établi contradictoirement avec elle et qu'elle n'a connaissance des conditions de stockage ou de transport des produits que postérieurement à la délivrance des fruits par elle à la société Fruitport. Elle considère que les contrôles réalisés les 16 mai et 25 juin 2014 par la société Bureau Véritas, le second ayant eu lieu alors que la date de péremption des fruits était dépassée, ne sont pas probants. Elle conteste donc avoir livré des produits non conformes au cahier des charges à la société Fruitport et avoir eu l'intention de vendre les pommes à l'industrie plutôt qu'à la société Fruitport. Elle soutient enfin que la preuve de la gravité des fautes contractuelles n'est pas rapportée.
En réplique, la société Fruitport soutient que :
- les relations commerciales se sont poursuivies entre les parties jusqu'au 1er semestre 2014, date à laquelle la société V. a régularisé une nouvelle convention avec un autre metteur en marché,
- la société V. n'a obtenu son agrément IFS Food, imposé par le conseil d'administration de l'association Pink Lady que le 19 mars 2014, de sorte qu'aucune mise en marché concernant les pommes qu'elle avait pu acquérir auprès des producteurs avec lesquels elle travaille, ne pouvait être réalisée avant cette date,
- les pommes livrées suite aux commandes qu'elle a adressées à la société V., représentant 27,43 tonnes de pommes Pink Lady entre le 14 et le 25 avril 2014, se sont avérées d'une qualité insuffisante, comme ne correspondant pas aux exigences du cahier des charges, provoquant un taux anormalement élevé de plaintes de ses clients,
- elle a informé la société V. par courriel du 22 avril 2014 de ce qu'il convenait d'interrompre les livraisons dans la mesure où les premières palettes livrées chez les clients rencontraient notamment un problème de « scald » (échaudure) et que de nombreuses réserves de la part des destinataires avaient été émises,
- elle a également fait savoir de la même manière à la société V., le 28 avril 2014, que 10 palettes avaient été refusées,
- elle conteste avoir agréé les pommes livrées par la société V., cet agrément ne relevant pas de sa responsabilité contractuelle, en ce que la responsabilité de la qualité de la marchandise et de sa conformité au cahier des charges Pink Lady repose sur la station de conditionnement et non pas sur le metteur en marché,
- la société V. n'a pas contesté les refus de marchandise de sa part,
- sa dernière commande envoyée à la société V. au mois de mai 2014 n'a pas été livrée dans le délai imparti, alors qu'au surplus, aucun précalibrage ne semblait avoir été réalisé par la station.
Elle conclut que la société V. s'est vue confier un certain nombre de commandes par elle, mais que celle-ci n'a pu y donner suite faute de diligences réalisées en termes de conditionnement alors même qu'il s'agit là de l'une des responsabilités essentielles des stations de conditionnement.
Elle allègue qu'elle n'a jamais résilié ses relations commerciales avec la société V. et ne lui a donc jamais adressé de courrier en ce sens pouvant faire état d'un quelconque préavis, alors qu'elle ne pouvait commander que des pommes conditionnées conformément au cahier des charges, et que la société V. est l'auteur de la rupture pour s'être adressée à un autre metteur en marché. Elle soutient que la société V. est demeurée silencieuse durant plus de quatre semaines, qui sont des semaines extrêmement critiques puisqu'il s'agit d'une période se situant en fin de campagne de commercialisation de la Pink Lady, ce qui démontre que celle-ci ne disposait alors d'aucun produit commercialisable sous la marque Pink Lady.
Elle explique dès lors que la société V. n'a pas respecté ses obligations contractuelles essentielles à son égard et sollicite l'application des dispositions de l'article L. 442-6-I-5° in fine.
Elle conteste enfin le préjudice allégué par la société V.
[*]
Les parties s'accordent sur le point de départ de leurs relations commerciales établies, à savoir l'année 2006, mais s'opposent sur l'imputabilité de la rupture, les fautes reprochées par la société Fruitport à la société V. pour justifier une rupture sans préavis, et sur le montant du préjudice subi.
Aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce :
« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (…) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».
La rupture des relations commerciales établies peut intervenir à effet immédiat à la condition qu'elle soit justifiée par des fautes suffisamment graves imputées au partenaire commercial.
A titre liminaire, il convient de relever que la société V. ne tire aucune conséquence et ne formule aucune demande relative au caractère significativement déséquilibré de la relation commerciale entre les parties qu'elle invoque. Il ne sera donc pas répondu sur ce point.
Sur l'auteur de la rupture :
L'instruction du dossier démontre que :
- le contrat de conditionnement du 22 septembre 2006 liant les parties impose, d'une part, à la société Fruitport, metteur en marché, notamment d'évaluer la station de conditionnement, d'attribuer un niveau d'agrément à la station de conditionnement correspondant à un niveau de délégation et de contrôle, d'identifier et mettre en place un suivi des litiges clients avec chaque station et, d'autre part, à la société V., station de conditionnement, notamment de se faire évaluer par le metteur en marché, de respecter les dispositions légales en matière de commercialisation de pommes, de respecter les dispositions spécifiques relatives aux conditionnement de la variété des pommes et de la marque Pink Lady, de mettre en place des actions correctives, suite à l'identification des litiges relevés par le contrôle externe et dont le bilan est transmis régulièrement par le metteur en marché à la station, de respecter les procédures vis-à-vis du metteur en marché, comme les déclarations de récolte et de stocks ainsi que les résultats d'agréage,
- le contrat de culture signé au mois de janvier 2001 par la société V. avec les sociétés titulaires des droits en europe sur les marques et le Certificat d'obtention végétale communautaire des pommes Pink Lady, en présence de la société Fruiport, impose à la société V. d'apporter totalement sa production à la société Fruitport,
- la société V. a livré à la société Fruitport entre les 14 et 25 avril 2014 27,43 tonnes de pommes Pink Lady (pièces n°4, bons de livraison),
- par courriel du 22 avril 2014, la société Fruitport a demandé à la société V. d'interrompre les livraisons, les premières palettes livrées aux clients ayant eu des problèmes de « scald », ceux-ci ayant donc émis des réserves à la réception des pommes,
- par courriels du 28 avril 2014, la société Fruitport a informé la société V. que 10 palettes ont été refusées, que les « problèmes de qualités sont très importants », notamment en raison de problèmes de coups, de tavelure, de mâchure sur les fruits et de « scald », les clients indiquant que les marchandises ne correspondent pas au cahier des charges, que le tri qualitatif doit être conforme aux préconisations du cahier des charges, et qu'elle doit les contacter le jour même pour faire le point sur la situation, notamment au regard du projet d'un de ses clients de vendre au plus vite la marchandise en la déclassant au regard de sa qualité insuffisante,
- par courriel du 28 avril 2014, la société V. a répondu à la société Fruitport qu'elle a pris note des observations, qu'elle n'envisage pas de continuer si les conditions actuelles demeurent, à savoir l'absence de régularité du travail et les litiges systématiques des quelques expéditions, et qu'elle saisit le club Pink Lady de la difficulté pour trouver une solution aux problèmes,
- par courriel du 29 avril 2014, la société Fruitport a reproché à la société V. de ne pas lui avoir répondu au sujet du déclassement de la marchandise et lui demande de la contacter pour faire le point sur la situation,
- par courriel du 30 avril 2014, la société Fruitport a demandé l'accord de la société V. au sujet du coût de retour de la marchandise refusée par un de ses clients,
- par courriel du 5 mai 2014, la société Fruitport a relancé la société V. au sujet de ses possibilités de conditionnement tant en qualité qu'en quantité, n'ayant pas de réponse à ce jour sur ce point, suite à leur échange du vendredi 2 mai précédent, et cette dernière lui répond le même jour qu'elle reprendra le conditionnement à compter du 12 mai prochain,
- suite à ce premier échange de courriels, la société Fruitport a reproché le même jour par courriel en retour à la société V. de ne pas répondre à ses questions, ce qui l'empêche de programmer des expéditions en provenance de sa station, ayant besoin d'informations précises sur les disponibilités en qualité, et volumes par calibres, ainsi que sur les périodes de conditionnement et lui demande de lui communiquer les volumes disponibles de Pink Lady pour la fin de la saison, à la demande de l'association Pink Lady europe,
- par courriel du 5 mai 2014, la société V. a informé la société Fruitport avoir un volume de pommes de 250 tonnes environ ; en réponse, cette dernière lui demande quel est le niveau de qualité de ces pommes et si elles sont commercialisables sous la marque Pink Lady,
- par courriel du 6 mai 2014, la société Fruitport a commandé à la société V. différentes livraisons de marchandises conformes au cahier des charges Pink Lady et en réponse à cette demande, la société V. lui indique le même jour ne pas être en mesure en l'état de préciser la qualité des pommes, et lancer le calibrage à compter du 12 mai 2014,
- par courriels du 14 mai 2014, la société Fruitport a commandé à la société V. différentes livraisons de marchandises pour le 17 mai suivant, attendant une réponse pour le soir même, ce à quoi cette dernière lui a indiqué que la livraison ne pourra être honorée que pour le 19 mai 2014, et a relancé la société V. concernant le résultat relatif au précalibrage, et aux données sur les volumes disponibles par calibres et sur la qualité,
- par courriels du 15 mai 2014, la société Fruitport a relancé la société V. en lui reprochant de ne pas répondre à ses appels téléphoniques pour qu'elle soit informée concernant les disponibilités selon les calibres, la coloration des pommes et la situation du « scald », et lui a indiqué qu'elle avait plusieurs possibilités d'expédition mais que sans retour de sa part, il ne lui était pas possible de lui commander la marchandise, rappelant être toujours en attente d'informations sur la marchandise,
- par courriel du 15 mai 2014, la société V. a répondu à la société Fruitport ne pas être en mesure de lui répondre ce jour,
- par courriel du 16 mai 2014, la société V. a informé la société Fruitport des différents calibrages dont elle dispose,
- le bureau de contrôle Bureau Véritas, lors d'un contrôle réalisé le 16 mai 2014 sur le stock de pommes de la société V., a constaté lors de deux contrôles distincts « 6 % de défauts majeurs (…) sur un échantillon de 100 fruits d'un lot Pink Lady, alors que le cahier des charge n'en tolère que 3 % en qualité Pink Lady » et « 15 % de défauts majeurs (…) sur un échantillon de 100 fruits d'un lot Pink Lady, alors que le cahier des charge n'en tolère que 10 % en qualité Pink Lady », précisant également « les palettes étaient bloquées et seront retriées ».
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société Fruitport est l'auteur de la rupture des relations commerciales entre les parties, pour avoir cessé de commander les pommes Pink Lady auprès de la société V.
Sur les fautes d'une gravité suffisante justifiant l'absence de préavis :
Les éléments du dossier développés supra démontrent également que la société Fruitport, à la suite de plaintes de ses clients, a d'abord informé la société V. d'un problème de qualité des pommes. Il convient de relever d'ailleurs, que celle-ci n'a pas contesté les difficultés invoquées au moment des différents échanges de courriels avec la société Fruitport et n'a pas plus sollicité de contrôle de ses stocks par la société V. ni même justifié de la qualité de ses pommes auprès de la société Fruitport, alors que cette dernière justifie des litiges avec ses clients par la communication des échanges et des retours des livraisons, et que le contrôle réalisé par la société Bureau Véritas le 16 mai 2014, date rapprochée au regard de la date des livraisons litigieuses, établit, en présence de la société V., le non-respect du cahier des charges par la société V. en raison d'un taux excessif de pommes présentant un défaut majeur, ainsi que l'antériorité au départ de la station de conditionnement des défauts relevés sur les pommes et donc l'imputabilité de ces défauts à la station de conditionnement. En outre, si la société V. invoque dans le cadre de cette instance le code d'usage Cofr europ en matière de règlement des litiges entre les parties, il convient de relever que le contrat liant les parties ne mentionne pas le recours à ce code d'usage et qu'elle n'en a pas demandé l'application au moment où la société Fruitport lui a signifié, à plusieurs reprises, des problèmes de qualités relatifs à sa marchandise.
Il apparaît en outre que la société Fruitport n'a eu de cesse de relancer en vain la société V. afin que celle-ci lui précise la qualité de ses pommes, et notamment si elles sont conformes au cahier des charges très strict de l'association Pink Lady europe, afin de lui passer commande, étant relevé qu'elle lui rappelait ne pas être en mesure de lui commander des pommes si elle ne lui communiquait pas les informations réclamées, alors qu'elle avait des demandes en ce sens. La société Fruitport, du fait des premiers retours négatifs de ses clients livrés des pommes conditionnées par la société V., a légitimement demandé des garanties à la station de conditionnement, préalablement à toute commande. Ces demandes ne sont donc pas fautives de la part de la société Fruitport.
Aussi, la société V., qui ne démontre pas avoir informé la société Fruitport sur la qualité de ses pommes, n'a pas mis en mesure la société Fruitport de lui commander les pommes qu'elle avait sous sa responsabilité. Au contraire, la société Fruitport a régulièrement tenté de lui commander des marchandises.
Enfin, le contrat de conditionnement impose à la société V. de procéder à l'agréage des pommes qui lui sont livrées par les producteurs, de mettre en œuvre des procédures d'autocontrôle à son niveau et à la société Fruitport d'évaluer la station de conditionnement selon différents critères. Il ne ressort pas des stipulations contractuelles comme de la pratique entre les parties, telle qu'elle découle des échanges entre elles, que la société Fruitport a contrôlé l'intégralité des livraisons conditionnées par la société V., le contrôle étant effectué lors de l'évaluation de la station de conditionnement par la société Fruitport, ce d'autant que le conditionnement intégral des commandes a été réalisé par la société V., y compris le film plastique autour desdites pommes conditionnées. En tout état de cause, il est établi que la qualité des pommes conditionnées par la société V. ne répondait pas au cahier des charges imposé par l'association Pink Lady europe, et que la question de la responsabilité de l'agréage devient sans objet au regard des défauts de qualité des pommes dont avait la responsabilité la société V.
Dès lors, suite aux nombreux litiges signalés par les clients de la société Fruitport concernant les premières livraisons du mois d'avril 2014 des pommes conditionnées par la société V., celle-ci, qui est tenue, aux termes du contrat les liant, de conditionner et de livrer à la société Fruitport des marchandises conformes au cahier des charges, n'a pas démontré à son interlocuteur, que la qualité des pommes Pink Lady qu'elle conserve s'est améliorée, afin que les pommes soient conformes audit cahier des charges. Aussi, la dernière commande effectuée par la société Fruitport le 14 mai n'a pas pu être honorée par la société V., n'ayant pas de disponibilité pour préparer la commande en 3 jours.
En conséquence, au regard de l'ensemble de ces considérations, il est établi que la société V. a commis des fautes d'une gravité suffisante justifiant que la société Fruitport rompe les relations commerciales avec elle sans lui octroyer de préavis.
Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point.
Sur la résiliation fautive du contrat :
La société V. explique que la société Fruitport a unilatéralement résilié le contrat la liant à elle sans respecter la procédure contractuelle de mise en demeure préalable et sans, en tout état de cause, en avoir le pouvoir, celui-ci étant réservé à l'association Pink Lady europe ou à la société Star Fruits.
La société Fruitport conteste avoir résilié le contrat les liant et soutient en tout état de cause que la société V. a manqué à ses obligations contractuelles essentielles à son égard.
Il est de principe que la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale.
Il a été jugé supra que la société V. a manqué à ses obligations essentielles du contrat en ne livrant pas à la société Fruitport des pommes conformes au cahier des charges et en ne communiquant pas à celle-ci, malgré ses demandes répétées, l'état réel des pommes. Dès lors, après les litiges suite aux premières livraisons par la société V. des pommes issues de la campagne 2013, la société Fruitport a légitimement demandé à la société V. des garanties sur la qualité de la marchandise et sa compatibilité au cahier des charges contractuel.
Dans ces conditions, la gravité des manquements contractuels de la société V. étant établie, la société Fruitport pouvait rompre unilatéralement le contrat les liant.
Il y a donc lieu de débouter la société V. de sa demande de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts formulée par la société Fruitport :
La société Fruitport explique que la société V. s'est abstenue, et alors même que cela constitue une obligation essentielle pour les stations de conditionnement, de lui communiquer, de manière régulière, ses possibilités de conditionnement. Elle soutient que cette situation a eu pour conséquence de l'empêcher de satisfaire à de nombreuses demandes de ses propres clients et ce, alors même qu'elle s'était engagée en tenant compte de ce qu'avait pu lui annoncer la société V. en tout début de campagne.
La société V. conteste avoir commis une faute.
La société Fruitport ne démontre pas le principe comme le quantum du préjudice qu'elle allègue, le préjudice réclamé pour ne pas avoir vendu les pommes dans les quantités annoncées en début de campagne par la société V. étant sans lien avec l'absence de communication des possibilités de conditionnement par la société V.
Il y a donc lieu de débouter la société Fruitport de sa demande de ce chef. Le jugement doit être confirmé sur ce point.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société V. doit être condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Fruitport la somme supplémentaire de 15.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du code de procédure civile formulée par la société V.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
CONFIRME le jugement ;
Y ajoutant,
DÉBOUTE la société V. de sa demande au titre de la rupture fautive du contrat par la société Fruitport ;
CONDAMNE la société V. aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Fruitport la somme supplémentaire de 15.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
REJETTE toute autre demande.
Le Greffier La Présidente
Cécile PENG Irène LUC