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CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 3 - 4), 28 février 2019

Nature : Décision
Titre : CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 3 - 4), 28 février 2019
Pays : France
Juridiction : Aix-en-Provence (CA), ch. 3 - 4
Demande : 16/23080
Décision : 2019/74
Date : 28/02/2019
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 23/12/2016
Numéro de la décision : 74
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CERCLAB - DOCUMENT N° 7744

CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 3 - 4), 28 février 2019 : RG n° 16/23080 ; arrêt n° 2019/74 

Publication : Jurica

 

Extrait : « Attendu, en premier lieu, que par arrêt de la CJCE du 21 novembre 2002, Cofidis, C-473/00, la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit que la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, s'oppose à une réglementation interne qui, dans une action intentée par un professionnel à l'encontre d'un consommateur et fondée sur un contrat conclu entre eux, interdit au juge national à l'expiration d'un délai de forclusion de relever, d'office ou à la suite d'une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d'une clause insérée dans ledit contrat ;

Que la Cour fonde son raisonnement sur le constat suivant lequel la fixation d'une limite temporelle au pouvoir du juge d'écarter, d'office ou à la suite d'une exception soulevée par le consommateur, des clauses abusives est de nature à porter atteinte à l'effectivité de la protection voulue par les articles 6 et 7 de la directive ;

Attendu que la généralité des termes employés par la Cour ne peut conduire qu'à appliquer la même solution à la prescription quinquennale de droit commun prévue à l'article 2224 du code civil ; que la fin de non-recevoir tirée de la prescription sera écartée ;

Attendu, en second lieu, que par arrêt de la CJUE du 30 avril 2014, C-26/13, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive susvisée 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, doit être interprétée en ce sens que les termes « objet principal du contrat » ne recouvrent une clause, intégrée dans un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère conclu entre un professionnel et un consommateur en vertu de laquelle le cours de vente de cette devise s'applique aux fins du calcul des remboursements du prêt, que pour autant qu'il est constaté, ce qu'il incombe au juge national de vérifier eu égard à la nature, à l'économie générale et aux stipulations du contrat ainsi qu'à son contexte juridique et factuel, que ladite clause fixe une prestation essentielles de ce contrat qui, comme telle, caractérise celui-ci ;

Que la Cour poursuit en énonçant que l'article 4, paragraphe 2, de ladite directive doit être interprété en ce sens que, s'agissant d'une telle clause contractuelle, l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère auquel la clause concernée ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d'autres clauses relatives au déblocage du prêt, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui ;

Que dans son arrêt C-186/16 du 20 septembre 2017, la Cour précise en outre que cette exigence implique qu'une clause selon laquelle le prêt doit être remboursé dans la même devise étrangère que celle dans laquelle il a été contracté soit comprise par le consommateur à la fois sur le plan formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement connaître la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt a été contracté, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ;

Attendu qu'en application de ces principes, il y a lieu de constater que le contrat de prêt souscrit par M. M. stipule que l'emprunteur souscrit un prêt en francs suisses qu'il doit rembourser, avec intérêts, en euros ; que cette caractéristique est exposée de façon constante dans l'offre de prêt qui précise que le franc suisse constitue la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement ; que l'opération constitue une opération de droit interne pour laquelle, en raison de la prohibition dans les contrat de droit interne d'une monnaie étrangère comme monnaie de paiement, le contrat prévoit expressément que le règlement des échéances par l'emprunteur doit être effectué en euros pour être ensuite converti en francs suisses et permettre le remboursement du capital emprunté en francs suisses ; que le contrat implique, pour la mise en œuvre et pour les obligations qu'il met à la charge des parties, la réalisation d'opérations de change, entraînant pour l'emprunteur le paiement de frais de change, et l'application d'un taux de change dont la variation est susceptible d'entraîner l'allongement ou le raccourcissement de la durée d'amortissement et l'augmentation ou la diminution corrélative de la charge de remboursement ;

Qu'ainsi, les conditions de remboursement du prêt ne revêtent pas un caractère accessoire mais définissent l'essence même du rapport contractuel ; que la clause Monnaie de compte, dont toutes les autres ne sont que la déclinaison ou la conséquence, fixe une prestation essentielle caractérisant le contrat ; qu'elle n'est dès lors susceptible d'entrer dans le champ d'application des règles régissant l'élimination des clauses abusives qu'à condition de considérer qu'elle n'est pas rédigée de manière claire et compréhensible ;

Attendu que l'examen de l'offre de prêt reçue et acceptée par M. X. mentionne dès la première page que celui-ci emprunte des sommes libellées en francs suisses comprenant des frais de change ; que les paragraphes intitulés Description de votre crédit précisent que le montant en francs suisses du crédit, soit 180.169,61 francs suisses, correspond au montant du financement en euros du projet et des frais de change relatifs à l'opération de change du montant du crédit en euros qui lui seront prélevés lors du déblocage des fonds au notaire ; que ces frais de change sont, page 8 de l'offre, fixés à 1,50 % des sommes à convertir dans le cadre des opérations de change ;

Que le contrat décrit ensuite de façon précise, sous la rubrique Ouverture d'un compte interne en francs suisses, le fonctionnement du prêt en devise et mentionne l'inscription des frais de change au débit du compte ; que sont ensuite détaillées pour le compte interne en francs suisses et le compte interne en euros les opérations effectuées lors du règlement des échéances ; que sous la rubrique Opérations de change, est à nouveau exposé le principe de fonctionnement du  prêt, en particulier le fait qu'il s'agit d'un prêt en francs suisses, mais que s'agissant d'une opération qui n'est pas une opération de crédit international, les versements effectués au titre du prêt ne peuvent être effectués qu'en euros pour un remboursement de francs suisses ; qu'il est également précisé qu'en acceptant l'offre de crédit, l'emprunteur accepte les opérations de change de francs suisses en euros et d'euros en francs suisses nécessaires au fonctionnement et au remboursement du crédit ;

Que les paragraphes placés sous l'intitulé Remboursement de votre crédit exposent de façon non équivoque que l'amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variations du taux de change et décrivent notamment l'impact de cette variation sur la durée d'amortissement du capital ; qu'il est ainsi précisé que s'il résulte de l'opération de change une somme inférieure à l'échéance en francs suisses exigibles, l'amortissement du capital sera moins rapide et l'éventuelle part de capital non amorti au titre de l'échéance concernée sera inscrite au solde débiteur du compte interne en francs suisses ; que ceci exprime de façon claire et aisément intelligible que l'impact d'une variation défavorable du taux de change sur le montant du capital restant dû et sur l'allongement corrélatif de la durée d'amortissement et donc sur le coût du crédit ; que l'offre de prêt décrit ensuite l'impact de la variation des taux d'intérêts sur le montant des règlements en euros à compter de le cinquième année, où le taux fixe devient, sauf option de conversion en euros, un taux variable ; qu'il y est explicitement mentionné que l'amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variation du taux de change, et que l'amortissement du capital sera plus ou moins rapide selon qu'il résulte de l'opération de change une somme supérieure ou inférieure à l'échéance en francs suisses exigible ; que tout au long de l'offre de prêt, l'accent est mis sur la variabilité du taux de change et son incidence sur la durée d'amortissement et le coût du prêt ;

Que le plan d'amortissement prévisionnel annexé à l'offre rappelle que la monnaie de compte du prêt est le franc suisse et que le plan prévisionnel a été établi dans cette devise ;

Qu'enfin, l'attention de l'emprunteur est expressément appelée dans le formulaire d'acceptation de l'offre sur le fait que le crédit comporte des opérations de change pouvant avoir un impact sur son plan de remboursement ;

Qu'il résulte de ce qui précède que M. X. a été clairement et objectivement informé, par l'offre de prêt, le plan prévisionnel d'amortissement et le formulaire d'acceptation, sur les caractéristiques du contrat et de l'impact des évolutions du taux de change sur la durée d'amortissement et sur le coût du crédit ; que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère et met un consommateur moyen et raisonnablement attentif et avisé en mesure de connaître la possibilité de hausse ou de dépréciation de la devise étrangère dans laquelle le prêt a été contracté, mais aussi d'évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ;

Que le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a débouté M. X. de sa demande tendant à voir déclarer abusive la clause de monnaie de compte »

 

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

CHAMBRE 3 - 4

ARRÊT DU28 FÉVRIER 2019