CA ANGERS (ch. civ. A), 9 juillet 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 7778
CA ANGERS (ch. civ. A), 9 juillet 2019 : RG n° 17/01260
Publication : Jurica
Extrait : « La vente en l'état futur d'achèvement est une convention par laquelle le vendeur s'oblige à édifier un immeuble dans un délai déterminé par le contrat. Il s'agit pour le vendeur d'une obligation de résultat.
Les contrats de vente en l'état futur d'achèvement souscrits comportent une clause au paragraphe intitulée « conventions de construction ». A la rubrique « délais d'achèvement », il est stipulé que le vendeur déclare que l'achèvement du bâtiment au sens de l'article R. 261-1 du code de la construction et de l'habitation, interviendra au plus tard à la fin du deuxième semestre 2012. Le délai court à compter de la date d'ouverture du chantier.
Les acquéreurs soutiennent page 7 de leurs conclusions que la société Cab Promotion leur opposerait l'existence d'une renonciation à se prévaloir des délais en se référant à une disposition du contrat ainsi rédigée : « Pour autant la date ci-dessus prévue pour l'achèvement serait postérieure à celle fixée au contrat de réservation, l'acquéreur renonce à tout recours contre le vendeur, la date arrêtée au présent se substituant ». Ils contestent l'interprétation faite par le promoteur de ce texte lequel n'impliquerait aucune renonciation anticipée à agir en cas de retard mais ferait simplement prévaloir la date d'achèvement exprimée au contrat de vente sur celle indiquée au contrat de réservation.
Cet argument soutenu par la société Cab promotion devant le premier juge n'est pas repris par l'intimée dans ses écritures d'appel. Le tribunal a très justement écarté l'interprétation inexacte de cette clause faite par la société Cab promotion laquelle n'emporte pas renonciation des acquéreurs à se prévaloir du délai d'achèvement et la société Cab Promotion ne le conteste plus. Le promoteur CAB Promotion invoque à titre de causes légitimes de suspension du délai : la mise en liquidation judiciaire de deux entreprises, l'effondrement du mur de la propriété mitoyenne, et le retard pris pour le démontage d'une grue que le loueur refusait d'effectuer faute d'avoir été payé par l'entreprise.
Le contrat prévoit que : « pour l'application de ces dispositions, serait considérée comme cause légitime de suspension dudit délai, notamment :
- les intempéries ;
- la grève, qu'elle soit générale, particulière au bâtiment ou à ses industries annexes ou à ses fournisseurs ou spéciale aux entreprises travaillant sur le chantier y compris, celles sous-traitantes ;
- la faillite, redressement judiciaire, liquidation judiciaire, dépôt de bilan ou déconfiture des ou de l'une des entreprises avec les travaux, y compris celles sous-traitantes. Cette cause légitime de suspension du délai sera applicable à condition que le vendeur se soit assuré et qu'il en soit justifié, lors de la signature des marchés travaux et avant démarrage des travaux du sérieux et de la solvabilité des entreprises.
- La résiliation d'un marché de travaux dû à la faute d'une entreprise ;
- les injonctions administratives judiciaires de suspendre ou arrêter les travaux (à moins que celles-ci ne soient fondées sur des fautes ou négligences imputables au vendeur),
- l'intervention de la direction des monuments historiques ou autres administrations en cas de découverte de vestiges archéologiques dans le terrain ;
- les troubles résultant d'hostilités, attentats, mouvements de rue, cataclysmes, incendies, inondations ou accidents de chantier ;
- le retard dans la mise à disposition par les organismes concessionnaires des différents fluides à moins que ce retard ne soit fondé sur des fautes ou négligences imputables au vendeur ;
- les retards pour cause de fouilles archéologiques, travaux de dépollution du sol du sous-sol, travaux de désamiantage ou encore inondations du chantier et de façon plus générale tous retards provenant d'anomalies du sous-sol (telle que présence de source ou résurgence d'eau, nature du terrain hétérogène aboutissant des remblais spéciaux ou des fondations particulières, tous éléments de nature à nécessiter des fondations spéciales des reprises en sous-œuvre d'immeubles avoisinants, et plus généralement, tous éléments dans le sous-sol susceptible de nécessiter des travaux non programmés complémentaires ou nécessitant un délai complémentaire pour la réalisation.....{...}
Les acquéreurs contestent pour leur part la validité de cette clause de suspension du délai non pas en ce qu'elle énonce les hypothèses de suspension du délai mais en ce qu'elle réserve au maître d'œuvre l'appréciation de leur caractère légitime.
Il est contractuellement prévu que : « pour l'appréciation des événements ci-dessus évoqués (soit le cas de force majeure ou la cause légitime de suspension) les parties d'un commun accord déclarent s'en rapporter dès à présent à un certificat établi par l'architecte ou le maître d’œuvre ayant la direction des travaux, sous sa propre responsabilité. »
La validité de cette clause n'a ni pour objet, ni pour effet de créer, au détriment des acquéreurs non-professionnels, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Elle charge simplement le maître d'œuvre d'établir le décompte des jours de retard admissibles en lien avec les événements susceptibles d'être admis comme causes de suspension, sans interdire expressément aux parties de venir contester la teneur du contenu de ce certificat si elles l'estime mal fondé.
Les quatre motifs de suspension invoqués par le promoteur vendeur entrent dans la définition des motifs retenus par la convention dont le contenu n'est pas exhaustif si l'on se réfère à l'adverbe notamment qui précède l'énumération.
L'hypothèse de la mise en liquidation judiciaire soutenue pour la société R. Mordret puis CVT entre dans la liste énoncée par le contrat.
Les acquéreurs font valoir toutefois que la société Cab Promotion n'a jamais produit au moment de la signature des marchés travaux, de justificatifs conformes aux stipulations contractuelles, lui permettant d'exciper valablement d'une quelconque cause légitime de suspension. Or, cette clause, telle qu'elle est rédigée : « Cette cause légitime de suspension du délai sera applicable à condition que le vendeur se soit assuré et qu'il en soit justifié, lors de la signature des marchés de travaux et avant démarrage des travaux du sérieux et de la solvabilité des entreprises. » de par la place de la virgule entre « justifié » et « lors de la signature... », n'implique pas que le promoteur ait à fournir les justificatifs des vérifications opérées sur la solvabilité de l'entreprise avant de signer les marchés de travaux mais seulement qu'ils puissent en justifier s'il entend invoquer ultérieurement la liquidation judiciaire de cette entreprise.
Au vu des pièces produites par la société Cab Promotion, il est suffisamment rapporté pour la société R. Mordret, la preuve de son sérieux et de sa solvabilité à la date de signature du contrat de construction. Il s'agit d'une société ayant débuté ses activités en 1975, disposant de 29 salariés et dont les comptes arrêtés au 31 décembre 2010 attestaient du dynamisme et de la solvabilité.
CAB Promotion entend rapporter la preuve de ce qu'elle se serait également assurée du sérieux et de la solvabilité de la société CVT, par le simple fait qu'elle aurait été placée en redressement judiciaire un an après la signature du marché de travaux et que le tribunal de commerce aurait fixé la date de la cessation des paiements au 14 décembre 2012. Il s'agit de déductions effectuées au vu des éléments de la procédure collective. Il apparaît que la condition contractuelle expresse posée pour ce motif de suspension n'est pas remplie : la société CAB Promotion ne justifie pas s'être renseignée sur sa réputation, son activité et ses comptes. Il ne saurait en conséquence être tenu compte de cette seconde liquidation judiciaire.
Il est fait état également le 11 octobre 2012 de l'effondrement d'un mur mitoyen attesté par différents éléments de preuve dont un pré-rapport d'expertise. Cet événement peut être admis comme une cause de suspension du délai sachant que l'énonciation contractuelle n'est pas limitative et qu'il peut être considéré comme une conséquence de la nature instable du sol ayant fragilisé l'immeuble voisin et ayant nécessité un délai complémentaire pour la réalisation des travaux.
Enfin, il convient d'admettre les conséquences du refus de la société Saint-Yves service de démonter sa grue, faute d'avoir été réglée de sa facture par la société CVT en liquidation judiciaire. La faute de cette entreprise est suffisamment établie au vu des éléments ayant justifié qu'elle y soit contrainte par ordonnance de référé du 18 décembre 2013.
Dès lors que figure au nombre des causes contractuellement admises, la résiliation d'un marché de travaux due à la faute d'une entreprise, il peut être considéré que la faute d'un prestataire constitue également pour le maître d'ouvrage une cause de suspension de son délai.
Mais pour pouvoir entraîner suspension effective du délai pour achever la construction, il ne suffit pas que ces événements entrent dans le champ d'application de la clause. Encore faut-il qu'il soit justifié du retard effectif engendré par ces différents événements lequel dépend de l'évolution de l'état du chantier au jour auquel ils surviennent. Or, le certificat de l'architecte, pourtant contractuellement prévu à l'acte de vente, n'a pas été demandé par la société CAB Promotion au maître d'œuvre. Or pour l'appréciation des conséquences en termes de retard, les parties avaient, dans l'acte de vente, déclaré d'un commun accord, s'en rapporter à un certificat établi sous sa propre responsabilité par le maître d'œuvre ou l'architecte ayant la direction des travaux. La cour ne saurait, alors que les acquéreurs contestent la justification de la prise en compte des retards sollicités à hauteur de 18 mois 1/2 par le maître d'ouvrage et fixé à hauteur de 12 mois par le premier juge, arbitrer la durée du retard engendré par les événements invoqués par la société CAB Promotion, en l'absence du certificat de l'architecte alors même que cet élément s'avère indispensable pour trancher dès lors que la computation des jours de retard admissibles suppose de connaître, au jour où l'événement se produit, l'état d'avancement du chantier. La survenue de l'événement n'entraîne pas forcément une situation de blocage de la construction.
Il convient dès lors d'infirmer le jugement et de retenir le retard en sa totalité soit ayant couru entre le 31 décembre 2012 (fin du 2ème trimestre 2012) et les dates de livraison effectives sans appliquer, faute de preuves suffisantes, la clause de suspension. »
COUR D’APPEL D’ANGERS
CHAMBRE CIVILE A
ARRÊT DU 9 JUILLET 2019