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CONS. CONSTIT., 30 novembre 2018

Nature : Décision
Titre : CONS. CONSTIT., 30 novembre 2018
Pays : France
Juridiction : Conseil constitutionnel
Demande : 2018-749
Date : 30/11/2018
Numéro ECLI : ECLI:FR:CC:2018:2018.749.QPC
Nature de la décision : Constitutionnel
Mode de publication : Legifrance
Date de la demande : 27/09/2018
Décision antérieure : CASS. COM., 27 septembre 2018
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 8051

CONS. CONSTIT., 30 novembre 2018 : Décision n° 2018-749 QPC

Publication : Legifrance

 

Extraits (motifs) : 1/ « 5. Dans sa décision du 13 janvier 2011 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les dispositions du 2° du paragraphe I de l’article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi du 4 août 2008 mentionnée ci-dessus. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Ces dispositions sont identiques à celles contestées par les sociétés requérantes dans la présente question prioritaire de constitutionnalité. 6. Toutefois, depuis cette déclaration de conformité, la Cour de cassation a jugé, dans l’arrêt du 25 janvier 2017, que les dispositions du 2° du paragraphe I de l’article L. 442-6 du code de commerce n’excluent pas que « le déséquilibre significatif puisse résulter d’une inadéquation du prix au bien vendu » et qu’elles autorisent ainsi « un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Il en résulte un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées. »

2/ « 8. Conformément à l’article 34 de la Constitution, le législateur détermine les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales. Compte tenu des objectifs qu’il s’assigne en matière d’ordre public dans l’équilibre des rapports entre partenaires commerciaux, il lui est loisible d’assortir la violation de certaines obligations d’une amende civile à la condition de respecter les exigences des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, au rang desquelles figure le principe de légalité des délits et des peines qui lui impose d’énoncer en des termes suffisamment clairs et précis la prescription dont il sanctionne le manquement. 9. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au considérant 4 de la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 2011, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits. Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté. »

3/ « 10. Il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. 11. D’une part, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu rétablir un équilibre des rapports entre partenaires commerciaux. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général. 12. D’autre part, les dispositions contestées permettent au juge de se fonder sur le prix pour caractériser l’existence d’un déséquilibre significatif dans les obligations des partenaires commerciaux. 13. Dès lors, le législateur a opéré une conciliation entre, d’une part, la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle et, d’autre part, l’intérêt général tiré de la nécessité de maintenir un équilibre dans les relations commerciales. L’atteinte portée à ces deux libertés par les dispositions contestées n’est donc pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. Il s’ensuit que les griefs tirés de leur méconnaissance doivent être écartés. 14. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent ni la présomption d’innocence, ni le principe d’égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

CONSEIL CONSTITUTIONNEL

DÉCISION DU 30 NOVEMBRE 2018

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Décision n° 2018-749 QPC.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 27 septembre 2018 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 894 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les sociétés Interdis, Carrefour hypermarchés, Carrefour administratif France, CSF et Carrefour proximité France par Maîtres Diego de Lammerville et Thomas Lambard, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-749 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions du 2° du paragraphe I de l’article L. 442-6 du code de commerce.

Au vu des textes suivants :

- la Constitution ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code de commerce ;

- la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie ;

- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011 ;

- l’arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 (chambre commerciale, n° 15-23.547) ;

- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

- les observations présentées pour les sociétés requérantes par la SCP Delvolvé - Trichet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation et la société Clifford Chance Europe LLP, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 19 et 31 octobre 2018 ;

- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées les 19 octobre et 5 novembre 2018 ;

- les observations en intervention présentées pour la société Fra-ma-pizz par Me Jean-Daniel Bretzner, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 18 octobre 2018 ;

- les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me de Lammerville, pour les sociétés requérantes, Maître Bretzner, pour la société intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 20 novembre 2018 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des dispositions du 2° du paragraphe I de l’article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015 mentionnée ci-dessus.

2. Le 2° du paragraphe I de l’article L. 442-6 du code de commerce, dans cette rédaction, prévoit qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :« De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

3. Selon les sociétés requérantes et intervenante, ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour de cassation dans son arrêt du 25 janvier 2017 mentionné ci-dessus, permettraient au juge de contrôler le prix des biens faisant l’objet d’une négociation commerciale. Dans la mesure où la méconnaissance de l’obligation prévue par ces dispositions est sanctionnée par une amende civile, la notion de déséquilibre significatif serait privée de la précision exigée par le principe de légalité des délits et des peines. Les sociétés requérantes estiment également qu’un tel contrôle empêcherait la libre négociation du prix et permettrait sa remise en cause par le juge. Il en résulterait une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre. Les sociétés requérantes font par ailleurs valoir que la présomption d’innocence serait méconnue, en raison de la possibilité d’établir un tel déséquilibre significatif à partir, non du comportement de l’une des parties, mais de circonstances objectives tenant à la structure économique du marché. Enfin, elles dénoncent une rupture d’égalité devant la loi entre les distributeurs pour lesquels l’application des dispositions contestées aboutit à l’interdiction de certaines clauses de leurs contrats et les autres distributeurs qui, échappant à cette application, peuvent insérer des clauses identiques.

 

Sur la recevabilité :

4. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l’article 23-2 et du troisième alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu’il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une de ses décisions, sauf changement des circonstances.

5. Dans sa décision du 13 janvier 2011 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les dispositions du 2° du paragraphe I de l’article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi du 4 août 2008 mentionnée ci-dessus. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision. Ces dispositions sont identiques à celles contestées par les sociétés requérantes dans la présente question prioritaire de constitutionnalité.

6. Toutefois, depuis cette déclaration de conformité, la Cour de cassation a jugé, dans l’arrêt du 25 janvier 2017, que les dispositions du 2° du paragraphe I de l’article L. 442-6 du code de commerce n’excluent pas que « le déséquilibre significatif puisse résulter d’une inadéquation du prix au bien vendu » et qu’elles autorisent ainsi « un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Il en résulte un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées.

 

Sur le fond :

* En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines :

7. Les dispositions contestées interdisent aux producteurs, aux commerçants, aux industriels et aux personnes immatriculées au répertoire des métiers de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. En application de ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour de cassation dans sa décision du 25 janvier 2017, l’existence d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties peut notamment résulter d’une inadéquation du prix au bien faisant l’objet de la négociation. Cette obligation est sanctionnée notamment par une amende civile, prévue au deuxième alinéa du paragraphe III de l’article L. 442-6 du code de commerce.

8. Conformément à l’article 34 de la Constitution, le législateur détermine les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales. Compte tenu des objectifs qu’il s’assigne en matière d’ordre public dans l’équilibre des rapports entre partenaires commerciaux, il lui est loisible d’assortir la violation de certaines obligations d’une amende civile à la condition de respecter les exigences des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, au rang desquelles figure le principe de légalité des délits et des peines qui lui impose d’énoncer en des termes suffisamment clairs et précis la prescription dont il sanctionne le manquement.

9. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au considérant 4 de la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 2011, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits. Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.

 

* En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle :

10. Il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

11. D’une part, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu rétablir un équilibre des rapports entre partenaires commerciaux. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général.

12. D’autre part, les dispositions contestées permettent au juge de se fonder sur le prix pour caractériser l’existence d’un déséquilibre significatif dans les obligations des partenaires commerciaux.

13. Dès lors, le législateur a opéré une conciliation entre, d’une part, la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle et, d’autre part, l’intérêt général tiré de la nécessité de maintenir un équilibre dans les relations commerciales. L’atteinte portée à ces deux libertés par les dispositions contestées n’est donc pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. Il s’ensuit que les griefs tirés de leur méconnaissance doivent être écartés.

14. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent ni la présomption d’innocence, ni le principe d’égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le 2° du paragraphe I de l’article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 29 novembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

Rendu public le 30 novembre 2018.