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CA RENNES (4e ch.), 14 novembre 2019

Nature : Décision
Titre : CA RENNES (4e ch.), 14 novembre 2019
Pays : France
Juridiction : Rennes (CA), 4e ch.
Demande : 17/03074
Décision : 19/373
Date : 14/11/2019
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 21/04/2017
Numéro de la décision : 373
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CERCLAB - DOCUMENT N° 8219

CA RENNES (4e ch.), 14 novembre 2019 : RG n° 17/03074 ; arrêt n° 373

Publication : Jurica

 

Extrait : « Cette clause est ainsi rédigée : « Le vendeur devra achever les biens et droits immobiliers au plus tard le 31 décembre 2012. Le tout sauf survenance d'un cas de force majeure ou plus généralement d'une cause légitime de suspension du délai de livraison.

Pour l'application de cette disposition, pourraient notamment être considérées comme causes légitimes de suspension dudit délai sans que cette liste soit exhaustive les cas suivants : - les intempéries, suivant constat de l'architecte ou du maître d'œuvre, [...], - les faillite, redressement judiciaire, liquidation judiciaire, dépôt de bilan ou déconfiture des ou de l'une des entreprises effectuant les travaux, [...] Ces différentes circonstances auront pour effet de retarder la livraison du bien vendu d'un temps égal au double de celui effectivement enregistré en raison de leur répercussion sur l'organisation générale du chantier ».

Comme l'a rappelé le tribunal, de telles clauses sont licites si elles ne créent pas un déséquilibre significatif en faveur du vendeur. Si le doublement des jours n'est pas manifestement disproportionné au regard des nécessités de réorganisation d'un chantier, c'est néanmoins à bon droit que les premiers juges ont retenu que le déséquilibre significatif était caractérisé par le caractère non limitatif des motifs pouvant constituer une cause légitime et l'emploi du conditionnel. La clause étant indivisible, elle ne peut être annulée partiellement comme le demande l'appelante à titre subsidiaire.

Le jugement est donc confirmé sur ce point. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE RENNES

QUATRIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 14 NOVEMBRE 2019

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 17/03074. Arrêt n° 373. N° Portalis DBVL-V-B7B-N4JM.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Hélène RAULINE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Andrée GEORGEAULT, Conseillère,

Assesseur : Madame Nathalie MALARDEL, Conseillère,

GREFFIER : Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS : A l'audience publique du 1er octobre 2019, devant Madame Hélène RAULINE, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement le 14 novembre 2019 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

 

APPELANTES :

Société civile NOVA GREEN

Société civile de construction vente, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. [...]  [...], Représentée par Maître Armel A. de la SELARL ANDRÉ S., Plaidant, avocat au barreau de RENNES, Représentée par Maître Jean-Paul R. de la SCP G.-R., Postulant, avocat au barreau de RENNES

SARL CAP ACCESSION

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. [...] [...], Représentée par Maître Armel A. de la SELARL ANDRÉ S., Plaidant, avocat au barreau de RENNES, Représentée par Maître Jean-Paul R. de la SCP G.-R., Postulant, avocat au barreau de RENNES

 

INTIMÉE :

Madame X.

née le |date] à [ville], [...] [...], Représentée par Maître Gwendal B. de la SELARL ARVOR AVOCATS ASSOCIÉS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS ET PROCÉDURE :

Par contrat de vente en l'état futur d'achèvement reçu par acte authentique en date du 28 septembre 2011, Mme X. a acquis auprès de la SCCV Nova Green un appartement de type 3 et un parking couvert correspondant aux lots n° 32 et 150 de la résidence Nova Green située [adresse] moyennant le prix de 135.268 euros.

La date d'achèvement des travaux mentionnée dans l'acte était le 31 décembre 2012 au plus tard. La remise des clés a été effectuée le 29 mars 2013.

Se plaignant d'une livraison tardive et de ce que le logement n'était pas achevé, par actes d'huissier du 26 mai 2014, Mme X. a fait assigner la SCCV Nova Green et la société Cap Accession devant le tribunal de grande instance de Rennes aux fins d'indemnisation de ses préjudices sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation, de l'article R. 261-1 du code de la construction et de l'habitation et de l'article 1147 du code civil.

Par un jugement en date du 28 février 2017 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :

- déclaré abusive la clause commençant par « le tout, sauf survenance d'un cas de force majeure, ou plus généralement, d'une cause de suspension du délai de livraison (...) » et se terminant par « Ces différentes circonstances auront pour effet de retarder la livraison du bien vendu d'un temps égal ou double de celui effectivement enregistré, en raison de leur répercussion sur l'organisation générale du chantier » pages 26 et 27 de l'acte notarié du 28 septembre 2011 ; dit qu'elle est réputée non écrite ;

- condamné la SCCV Nova Green et la société Cap Accession à payer à Mme X. les sommes suivantes, augmentées des intérêts au taux légal à compter du jugement :

- 1.872 euros au titre de la perte du loyer ;

- 2.000 euros au titre du trouble de jouissance ;

- 1.000 euros au titre du préjudice moral ;

- condamné la SCCV Nova Green et la société Cap Accession à payer à Mme X. la somme de 2.300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La SCCV Nova Green et la société Cap Accession ont interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 21 avril 2017.

Mme X. a relevé appel incident.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 septembre 2019.

 

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans leurs dernières conclusions en date du 20 juillet 2017, au visa des articles 1134 et suivants, 1156 et suivants (anciens) et 1188 et suivants du code civil et de l'article L. 132-1 du code de la consommation, la SCCV Nova Green et la société Cap Accession demandent à la cour de :

- réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

- in limine litis, mettre hors de cause la société Cap Accession ;

- sur le fond, dire et juger non abusive et donc légale la clause de suspension du délai de livraison du contrat de vente en l'état futur d'achèvement ;

- subsidiairement, réputer partiellement non écrite la clause de suspension du délai de livraison du contrat de vente en l'état futur d'achèvement en retranchant exclusivement les expressions « pourraient notamment être considérés » et « sans que cette liste soit exhaustive » ; dire et juger la SCCV Nova Green bien fondée à invoquer les causes de suspension légitime de délai de livraison et débouter Mme X. de toutes ses prétentions indemnitaires au titre du retard de livraison en principal, dommages-intérêts, frais et dépens ; déclarer satisfactoire l'offre de la SCCV Nova Green de 350 euros à titre d'indemnité toutes causes de préjudice confondues ;

- débouter Mme X. de toute autre prétention, plus ample ou contraire, ainsi que de sa demande au titre des frais irrépétibles et dépens et la condamner aux dépens de première instance et d'appel.

[*]

Dans ses dernières conclusions en date du 27 août 2019, Mme X. demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- déclaré abusive la clause commençant par « le tout, sauf survenance d'un cas de force majeur ou plus généralement, d'une cause de suspension du délai de livraison (...) », et se terminant par « ces différentes circonstances auront pour effet de retarder la livraison du bien vendu d'un temps égal au double de celui effectivement enregistré, en raison de leur répercussion sur l'organisation générale du chantier » page 26 et 27 de l'acte notarié du 28 septembre 2011 ;

- dit qu'elle est réputée non écrite,

- condamné la SCCV Nova Green et la société Cap Accession au titre de la perte de loyer et de jouissance et de préjudice moral de Mme X. et au titre des frais irrépétibles et des dépens mais

- l'infirmer quant au quantum des condamnations portées à l'encontre de la SCCV Nova Green et la société Cap Accession sauf en ce qui concerne la perte de loyer ;

- débouter la SCCV La Société Nova Green et Cap Accession de l'ensemble de leurs demandes ;

- condamner la SCCV La Société Nova Green et Cap Accession à payer à Mme X. les sommes suivantes au titre du préjudice relatif au :

- 1.872 euros au titre de la perte de loyer ;

- 760 euros au titre des frais d'huissier ;

- 3.000 euros au titre de préjudice de jouissance ;

- 5.000 euros au titre du préjudice moral subi ;

- condamner la SCCV Nova Green et Cap Accession à payer à Mme X. une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance comme de l'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur la mise hors de cause de la société Cap Accession :

Le contrat de vente a été signé entre la société Nova Green et Mme X. En l'absence de lien de droit entre cette dernière et la société Cap Accession, cette dernière doit être mise hors de cause.

Le jugement est infirmé en ce qu'il a prononcé une condamnation in solidum entre les deux sociétés.

 

Sur le fond :

Aux termes de l'article 1601-1 du code civil, la vente d'immeuble à construire est celle par laquelle le vendeur s'oblige à édifier un immeuble dans un délai déterminé par le contrat.

Dans le cas d'espèce, la date butoir pour la livraison avait été fixée au 31 décembre 2012.

Mme X. expose que l'appelante ne l'a informée que fin décembre 2012 que le logement serait livré au plus tard le 30 mars 2013, qu'elle a donné préavis à son bailleur pour cette date, qu'il s'est avéré le 28 mars que l'immeuble n'était pas achevé, qu'elle a exigé la livraison de l'appartement, n'ayant pas d'autre choix, que l'indemnité de 500 € qui lui a été versée par le promoteur n'indemnise pas l'ensemble de ses préjudices.

La société Nova Green répond qu'elle a été confrontée à des difficultés indépendantes de sa volonté dans la conduite du chantier, qu'elle avait informé tous les acquéreurs en mai 2012 du report de livraison à la fin du premier trimestre 2013, qu'en février 2013, l'un des constructeurs, en procédure collective, n'a pu obtenir la livraison des matériaux, qu'il a alors été proposé à Mme X. de la reloger provisoirement, que cette dernière a répondu qu'elle pouvait se loger et a exigé les clés pour réaliser les travaux qu'elle s'était réservés, qu'elle s'est ensuite plainte de désordres et de non conformités qui n'étaient pas fondés. Elle invoque la clause du contrat prévoyant des causes légitimes de suspension du délai de livraison, à savoir l'arrêt du chantier par le coordinateur SPS, des intempéries et le redressement judiciaire puis la liquidation de la société Primault.

 

Sur la validité de la clause de prorogation du délai de livraison :

Cette clause est ainsi rédigée :

« Le vendeur devra achever les biens et droits immobiliers au plus tard le 31 décembre 2012.

Le tout sauf survenance d'un cas de force majeure ou plus généralement d'une cause légitime de suspension du délai de livraison.

Pour l'application de cette disposition, pourraient notamment être considérées comme causes légitimes de suspension dudit délai sans que cette liste soit exhaustive les cas suivants :

- les intempéries, suivant constat de l'architecte ou du maître d'œuvre, [...]

- les faillite, redressement judiciaire, liquidation judiciaire, dépôt de bilan ou déconfiture des ou de l'une des entreprises effectuant les travaux, [...]

Ces différentes circonstances auront pour effet de retarder la livraison du bien vendu d'un temps égal au double de celui effectivement enregistré en raison de leur répercussion sur l'organisation générale du chantier ».

Comme l'a rappelé le tribunal, de telles clauses sont licites si elles ne créent pas un déséquilibre significatif en faveur du vendeur.

Si le doublement des jours n'est pas manifestement disproportionné au regard des nécessités de réorganisation d'un chantier, c'est néanmoins à bon droit que les premiers juges ont retenu que le déséquilibre significatif était caractérisé par le caractère non limitatif des motifs pouvant constituer une cause légitime et l'emploi du conditionnel.

La clause étant indivisible, elle ne peut être annulée partiellement comme le demande l'appelante à titre subsidiaire.

Le jugement est donc confirmé sur ce point.

 

Sur le retard :

La société Nova Green n'invoque aucun cas de force majeure. Le retard de livraison de trois mois est donc avéré.

En outre, il ressort des pièces versées aux débats que si Mme X. avait été informée le 16 mai 2012 du report de livraison à la fin du premier trimestre 2013 et qu'elle avait été convoquée le 25 février 2013 aux opérations de réception du 28 mars, ce n'est que la veille, par un courriel envoyé à 19 heures 14, que le promoteur a annulé le rendez-vous du lendemain au motif que le logement n'était pas habitable. Il a fait installer un ballon d'eau chaude provisoire pour permettre à Mme X. de prendre possession des lieux.

Le tribunal sera approuvé pour avoir dit que la responsabilité contractuelle du promoteur était engagée à raison du retard d'achèvement de l'immeuble.

 

Sur les préjudices :

Contrairement à ce qui a été jugé, la privation de jouissance de l'appartement de janvier à mars 2013 ne saurait être appréciée sur la base de sa valeur locative dès lors que Mme X. n'envisageait pas de le louer. L'intimée est donc fondée à contester la somme allouée à cette dernière au titre de la perte de loyers.

Aucun état des lieux contradictoire n'a été établi le 29 mars 2013. Toutefois, l'appelante ne conteste pas les indications portées dans le constat d'huissier du même jour établi en sa présence. Elles portaient sur des non finitions minimes, sauf l'absence de chauffage.

Il est indéniable, par ailleurs, que Mme X. a été contrainte de subir les désagréments d'un immeuble inachevé pendant quelques mois, outre les travaux de finitions de son appartement et pour remédier à la non-conformité contractuelle de la douche dénoncée ultérieurement.

Elle ne justifie pas, en revanche, avoir pris des journées de congés pour permettre la réalisation des travaux à son domicile, l'intimée indiquant avoir veillé à faire intervenir les entreprises pendant ses heures de travail. Elle ne peut non plus alléguer la persistance de désordres ou non conformités alors qu'elle ne forme aucune demande à ces titres.

De son côté, la société Nova Green ne justifie pas avoir proposé un hébergement à Mme X., ce que cette dernière dément et qui, de toute façon, laisse subsister la privation de jouissance de son bien.

Par contre, la prétendue désinvolture du promoteur ne ressort pas ses pièces du dossier.

Au regard de ces éléments et des pièces du dossier, la cour fixera à 3.000 € l'indemnité destinée à réparer le préjudice de jouissance résultant de la privation complète du logement pendant trois mois, partielle à compter du 29 mars 2013.

L'intimée conteste l'existence d'un préjudice moral.

Celui-ci résulte de la nécessité d'emménager dans un appartement inachevé du fait d'une information communiquée la veille de la livraison puis des tracas inhérents à la procédure judiciaire que l'appelante a dû engager pour voir reconnaître ses droits du fait de l'indemnisation insuffisante versée par le promoteur. La somme octroyée par le tribunal pour réparer ce chef de préjudice sera portée à 2.000 €.

Le jugement est infirmé de ces deux chefs.

Il est confirmé en ce qu'il a dit que les frais d'huissier étaient intégrés dans l'indemnité allouée au titre des frais irrépétibles.

 

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens sont infirmées en ce que les condamnations ont été prononcées à l'égard de la société Cap Accession.

La société Nova Green qui succombe en l'essentiel de ses prétentions est condamnée aux dépens d'appel et à payer une indemnité de procédure supplémentaire de 3.000 € à l'intimée.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, contradictoirement :

INFIRME partiellement le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

MET hors de cause la société Cap Accession,

CONDAMNE la SCCV Nova Green à payer à Mme X. les sommes suivantes :

- 3.000 euros au titre du trouble de jouissance ;

- 2.000 euros au titre du préjudice moral ;

- 2.300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SCCV Nova Green aux dépens ;

CONFIRME les autres dispositions du jugement ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la SCCV Nova Green à payer à Mme X. la somme de

3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

CONDAMNE la SCCV Nova Green aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier                            Le Président