CASS. COM., 20 novembre 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 8228
CASS. COM., 20 novembre 2019 : pourvoi n° 18-12823 ; arrêt n° 855
Publication : Legifrance ; Bull. civ.
Extrait : « Mais attendu qu’après avoir énoncé que la soumission ou la tentative de soumission d’un fournisseur ou partenaire commercial, premier élément constitutif de la pratique de déséquilibre significatif, implique de démontrer l’absence de négociation effective des clauses incriminées et que, si la structure d’ensemble du marché de la grande distribution peut constituer un indice de l’existence d’un rapport de force déséquilibré, se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs, ce seul élément ne peut suffire et doit être complété par d’autres indices établissant l’absence de négociation effective, l’arrêt retient que, s’il a pu être déduit, dans certains cas, un indice de soumission ou de tentative de soumission de déséquilibre significatif, de l’adoption, par un certain nombre de fournisseurs, de clauses identiques qui leur étaient manifestement défavorables, tel n’est pas le cas dans la présente espèce puisque, si le ministre prétend que les clauses litigieuses ont été intégrées dans toutes les conventions ou que tous les fournisseurs de la société ITM alimentaire international ont été concernés par ces clauses, il n’appuie cette affirmation sur aucun élément de preuve, ne versant aux débats que cinq contrats comportant les clauses litigieuses, signés par des fournisseurs qui ne peuvent être qualifiés de PME ou de TPE, sur lesquels il n’apporte aucun élément de preuve quant aux circonstances factuelles dans lesquelles ils ont été conclus et n’établissant donc pas qu’ils n’ont pas fait l’objet de négociations effectives ; qu’il relève que le signataire de l’un de ces cinq contrats, la société Danone eaux France, a pu négocier l’article 2 de la convention d’affaires de 2009, tandis qu’un autre, la société Mars, a fait le choix de ne pas dénoncer cette clause, qui n’était pas appliquée ; qu’il relève encore que la société ITM alimentaire international justifie de ce que deux autres fournisseurs, les sociétés Orangina/Schweppes et Herta, ont également pu négocier les articles 2 et 4.2 de la convention d’affaires de 2009 ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations souveraines, c’est sans inverser la charge de la preuve que la cour d’appel a retenu qu’il n’était pas établi que les clauses litigieuses pré-rédigées par la société ITM alimentaire international constituaient une composante intangible des cinq contrats examinés et n’avaient pu faire l’objet d’aucune négociation effective, ce dont elle a déduit que la preuve de la soumission ou tentative de soumission exigée par l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, n’était pas rapportée ; que le moyen n’est pas fondé ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR DE CASSATION
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU 20 NOVEMBRE 2019
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° de pourvoi : 18-12823. Arrêt n° 855.
DEMANDEUR à la cassation : Ministre de l’économie et des finances
DÉFENDEUR à la cassation : Société ITM alimentaire international
Mme Mouillard (président), président. SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat(s).
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par le ministre de l’économie et des finances que sur le pourvoi incident relevé par la société ITM alimentaire international ;
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 20 décembre 2017), qu’à la suite d’une enquête diligentée auprès de toutes les enseignes de la grande distribution afin de vérifier la conformité de leurs contrats à la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, le ministre chargé de l’économie a, le 2 novembre 2009, assigné les sociétés SPAL boissons, SCA LS frais, SCA laits et dérivés, SCA condiments et dérivés et ITM alimentaire France, aux droits desquelles est venue la société ITM alimentaire international, afin, notamment, qu’il leur soit fait injonction de cesser, pour l’avenir, la pratique consistant à mentionner dans les contrats conclus avec les fournisseurs certaines clauses, constitutives, selon lui, d’un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu que le ministre chargé de l’économie fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :
1°/ que le ministre de l’économie et des finances peut demander en justice d’ordonner la cessation de pratiques consistant à soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif, dans les droits et obligations des parties ; qu’il appartient au défendeur qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation ; que la cour d’appel a constaté que le ministre de l’économie établissait que la société ITM alimentaire international, en faveur de laquelle s’exerçait une forte asymétrie dans le rapport de force existant sur un marché structurellement déséquilibré sur lequel elle intervient, avait rédigé la convention type pour l’année 2009 proposée à l’ensemble de ses fournisseurs et contenant des clauses dont une, au moins, est significativement déséquilibrée ; qu’en imputant au ministre de l’économie la charge de la preuve des circonstances dans lesquelles les conventions annuelles avaient été signées par les différents fournisseurs et d’une possibilité de négocier effectivement et librement chacune des clauses litigieuses, pour juger qu’en l’absence de production de ces éléments de preuve, la soumission ou la tentative de soumission à un déséquilibre significatif dans leurs obligations n’était pas établie, quand il incombait au contraire à la société ITM alimentaire international de prouver n’avoir pas abusé de sa position de force et permis à ses fournisseurs de négocier réellement les clauses litigieuses, en particulier à ceux ne disposant manifestement pas d’une puissance de négociation, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé l’article L. 442-6 III du code de commerce ;
2°/ que le ministre de l’économie et des finances peut demander en justice d’ordonner la cessation de pratiques consistant à tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; que la cour d’appel a constaté que le ministre de l’économie établissait que la société ITM alimentaire international, en faveur de laquelle s’exerçait une forte asymétrie dans le rapport de force existant sur le marché de la distribution, avait pré-rédigé les clauses litigieuses du contrat type pour l’année 2009 proposé à l’ensemble de ses fournisseurs, c’est-à-dire à ceux qui disposaient d’une puissance théorique de négociation comme à ceux qui n’en disposaient pas ; qu’en ne déduisant pas de ces constatations la tentative de la société ITM alimentaire international de soumettre l’ensemble de ses partenaires commerciaux à des obligations créant un déséquilibre significatif, refusant ainsi de réprimer la tentative de soumission à une pratique de déséquilibre significatif, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales qui s’inféraient de ses constatations et violé l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Mais attendu qu’après avoir énoncé que la soumission ou la tentative de soumission d’un fournisseur ou partenaire commercial, premier élément constitutif de la pratique de déséquilibre significatif, implique de démontrer l’absence de négociation effective des clauses incriminées et que, si la structure d’ensemble du marché de la grande distribution peut constituer un indice de l’existence d’un rapport de force déséquilibré, se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs, ce seul élément ne peut suffire et doit être complété par d’autres indices établissant l’absence de négociation effective, l’arrêt retient que, s’il a pu être déduit, dans certains cas, un indice de soumission ou de tentative de soumission de déséquilibre significatif, de l’adoption, par un certain nombre de fournisseurs, de clauses identiques qui leur étaient manifestement défavorables, tel n’est pas le cas dans la présente espèce puisque, si le ministre prétend que les clauses litigieuses ont été intégrées dans toutes les conventions ou que tous les fournisseurs de la société ITM alimentaire international ont été concernés par ces clauses, il n’appuie cette affirmation sur aucun élément de preuve, ne versant aux débats que cinq contrats comportant les clauses litigieuses, signés par des fournisseurs qui ne peuvent être qualifiés de PME ou de TPE, sur lesquels il n’apporte aucun élément de preuve quant aux circonstances factuelles dans lesquelles ils ont été conclus et n’établissant donc pas qu’ils n’ont pas fait l’objet de négociations effectives ; qu’il relève que le signataire de l’un de ces cinq contrats, la société Danone eaux France, a pu négocier l’article 2 de la convention d’affaires de 2009, tandis qu’un autre, la société Mars, a fait le choix de ne pas dénoncer cette clause, qui n’était pas appliquée ; qu’il relève encore que la société ITM alimentaire international justifie de ce que deux autres fournisseurs, les sociétés Orangina/Schweppes et Herta, ont également pu négocier les articles 2 et 4.2 de la convention d’affaires de 2009 ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations souveraines, c’est sans inverser la charge de la preuve que la cour d’appel a retenu qu’il n’était pas établi que les clauses litigieuses pré-rédigées par la société ITM alimentaire international constituaient une composante intangible des cinq contrats examinés et n’avaient pu faire l’objet d’aucune négociation effective, ce dont elle a déduit que la preuve de la soumission ou tentative de soumission exigée par l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, n’était pas rapportée ; que le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen du pourvoi principal, qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui est éventuel : REJETTE le pourvoi ;
Condamne le ministre de l’économie et des finances aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à la société ITM alimentaire international la somme de 3.000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille dix-neuf.
ANNEXE : MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Moyens produits au pourvoi principal par la SARL Meier-Bourdeau Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour le ministre de l’économie et des finances.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt confirmatif attaqué d’AVOIR dit que le ministre de l’économie ne rapportait pas la preuve de pratiques de déséquilibre significatif commises par la société ITM Alimentaire International, relatifs aux articles 2 et 4 de la convention d’affaires de 2009, et de l’AVOIR débouté de toutes ses demandes ;
RAPPEL DES MOTIFS DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
AUX MOTIFS QUE, selon l’article L. 442-6, I, 2 du code de commerce : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) 2° de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif ; que l’insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d’adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective des clauses litigieuses peut constituer ce premier élément ; que l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d’une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d’une disproportion importante entre les obligations respectives des parties ; que les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l’économie du contrat et in concreto ; que la preuve d’un rééquilibrage du contrat par une autre clause incombe à l’entreprise mise en cause sans que l’on puisse considérer qu’il y a inversion de la charge de la preuve ; qu’enfin, les effets des pratiques n’ont pas à être pris en compte ou recherchés ; que, sur la soumission ou tentative de soumission des fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties : le ministre estime que la soumission et la tentative de soumission sont caractérisées en l’espèce par : - l’existence d’un contrat type imposé aux fournisseurs comportant les clauses litigieuses ayant une portée générale et dont la rédaction entraine une insécurité juridique, - l’imposition d’obligations non réciproques, le groupement des Mousquetaires n’apportant pas la preuve d’un rééquilibrage du contrat, - la tentative de soumission résultant du contexte d’asymétrie du rapport de force en faveur du distributeur et du déséquilibre des clauses au détriment des fournisseurs ; que le ministre soutient que la clause de renégociation (article 2 de la convention d’affaires) ne permet de renégocier que des clauses CGV Fournisseur ; que la société ITM Alimentaire International souligne que la définition de la pratique de l’infraction de déséquilibre significatif dans le code de commerce englobe une notion de soumission, que le juge se doit de rechercher pour chaque cas et chaque contrat ; qu’elle soutient que le ministre ne rapporte pas en l’espèce la preuve d’une soumission des cinq fournisseurs concernés et soulève : - l’absence de présomption de soumission dans le secteur de la grande distribution, - le caractère insuffisant de l’étude du contenu rédactionnel des clauses pour en déduire l’effet de soumission ; que l’élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l’absence de négociation effective des clauses incriminées ; que, si la structure d’ensemble du marché de la grande distribution peut constituer un indice de rapports de forces déséquilibrés, se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs, cette seule considération ne peut suffire à démontrer l’élément de soumission ou de tentative de soumission d’une clause du contrat signé entre eux, même si ce contrat est un contrat-type ; que cet indice doit être complété par d’autres indices ; qu’en effet, certains fournisseurs, qui constituent des grands groupes, peuvent résister à l’imposition d’une clause qui leur est défavorable ; que tous les fournisseurs ne sont pas de taille égale et n’ont pas une puissance de négociation équivalente ; que, par conséquent, tous ne peuvent pas être contraints de la même façon par les distributeurs ; que, certes, la menace d’éviction des linéaires d’un des grands distributeurs n’est pas sans conséquence, même pour les gros fournisseurs, mais il est notable que ceux-ci arrivent aussi à imposer des restrictions de concurrence et ne sont pas dépourvus de moyens d’action ; que la preuve de l’absence de négociation effective peut résulter de la circonstance que des fournisseurs cocontractants ont tenté, mais ne sont pas parvenus, à obtenir la suppression des clauses litigieuses dans le cadre de négociations ou qu’aucune suite n’a été donnée aux réserves ou avenants proposés par les fournisseurs pour les modifier ; que le ministre verse aux débats cinq conventions signées par les sociétés Danone, Mars, Hero France, Conserves de France et Saint-Jean, dont il n’est pas démontré qu’elles n’aient pas fait l’objet de négociations effectives ; qu’en l’espèce, en effet, le ministre n’apporte aucun élément de preuve afférent aux circonstances factuelles dans lesquelles les cinq contrats versés à la procédure ont été conclus ; que, s’il a pu être déduit, dans d’autres cas, un indice de soumission ou de tentative de soumission de déséquilibre significatif, de l’adoption, par un nombre significatif de fournisseurs, de clauses identiques qui leur étaient manifestement défavorables, indice conforté par d’autres indices, tel n’est pas le cas dans la présente espèce ; que la société ITM Alimentaire International relève en effet à juste titre que les clauses litigieuses ne figurent que dans cinq contrats conclus par des fournisseurs, dont elle justifie qu’ils ne peuvent être qualifiés de PME ou de TPE ; que mis à part les groupes Danone et Mars, dont le pouvoir de marché n’est pas à démontrer, puisqu’ils réalisent des dizaines de milliards d’euros de chiffres d’affaires et s’appuient sur des portefeuilles de marques incontournables pour tout distributeur, le fournisseur Conserves de France a en effet déclaré avoir réalisé en 2008 un chiffre d’affaires total de 228,6 millions d’euros, dont 19,6 millions d’euros avec les sociétés poursuivies (correspondant à 8,57% de son activité), le fournisseur Saint-Jean a réalisé, en 2008, un chiffre d’affaires total de 51,1 millions d’euros, dont (selon ses déclarations) 3,5 millions d’euros avec les sociétés poursuivies (correspondant à 6,77% de son activité) et enfin le fournisseur Hero France était, en 2008 et en 2009, une filiale du groupe suisse Hero qui, en 2011, a réalisé un chiffre d’affaires de 1,43 milliard de Francs Suisses (soit 1,16 milliard d’euros au taux de conversion actuel) ; que les 6,8 millions d’euros de chiffre d’affaires qu’elle a déclarés réaliser avec les sociétés poursuivies représenteraient moins de 1 % de son activité ; que ces chiffres, établis par la société ITM Alimentaire International, ne sont pas sérieusement contestés par le ministre ; que, si le ministre prétend que les clauses litigieuses ont été « intégrées dans toutes les conventions » (p. 33 de ses conclusions) ou que « tous les fournisseurs de la société intimée ont donc été concernés par ces clauses » (p. 56), il n’appuie cette affirmation sur aucun élément de preuve, son action ne reposant que sur les cinq conventions précitées, seules communiquées aux débats ; que de plus, sur ces 5 conventions, la société Danone Eaux France a négocié l’article 2 prétendument imposé par les sociétés poursuivies, dont elle a obtenu modification par un « avenant à la convention d’affaires ITM 2009 », annexé à la Convention 2009 et paraphé par les deux parties (annexe 4.1 de l’assignation devenue pièce n° 20.1 du Ministre), ce qui démontre l’existence de négociations bien réelles sur les clauses litigieuses ; qu’en outre, la société ITM Alimentaire International verse aux débats le résultat des négociations concernant la Convention d’affaires 2009 par deux autres fournisseurs, Orangina/Schweppes et Herta (pièces 27 et 28 d’ITM) ; qu’il en résulte que la société Orangina/Schweppes a obtenu la modification du texte-même de la Convention, notamment s’agissant des articles 2 et 4.2 critiqués par le ministre et que la société Herta a fait adopter par la SCA LS Frais un avenant à la Convention d’affaires modifiant les articles 2 et 4.2 prétendument imposés ; que le ministre s’appuie essentiellement sur l’audition du 18 juin 2009 de la société Mars par les enquêteurs de la DGCCRF pour démontrer la soumission : le directeur commercial Petcare de Mars a en effet déclaré « Concernant le contrat commercial pré-rédigé remis le jour même de sa signature sans aucune possibilité de modification par les fournisseurs, il comporte des clauses abusives et contraires à nos CGV. Faute de pouvoir les amender directement dans le document, elles font l’objet d’un courrier séparé destiné à les dénoncer mais dont l’effet est limité compte tenu du fait que ce courrier n’est pas signé des deux parties » ; mais que la société ITM verse aux débats une déclaration du même directeur commercial (pièce 31 d’ITM), du 2 juillet 2009, dans laquelle celui-ci revient sur ses propos : « Contrairement à ce que j’ai déclaré par procès-verbal du 18 juin 2009, aucun courrier d’amendement n’est parti à l’adresse de la centrale Intermarché. Ce contrat étant le même dans ses grandes lignes depuis plusieurs années et bien que présentant des termes contraires à nos CGV, il ne nous a pas semblé utile de le dénoncer compte tenu du fait qu’Intermarché ne met pas à exécution en ce qui nous concerne les clauses que nous jugeons abusives (constat fait sur les dernières années). Aussi, pour éviter l’ouverture d’un nouveau champ de négociation, nous avons choisi le statu quo » ; que ces propos démontrent qu’en l’espèce, la société Mars n’a pas voulu rouvrir un espace de négociation et a choisi de ne pas dénoncer les clauses litigieuses ; que la seule déclaration du 18 juin 2009 de la société Mars, contredite le 2 juillet 2009, ne saurait donc suffire à établir la soumission des fournisseurs ; qu’il n’est donc pas démontré par le ministre que les clauses litigieuses pré-rédigées par ITM constituaient une composante intangible des cinq contrats examinés et n’avaient pu faire l’objet d’aucune négociation effective ; qu’il n’est pas établi qu’aucune suite n’ait été donnée aux réserves ou avenants proposés par les fournisseurs pour les modifier, quand ceux-ci en ont manifesté la volonté, aux termes d’une négociation qui était à leur portée ; que, contrairement aux assertions du ministre, il ne peut être inféré du seul contenu des clauses ou du contexte économique caractérisé par une forte asymétrie du rapport de force en faveur du distributeur la caractérisation de la soumission ou tentative de soumission exigée par le législateur ; que l’insertion de clauses « déséquilibrées » dans un contrat-type ne peut suffire en soi à démontrer cet élément, seule la preuve de l’absence de négociation effective pouvant l’établir, la soumission ne pouvant être déduite de la seule puissance de négociation du distributeur, in abstracto ; que le ministre soutient en vain que la majorité des fournisseurs d’ITM serait concernée par la clause et serait dans l’incapacité de résister aux demandes d’ITM, car il n’en rapporte pas la preuve, seules 5 conventions étant versées aux débats ; que la soumission ou tentative de soumission requise par l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce n’est donc pas établie ; que la pratique de déséquilibre significatif n’est donc pas constituée, sans qu’il soit utile d’examiner la réalisation de la deuxième condition, tenant à l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
1°) ALORS QUE le ministre de l’économie peut demander en justice d’ordonner la cessation de pratiques consistant à soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu’il appartient au défendeur qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation ; que la cour d’appel a constaté que le ministre de l’économie établissait que la société ITM Alimentaire International, en faveur de laquelle s’exerçait une forte asymétrie dans le rapport de force existant sur un marché structurellement déséquilibré sur lequel elle intervient, avait rédigé la convention type pour l’année 2009 proposée à l’ensemble de ses fournisseurs et contenant des clauses dont une, au moins, est significativement déséquilibrée ; qu’en imputant au ministre de l’économie la charge de la preuve des circonstances dans lesquelles les conventions annuelles avaient été signées par les différents fournisseurs et d’une possibilité de négocier effectivement et librement chacune des clauses litigieuses, pour juger qu’en l’absence de production de ces éléments de preuve, la soumission ou la tentative de soumission à un déséquilibre significatif dans leurs obligations n’était pas établie, quand il incombait au contraire à la société ITM Alimentaire International de prouver n’avoir pas abusé de sa position de force et permis à ses fournisseurs de négocier réellement les clauses litigieuses en particulier à ceux ne disposant manifestement pas d’une puissance de négociation, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé l’article L. 442-6 III du code de commerce ;
2°) ALORS, à titre subsidiaire, QUE le ministre de l’économie peut demander en justice d’ordonner la cessation de pratiques consistant à tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; que la cour d’appel a constaté que le ministre de l’économie établissait que la société ITM Alimentaire International, en faveur de laquelle s’exerçait une forte asymétrie dans le rapport de force existant sur le marché de la distribution, avait pré-rédigé les clauses litigieuses du contrat type pour l’année 2009 proposé à l’ensemble de ses fournisseurs, c’est-à-dire à ceux qui disposaient d’une puissance théorique de négociation comme à ceux qui n’en disposaient pas ; qu’en ne déduisant pas de ces constatations la tentative de la société ITM Alimentaire International de soumettre l’ensemble de ses partenaires commerciaux à des obligations créant un déséquilibre significatif, refusant ainsi de réprimer la tentative de soumission à une pratique de déséquilibre significatif, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales qui s’inféraient de ses constatations et violé l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION
RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt confirmatif attaqué d’AVOIR débouté le ministre de l’ensemble de ses demandes ;
RAPPEL DES MOTIFS DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
AUX MOTIFS PROPRES QUE le ministre considère que l’article 2 de la convention d’affaires 2009 du groupement des Mousquetaires crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, car il permet au distributeur de renégocier ou d’exclure les clauses des CGV Fournisseur, sans aucune réciprocité prévoyant que les fournisseurs peuvent également renégocier les CGA du distributeur, et sans justification puisqu’aucun élément objectif et nouveau ne permet de justifier une telle renégociation ou exclusion et crée le risque que le distributeur renégocie tout au long de l’année la convention d’affaires ; que la société ITM Alimentaire International estime d’une part, que le mécanisme général de la clause critiquée n’induit aucun déséquilibre et d’autre part, ne met aucune « obligation » à la charge des partenaires commerciaux ; que l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce, qui doit s’interpréter strictement, vise le fait de « soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que la clause litigieuse prévoit que : « Les clauses ci-dessous énumérées de manière non exhaustive seront exclues ou rediscutées d’un commun accord au motif qu’elles peuvent être considérées comme déséquilibrées et/ou abusives ou ne relavent pas de la négociation commerciale et/ou relèvent d’un autre document signé par les deux parties. Il s’agit notamment de clauses relatives : (...) - aux conditions particulières pour la passation et/ou l’acceptation des commandes ; - à l’exclusion des réserves si ces dernières ne sont pas mentionnées sur les bons de livraisons ; - à des délais abusivement écourtés pour contester le bien ou le règlement d’une facture ; (...) – à l’application des Conditions Générales de Vente aux services rendus par le distributeur ; - aux conditions logistiques incompatibles avec l’organisation du « Groupement des Mousquetaires » ; (…) - à l’exonération ou la limitation de responsabilité du fournisseur » ; qu’en l’espèce, la clause litigieuse ne contient aucune obligation positive, mais renvoie à la faculté, pour les parties, d’exclure ou rediscuter des clauses des CGV des fournisseurs d’un commun accord ; qu’elle renvoie donc à de possibles négociations futures ; que la cour ne peut à cet égard approuver l’assertion du ministre selon laquelle « le fournisseur se retrouve, par application de cette clause, débiteur d’une obligation incontestable de renégocier ou d’exclure ces conditions générales de vente qui, bien qu’intégrées à la convention d’affaires 2009, ne sont pas acceptées par le distributeur » ; que le renvoi à un futur et hypothétique commun accord des parties ne constitue nullement une obligation imposée aux fournisseurs ; que le ministre considère qu’une clause d’emblée contraire aux principes posés par les articles L. 441-6 et L. 441-7 du code de commerce, selon lesquels les CGV Fournisseur constituent le socle de la négociation commerciale et la convention unique est négociée annuellement, ce qui s’oppose à des remises en cause, au cours de l’année, des droits et obligations obtenus dans le cadre de cette convention, est constitutive d’un déséquilibre significatif ; mais qu’il est admis, ainsi que l’a rappelé la CEPC, citée dans les conclusions d’ITM Alimentaire International que « les cocontractants peuvent légalement décider, d’un commun accord, d’écarter pour partie les conditions du fournisseur, sous réserve de ne pas créer un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-6 du code de commerce » ; que ce procédé n’est donc pas en soi constitutif d’une obligation source de déséquilibre significatif, celui-ci devant s’apprécier lors de la négociation effective de clauses déséquilibrées ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE sur la clause d’exclusion préalable de clauses des conditions générales de vente : l’article 2 du contrat cadre intitulé « convention d’affaires » stipule : « Les clauses ci-dessus énumérées de manière non exhaustive seront exclues ou rediscutées d’un commun accord au motif qu’elles peuvent être considérées comme déséquilibrées et/ou abusives ou ne relèvent pas de la négociation commerciale et/ou relèvent d’un autre document signé par les deux parties. Il s’agit notamment de clauses relatives : - à l’exclusion de toutes possibilités de négocier tout ou partie des conditions générales de vente, - aux conditions particulières pour la passation et/ou l’acceptation des commandes, - à l’exclusion des réserves si celles-ci ne sont pas mentionnées sur les bons de livraison, - à des délais abusivement écourtés pour contester le bien-fondé ou le règlement d’une facture, - à l’impossibilité de négocier les prix et les remises, - à l’application des conditions générales de vente aux services rendus par le distributeur, - aux conditions logistiques incompatibles avec l’organisation de groupement des mousquetaires, - à l’application des nouveaux tarifs dans un délai imposé, - à l’exonération ou la limitation de responsabilité du fournisseur » ; que le ministre conteste la stipulation concernant les conditions pour la passation et/ou l’acceptation des commandes se fondant sur la fait que « la généralité de cet intitulé peut conduire à la suppression des clauses des CGV prévoyant un volume minimum de commande et/ou des délais minimaux économiquement nécessaires et adaptés à la logistique particulière de fournisseur » ; qu’il conteste également la disposition concernant les clauses relatives à l’exclusion des réserves si ces dernières ne sont pas mentionnées sur le bon de livraison, l’exclusion des clauses relatives à des délais abusivement écourtés pour contester le bien-fondé ou le règlement d’une facture, l’exclusion des clauses relatives à l’application des conditions générales de vente aux services rendus par le distributeur et celles portant sur l’exonération ou la limitation de la responsabilité du fournisseur ; cependant, que ces clauses n’ajoutent rien au fait que toute négociation commerciale, quelles que soient les parties en cause, peut aboutir à une exclusion de tout ou partie des conditions générales, qu’elles soient de vente ou d’achat ; que ces clauses, qui renvoient à une négociation qui, en tout état de cause, aurait pu avoir lieu en leur absence n’ont pas de valeur juridique réelle ; que c’est à l’issue de cette négociation qu’un déséquilibre significatif pourrait éventuellement être constaté et non en vertu de clauses qui ne font qu’ouvrir un espace de discussion ; que le ministre postule qu’en raison d’une « asymétrie dans les rapports de force entre la plupart des fournisseurs et les distributeurs », la négociation sera défavorable aux fournisseurs mais que d’une part il ne se donne pas les moyens d’en faire la démonstration et que d’autre part il ne prouve pas que la situation serait substantiellement différente en l’absence de la clause contestée ;
MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
1°) ALORS QUE la loi du 4 août 2008, qui a posé le principe de libre négociabilité des conditions de vente, a maintenu le principe selon lequel les conditions générales de vente constituent le socle de la négociation commerciale ; que les obligations auxquelles les parties s’engagent à l’issue de la négociation commerciale doivent être formalisées dans une convention écrite, sous peine d’amende ; que la formalisation des engagements des parties dans un document unique doit permettre à l’administration d’exercer un contrôle a posteriori sur la négociation commerciale et sur les engagements pris par les cocontractants, notamment pour vérifier qu’elles ne révèlent pas la soumission ou la tentative de soumission du partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; que, pour rejeter la demande du ministre de l’économie tendant à voir interdire la stipulation de la clause contenue dans la convention d’affaires type pour l’année 2009 pré-rédigée par la société ITM Alimentaire International, prévoyant sans aucune limite ou condition la possibilité de renégocier, après la conclusion du contrat, toute clause des conditions générales du fournisseur, la cour d’appel s’est bornée à retenir que les contractants peuvent toujours convenir d’écarter les conditions générales de vente du fournisseur sous réserve que cela ne crée pas de déséquilibre significatif, s’attachant donc de manière inopérante au résultat des négociations et non aux conditions dans lesquelles elles pouvaient être engagées qui étaient seules en cause pour être l’objet de la clause contestée ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la clause pré-rédigée dans les contrats type n’aboutissait pas à supprimer les garanties posées par les articles L. 441-6 et 441-7 du code de commerce et à éviter les sanctions prévues, ce qui ne pouvait que causer, en raison du rapport de force s’exerçant sur le marché alimentaire en faveur du distributeur, un déséquilibre significatif au détriment des fournisseurs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 441-6, L. 441-7 et L. 442-6 I 2° du code de commerce ;
2°) ALORS QUE le ministre de l’économie peut demander en justice d’ordonner la cessation de pratiques consistant à tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu’en considérant que la clause stipulant que les conditions générales des fournisseurs pourraient être renégociées sans autre condition au prétexte que ce procédé ne serait pas en soi constitutif d’un déséquilibre significatif qui ne pourrait apparaitre que dans le résultat de la négociation prévue, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la circonstance que la clause de renégociation ne portait que sur les conditions générales de vente ne créait pas par elle-même un tel déséquilibre par l’insécurité juridique qu’elle suscitait au détriment des seuls fournisseurs au préjudice desquels s’exerçait, le plus fréquemment, le rapport de force favorable à la société ITM Alimentaire International, la cour d’appel a, derechef, privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce.
- 6170 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Domaine de la protection - Soumission ou tentative de soumission à un déséquilibre significatif
- 6182 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Indices - Déséquilibre injustifié - Négociation